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T-2465-75
William Edward Horkins (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier— Toronto, le 13 janvier; Ottawa, le 27 janvier 1976.
Impôt sur le revenu—Calcul du revenu—Déductions— L'épouse demande une pension alimentaire provisoire lors d'une requête en divorce—Le demandeur propose de payer un montant inférieur—L'épouse accepte—La déduction est-elle possible?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 11(1)l),Ia)—Règle 386 des Règles de pratique de l'Ontario.
En réponse à une demande de pension alimentaire provisoire déposée par sa femme, le demandeur a proposé de payer $800 par mois, soit un montant inférieur à celui réclamé. Son épouse a accepté le versement durant cinq mois et n'a jamais donné suite à sa demande. Le demandeur veut déduire ce montant de son revenu à titre de versement de pension alimentaire confor- mément à l'article 11(1)1) ou la). La Commission de révision de l'impôt a confirmé le refus du Ministre et le demandeur a fait appel, prétendant que l'offre de $800, l'acceptation et le versement conformément à la Règle 386 de l'Ontario équiva- lent à «une ordonnance d'un tribunal compétent» ou à une telle ordonnance délivrée conformément à l'article 11(1)l). La même déductibilité est demandée en vertu de l'article 11(1)la).
Arrêt: l'appel est rejeté. La Règle 386 ne prévoit une ordon- nance que dans trois cas: (1) lorsque le défaut intervient après que le défendeur a accepté de payer une pension alimentaire provisoire; (2) lorsque le défaut intervient après que le défen- deur a offert et que le demandeur a accepté une somme inférieure; et (3) lorsque le défaut intervient après l'audition d'une demande de pension alimentaire, si le demandeur a refusé d'accepter la somme offerte mais que celle-ci est jugée raison- nable. Cependant, le défendeur qui verse scrupuleusement le montant dans les trois cas précités, ne peut le déduire, car il n'y a pas eu d'«ordonnance». En vertu de l'article 11(1)l), les faits, y compris un accord verbal de séparation, l'échange d'accords écrits de séparation et la correspondance, ainsi que l'accepta- tion des chèques de pension alimentaire et la mention générale des versements dans une lettre, ne peuvent être interprétés comme un accord écrit ou un accord écrit de séparation.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
H. E. Fulton, c.r., pour le demandeur. M. Bonner pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Campbell, Jarvis, McKenzie & Fulton, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Pour le calcul de son impôt sur le revenu de l'année 1971, le demandeur a voulu déduire de son revenu un montant de $4,000'à titre de pension alimentaire versée à son ancienne épouse. Le demandeur prétend qu'il a droit de procéder à cette déduction en vertu des dispositions de l'alinéa 11(1)1) ou de l'alinéa 11(1)la) de la Loi de l'impôt sur le revenu 2 . Voici le texte de ces deux alinéas:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra- phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition:
1) un montant payé par le contribuable pendant l'année conformément à un décret, ordonnance ou jugement d'un tribunal compétent, ou en conformité d'une convention écrite, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour l'entretien de la personne qui la reçoit ou des enfants issus du mariage, ou, à la fois, de la personne qui la reçoit et des enfants issus du mariage, si le contribuable vivait séparé, et était séparé en conformité d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'une convention écrite de séparation, de son conjoint ou ancien conjoint, à qui il était tenu de faire le paiement à l'époque le paiement a été fait et durant le reste de l'année;
la) un montant payé par le contribuable dans l'année, en conformité d'une ordonnance d'un tribunal compétent, à titre d'allocation payable sur une base périodique pour l'entretien du bénéficiaire de ladite allocation, des enfants issus du mariage, ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le contribuable vivait séparé de son conjoint à qui il était tenu de faire le paiement à l'époque ce dernier a été effectué et durant le reste de l'année;
Le ministre du Revenu national a refusé la déduction. La Commission de révision de l'impôt a confirmé la décision du Ministre, et il en est résulté le présent appel.
Comme toujours, les faits sont de la plus haute importance. Le demandeur et sa femme se sont mariés en 1949. En 1967 ou 1968, des différends sont apparus. Le demandeur a quitté le domicile conjugal. Après ces événements, le demandeur et sa femme n'ont pas vécu ensemble pendant les périodes qui nous intéressent. Longtemps ils ont cherché à arriver à une entente sur les questions
' A l'origine le demandeur avait voulu déduire $6,500. Le Ministre lui a permis de déduire $1,000. Le contribuable a donc renoncé à demander la déduction d'une partie de ladite somme de $6,500 soit $1,500 (ou l'excédent de $4,000).
z S.R.C. 1952, c. 148 et modifications. Les dispositions équi- valentes dans la «nouvelle loi» sont les alinéas 60b) et c).
financières, sur la répartition des biens et sur d'autres questions. Au début, ces négociations ont été menées par l'intermédiaire d'avocat. Il y a eu de nombreux échanges de projets d'accords écrits. Aucun n'étant satisfaisant, rien n'a été convenu ni souscrit. Pendant un certain temps, les intéressés, et notamment le demandeur, ont tenté d'arriver eux-mêmes à une solution. En somme, les faits suivants sont clairement établis: les parties ont vécu séparés l'une de l'autre pendant toute la période en question; elles ont été incapables de parvenir à un accord sur les questions habituelles après avoir décidé de se séparer; à un certain moment, le demandeur a menacé de réintégrer le domicile conjugal; après que le demandeur eut exercé des pressions diverses, sa femme a fini par intenter une requête en divorce.
La requête a été déposée au greffe de la Cour suprême de l'Ontario le 19 avril 1971. Les mesures de redressement demandées par l'épouse à titre provisoire étaient les suivantes: une pension ali- mentaire mensuelle de $1,050 pour elle-même et $200 par mois pour l'entretien de l'unique enfant du mariage.
Le 20 avril 1971, conformément aux Règles de pratique, a été présentée une demande visant notamment à faire accorder à l'épouse une pension alimentaire provisoire de $1,000 par mois
[TRADUCTION] ... de la date de signification de la requête... à celle de l'audience ....
Le 4 juin 1971, en réponse à la demande, le mari a déposé un avis de proposition dans lequel il
[TRADUCTION] ... propose de verser, à titre de mesure acces- soire provisoire, la somme de $800 par mois pour l'entretien de la requérante et de leur fils.
L'avis de proposition, semble-t-il, a été donné conformément à la Règle 386 des Règles de prati- que, dont voici les extraits pertinents:
[TRADUCTION] 386. (1) Dans les règles 386 à 388, la pen sion alimentaire provisoire est réputée comprendre, dans une affaire matrimoniale, les sommes payables à titre de pension alimentaire par l'un ou l'autre conjoint pour l'entretien de l'autre et les sommes payables pour l'entretien des enfants du mariage en attendant que la requête ait été entendue et jugée.
(2) Dans une action en versement d'une pension alimentaire ou dans une affaire matrimoniale, le défendeur peut, en tout temps avant que ne lui ait été signifié un avis de demande de pension alimentaire provisoire, donner par écrit avis de son intention de verser la pension alimentaire provisoire et d'acquit- ter les déboursés provisoires, selon que l'a réclamé le deman- deur dans la mention spéciale figurant sur le bref ou dans la
requête en divorce, et, dans ce cas, il ne sera pas présenté de demande de pension alimentaire provisoire sauf s'il y a défaut de paiement, auquel cas, une fois déposés des affidavits établis- sant l'existence de la mention spéciale, la signification de l'avis et le défaut, il est délivré sur praecipe une ordonnance enjoi- gnant le versement de la somme réclamée. [Modifié, O. Reg. 285/71, art. 10.1
(3) Le défendeur peut donner par écrit avis de son intention de verser une somme donnée, inférieure à celle qu'on lui réclame, qui lui parait raisonnable et qu'il indique dans son avis.
(4) Lorsque a été signifié un pareil avis et que le demandeur s'est déclaré satisfait du montant indiqué, le défendeur peut dès lors commencer à verser la somme en question à titre de pension alimentaire provisoire, et il ne sera pas rendu d'ordon- nance enjoignant le versement d'une pension alimentaire provi- soire sauf au cas de défaut de paiement.
(5) Lorsque a été signifié un pareil avis, les déboursés provi- soires engagés par le défendeur peuvent être taxés sans ordonnance.
(6) Si le demandeur n'accepte pas la somme offerte qui, lorsque est présentée la requête en versement d'une pension alimentaire provisoire, est jugée raisonnable, et que le défen- deur verse au demandeur la somme en question, il ne sera pas rendu d'ordonnance enjoignant le versement d'une pension alimentaire provisoire sauf au cas de défaut de paiement.
Le demandeur, conformément à cette procédure, a fait à son épouse cinq paiements de $800 chacun pour les mois de juin à octobre 1971. Ce sont les montants que le demandeur prétend être fondé à déduire dans le calcul de l'impôt de l'année 1971.
L'épouse a accepté ces sommes. Une lettre envoyée par l'avocat de l'épouse à celui du mari (pièce 5 jointe à l'exposé conjoint des faits) consti- tue le seul élément porté à ma connaissance qui puisse laisser supposer qu'elle aurait accepté sous certaines réserves. Voici le texte de la lettre:
[TRADUCTION] PIÈCE 5
Le 22 juillet 1971
Siegal, Fogler, Horkins & Greenglass,
Avocats et procureurs,
372 Bay Street,
Toronto (Ontario)
Aux soins de M' Harold H. Siegal, c.r.
Objet: Horkins et Horkins
Monsieur,
Suite à notre entretien à la fin du contre-interrogatoire du 21 juillet 1971, je vous informe que rien au dossier n'indique que Mn" Horkins aurait reçu de votre client un chèque de $800 pour le mois de juillet. J'ai essayé de joindre Mn. Horkins par téléphone, mais il n'y avait pas de réponse. Il se peut que votre client ait envoyé le chèque par la poste directement à son épouse. Sinon, nous lui demandons de le faire comme cela avait été entendu au moment de notre entretien, étant bien entendu
que nous acceptons ce paiement sous réserve de notre droit de donner suite à sa demande de pension alimentaire provisoire.
Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée,
KIMBER, DUBIN, MORPHY & BRUNNER
Par:
En fait, l'épouse n'a jamais donné suite à sa demande de pension alimentaire provisoire. A mon avis, par son comportement, elle s'est trouvée à
[TRADUCTION] ... se déclarer satisfaite du montant indiqué ... [les $800 par mois dont il est question dans l'avis de proposition].
(Voir la Règle 386(4) ci-dessus.)
La requête en divorce a été entendue en octobre 1971. Le jugement irrévocable a été prononcé le 15 novembre 1971. Un montant de $1,000 par mois, à compter de cette date, a été adjugé à titre de mesure accessoire.
Je reviens maintenant à l'alinéa 11(1)l) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le demandeur sou- tient que l'offre de verser $800 par mois, l'accepta- tion par l'épouse et les paiements qu'il a effectués (le tout conformément à la procédure prévue à la Règle 386) équivalent à une «ordonnance d'un tribunal compétent». Le même argument est avancé pour la déductibilité en vertu de l'alinéa 11(1)la).
Le demandeur a toute ma sympathie, mais je suis incapable de décider, même en donnant une interprétation large au mot «ordonnance» dans les alinéas en question, que les faits en l'espèce équi- valent à une telle ordonnance. Je ne veux pas essayer de donner une définition exhaustive du mot «ordonnance», mais il me semble que ce mot sup pose nécessairement une décision, un décret ou une directive du tribunal en question. La Règle 386, me semble-t-il, permet que soit rendue une ordon- nance dans trois cas seulement et à trois moments précis:
a) lorsque le défaut de paiement intervient après que le défendeur a accepté de payer la pension alimentaire provisoire réclamée dans la requête. Dans un tel cas, une demande de pen sion alimentaire provisoire signalant le défaut de paiement n'est même pas nécessaire. (Règle 386(2).)
b) lorsque le défaut de paiement intervient après que le défendeur a offert et que le deman- deur a accepté une somme inférieure à celle réclamée dans la demande de pension alimen- taire provisoire. (Règle 386(4).)
c) lorsque le défaut de paiement intervient après l'audition d'une demande de pension ali- mentaire provisoire, si le demandeur a refusé d'accepter la somme offerte par le défendeur mais que celle-ci est jugée raisonnable. (Règle 386(6).)
A mon avis, la présente affaire ne correspond à aucun de ces cas. Je vois une situation quelque peu saugrenue. Lorsqu'il se produit un défaut de paiement dans l'un des trois cas précités, il peut être délivré une «ordonnance» contre la personne défaillante. Si celle-ci paye alors conformément à l'ordonnance, elle peut demander à bénéficier des alinéas 11(1)l) ou 11(1)/a), selon celui qui est applicable, à supposer qu'elle remplisse également les autres exigences de ces alinéas. Le défendeur qui, dans les trois cas précités, verse scrupuleuse- ment les sommes en question, ne peut les déduire, car il n'y a pas «d'ordonnance».
Si un texte de loi rédigé en termes clairs produit des résultats saugrenus ou inéquitables dans cer- tains cas, il n'y a malheureusement rien à y faire. Comme je l'ai déjà indiqué, je dois rejeter la prétention du demandeur sur ce point.
Se trouvent ainsi tranchées les prétentions du demandeur en ce qui concerne la déductibilité en vertu de l'alinéa 11(1)la).
Une autre prétention a été avancée en ce qui concerne l'alinéa 11(1)l). Les paiements, a-t-on soutenu, ont été effectués en conformité d'une convention écrite alors que le demandeur vivait séparé de sa femme et en était séparé en confor- mité d'une convention écrite de séparation. L'avo- cat a prétendu que l'ensemble des faits suivants équivaut à une convention écrite de séparation en conformité de laquelle le demandeur était séparé et vivait séparé de sa femme et que les paiements en question ont été effectués en conformité d'une convention écrite:
a) les conjoints avaient convenu verbalement de vivre séparés l'un de l'autre;
b) leurs représentants ont échangé des projets écrits de convention de séparation et il y a eu
échange de lettres directement entre les parties sur les mêmes questions'. Ces documents et ces lettres, affirme-t-on, constituaient une confirma tion écrite de la séparation et de la cessation de la cohabitation;
c) l'acceptation par la femme des chèques de pension alimentaire pour les mois en question et la référence faite en termes généraux aux paie- ments dans la lettre reproduite ci-dessus (pièce 5 jointe à l'exposé conjoint des faits).
A mon avis, on a beau chercher par tous les moyens à conclure en faveur du demandeur, il est impossible de décider que ces faits constituent une convention écrite ou une convention écrite de sépa- ration (ou les deux). Ils ne répondent pas selon moi, aux exigences de l'alinéa 11(1)l).
L'appel doit donc être rejeté. La cotisation éta- blie par le Ministre et la décision de la Commis sion de révision de l'impôt sont confirmées. La défenderesse a droit à ses dépens.
Le demandeur n'a produit en preuve aucun de ces docu ments ou lettres, ce qui n'a d'ailleurs rien de surprenant. Il a confirmé oralement leur existence et il en a indiqué le sens général.
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