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T-3097-75
Michael Frederick Kosobook et Franklin Aelick (Demandeurs)
c.
Le Solliciteur général du Canada, l'honorable Warren Allmand, le Commissaire des péniten- ciers, A. Therrein, le directeur du pénitencier à sûreté maximale Millhaven, J. A. Dowsett, le directeur adjoint du pénitencier à sûreté maxi- male Millhaven, S. M. Scrutton, et le président du Comité de révision des cas de ségrégation du pénitencier à sûreté maximale Millhaven, L. Alai - rie (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Gibson— Toronto, le 24 novembre; Ottawa, le 19 décembre 1975.
Emprisonnement—Brefs de prérogative—Compétence— Ségrégation de prisonniers—Demandes d'ordonnance radiant la déclaration et rejetant l'action ou, subsidiairement, proro- geant le délai—Demandeurs se plaignant de ne pas avoir reçu d'avis des audiences du Comité de classement, de ne pouvoir y assister et de ne pouvoir prendre connaissance de la preuve soumise au Comité—Art. 2.30 du Règlement sur le service des pénitenciers.
Les demandeurs sont placés à l'écart des autres prisonniers depuis le 22 janvier 1975 et le Comité de révision des cas de ségrégation leur a appris que la raison de cette mise à l'écart était le maintien du bon ordre et de la discipline de l'institution. Les demandeurs allèguent (1) qu'on ne les a pas avisé et qu'on ne les avisera pas des audiences du Comité consacrées à l'examen de leur mise à l'écart; (2) qu'on ne leur a pas permis et qu'on ne leur permettra pas d'assister aux audiences; (3) qu'on ne leur a pas communiqué et qu'on ne leur communi- quera pas les documents ou autre preuve soumis au Comité. Les défendeurs demandent la radiation de la déclaration, alléguant le défaut de compétence de la Cour; le rejet de la demande au motif que la Cour n'a pas compétence pour entendre une demande de bref de prohibition et de certiorari; la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonna- ble d'action; ou, subsidiairement, une prorogation du délai prévu pour le dépôt et la signification de la défense.
Arrêt: la déclaration est radiée et l'action rejetée. Les fonc- tions du Comité sont de nature purement administratives; il n'est donc pas tenu d'informer les demandeurs des faits allégués et de la preuve soumise, ni de leur permettre d'être présents et d'être entendus. Il n'est pas non plus tenu de se conformer à la règle audi alteram partem. On a déjà jugé qu'une décision quant au mode de détention d'un détenu n'était pas une déci- sion portant atteinte à ses droits civils. Les demandeurs n'allè- guent pas que le Comité a reçu ou entend recevoir une preuve à laquelle il n'a pas droit; ni qu'il a fait ou entend faire des recommandations, sans en avoir le droit; ni qu'il a accompli ou accomplira des actes illégaux. La demande de jugement décla- ratoire en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale à
titre de recours ordinaire est irrecevable. Rien ne justifie le prononcé d'un jugement déclaratoire portant (1) que le Comité se propose de faire quelque chose d'illégal; (2) que les deman- deurs devraient être avisés; (3) que la preuve soumise au Comité devrait être communiquée aux demandeurs; et (4) que les demandeurs pourront désormais assister aux audiences. Rien ne justifierait une ordonnance de prohibition, certiorari ou mandamus. Les ordres ou actes du (des) «chef(s) de l'institu- tion» en vertu de l'article 2.30 du Règlement sont de nature purement administrative et ne peuvent contrevenir à la. Décla- ration canadienne des droits.
Arrêts appliqués: Guay c. Lafleur [1965] R.C.S. 12; Mitchell c. La Reine (1976) 24 C.C.C. (2») 241. Arrêt analysé: Ex parte MacCaud [1969] I O.R. 373.
ACTION. AVOCATS:
D. G. Humphrey, c.r., et G. Lapkin pour les demandeurs.
G. W. Ainslie, c.r., et J. P. Malette pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Humphrey, Locke, Ecclestone & Kane, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE GIBSON: Les défendeurs demandent, en vertu de la Règle 419 de cette Cour une ordonnance
a) radiant la déclaration des demandeurs aux motifs que la Cour n'a pas compétence pour accorder le redressement demandé;
b) rejetant la demande de bref de mandamus et de brefs de prohibition et de certiorari auxiliai- res au motif que cette Cour n'a pas compétence pour entendre une demande de bref de prohibi tion et de certiorari;
c) radiant la déclaration et rejetant l'action au motif que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action; ou
d) subsidiairement, prorogeant le délai prévu pour le dépôt et la signification de la défense par les défendeurs, le cas échéant, à 15 jours après que la Cour aura statué sur la présente demande.
Comme l'indique l'intitulé de la cause, les demandeurs poursuivent plusieurs personnes. Les demandeurs purgent actuellement leurs peines au pénitencier de Kingston après avoir été transférés, le 7 novembre 1975, du pénitencier à sûreté maxi- male Millhaven, à Bath (Ontario).
Les actes passés et projetés dont on se plaint dans la déclaration se rapportent à des audiences du «Comité de classement»' qui, dans la déclara- tion, est appelé «Comité de ségrégation du centre d'accueil régional du pénitencier de Kingston». Voici l'essentiel des plaintes formulées: (1) les demandeurs n'ont pas reçu et ne recevront pas d'avis des audiences que ledit comité doit tenir en vertu de l'article 2.30 du Règlement sur le service des pénitenciers; (2) on n'a pas permis et on ne permettra pas aux demandeurs d'assister aux audiences dudit comité; et (3) on ne leur a pas communiqué et on ne leur communiquera pas les documents ou la preuve soumis au Comité lors de ces audiences.
L'article 2.30 du Règlement sur le service des pénitenciers édicté en vertu de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6 se lit comme suit:
Interdiction de se joindre aux autres
2.30 (1) Si le chef de l'institution est convaincu que,
a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'institution, ou
b) dans le meilleur intérêt du détenu,
il est nécessaire ou opportun d'interdire au détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d'un détenu ainsi placé à l'écart doit être étudié au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recommandera au chef de l'institu- tion la levée ou le maintien de cette interdiction.
(2) Un détenu placé à l'écart n'est pas considéré comme frappé d'une peine à moins qu'il n'y ait été condamné, et il ne doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments, sauf ceux
a) dont il ne peut jouir qu'en se joignant aux autres détenus, ou
b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu le détenu est ainsi placé à l'écart et de l'obligation d'administrer ce lieu de façon efficace.
«Comité de classement» au sens de l'article 2.30 du Règle- ment sur le service des pénitenciers édicté en vertu de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6.
Le 7 novembre 1975, les demandeurs qui pur- gent une peine d'emprisonnement, ont été transfé- rés du pénitencier à sûreté maximale Millhaven au centre d'accueil régional du pénitencier de Kings- ton et, depuis le 22 janvier 1975, ont été placés dans des cellules de ségrégation, à l'écart des autres prisonniers de ces pénitenciers.
A l'occasion, le Comité de révision des cas de ségrégation avait avisé les demandeurs que ces mesures s'imposaient pour le bon ordre et la disci pline de l'institution.
Les demandeurs allèguent qu'on ne les a pas avisés et qu'on ne les avisera pas des audiences dudit comité pour l'examen de leur mise à l'écart continue, qu'on ne leur communiquera pas de documents ou autres preuves soumis au Comité, ou devant l'être, et qu'on ne leur a pas permis et qu'on n'a pas l'intention de leur permettre d'assister aux audiences ou réunions dudit comité, alors qu'ils affirment y avoir droit et; ils demandent à la Cour une ordonnance à cet effet.
Je cite les allégations des demandeurs aux para- graphes 3, 4, 5, 6, 7, 20, 21, 22 et 23 de leurs déclarations:
[TRADUCTION] 3. Au début de janvier 1975, Andrews, détenu à l'institution Millhaven, fut tué à coup de poignards.
4. Le 22 janvier 1975, la suite de cet incident, des gardiens ont séparé les demandeurs des autres prisonniers de la prison et les ont conduits dans des cellules de ségrégation. Cette mesure ayant été ordonnée par le défendeur, J. A. Dowsett, directeur de l'institution Millhaven.
5. Le transfert eut lieu sans que les demandeurs reçoivent aucune explication de leur détention dans des cellules de ségré- gation ils sont isolés vingt-trois heures par jour avec privilè-
ges limités.
6. Le 20 février 1975, les demandeurs recevaient une note du défendeur Dowsett leur apprenant qu'ils avaient été mis à l'écart aux fins du maintien du bon ordre et la discipline de l'institution. Ils apprenaient aussi que cette décision était fondée sur une enquête concernant un meurtre récent à coups
de poignard.
7. Un avis en date du 19 février 1975 informait les demandeurs que le Comité de révision des cas de ségrégation de l'institution, qui étudie mensuellement tous les cas de ségrégation, avait décidé que les demandeurs devaient rester à l'écart jusqu'à la fin de l'enquête sur des incidents récents à l'institution.
20. Les demandeurs ne reçurent aucun préavis des audiences du Comité de révision des cas de ségrégation et ne furent pas autorisés à y assister.
21. Le 7 novembre 1975, les demandeurs étaient transférés du pénitencier à sûreté maximale Millhaven au centre d'accueil régional du pénitencier de Kingston.
22. Au pénitencier de Kingston, la ségrégation des demandeurs continue; elle est sujette à l'examen dudit Comité de révision des cas de ségrégation du centre.
23. Le Comité de révision du centre n'a jamais avisé les demandeurs des audiences consacrées à l'examen de leur ségré- gation et ne les a jamais autorisés à assister aux réunions du Comité.
Aux paragraphes 26, 27, 28 et 29 de leur décla- ration les demandeurs réclament un redressement contre les actes passés et projetés dudit Comité de révision des cas de ségrégation, qui sont décidés, ou le seront, à l'occasion des audiences tenues en vertu dudit article 2.30 du Règlement sur le ser vice des pénitenciers.
Voici le texte desdits paragraphes:
[TRADUCTION] 26. Un bref de prohibition pour empêcher la prolongation de la ségrégation des demandeurs mis à l'écart des autres détenus du pénitencier Millhaven.
27. Un bref de mandamus avec certiorari auxiliaire pour mettre fin aux décisions des défendeurs et pour leur ordonner de produire tous les documents sur lesquels ils fondent leurs décisions et d'accorder aux demandeurs une audition complète et impartiale de leurs causes selon les principes de la justice naturelle.
28. Un jugement déclaratoire portant que les demandeurs ont droit à un avocat, à l'application régulière de la loi, à l'égalité devant la loi et à l'application des principes de justice naturelle et de la Déclaration canadienne des droits en ce qui concerne leur mise à l'écart, c'est-à-dire que les demandeurs doivent être informés des faits spécifiques allégués et de la preuve présentée contre eux et avoir la possibilité de produire des preuves pour réfuter ces allégations.
29. Un jugement déclaratoire affirmant que la ségrégation ou la mise à l'écart constitue une contravention à la Déclaration canadienne des droits.
Les demandeurs ne soutiennent pas que les défendeurs, le Solliciteur général du Canada, l'ho- norable Warren Allmand, le Commissaire des pénitenciers, A. Therrein, le directeur du péniten- cier à sûreté maximale Millhaven, J. A. Dowsett, et le directeur adjoint du pénitencier à sûreté maximale Millhaven, S. M. Scrutton, participaient ou participeront aux audiences du Comité qui a fait ou fera des recommandations adressées au «chef de l'institution» du pénitencier de Kingston ou du pénitencier Millhaven au sens de l'article 2.30 du Règlement précité ou autrement.
L'avocat des demandeurs a admis, aux fins de cette requête, que les actes en cause, passés ou à venir, dudit comité sont de nature «purement administrative» par opposition à «judiciaire» ou «quasi judiciaire».
La déclaration ne fait état d'aucun fait qui permette de conclure qu'un des défendeurs a empiété ou aurait tenté d'empiéter sur les pouvoirs du «chef de l'institution» du pénitencier de Kings- ton auquel est conféré le pouvoir d'interdire aux demandeurs de se joindre aux autres prisonniers. Les demandeurs n'allèguent pas non plus qu'un des défendeurs aurait donné un ordre quelconque ou se proposerait de le faire.
Après avoir étudié attentivement les plaidoiries et les procédures en l'espèce ainsi que la jurispru dence et les arguments des parties, je conclus premièrement que, puisque le Comité n'a aucune fonction judiciaire ou quasi judiciaire mais plutôt des devoirs de nature purement administrative, il n'est pas tenu d'informer les demandeurs des faits allégués et de la preuve soumise ou qu'on soumet- tra audit comité, ni de permettre aux demandeurs d'être présents à de telles audiences ou de produire une preuve pour réfuter ces allégations ou ces preuves.
Deuxièmement, ledit comité n'est aucunement tenu de suivre les procédures prévues par la règle audi alteram partem. (Voir Guay c. Lafleur [1965] R.C.S. 12; Robert Reid, Administrative Law and Practice, aux pages 111, 167; Dussault, Traité de droit administratif, vol. 2 à la page 1230).
Dans l'affaire Ex parte MacCaud 2 la Cour d'appel de l'Ontario a jugé qu'une décision quant au mode de détention d'un détenu d'une institution de correction n'est pas une décision qui porterait atteinte aux droits civils du détenu, dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Puisque son droit à la liberté est pour le moment inexistant, toute décision des fonctionnaires du service des pénitenciers concernant le lieu et le mode de détention constitue l'exercice d'un pouvoir de nature purement adminis-
2 [1969] 1 O.R. 373à la page 379.
trative, pourvu qu'une telle décision ne contrevienne pas autre- ment aux droits que confère ou protège la Loi sur les péniten- ciers. En outre, le fait de retirer un privilège ou de le restreindre, sanction normale d'une infraction disciplinaire qui n'est pas sérieuse, ne porte aucunement atteinte aux droits civils du détenu en tant que personne: et si l'exercice du pouvoir disciplinaire inhérent aux fonctions administratives du chef de l'institution ne consiste qu'à retirer des privilèges, il ne s'agit pas de l'exercice du pouvoir qui porte atteinte aux droits civils du prisonnier en tant que personne, au point de conférer au retrait ou à la limitation le caractère d'un acte judiciaire.
Les demandeurs n'allèguent pas que ledit comité a reçu ou devrait recevoir des documents ou une preuve ou autres renseignements auxquels il n'a ou n'aura pas droit, ni que le Comité n'a pas ou n'aura pas le droit de faire les recommandations passées ou à venir à l'intention du «chef de l'insti- tution», ou qu'il a accompli ou accomplira des actes illégaux.
L'article 18a) de la Loi sur la Cour fédérale, dont voici le texte, énumère les mesures dont dis pose la Division de première instance de la Cour fédérale:
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral;
Par conséquent, je juge non fondée la demande de jugement déclaratoire en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale à titre de recours ordinaire et non de moyen de contrôle, basé sur les faits allégués dans la déclaration. Plus précisé- ment, rien ne justifie en droit après l'audition, le prononcé d'un jugement déclaratoire, (1) portant que ledit comité se propose de faire quelque chose d'illégal dans la révision du cas des demandeurs et la formulation de ses recommandations au(x) «chef(s) de l'institution» en vertu de pouvoirs expressément conférés par l'article 2.30 du Règle- ment sur le service des pénitenciers; (2) que les demandeurs devraient être avisés de toute audience à venir dudit comité; (3) que devra être communiqué aux demandeurs tout document ou preuve soumis audit comité lors d'une audience à venir et (4) que les demandeurs ou leurs représen- tants pourront désormais assister ou participer aux audiences dudit comité.
Les faits allégués dans la déclaration ne permet- tent pas à la Cour de rendre une ordonnance de prohibition, certiorari ou mandamus, après audi tion, pour aucun des redressements demandés dans les conclusions.
Enfin, les ordres ou actes passés ou projetés du (des) «chef(s) de l'institution» en vertu des pou- voirs conférés à l'article 2.30 du Règlement sur le service des pénitenciers sont de nature purement administrative, et ne peuvent aucunement contre- venir à la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 (voir Mitchell c. La Reine (1976) 24 C.C.C. (2 e ) 241).
J'ordonne donc la radiation de la déclaration et je rejette l'action avec dépens.
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