Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-392-74
British Columbia Packers Limited, Nelson Bros. Fisheries Ltd., The Canadian Fishing Company Limited, Queen Charlotte Fisheries Limited, Tofino Fisheries Ltd., Seafood Products Limited, J. S. McMillan Fisheries Ltd., Norpac Fisheries Ltd., The Cassiar Packing Co. Ltd., Babcock Fisheries Ltd., Francis Millerd & Co. Ltd. et Ocean Fisheries Ltd. (Intimées) (Requérantes)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail (Intimé en première instance)
et
Le conseil provincial de la Colombie-Britannique du Syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés (Appelants) (Intimés en première instance)
et
Native Brotherhood of British Columbia, Fishing Vessel Owners Association of British Columbia, Pacific Trollers Association, Le procureur général de la Colombie-Britannique, Le procureur général de Terre-Neuve et Le procureur général de la Nouvelle-Écosse (Intervenants)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Sheppard et Smith—Vancouver, les 15, 16 et 20 octobre 1975.
Compétence—Demande de bref de prohibition—Syndicat demandant son accréditation comme agent négociateur de pêcheurs—Défaut de compétence du Conseil canadien des relations du travail—Bref de prohibition accordé contre le Conseil—Appel—Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 2 et ses modifications, S.C. 1972, c. 18, art. 107, 108, 126, 146, 154—Acte de l'Amérique du Nord britannique, art. 91 (2),(10),(12),(15 ),(16),( 24), (29), 92(10), (13), (16).
Les intimées exploitent des entreprises de transformation de poisson dont les produits sont commercialisés à l'intérieur et à l'extérieur de la province de la Colombie-Britannique. Elles se procurent du poisson grâce à des contrats conclus dans la province avec les capitaines, les équipages et les propriétaires des navires de pêche. La pêche se fait à l'intérieur et à l'extérieur des eaux territoriales provinciales. Le syndicat appe- lant a demandé au Conseil canadien des relations du travail son accréditation comme agent négociateur des équipages des navi- res dont les capitaines, les équipages ou les propriétaires avaient conclu des ententes spéciales avec les requérantes au sujet de la prise, au retour d'un navire de pêche. Les intervenantes, à savoir la Fishing Vessel Owners Association of British Columbia et la Pacific Trollers Association, représentent des propriétaires de navires indépendants ou des membres d'équi- page qui vendent du poisson à différents fabricants sans aucune
entente spéciale. La demande d'accréditation ne les concerne pas directement, mais ces associations appuient la thèse des requérantes. A la suite d'une demande présentée en vertu de l'article 28 visant l'examen de la compétence du Conseil à statuer sur sa propre compétence, la Cour d'appel décida ([1973] C.F. 1194) qu'il ne s'agissait pas d'une décision suscep tible d'un examen en vertu de l'article 122(1) du Code canadien du travail, du moins jusqu'à ce que le Conseil ait rendu une décision sur la question de l'accréditation du syndicat, ce qui relève précisément de ses pouvoirs. Le Conseil n'a pas estimé nécessaire de soulever la question devant la Cour en vertu des dispositions de l'article 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, comme celle-ci l'avait suggéré. La Division de première ins tance a accueilli la demande de bref de prohibition présentée par les intimées ([1974] 2 C.F. 913); appel est interjeté de cette décision.
Arrêt: l'appel est rejeté. L'article 91(12) de l'Acte de l'Amé- rique du Nord britannique autorise le Parlement à adopter des lois relatives aux «pêcheries» mais ne s'étend pas au-delà de ce domaine pour autoriser l'adoption de lois relatives aux activités normalement accessoires à l'exploitation d'une entreprise de pêche, comme les relations du travail et l'écoulement des produits de l'entreprise, lorsque ces activités elles-mêmes ne relèvent pas de la notion de «pêcheries».
Arrêts appliqués: Renvoi sur la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les diffé- rends du travail [1955] R.C.S. 529; Le procureur général de la Colombie-Britannique c. Le procureur général du Canada [1937] A.C. 377; Le procureur général du Canada c. Le procureur général de la Colombie-Britanni- que [1930] A.C. 111 et Le Canadien Pacifique c. Bonse- cours [1899] A.C. 367.
APPEL. AVOCATS:
S. R. Chamberlain pour les appelants, le Con- seil provincial de la Colombie-Britannique et autres.
D. Aylen, c.r., pour le Conseil canadien des relations du travail.
D. R. Munroe pour Native Brotherhood of B.C.
W. K. Hanlin pour Fishing Vessel Owners Association of B.C.
P. D. Fraser pour Pacifie Trollers Association.
W. Burke-Robertson, c.r., et G. S. Levey pour les intimées, B.C. Packers et autres.
K. A. Maclnnis pour le procureur général de la Nouvelle-Écosse.
J. A. Nesbitt, c.r., pour le procureur général de Terre-Neuve.
N. J. Prelypchan pour le procureur général de la Colombie-Britannique.
PROCUREURS:
Rankin, Robertson, Giusti, Chamberlain & Donald, Vancouver, pour le Conseil provincial de la Colombie-Britannique et autres.
G. S. Levey, Vancouver, pour B.C. Packers Ltd. et autres.
Le sous-procureur général du Canada pour le Conseil canadien des relations du travail. D. R. Munroe, Vancouver, pour Native Brotherhood of B.C.
J. I. Bird, c.r., Vancouver, pour Fishing Vessel Owners Association of B.C.
P. D. K. Fraser, Vancouver, pour Pacific Trollers Association.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté du jugement rendu par la Division de première instance' la suite d'une demande de bref de prohibition, présentée par les compagnies inti- mées) 2 , interdisant au Conseil canadien des rela tions du travail de donner suite «aux diverses demandes» présentées par l'appelant, le conseil provincial de la Colombie-Britannique du Syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés, en vertu du Code canadien du travail 3 , aux fins d'accrédita- tion comme agent négociateur des pêcheurs et des équipages des navires de pêche, employés par l'une quelconque des compagnies intimées (appelées par le savant juge de première instance et ci-après «les fabricants»).
En première instance, les parties étaient, dans une large mesure, d'accord sur les faits de l'espèce et le savant juge les a exposés comme suit la page 916]:
Les requérantes ... sont toutes des compagnies dont l'entre- prise consiste à acheter différents types de poissons ou à s'en procurer grâce à des ententes spéciales avec les capitaines, les équipages et les propriétaires des navires de pêche. Les fabri- cants transforment et emballent le poisson, puis le vendent à l'intérieur ou à l'extérieur de la province de la Colombie-Britannique.
Pour chacun des fabricants, le syndicat intimé a demandé au conseil intimé son accréditation comme agent négociateur offi- ciel des équipages des navires de pêche, dont les propriétaires,
[1974] 2 C.F. 913.
2 C: à-d. les intimés autres que le Conseil canadien des relations du travail.
3 S.R.C. 1970, c. L-1 et ses modifications.
les capitaines et les équipages ont conclu des ententes spéciales sur le partage du prix de vente de chaque prise avec chacun des fabricants acheteurs, au retour du navire de pêche.
[Aux pages 918-919]:
Les faits sont relativement simples et incontestés. La plupart sont exposés dans l'affidavit d'un certain K. M. Campbell, versé au dossier de la présente requête au nom des fabricants. En règle générale, ces derniers achètent du poisson aux pêcheurs selon des ententes écrites ou orales qui prévoient le paiement aux pêcheurs d'un pourcentage sur le produit de la vente de chaque prise, livrée aux employés ou préposés des fabricants, et, éventuellement achetée par l'un d'eux. Chaque fabricant s'oc- cupe de la comptabilité des paiements, établissant aussi les montants dus pour chaque prise au propriétaire et équipage du navire de pêche.
Certains coûts d'exploitation, arrêtés par les parties, sont d'abord déduits du produit brut de la vente de la prise, appelé aussi «valeur brute». Un certain pourcentage du solde, connu sous le nom de «part du bateau» est porté au crédit du proprié- taire du bateau. Ce bateau peut appartenir au capitaine ou à la fois au capitaine et aux membres de son équipage ou encore à d'autres personnes ne faisant pas partie de l'équipage, y com- pris, dans certains cas, les fabricants eux-mêmes. Bien qu'il n'en soit fait aucunement mention dans l'affidavit déposé à l'appui de cette requête, ce fait fut pleinement admis par toutes les parties et ressort des procédures engagées devant le conseil. De toutes façons, la «part du bateau» revient aux propriétaires, quels qu'ils soient.
Du reste du produit de la prise, connu dans le métier sous le nom de «crédit net», on déduit encore un certain nombre d'autres frais, dont le coût de la nourriture de l'équipage et d'autres dépenses engagées lors du voyage pour le personnel. Le solde est divisé entre les membres de l'équipage, y compris le capitaine, selon des proportions convenues à l'avance. Lorsque le propriétaire ou co-propriétaire fait partie de l'équipage, en qualité de capitaine ou autre, il reçoit aussi sa part à titre de membre de l'équipage, en sus de «la part du bateau».
Lorsque la prise est faible et que le voyage se solde par une perte (on parle alors d'un «voyage à vide»), la perte est portée au compte du propriétaire et de l'équipage selon les proportions qu'on aurait utilisées pour calculer le «crédit net». Le fabricant, à titre d'acheteur, s'occupe de la comptabilité de chaque prise et pour chaque membre de l'équipage.
Les contrats, oraux ou écrits, couvrant l'achat du poisson aux pêcheurs par les fabricants, déterminent les prix minimaux du poisson ainsi que la procédure et les modalités du partage de la «valeur brute». Les fabricants effectuent tous leurs achats en Colombie-Britannique.
Avant d'analyser les problèmes qui se posent en l'espèce, il importe de se référer à leur cadre législatif.
A cette fin, les dispositions assez complexes du
Code canadien du travail° relatives à «l'accrédita- tion» peuvent être résumées d'une manière très schématique. Conformément à l'article 126, le Conseil canadien des relations du travail (ci-après appelé «le Conseil») peut accréditer un «syndicat» qui est, par définition une «association d'employés ... ayant notamment pour objet de réglementer les relations entre employeurs et employés», à titre d'«agent négociateur» d'une «unité», qui est par définition «un groupe de deux employés ou plus». Lorsque le Conseil a accrédité un agent négocia- teur pour une unité de négociation, l'«employeur de ces employés» peut (articles 146 et suivants) mettre en demeure l'agent négociateur ou être mis en demeure par celui-ci d'uentamer des négocia- tions collectives» en vue de la conclusion d'une «convention collective» qui, par définition, est une convention entre un «employeur» et un «agent négociateur» contenant des dispositions relatives aux «conditions d'emploi et questions connexes»; une fois conclue, la convention collective «Iie» non seulement «tout employé de l'unité de négociation» mais encore l'«employeur» (article 154).
Ce cadre législatif régissant l'établissement de réglementations des relations entre un employeur et toutes les personnes qu'il emploie dans une unité donnée d'employés est maintenant bien compris en ce qui a trait aux relations entre personnes rele vant de la définition courante des termes «employeur» et «employé». D'une manière générale et du point de vue constitutionnel au Canada, de telles relations, sauf les exceptions prévues à l'arti- cle 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, relèvent de la compétence législative dés pro vinces; ainsi la Partie V du Code canadien du travail, intitulée «Relations industrielles» et conte- nant les dispositions relatives à «l'accréditation», s'applique seulement (article 108) aux «employés» dans le cadre d'une «entreprise fédérale» et aux «patrons» de ces employés «dans leurs rapports avec ces derniers», et par définition (article 2), «entreprise fédérale» signifie dans le Code cana- dien du travail tout ouvrage, entreprise ou affaire «ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du
4 Tel que modifié par S.C. 1972, c. 18.
Canada». 5 Bien que cette dernière définition ne le dise pas expressément, on considère qu'implicite- ment une entreprise constitue un «ouvrage, entre- prise ou affaire fédérale» au sens de cette expres sion dans les différentes parties du Code canadien du travail, seulement si l'ouvrage, l'entreprise ou l'affaire ressortit au pouvoir législatif du Parle- ment du Canada, en ce qui a trait à l'objet de la partie pertinente du Code canadien du travail. 6 Donc les dispositions du Code canadien du travail relatives à l'accréditation s'appliquent seulement, en ce qui concerne les personnes répondant à la définition courante des termes «employé» et «employeur», à une entreprise pour laquelle le Par- lement a le pouvoir de légiférer sur la réglementa- tion des relations entre le patron et ses employés.
Un problème se pose en l'espèce, du fait que la Partie V du Code canadien du travail contient, aux fins de cette partie, une définition du mot «employé» qui en étend la signification pour y inclure «un entrepreneur dépendant», qui, selon la définition de ce terme aux fins de la Partie V, comprend un pêcheur «qui n'est pas employé par un employeur» mais qui est partie à un contrat aux termes duquel il a droit à «une fraction du revenu d'une entreprise commune de pêche à laquelle il participe»'. (On remarquera qu'aucune disposition n'ajoute de signification artificielle correspondante aux mots «employeur» ou à l'expression «conditions d'emploi» dans la définition du terme «convention collective», quoique la compétence du Conseil canadien des relations du travail relativement à l'examen des demandes d'accréditation, qui font l'objet du jugement en appel, dépende de l'inter- prétation de ces expressions entendues dans cette acception large.)
Toutes les demandes d'accréditation donnant lieu à la procédure en l'espèce sont calquées sur le même modèle. L'appelant, en tant que «syndicat»,
5 Comparer avec le Renvoi sur la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail [1955] R.C.S. 529.
e Probablement tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortit au pouvoir législatif du Parlement, en ce qui concerne tout au moins certaines lois, comme les lois criminelles.
7 Voir l'article 107(1).
présente la demande qui désigne l'un des fabri- cants comme ]'«employeur» et qui décrit ]'«unité de négociation» projetée comme comprenant les «pêcheurs» approvisionnant le fabricant aux termes de contrats [TRADUCTION] «prévoyant le paiement auxdits pêcheurs d'une fraction du revenu reçu pour le poisson ainsi livré dans la province de la Colombie-Britannique et les eaux côtières.»
Le principal moyen, soulevé par les fabricants dans leur requête devant la Division de première instance et contestant au Conseil la compétence pour accorder l'accréditation à l'appelant consiste à dire que l'objet de la «loi» autorisant une telle accréditation, si tant est que le Code canadien du travail l'autorise, ne ressortit pas à la compétence législative du Parlement canadien. Le moyen sub- sidiaire—qu'il n'y a lieu d'examiner que si le pre mier moyen est rejeté—est que le Code canadien du travail, interprété correctement, n'autorise pas l'accréditation dans les circonstances de l'espèce.
Le moyen fondé sur l'inconstitutionnalité d'une partie du Code canadien du travail met en cause les dispositions suivantes de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique:
91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par le présent acte exclusivement assignés aux législatu- res des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par le présent déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte) l'auto- rité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-des- sous énumérés, savoir:
2. La réglementation du trafic et du commerce.
12. Les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur.
15. Les banques, l'incorporation des banques et l'émission du papier-monnaie.
16. Les caisses d'épargne.
24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.
29. Les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par le présent acte aux législatures des provinces.
Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la
catégorie des matières d'une nature locale ou privée comprises dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assi gnés par le présent acte aux législatures des provinces.,
92. Dans chaque province la législature pourra exclusive- ment faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:
10. Les travaux et entreprises d'une nature locale, autres que ceux énumérés dans les catégories suivantes:
a. Lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, che- mins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, s'étendant au-delà des limites de la province;
b. Lignes de bateaux à vapeur entre la province et tout pays dépendant de l'empire britannique ou tout pays étranger;
c. Les travaux qui, bien qu'entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés par le parlement du Canada être pour l'avantage général du Canada, ou pour l'avantage de deux ou d'un plus grand nombre des provinces;
13. La propriété et les droits civils dans la province;
16. Généralement toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province.
Tout d'abord, il faut souligner qu'il ne s'agit pas ici d'une attaque dirigée contre une loi réglemen- tant les relations entre un employeur et ses employés en vertu de contrats de fourniture de services. 8 En l'espèce, l'attaque est dirigée contre une loi qui, aux fins du moyen d'inconstitutionna- lité, est censée réglementer la négociation de con- trats relatifs à la vente ou cession du poisson par des pêcheurs, qui ne sont «pas employés par un employeur», à un fabricant qui n'est pas leur employeur. En supposant remplies les conditions nécessaires pour qu'elle produise les effets que, d'après les parties, elle était censée produire, on peut admettre que cette loi réglemente la vente du poisson ou cette partie de l'entreprise de pêche ou de «pêcheries» que constitue l'écoulement du pois- son après la pêche.
A mon avis, en supposant qu'on puisse interpré- ter la Partie V du Code canadien du travail comme étendant implicitement le sens du mot «employeur» à une personne se trouvant dans la situation du fabricant en l'espèce et celui de l'ex-
B A propos de ces employés, il semble que la Partie V du Code canadien du travail est un recueil de «lois» au sens de ce terme à l'article 91, réglementant chacune une catégorie d'acti- vité ou d'entreprise particulière relevant des dispositions de l'article 91.
pression «conditions d'emploi» aux conditions aux- quelles les pêcheurs vendent et cèdent le poisson à un fabricant, il est évident que la «loi» découlant de l'extension de la Partie V à la réglementation desdites ventes et cessions déborde le cadre de la compétence conférée au Parlement par l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, à moins qu'on ne puisse la considérer comme une législation «relative à» une matière tombant dans les catégories de sujets énumérés à l'article 91(12), savoir «les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur». A mon avis, on ne peut sérieusement soutenir—et on ne l'a pas fait à l'audience—que cette «loi», telle qu'elle est formulée, concerne une matière tombant dans l'une des catégories suivantes:
a) «La réglementation du trafic et du com merce» (d'après l'interprétation que la jurispru dence et la doctrine ont donnée à l'article 91(2)), 9
b) «Les indiens»,
c) Les travaux ou entreprises auxquels s'appli- que l'article 91(29),
d) La ratification des traités, ou
e) Toute autre catégorie de sujets non assignés par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique aux législatures des provinces.
J'ai conclu, après beaucoup d'hésitation, que cette législation, telle que formulée, ne concerne pas un sujet entrant dans la catégorie des «pêche- ries des côtes de la mer et de l'intérieur». 10
Selon la jurisprudence antérieure, l'article 91(12) ne va pas au-delà de ce que l'on peut décrire, d'une manière convenable mais imprécise, comme la surveillance et la réglementation des
9 Comparer avec l'arrêt: Le procureur général de la Colom- bie-Britannique c. Le procureur général du Canada [1937] A.C. 377.
En vertu de l'article 108 du Code canadien du travail, la Partie V s'applique uniquement aux personnes employées dans le cadre d'une «entreprise». Du point de vue constitutionnel, une entreprise de nature locale à l'intérieur d'une province relève, en tant que telle, de la compétence de la législature provinciale, à moins qu'elle ne tombe dans l'une des catégories visées aux alinéas a., b. ou c. de l'article 92(10) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique; on n'a pas prétendu ici que l'on puisse soutenir que la législation contestée se rapporte à une telle entreprise ou à une entreprise qui n'est pas de nature locale à l'intérieur d'une province. On doit donc soutenir, s'il y a lieu, qu'elle concerne une «entreprise» visée par l'article 91.
«pêcheries» en tant que biens, de l'activité consis- tant à ramener le poisson de l'eau ou des lieux de pêche. Ainsi envisagé, l'article 91(12) n'a certaine- ment pas une portée assez large pour autoriser une loi relative à la vente du poisson pêché." La question difficile posée en l'espèce est de savoir si le terme «pêcheries» à l'article 91(12) vise aussi l'entreprise de pêche ou de «pêcheries» en tant que telle, auquel cas la loi régissant l'entreprise pour- rait réglementer toute son administration, ce qui inclurait les relations de travail entre l'exploitant de l'entreprise et ses employés ainsi que l'écoule- ment du poisson après la pêche.
Sans prétendre avoir soigneusement examiné toutes les décisions, il me semble, en lisant les articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, à la lumière de l'étude que j'ai faite des décisions se rapportant à l'article 91(2) aux fins de l'arrêt MacDonald c. Vapor Canada Limi ted, 12 que la réglementation de l'entreprise en tant que telle a été écartée du domaine d'application de l'article 91(2) par des décisions qui lient cette Cour, et qu'elle a été attribuée aux législatures provinciales comme portant sur des sujets de nature purement locale ou privée à l'intérieur des différentes provinces, sauf si la réglementation d'une catégorie particulière d'entreprise est visée par une disposition spéciale de l'article 91, telle que:
a) un paragraphe de l'article 91 spécifiant une catégorie d'entreprise comme «les banques»,
b) un travail ou entreprise (il a été décidé que l'expression s'étend à la «gestion») 13 exclu de l'article 92 par l'article 92(10) et relevant ainsi de l'article 91(29), ou
c) l'introduction de l'article 91, lorsque les cir- constances justifient d'y recourir.
La plupart des autres domaines de compétence fédérale, me semble-t-il, concernent des matières autres que la réglementation des entreprises en
tant que telles, quoiqu'une loi particulière revêtant
Comparer avec Le procureur général du Canada c. Le procureur général de la Colombie-Britannique [1930] A.C. 111.
12 [1972] C.F. 1156 (voir à la page 1164).
H Voir Canadien Pacifique c. Bonsecours [1899] A.C. 367, lord Watson, à la page 372.
un autre caractère, une loi criminelle par exemple, puisse avoir un effet considérable sur l'exploitation d'une entreprise. Il s'ensuit que, selon mon inter- prétation des dispositions pertinentes de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, des domaines tels que «la navigation et les bâtiments ou navires» et «les pêcheries des côtes de la mer et de l'inté- rieur» de même que les domaines tels que «les poids et mesures» et «la loi criminelle» visent des lois relatives au genre d'activités précisé, qu'elles soient menées par des personnes faisant des affaires ou autrement, et ne sont pas des domaines de compé- tence en vertu desquels on peut réglementer l'ex- ploitation d'une entreprise en tant que telle. Donc, avec quelque hésitation, parce que je suis trop conscient du fait que certains obiter dicta dans les décisions et certaines parties de la définition de l'expression «entreprise fédérale» au Code canadien du travail semblent ne pas cadrer avec mon raison- nement, j'ai conclu que l'article 91(12) autorise le Parlement à adopter des lois relatives aux «pêche- ries» mais ne s'étend pas au-delà de ce domaine pour autoriser l'adoption de lois relatives aux acti- vités normalement accessoires à l'exploitation d'une entreprise de pêche, comme les relations du travail et l'écoulement des produits de l'entreprise, lorsque ces activités elles-mêmes ne relèvent pas de la notion de «pêcheries».
J'estime donc que l'appel doit être rejeté. Les avocats seront entendus sur la question des frais et dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARD: Je suis d'ac- cord que la formulation de l'article 91(12) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, notam- ment l'expression «les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur» ne s'étend pas à la réglementation de l'entreprise de pêche en tant que telle et que l'appel est donc rejeté.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de monseigneur le juge en chef et j'estime, comme lui, que cet_ appel
doit être rejeté. J'admets parfaitement qu'à la lumière des décisions antérieures, le domaine de compétence 12 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,—les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur—n'a pas une portée assez étendue pour autoriser le Parlement à légiférer sur l'entre- prise de pêche, dans la mesure cette entreprise porte sur les relations du travail ou la vente de poisson après la pêche.
D'une manière tout à fait logique, le juge en chef Jackett associe le domaine de compétence du paragraphe 10 de l'article 92 de l'Acte de l'Améri- que du Nord britannique, c'est-à-dire la navigation et les bâtiments ou navires, avec celui du paragra- phe 12 de l'article 91 en décidant que l'expression «bâtiments ou navires» (shipping) ne vise pas l'en- treprise maritime. Cependant, en raison des opi nions exprimées à la Cour suprême du Canada dans Renvoi relatif à la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les diffé- rends du travail, S.R.C. 1952, c. 152 et son appli cation à certains employés de Eastern Canada Stevedoring Company Limited [1955] R.C.S. 529, je ne suis pas certain que le paragraphe 10 de l'article 92 puisse être valablement associé de cette façon au paragraphe 12 de l'article 91. En tout cas, nous n'avions pas à statuer sur ce point en l'espèce.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.