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T-3012-71
Anglophoto Limited (Demanderesse) c.
Le navire Ikaros, Pleione Maritime Corp. et Empire Stevedoring Company Limited (Défen- deurs)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver, le 11 septembre; Ottawa, le 27 octobre 1975.
Compétence—Droit maritime—Livraison incomplète de marchandises—Connaissement établi pour le transport jusqu'à Vancouver par voie maritime puis, par rail, jusqu'à Toronto— Quelques colis ont disparu après avoir été remis au soin des acconiers—La compétence de la Cour s'étend-elle aux manu- tentionnaires portuaires après le déchargement des marchan- dises du navire?—La Cour a- t-elle compétence relativement aux manutentionnaires portuaires lorsqu'une partie de leurs activités se rapportait au chargement, sans égard aux enten- tes?—Loi sur la Cour fédérale, art. 22(2), 42, 61(2),(6), 63(1)—Loi sur l'Amirauté, S.R.C. 1970, c. A-1, art. 18.
D'après le connaissement, les articles appartenant à la demanderesse devaient être transportés à bord de l'Ikaros du Japon à Vancouver puis, par rail, à Toronto. Le manifeste indique que les colis ont tous été remis à la défenderesse Empire Stevedoring Co. à Vancouver, mais les registres de la cargaison de cette dernière indiquent qu'il en manquait. La demande en dommages-intérêts de la demanderesse a été reje- tée au motif que la Cour n'avait pas compétence en la matière. La Division d'appel a décidé que, compte tenu du dossier soumis à la Cour, il n'aurait pas fallu répondre aux questions de compétence. La demanderesse a alors intenté cette action en dommages-intérêts.
Arrêt: la Cour a compétence relativement à la réclamation contre Empire Stevedoring Co. Cette dernière, en qualité de manutentionnaire portuaire, avait convenu avec le transporteur de prendre livraison et charge des caisses, au navire, et d'en effectuer le transbordement pour leur acheminement à Toronto. Sous ce rapport, Empire Stevedoring Co. a participé au déchar- gement des marchandises, à la fin de la traversée, et à leur livraison à la demanderesse. Cette opération faisait partie intégrante des activités essentielles au transport des marchandi- ses par mer. On a fait une réclamation et demandé un redresse- ment en vertu d'une loi du Canada relevant de la catégorie de la navigation et de la marine marchande. Bien que cette action ait été intentée avant l'entrée en vigueur de la Loi sur la Cour fédérale, elle n'avait pas à être abandonnée et reprise devant cette cour; en vertu de l'article 18 de la Loi sur l'Amirauté, la Cour de l'Échiquier avait compétence.
Arrêt analysé: Anglophoto Ltd. c. Le navire «Ikaros» [1973] C.F. 483; [1974] 1 C.F. 327. Arrêt appliqué: La Compagnie Robert Simpson Montréal Limitée c. Ham- burg-Amerika Linie Norddeutscher [1973] C.F. 1356. Distinction faite avec l'arrêt: Les Commissaires du Havre de Toronto c. Le navire «Robert C. Norton» [1964] R.C.É. 498.
ACTION. AVOCATS:
D. F. McEwen pour la demanderesse.
R. V. Burns pour les défendeurs le navire
Ikaros et Pleione Maritime Corp.
P. J. Gordon pour la défenderesse Empire
Stevedoring Company Limited.
PROCUREURS:
Ray, Wolfe, Connell, Lightbody & Reynolds, Vancouver, pour la demanderesse.
Macrae, Montgomery, Spring & Cunning- ham, Vancouver, pour les défendeurs le navire Ikaros et Pleione Maritime Corp.
Davis & Cie, Vancouver, pour la défenderesse Empire Stevedoring Company Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La Cour fédérale est saisie de cette action pour la seconde fois'. Selon les normes inflationnistes actuelles, le montant en jeu est faible. Cependant, l'un des principaux points en litige, celui de la compétence de cette cour pour connaître de l'action intentée contre la défende- resse Empire Stevedoring Company Limited, importe aux parties.
L'action, à l'origine, a été intentée le 20 avril 1970 en la Division d'amirauté de la Cour de l'Échiquier du Canada. La demanderesse récla- mait des dommages-intérêts pour la perte de cer- tains appareils et accessoires photographiques'. Les articles avaient été chargés sur l'Ikaros au Japon pour être transportés jusqu'à Vancouver puis, par rail, de Vancouver à Toronto. La défen- deresse Pleione Maritime Corp. (ci-après appelée «le transporteur», «le propriétaire» ou «le proprié- taire du navire») et la défenderesse Empire Steve- doring Company Limited (ci-après appelée «Empire») ont toutes deux déposé leur défense avant l'entrée en vigueur de la Loi sur la Cour fédérale'. Empire a plaidé, notamment, que la
Anglophoto Ltd. c. Le navire «Ikaros» [1973] C.F. 483, 39 D.L.R. (3') 446 (Division de première instance); [1974] 1 C.F. 327, 50 D.L.R. (3') 539 (Division d'appel).
2 Les parties se sont entendues à cette audition sur les articles perdus ou avariés et sur leur valeur.
3 Le l" juin 1971.
déclaration [TRADUCTION] «... n'a pas établi contre elle de cause d'action relevant de la compé- tence de la Cour....»
En février 1973, les parties se sont entendues sur un exposé des faits pour demander à la Cour de trancher une question de droit (la compétence de cette cour relativement à l'action intentée contre Empire). J'ai été saisi de cette requête. J'ai décidé que, vu les faits reconnus, cette cour n'avait pas compétence. La demanderesse a interjeté appel. La Division d'appel a décidé que, compte tenu du dossier dont je disposais, je n'aurais pas répon- dre aux questions de compétence qui m'étaient soumises. Le juge Thurlow a déclaré notamment 4 :
A notre avis, les questions soumises à la Cour n'étaient pas des questions de droit. Ce sont des questions de fait et les faits reconnus par les parties ne suffisent pas à permettre à la Cour de conclure à son incompétence. Les autres éléments du dossier qui nous est présenté, sur lesquels les avocats ont attiré notre attention, ne parviennent pas a compléter les faits reconnus par les parties de façon à permettre à la Cour d'arriver à une telle conclusion.
L'action est alors venue devant la Cour les 11 et 12 septembre 1975. On a convenu de certains faits. De plus, on a produit de nombreux témoignages et éléments de preuve documentaire, notamment sur les opérations et les agissements. d'Empire quant au déchargement et à la manutention de la cargai- son du navire Ikaros. Il suffit de souligner que la preuve soumise au procès a prouvé l'insuffisance des faits présentés devant la Division de première instance à l'audition antérieure portant sur la «question de droit», ainsi que l'avait déclaré la Division d'appels.
J'en arrive à la preuve et aux faits présentés au procès.
La demanderesse était propriétaire des appareils et des accessoires photographiques, chargés à bord du navire Ikaros le 10 juillet 1969, pour leur transport jusqu'à Vancouver (C.-B.) puis, par rail, à Toronto (Ontario). L'Ikaros n'a fait aucune escale avant son arrivée à Vancouver. Les manda- taires du propriétaire du navire (la Greer Shipping Ltd.) avaient fait le nécessaire pour que le navire accoste au quai Centennial. En 1969, Empire était
4 [1974] 1 C.F. 327 la page 330.
5 Bien sûr, j'en accepte la responsabilité.
l'exploitant autorisé par le Conseil des ports natio- naux des postes 4, 5 et 6 du terminus. A l'époque, Empire avait deux secteurs d'activités réunis sous la même raison sociale, d'une part, des services d'acconage pour le déchargement de cargaisons, en tant que mandataire des propriétaires de navires et de l'autre des services de manutention portuaire, soit les services de débarcadère et de quai au-delà du palan du navire. Empire n'avait pas l'exclusivité des services de déchargement au quai Centennial. Les propriétaires de navires étaient libres de recou- rir aux services d'autres compagnies. Cependant, Empire était seule titulaire de permis pour les autres services offerts au terminus.
La Greer Shipping Ltd. avait fait le nécessaire pour qu'Empire assure le déchargement de la car- gaison de l'Ikaros. Cela conformément à un con- trat antérieur toujours en vigueur auquel la demanderesse n'était pas partie. La preuve établit clairement que la demanderesse n'a pris aucune part au choix de l'endroit accosterait l'Ikaros à Vancouver, de son mode de déchargement ni de la compagnie qui devait s'en charger.
Du 25 au 31 juillet inclusivement, sauf le dimanche 27, Empire a déchargé le navire. On se servit du palan du navire pour enlever la cargaison des diverses cales et la déposer sur le quai.
Au procès, on a convenu que 13 cartons conte- nant des appareils et accessoires photographiques et 8 boîtes de documents publicitaires avaient été chargés, apparemment en bon état, à bord du navire, au Japon. A mon avis, on peut déduire de la preuve en l'instance que les 21 boîtes sont arrivées à Vancouver à bord du navire le 25 juillet, et je conclus dans ce sens.
Aucun représentant du transporteur ou d'Em- pire n'a fait de relevé des marchandises sortant des cales ni des articles déposés sur le quai par le - palan.
Les employés d'Empire triaient, puis transpor- taient les marchandises à divers endroits du hangar 5 au fur et à mesure de leur dépôt sur le quai. On n'a consulté ni le transporteur ni la demanderesse ni leurs mandataires quant à l'en- droit du hangar étaient déposées les marchandi- ses, à titre temporaire ou définitif.
Les propriétaires du navire employaient bien des contrôleurs, surtout pour marquer quelles mar- chandises portées au manifeste étaient déposées sur l'embarcadère. Dans l'affaire en cause, le con- trôleur du transporteur ou de son mandataire était James R. Bodner. Avant le début des opérations de déchargement, Empire avait préparé ce qu'on a appelé les registres de la cargaison. Les marchan- dises portées au manifeste ont été classées selon un ordre commode aux fins de vérification. Bodner avait un de ces livres. Il a témoigné, registre de la cargaison en main et s'en rapportant à sa méthode habituelle de vérification, s'être assuré de visu que les 21 caisses avaient bien été déchargées du navire et déposées sur la jetée.
Selon le chef de la jetée, la cargaison n'est pas nécessairement déchargée suivant l'ordre de char- gement ou un ordre quelconque. Ce fut le cas en l'espèce. Comme je l'ai dit, la cargaison a d'abord été retirée du palan du navire pour être placée au centre du hangar 5, puis triée et transportée par Empire à différents postes dudit hangar. Pendant plusieurs jours, Bodner s'est apparemment rendu aux différents postes ou autres endroits, telle la «cage», une ou plusieurs fois, pour rendre compte du dépôt sur le quai des divers articles. Au fur et à mesure qu'il découvrait un certain nombre de colis appartenant à un lot particulier, il inscrivait sur son registre le nombre d'articles trouvés à cet endroit, par exemple 4-5/33 (4 colis, hangar 5, poste 33). S'il trouvait d'autres colis à un poste différent du hangar 5, il en prenait note. S'il découvrait le reste des colis ailleurs, il ne prenait pas nécessairement note du poste ni de l'endroit puisqu'il s'était assuré que la totalité des colis avait été déposée dans le hangar. Il se contentait alors de faire un cercle autour du total inscrit au regis- tre. Quant aux appareils photographiques en ques tion, formant un lot de 21 colis, il a inscrit:
[TRADUCTION]
8—cage
4-5/33
5-5/24
2—M/E (Mauvais état)
0
Le chiffre 21 était entouré d'un cercle, comme indiqué. Cela signifiait qu'il avait rendu compte de tous les 21 colis sans indiquer cependant il avait trouvé les deux derniers. Il s'y était pris de la même façon pour vérifier, par exemple, un lot de 40 cartons de produits en caoutchouc (pièce 7, V-69104) pour lequel on trouve les notations suivantes:
[TRADUCTION]
12-5/38
11-5/34
9-5/25
1—M/E (Mauvais état)
40
De nouveau, on voit que le nombre total de colis est entouré d'un cercle, ce qui signifie que le compte y est, sans indiquer non plus l'emplace- ment des 7 derniers colis.
On a tenté au cours du contre-interrogatoire d'attaquer la déposition du témoin selon lequel rien ne manquait au chargement de la demande- resse. On a souligné qu'un grand nombre de colis ont été déchargés du navire Ikaros. Selon le témoi- gnage du chef de la jetée, il y avait probablement 43,826 colis appartenant à 576 lots de marchandi- ses à bord de l'Ikaros, soit presque 32,000 cartons. On a également avancé que Bodner n'avait pas nécessairement de ses propres yeux vu chacun des colis; que d'autres vérificateurs, la plupart travail- lant pour Empire, lui disaient ils avaient vu un certain nombre de colis appartenant à un lot parti- culier; ou qu'il pouvait avoir eu accès à leurs registres. Malgré ces attaques quant à la véracité de la déposition de Bodner sur le décompte des 21 colis d'Anglôphoto, je suis convaincu, après l'avoir vu témoigner, que sa méthode, son expérience et à mon avis sa compétence ont établi que, selon toute probabilité, les 21 colis en question ont bien été déchargés du palan de l'Ikaros et remis à Empire sur le quai Centennial.
Je conclus donc qu'après le déchargement des 21 colis ainsi remis au soin d'Empire, trois furent
perdus. La demanderesse ne les a jamais reçus. Compte tenu de cette conclusion, la demanderesse ne peut pas réclamer des dommages-intérêts au transporteur pour la perte des trois colis. De plus, aux fins de cette action, on a convenu qu'en vertu du connaissement, la responsabilité du navire pre- nait fin dès que les colis quittaient son palan.
La responsabilité financière du transporteur, dans les circonstances présentes, s'élève à $74.80, soit la valeur attribuée aux accessoires qui ont disparu d'un des colis avariés parmi les 18 qui ont été livrés à Toronto. On admet que le propriétaire du navire est responsable à l'égard de cette perte.
Pour l'instant, je mets de côté la question de la compétence de cette cour quant à la réclamation de la demanderesse contre Empire. Il ne fait aucun doute à mon avis que cette dernière n'a pas prouvé, comme il lui incombait de le faire, qu'elle n'était pas responsable de la perte des trois cartons. Il n'y a aucune preuve quant aux soins pris par Empire à l'égard des 21 caisses déchargées du navire. La preuve indique ensuite que 18 caisses seulement furent chargées par Empire à bord des wagons de marchandises du CN, et finalement livrées à la demanderesse à Toronto. D'après moi, il est proba ble qu'il y a eu un vol. Le dossier ne mentionne pas quelles précautions a pris Empire, à supposer qu'elle en prit, contre cette plaie perpétuelle des quais. Si je ne me trompe, l'avocat de cette compa- gnie a admis que si l'on prouvait qu'elle avait bien eu en sa possession les 21 colis, elle ne disposerait alors, prenant pour acquise la compétence de la Cour, d'aucun moyen de défense.
J'en reviens à la question de la compétence. Il faut d'abord exposer d'autres faits. Habituelle- ment lorsque des marchandises étaient expédiées à bord de l'Ikaros, pour être livrées à un consigna- taire (ou autre personne autorisée à en prendre possession) à Vancouver, Empire remettait la car- gaison sur réception du connaissement et paiement des droits par le consignataire ou ses mandataires. Ces droits comprenaient le fret océanique, les droits de quai et les frais de manutention (le cas échéant). Lorsqu'Empire assurait également le déchargement, elle facturait aussi les frais d'acco-
nage. Les mandataires du transporteur adressaient alors à Empire un état de ce qui était au navire, soit normalement le coût du fret océanique. Empire portait sur sa facture les frais employés pour la perception du fret. La cargaison destinée à un consignataire à Vancouver pouvait rester sur le quai pendant cinq jours sans frais d'entreposage («séjour gratuit»). Après l'expiration de ce délai, on devait payer une indemnité («Surestaries») sur les marchandises en transit demeurant au terminus.
Le tarif des droits de quai en vigueur au quai Centennial en 1969 prévoyait que tous les droits (se composant généralement de droits de quai, de manutention, de déchargement et autres droits payables au Conseil des ports nationaux) devaient être acquittés par le propriétaire des marchandises. Selon la preuve, les installations du Conseil des ports nationaux à Vancouver étaient et sont encore un port les droits sont calculés à partir du palan des navires. C'est-à-dire que les droits payables par les propriétaires des marchandises (par opposition au transporteur) pour l'usage des installations por- tuaires, étaient calculés à partir du moment les marchandises quittaient le palan du navire. On a tenté de démontrer, de manière assez insatisfai- sante, qu'en 1969, certains droits portuaires étaient à la charge du transporteur dans d'autres complexes portuaires du Canada, comme par exemple les propriétés du Conseil des ports natio- naux à Montréal. Dans ce genre de port, les droits étaient calculés à partir de l'entreposage. La preuve semble démontrer que les transporteurs, et non les propriétaires des marchandises, devaient payer au Conseil des ports nationaux ou au manu- tentionnaire du port tous les droits exigibles jus- qu'au moment les marchandises en question étaient déposées au terminus. Je reviendrai sur cette différence.
Quant aux marchandises en cause, qui devaient être transportées par le CN de Vancouver à Toronto, la Leimar Forwarding Company Limited («Leimar») s'entendit avec Empire pour que cette dernière, à titre onéreux, en assure le chargement sur les wagons du CN. Leimar, qui agissait en même temps pour d'autres consignataires, a obtenu du transporteur la permission nécessaire à la délivrance des marchandises (alors en la posses sion d'Empire). En l'instance, ni l'expéditeur ni la
demanderesse n'ont reçu de facture pour les servi ces de manutention portuaire qu'avait fournis Empire. Celle-ci les a facturés au CN et au trans- porteur. En définitive, les frais ont été acquittés par le CN (ou par son entremise) ou par le navire ou les mandataires de ces derniers.
Pour en finir avec les faits, c'est au moment du chargement des caisses à bord du wagon de mar- chandises du CN qu'Empire a constaté qu'il n'y avait que 18 caisses et non 21. Empire, après avoir pris possession des colis au palan du navire, les avoir triés puis déposés à différents postes du hangar 5 (et peut-être après les avoir changés de place à plusieurs reprises à l'intérieur du hangar), n'a jamais procédé au décompte des marchandises avant qu'elles ne soient transportées du lieu elles étaient entreposées à la voie de garage. Au cours du chargement, les colis furent alors comptés par le vérificateur d'Empire.
L'avocat d'Empire affirme que, dès l'instant les colis ont quitté le palan du navire, cette compa- gnie avait cessé de participer au transport de mar- chandises sur ou à bord d'un navire (y compris le chargement et le déchargement) ou à une entre- prise relevant de la catégorie générale de la navi gation ou de la marine marchande. Il concède que cette cour aurait probablement eu compétence jus- qu'au moment les marchandises ont quitté le palan du navire (si les colis avaient été alors perdus ou avariés), compte tenu de la décision de la Division d'appel dans l'affaire La Compagnie Robert Simpson Montréal Limitée c. Hamburg- Amerika Linie Norddeutscher 6 . Le juge en chef Jackett, dans cette affaire, a déclaré aux pages 1362-1363:
En résumé, il semble que l'article 22(1) donne compétence à la Division de première instance
a) dans toute action une demande de redressement est faite en vertu du droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier, en sa juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi,
b) dans une action une demande de redressement est faite en vertu du droit dont l'application aurait relevé de la Cour de l'Échiquier, en sa juridiction d'amirauté, si la Cour avait eu «compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté»,
c) dans une action une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada relative à des questions relevant de la catégorie «navigation et marine marchande» et
6 [1973] C.F. 1356.
d) dans une action une demande de redressement est faite en vertu d'une loi relative à une matière relevant de la catégorie «navigation et marine marchande» que [TRADUC- TION] «le Parlement serait compétent pour adopter, modifier ou amender» ou dans une action relative à des matières qui sont de la compétence législative du Parlement du Canada étant donné qu'elles tombent dans la catégorie «navigation ou marine marchande».
Il convient maintenant d'examiner, à la lumière de cette analyse, la nature des procédures relatives à tierce partie annulées par la décision dont il est ici interjeté appel. La cause d'action invoquée est la rupture du contrat par lequel les tierces parties s'étaient engagées à recevoir d'un transporteur mari time, au port de destination, des marchandises transportées sous connaissements à ordre et de les garder en sécurité afin de les livrer aux consignataires,, conformément à une pratique qui veut que les consignataires prennent livraison desdites mar- chandises dans des hangars de quai plutôt que directement au navire. Autrement dit, au lieu d'effectuer la livraison aux consignataires directement à partir du navire, le. transporteur maritime s'acquitte de son obligation de livraison aux consigna- taires au port de destination en s'entendant avec un entrepre neur indépendant qui décharge les marchandises et les entre- pose dans un hangar de quai jusqu'à leur livraison aux consignataires.
A mon avis, le déchargement des marchandises après une traversée et leur livraison au consignataire, immédiatement ou dans les plus brefs délais, que ce soit le transporteur qui le fasse ou quelqu'un avec qui il s'est entendu, fait [TRADUCTION] «partie intégrante des activités essentielles au transport des marchandises par voie maritime» et [TRADUCTION] «l'accom- plissement des tâches qui constituent une partie essentielle du `transport à bord d'un navire' relève de l'expression `navigation et les bâtiments ou navires (shipping)' à l'article 91(10)». Il s'ensuit que les lois sur lesquelles les défenderesses entendent, en tant que transporteurs, fonder leur demande en dommages- intérêts pour manquement des tierces parties aux obligations contractuelles qui leur incombaient, savoir la garde des mar- chandises et leur livraison en bon état aux consignataires, sont des lois que [TRADUCTION] «le Parlement du Canada a compé- tence pour adopter, modifier ou amender». Il s'ensuit également que l'objet même des procédures relatives à tierce partie fait partie des matières qui [TRADUCTION] «sont de la compétence législative du Dominion», car il relève de la catégorie «naviga- tion ou marine marchande». Cela étant, les procédures relatives à tierce partie sont des procédures «où une demande de redres- sement est faite en vertu d'une ... loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande» au sens de l'article 22(1); la Division de première instance est, par conséquent, compé- tente en vertu de cette disposition.
On allègue cependant qu'Empire, dès que ces caisses avaient quitté le palan du navire, n'agissait plus à titre de déchargeur employé par le transpor- teur, mais (dans son deuxième secteur d'activités) en qualité de manutentionnaire portuaire ou entre- poseur; du point de vue pratique et juridique, elle traitait donc avec les propriétaires des marchandi- ses; à ce stade, toutes réclamations pour perte ou
avarie ne relevaient plus des domaines de compé- tence de la Cour énumérés dans l'arrêt Robert Simpson, ou établis par le paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale'.,
L'avocat d'Empire m'a prié, d'aller plus avant et de conclure que cette cour n'a pas compétence à l'égard des manutentionnaires portuaires assurant des services après le déchargement, lorsque, tous les droits afférents à ces services de manutention sont à la charge des propriétaires des marchandises. En l'instance, on s'est appuyé sur le paragraphe 4(3) du règlement B-4 a) de Vancouver, «tarif des droits de quai» (pièce 15). On a allégué qu'en revanche, un manutentionnaire portuaire de Mont- réal (comme l'une des tierces parties dans l'affaire La Compagnie Robert Simpson) était dans une situation différente; tous les droits jusqu'au «lieu d'entreposage» étaient payables par le transpor- teur, non par le propriétaire de la cargaison.
Jusqu'à un certain point, les avocats de la demanderesse m'ont aussi demandé de conclure que cette cour avait compétence relativement aux manutentionnaires portuaires lorsqu'une partie, au moins, de leurs activités se rapportait au décharge- ment, au chargement, à la surveillance ou au transbordement d'une cargaison transportée à bord de navires, que ces ententes aient été conclues avec le propriétaire de la cargaison lui-même ou avec le transporteur.
Je refuse de me prononcer ex cathedra sur ces aspects de la compétence de la Cour. Je m'en tiendrai, dans ma décision, aux faits en l'espèce.
Selon moi, Empire, en qualité de manutention- naire portuaire, avait convenu avec le transporteur (ainsi que le CN) de prendre livraison et charge des caisses en question, au navire, et par la suite d'en effectuer le transbordement pour leur achemi- nement à Toronto. Sous ce rapport, Empire, en vertu d'une entente avec le transporteur, a parti- cipé au déchargement des marchandises du navire, à la fin de la traversée océanique, et à leur livrai- son à la demanderesse après les avoir gardées pendant un certain temps. Cette opération faisait partie intégrante des activités essentielles au trans port des marchandises par mer. On a donc réclamé des dommages-intérêts contre Empire et demandé
S.R.C. 1970, c. 10 (2' Supp.).
un redressement en vertu d'une loi du Canada relevant de la catégorie générale de la navigation et de la marine marchande.
Pour ces raisons, je suis d'avis que cette cour a compétence quant à la réclamation contre Empire.
L'avocat d'Empire a soulevé une autre question. La cause d'action et l'introduction de l'action sont antérieures à l'entrée en vigueur de la Loi sur la Cour fédérale. Il prétend que d'après les faits de l'espèce, la Cour de l'Échiquier n'avait pas compé- tence dans l'action intentée contre Empire et qu'en conséquence, cette action introduite initialement devant la Cour de l'Échiquier n'était pas fondée; elle aurait être abandonnée et reprise devant la Cour fédérale 8 . L'avocat d'Empire s'est appuyé sur l'affaire Les Commissaires du Havre de Toronto c. Le navire «Robert C. Norton» 9 . Selon moi, les faits dans cette affaire sont différents. De plus, je suis convaincu qu'en vertu de l'article 18 de la Loi sur l'Amirauté 10 , la Cour de l'Échiquier avait compétence relativement aux faits en l'instance. Je ne juge pas nécessaire de traiter de l'application ou de l'effet des articles 42, 61(2), 62(6) et 63(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Les parties ont convenu les trois colis perdus valent $2,430. Jugement sera rendu contre Empire pour cette somme et contre la défenderesse Pleione pour $74.80.
On pourra discuter de la question des dépens.
Pour alors, je présume, faire face à une défense alléguant la prescription.
9 [1964] R.C.É. 498. . S.R.C. 1970, c. A-1.
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