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76-A-303
Tadeusz Adamusik (Requérant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Pratte et le juge suppléant Hyde—Ottawa, le 24 février 1976.
Immigration—Demande d'autorisation d'interjeter appel d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration refusant de permettre un appel devant la Commission, en vertu de l'art. 11 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigra- tion—Existe-t-il une question sérieuse de droit ou de compé- tence?—Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 11 (modifié par S.C. 1973-74, c. 27, art. 5) et 23.
La Commission d'appel de l'immigration refusa, aux termes de l'article 11, de permettre que l'appel d'une ordonnance d'expulsion interjeté par le requérant suive son cours. Le requé- rant allègue qu'il existe des doutes suffisants quant au bien- fondé de la décision; que ses arguments contiennent des moyens sérieux, que la Commission a commis une erreur de droit en rendant une décision non étayée en refusant de permettre que son appel, à titre de réfugié, suive son cours en dépit d'une preuve concluante que le requérant est un réfugié, et en appli- quant l'article 11(3).
Arrêt: l'autorisation d'interjeter appel devrait être refusée. Bien qu'il soit douteux que l'article 23 permette d'interjeter appel du refus (en vertu de l'article 11) de permettre qu'un appel suive son cours, il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce puisque la demande d'autorisation devrait être rejetée même si l'article 23 s'appliquait. Il nous faut déterminer si la demande est fondée. En vertu de l'article 11, une personne frappée d'une ordonnance d'expulsion peut inter- jeter appel de cette ordonnance devant la Commission si elle est «une personne qui prétend être un réfugié que protège la Convention»; son appel doit contenir une déclaration sous ser- ment. La Commission était tenue de refuser l'autorisation de poursuivre les procédures à moins de conclure, en se fondant sur l'examen de la déclaration, qu'il existait des motifs raison- nables de croire qu'à l'audition de l'appel, il serait possible d'établir que le requérant était un réfugié protégé par la Convention, c.-à-d. une personne qui, craignant avec raison d'être persécutée, se trouvait hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne pouvait ou, du fait de cette crainte, ne voulait se réclamer de la protection de ce pays. On n'a présenté aucun argument raisonnablement convaincant à l'appui de la prétention que la Commission a commis une erreur de droit en ne concluant pas de la sorte, à la suite de l'examen de la déclaration.
REQUÊTE. AVOCATS:
L. Kearley pour le requérant. G. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Parkdale Community Legal Services, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une demande écrite présentée en vertu des Règles 324 et 1107 en vue d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel devant cette cour d'une décision de la Com mission d'appel de l'immigration, conformément à l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration dont voici le paragraphe (1):
23. (1) Sur une question de droit, y compris une question de juridiction, il peut être porté à la Cour d'appel fédérale un appel d'une décision de la Commission visant un appel prévu par la présente loi, si permission d'interjeter appel est accordée par ladite Cour dans les quinze jours après le prononcé de la décision dont est appel ou dans tel délai supplémentaire qu'un juge de cette Cour peut accorder pour des motifs spéciaux.
La présente demande vise une décision de la Commission d'appel de l'immigration «refusant de permettre que l'appel interjeté par le requérant devant la Commission d'une ordonnance d'expul- sion prononcée contre lui ... suive son cours». Cette décision a été rendue en vertu de l'article 11 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi- gration, modifié par l'article 5 du chapitre 27 des Statuts de 1973-74, dont voici quelques extraits:
11. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une per- sonne frappée d'une ordonnance d'expulsion, en vertu de la Loi sur l'immigration, peut, en se fondant sur un motif d'appel qui implique une question de droit, une question de fait ou une question mixte de droit et de fait, interjeter appel devant la Commission, si au moment l'ordonnance d'expulsion est prononcée contre elle, elle est
c) une personne qui prétend être un réfugié que protège la Convention; ou
d) une personne qui prétend être citoyen canadien.
(2) Lorsqu'un appel est interjeté devant la Commission con- formément au paragraphe (1) et que le droit d'appel se fonde sur l'une des prétentions visées par les alinéas (1)c) ou d), l'avis d'appel présenté à la Commission doit contenir une déclaration sous serment énonçant
a) la nature de la prétention;
b) un énoncé suffisamment détaillé des faits sur lesquels se fonde la prétention;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et de la preuve que l'appelant entend présenter à l'appui de la prétention lors de l'audition de l'appel; et
d) tout autre exposé que l'appelant estime pertinent en ce qui concerne la prétention.
(3) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, lorsque la Commission reçoit un avis d'appel et que l'appel se fonde sur une prétention visée par les alinéas (1)c) ou d), un groupe de membres de la Commission formant quorum doit immédiatement examiner la déclaration mentionnée au para- graphe (2). Si, se fondant sur cet examen, la Commission estime qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le bien-fondé de la prétention pourrait être établi s'il y avait audition de l'appel, elle doit permettre que l'appel suive son cours; sinon, elle doit refuser cette autorisation et ordonner immédiatement, l'exécution aussi prompte que possible de l'or- donnance d'expulsion.
Je ne suis pas certain que l'article 23 (précité) permette d'interjeter appel devant cette cour d'une décision (en vertu de l'article 11(3) précité) refu- sant de permettre qu'un appel suive son cours; toutefois, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce puisque la demande d'autorisation devrait être rejetée même si l'article 23 s'appliquait à une décision prise en vertu de l'article 11(3).
A supposer que l'article 23 s'applique effective- ment à une décision rendue en vertu de l'article 11(3), il nous faut déterminer s'il existe des motifs raisonnables pour accorder l'autorisation d'interje- ter appel d'une décision de la Commission refusant de permettre que l'appel d'une ordonnance d'ex- pulsion prononcée par un enquêteur spécial suive son cours. (Dans cette demande, il ne sera nulle- ment question de savoir s'il existe des motifs rai- sonnables pour obtenir l'autorisation d'interjeter appel devant cette cour de l'ordonnance d'expul- sion même, à supposer qu'il soit question d'un tel appel.)
Les moyens avancés dans l'avis de requête se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 1. Il existe des doutes suffisants quant au bien- fondé de la décision de la Commission d'appel de l'immigration pour justifier l'examen des questions de droit par cette cour.
2. Les arguments que le requérant se propose de soumettre à cette cour (arguments qui seront présentés plus en détail dans l'exposé des points de droit) contiennent des moyens sérieux.
3. La Commission d'appel de l'immigration a commis une erreur de droit en rendant une décision que la preuve soumise ne justifiait absolument pas.
4. La Commission d'appel de l'immigration a commis une erreur de droit en refusant de permettre que l'appel du requé-
rant, à titre de réfugié, suive son cours en dépit d'une preuve concluante que le requérant est un réfugié.
5. La Commission d'appel de l'immigration a commis une erreur de droit en applicant l'article 11 paragraphe (3) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration S.R.C. 1970, chapitre I-3, avec ses modifications.
A mon avis, ces «moyens» ne révèlent eux-mêmes aucune question sérieuse de «droit» ou de «compé- tence» pouvant servir de fondement à une contesta- tion de la décision prise par la Commission en vertu de l'article 11(3). En outre, la plaidoirie écrite de l'avocat ne soulève pas non plus de ques tion sérieuse.
Voici brièvement comment je conçois en l'espèce l'application de l'article 11 de la Loi sur la Com mission d'appel de l'immigration, modifié en 1973:
a) une personne frappée d'une ordonnance d'ex- pulsion peut interjeter appel devant la Commis sion de cette ordonnance d'expulsion en se fon dant sur une question de droit, une question de fait ou une question mixte de droit et de fait, si elle est «une personne qui prétend être un réfu- gié que protège la Convention» (article 11(1)),'
b) lorsqu'une personne qui prétend être un réfu- gié interjette appel, l'avis d'appel doit contenir une «déclaration sous serment» contenant des renseignements précis (article 11(2)), et
c) lorsque la Commission reçoit un tel avis d'ap- pel un groupe de membres de la Commission formant quorum doit immédiatement examiner la «déclaration» et si, «se fondant sur cet examen», la Commission estime qu'il n'y a pas de motifs raisonnables de croire que le bien- fondé de la «prétention» qu'elle est un réfugié pourrait être établi s'il y avait audition de l'ap- pel, elle doit «refuser cette autorisation» (article 11(3)).
En l'espèce le requérant a effectivement inter- jeté appel d'une ordonnance d'expulsion se préten- dant «un réfugié que protège la Convention» et, conformément à l'article 11(2), il a déposé une déclaration qui se lit comme suit:
La validité de l'ordonnance d'expulsion prononcée en vertu de la Loi sur l'immigration ne dépend aucunement de la question de savoir s'il s'agit vraiment d'un réfugié. Cependant, le fait d'être un réfugié pourrait être considéré par la Commis sion comme un motif justifiant l'exercice des pouvoirs prévus à l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigra- tion, si l'appel suit son cours et est ensuite rejeté.
[TRADUCTION] 1. J'ai été victime de persécutions en Pologne l'on essayait de m'empêcher de pratiquer ma religion—le directeur de l'école je faisais mes études, désignait systéma- tiquement les étudiants pratiquants pour le travail obligatoire à l'extérieur le dimanche pour les empêcher de pratiquer leur religion.
2. Je ne pouvais pas obtenir du travail parce que je refusais de me joindre au parti communiste ou à son organisation des jeunesses communistes et j'ai été obligé de verser des pots-de- vin pour enfin obtenir un emploi.
3. Je n'ai pu obtenir la permission d'entreprendre ma 12° année de scolarité à cause de ma religion et de mon refus d'adhérer au parti.
4. J'ai soudoyer un fonctionnaire du gouvernement pour obtenir un passeport polonais afin de gagner le Canada et l'on engagera certainement des poursuites contre moi.
5. C'est ma conscription dans les forces armées qui m'a finale- ment décidé à quitter le pays. De plus, j'étais persuadé depuis longtemps que le gouvernement polonais m'empêcherait d'avoir un mode de vie convenable parce que je refusais de renoncer à ma religion et de m'inscrire au parti.
6. Je n'ai pas bénéficié d'une audition pleine et entière à l'enquête spéciale étant donné que
a) L'enquêteur spécial a dénié à mon avocat le droit d'exa- miner le compte rendu de mon entrevue avec le préposé.
b) L'enquêteur spécial a refusé de m'accorder un délai pour entreprendre les démarches judiciaires nécessaires pour faire remettre ce document à mon avocat.
c) L'enquêteur spécial n'a pas autorisé mon avocat à m'in- terroger sur mon statut de réfugié sous prétexte que la décision du Comité interministériel sur les réfugiés était définitive; et
d) A toutes fins utiles, on m'a dénié le droit à un avocat parce qu'on m'a dit que ce ne serait pas nécessaire. J'ai donc accepté d'être représenté par ma grand-tante âgée de 70 ans qui a présenté mon cas de façon incohérente et maladroite.
A mon sens, la Commission était tenue, aux termes de l'article 11(3) de refuser l'autorisation de pour- suivre les procédures à moins de conclure, en «se fondant sur» son «examen» de la déclaration préci- tée, qu'il existait des motifs raisonnables de croire qu'à l'audition de l'appel, il serait possible d'établir que le requérant était un réfugié protégé par la Convention; si l'on se reporte à la «Convention» cela signifie en l'espèce que la Commission devait rendre cette ordonnance à moins de conclure qu'il était raisonnable de croire que l'on pourrait établir qu'il était une personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouvait hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne pouvait ou, du fait de cette crainte, ne
voulait se réclamer de la protection de ce pays. 2 A mon avis, on n'a présenté aucun argument raison- nablement convaincant à l'appui de la prétention selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit en ne concluant pas de la sorte, à la suite de l'examen de la déclaration; pour ma part, je n'ai pu déceler aucun argument raisonnablement convaincant.
Pour ces motifs, je suis d'avis que l'autorisation d'interjeter appel devrait être refusée.
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LE JUGE PRATTE: Je souscris.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je souscris.
2 Voir la Convention relative au statut des réfugiés signée en 1951 ainsi que l'article 1 du chapitre 27 des Statuts du Canada de 1973-74.
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