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T-2343-74
John Emmett McCann, Walter Alan Dudoward, Ralph Cochrane, Jake Quiring, Donald Oag, Keith Curtis Baker, Andrew Bruce et Melvin Miller (Demandeurs)
c.
La Reine et Dragan Cernetic, en sa qualité de chef d'institution du pénitencier de la Colombie-Bri- tannique (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Heald— New Westminster (C.-B.) le 10 février, du 22 au 26 septembre, le 29 septembre, du 1 au 3 octobre, du 6 au 9 octobre, du 1 au 5 décembre 1975; Ottawa, le 30 décembre 1975.
Emprisonnement—Mise à l'écart—Les demandeurs sont des détenus au pénitencier de la C.-B.—Ils demandent un juge- ment déclaratoire portant a) que la mise à l'écart est une peine cruelle et inusitée contraire à la Déclaration canadienne des droits et b) que la mise à l'écart sans avis d'inculpation ni audition impartiale etc., selon les principes de justice fonda- mentale est contraire à la Déclaration canadienne des droits— Les demandeurs réclament un jugement déclaratoire portant que l'art. 2.30 du Règlement sur le service des pénitenciers est sans effet parce qu'il s'oppose à la Déclaration canadienne des droits—Les demandeurs réclament une ordonnance enjoignant aux défendeurs de se conformer à la décision de la Cour— Règlement sur le service des pénitenciers, art. 2.06, 2.07, 2.28, 2.29 et 2.30—Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, art. la), 2a),b) et e).
Les demandeurs, détenus au pénitencier de la Colombie-Bri- tannique, demandent un jugement déclaratoire contre la mise à l'écart et allèguent que: (1) cette mise à l'écart en vertu de l'article 2.30(1) du Règlement sur le service des pénitenciers supprime et enfreint leur droit de ne pas subir des peines ou traitements cruels ou inusités que garantit l'article 2b) de la Déclaration canadienne des droits; (2) ladite détention, sans avis d'inculpation ni audition, les prive de leur droit à une audition impartiale selon les principes de justice fondamentale et est contraire aux articles la) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits; (3) certains demandeurs allèguent avoir été prévenus qu'on les soupçonnait d'avoir violé les articles 2.28 et 2.29 du Règlement mais avoir été placés en mise à l'écart en vertu de l'article 2.30, sans bénéficier d'une audition ni des garanties d'ordre procédural; (4) certains affirment que bien qu'ils aient été initialement placés en mise à l'écart punitive en vertu des articles 2.28 et 2.29 et par sentence du tribunal du directeur, ils ont été détenus, après l'expiration de leur peine, en mise à l'écart administrative en vertu de l'article 2.30 pendant une période indéterminée, sans bénéficier d'une audition ni des garanties d'ordre procédural; (5) certains affirment avoir été détenus parce qu'on avait porté plainte contre eux devant d'autres cours et que l'article 2.30(1) constitue une détention et un emprisonnement arbitraires et supprime leurs droits garantis par la Déclaration canadienne des droits; (6) les demandeurs allèguent en outre que leur détention viole l'article 2.30(2) en
ce qu'elle les prive des privilèges et agréments accordés aux autres détenus et ils allèguent de plus l'inobservation des arti cles 2.07 (hygiène) et 2.06 (soins médicaux et dentaires); (7) qu'on a utilisé abusivement des gaz lacrymogènes et pointé des fusils dans leur direction; (8) que le défendeur Cernetic a délégué à tort les pouvoirs conférés par l'article 2.30(1) et que la décision de mettre à l'écart a été prise illégalement; (9) que pendant leur mise à l'écart en vertu de l'article 2.30(1) leur cas n'a pas été étudié chaque mois comme l'exige l'article; et (10) que les traitements infligés leur ont causé de telles souffrances et angoisses qu'ils ont subi une dégradation physique et psychologique.
Arrêt: sera rendu un jugement déclarant que l'incarcération de tous les demandeurs, sauf Baker, à l'Unité spéciale de correction constituait une peine ou traitement cruel et inusité contraire à l'article 2b) de la Déclaration canadienne des droits. Cependant, les demandeurs n'ont pas droit à une ordon- nance enjoignant aux défendeurs de se conformer aux juge- ments déclaratoires de la Cour. Selon les critères proposés par le juge McIntyre dans son jugement dissident dans l'affaire La Reine c. Miller et Cockriell [1975] 6 W.W.R. 1, le traitement ne sert aucune fin pénale pratique; et même si c'était le cas, il serait cruel et inusité car il ne respecte pas les normes de la décence et de la bienséance puisqu'il est inutile, compte tenu de l'existence d'autres moyens suffisants. Bien que la «mise à l'écart» soit nécessaire, elle n'est pas synonyme d'«isolement». Même si l'on donnait au mot «inusité» son sens ordinaire, on pourrait soutenir que ce qualificatif s'applique au moins à une partie du traitement. Les demandeurs n'ont pas établi leur droit à un jugement déclarant sans effet l'article 2.30(1) du Règle- ment. L'objet de ce règlement est le maintien du bon ordre et de la discipline dans les pénitenciers canadiens; c'est un objectif fédéral régulier et le règlement est intra vires. Quant à la demande au titre de «l'application régulière de la loi», la Cour, après avoir étudié le libellé très clair du règlement 2.30(1)a) dans le contexte de l'étendue des fonctions du chef d'institution, est convaincue que la décision de recourir à la mise à l'écart est de nature purement administrative et les demandeurs ne peu- vent se prévaloir des articles la) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits pour obtenir le jugement réclamé.
Arrêts analysés: La Reine c. Miller [1975] 6 W.W.R. 1; La Reine c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693; Le procureur général du Canada c. Canard [1975] 3 W.W.R. 1 et Merricks c. Nott-Bower [1964] 1 Ali E.R. 717. Arrêts appliqués: Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889; Ex parte McCaud [1965] 1 C.C.C. 168; Howarth c. La Commission nationale des libérations conditionnelles [1973] C.F. 1018; Mitchell c. La Reine (1976) 24 C.C.C. (2') 241 et Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223.
ACTION. AVOCATS:
B. Williams et D. J. Sorochan pour les demandeurs.
J. R. Haig et K. F. Burdak pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Swinton & Cie, Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Au moment du dépôt de la déclaration initiale (le 4 juin 1974), tous les demandeurs étaient détenus au pénitencier de la Colombie-Britannique (ci-après désigné sous le nom de pénitencier de la C.-B.), l'un des péniten- ciers de Sa Majesté, situé dans la ville de New Westminster, dans la province de la Colombie-Bri- tannique.
Le 4 juin 1974, les demandeurs Quiring, Oag et Bruce étaient détenus dans l'Unité spéciale de correction (ci-après désignée par les lettres USC) du pénitencier de la C.-B. Le demandeur Quiring est revenu parmi les autres détenus du pénitencier le 3 juillet 1974. Le demandeur Cochrane a été placé à l'USC le 30 juillet 1974, ou vers cette date, après sa capture à la suite de son évasion du pénitencier de la C.-B. Tous les demandeurs ont été placés à un moment ou à un autre, à l'USC du pénitencier de la C.-B., avant le 4 juin 1974.
Le défendeur Dragan Cernetic (ci-après désigné sous le nom de Cernetic) est le chef d'institution du pénitencier de la C.-B.; il est donc le fonction- naire responsable du pénitencier de la C.-B. nommé en vertu de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6 et du Règlement sur le service des pénitenciers, DORS/62-90.
Le défendeur Cernetic est responsable de l'en- semble de l'organisation, de la sûreté et de la sécurité du pénitencier de la C.-B., y compris la formation disciplinaire des détenus, et il doit s'as- surer que le personnel de l'institution se conforme aux dispositions de la Loi sur les pénitenciers, du Règlement sur le service des pénitenciers, des directives du commissaire des pénitenciers, ainsi que des ordres permanents et des ordres de service courant de l'institution.
Les défendeurs admettent que chaque fonction- naire et employé appartenant au personnel de l'ins- titution du pénitencier de la C.-B. doit observer la loi en général, et les dispositions de la Loi sur les pénitenciers et du Règlement sur le service des
pénitenciers, mettre en vigueur les dispositions de la Loi sur les pénitenciers, du Règlement sur le service des pénitenciers, des directives du commis- saire des pénitenciers, des ordres permanents et des ordres de service courant du pénitencier de la C.-B. et s'y conformer. En outre, le défendeur Cernetic doit s'assurer que le personnel observe ces lois et dispositions et sévir contre les contrevenants.
Les demandeurs allèguent que leur emprisonne- ment dans ladite USC en vertu des dispositions de l'article 2.30(1) du Règlement sur le service des pénitenciers' supprime et enfreint le droit des demandeurs de ne pas subir des peines ou traite- ments cruels et inusités, droit que garantit la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, art. 2b) 2 . Le paragraphe 5 de a) à j) inclusive- ment de la déclaration modifiée en date du 28 octobre 1975 contient le détail de ces peines ou traitements cruels ou inusités.
2.30. (1) Si le chef de l'institution est convaincu que,
a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'institution, ou
b) dans le meilleur intérêt du détenu,
il est nécessaire ou opportun d'interdire au détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d'un détenu ainsi placé à l'écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recommandera au chef de l'institu- tion la levée ou le maintien de cette interdiction.
(2) Un détenu placé à l'écart n'est pas considéré comme frappé d'une peine à moins qu'il n'y ait été condamné, et il ne doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments, sauf ceux
a) dont il ne peut jouir qu'en se joignant aux autres détenus, ou
b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu le détenu est ainsi placé à l'écart et de l'obligation d'administrer ce lieu de façon efficace.
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobs- tant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
b) infligeant des peines ou traitements cruels et inusités, ou comme en autorisant l'imposition;
Les demandeurs allèguent en outre que leur détention dans ladite USC en vertu des disposi tions de l'article 2.30(1), sans avis d'inculpation ni audition impartiale de leur cause par un tribunal indépendant et non préjugé les prive de leur droit à une audition impartiale selon les principes de jus tice fondamentale et conformément aux droits que leur accordent les articles la) et 2e) de la Décla- ration canadienne des droits'. A ce sujet, ils affir- ment également qu'on ne leur a jamais expliqué la raison de leur mise à l'écart.
De plus, certains demandeurs allèguent avoir été prévenus qu'on les soupçonnait de manquement à la discipline de l'institution, au sens des articles 2.28 et 2.29 4 du Règlement, sans avis ni inculpa- tion et sans qu'on leur ait accordé une audience ni donné les motifs de leur mise à l'écart. Au con- traire, ils ont été placés à l'USC en vertu de l'article 2.30 du Règlement sans bénéficier d'une audition de leur cause ni des garanties d'ordre procédural. Selon certains demandeurs, leur mise à l'écart à l'USC était une mesure disciplinaire prise conformément aux articles 2.28 et 2.29 du Règle-
3 1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobs- tant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
4 2.28. (1) Il incombe au chef de chaque institution de main- tenir la discipline parmi les détenus incarcérés dans cette institution.
(2) Aucun détenu ne doit être puni sauf sur l'ordre du chef de l'institution ou d'un fonctionnaire désigné par le chef de l'institution.
ment, par sentence du tribunal du directeur; cependant, après l'expiration de leur peine, laquelle ne peut légalement dépasser trente jours, (voir le Règlement 2.28(4)b)), ils ont été détenus à l'USC en vertu du Règlement 2.30 pendant une durée indéterminée sans être frappés d'une peine; sans bénéficier des garanties d'ordre procédural et sans que le défendeur Cernetic ne leur accorde une audition.
(3) Si un détenu est trouvé coupable d'un manquement à la discipline, la peine consiste, sauf en cas d'infraction flagrante ou grave, en la perte de privilèges.
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines suivantes:
a) de la perte de la réduction statutaire de peine;
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une période d'au plus trente jours,
(i) avec l'imposition pendant la totalité ou une partie de cette période d'un régime alimentaire sans variété, mais assez soutenant et sain, ou
(ii) sans régime alimentaire;
c) de la perte de privilèges.
2.29. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu qui
a) désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un fonc- tionnaire du pénitencier,
b) se livre, ou menace de se livrer, à des voies de fait sur la personne d'un autre,
c) refuse de travailler ou ne travaille pas de son mieux,
d) laisse son travail sans la permission d'un fonctionnaire du pénitencier,
e) endommage la propriété de l'État ou la propriété d'une autre personne,
f) gaspille délibérément de la nourriture,
g) se comporte, par ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce soit,
h) délibérément désobéit ou omet d'obéir à quelque règle- ment ou règle régissant la conduite des détenus,
i) a de la contrebande en sa possession,
j) se livre à la contrebande avec toute autre personne,
k) commet un acte propre à nuire à la discipline ou au bon ordre de l'institution,
I) commet un acte dans l'intention de s'évader ou d'aider un autre détenu à s'évader,
m) donne ou offre un pot-de-vin ou une récompense à qui que ce soit dans un but quelconque,
n) enfreint quelque règlement, règle ou directive établis en vertu de la Loi, ou
o) tente de commettre l'un quelconque des actes mentionnés aux alinéas a) à n).
Certains des demandeurs ont de plus affirmé qu'ils avaient été détenus à l'USC pour la seule raison qu'on avait porté plainte contre eux devant d'autres cours. On prétend également que ledit règlement 2.30(1) en autorisant le défendeur Cer- netic à ordonner, à son entière discrétion, la déten- tion des demandeurs à l'USC, autorise en fait une détention et un emprisonnement arbitraires et sup- prime les droits garantis par les articles la) et 2a) de la Déclaration canadienne des droits.
Les demandeurs allèguent en outre que leur détention à l'USC viole l'article 2.30(2) du Règle- ment en ce qu'elle les prive des privilèges et agré- ments accordés aux autres détenus, bien que ces privilèges et agréments ne soient pas incompatibles avec leur détention à l'USC. Le paragraphe 12 de la déclaration modifiée décrit en détail lesdits pri- vilèges et agréments.
Les demandeurs allèguent de plus l'inobserva- tion des articles 2.07 (fourniture des objets de toilette et autres articles nécessaires à la santé et à la propreté) et 2.06 (soins médicaux et dentaires essentiels) du Règlement.
Les demandeurs soutiennent également qu'on a utilisé abusivement des gaz lacrymogènes et qu'on a sans raison suffisante pointé dans leur direction des fusils de haute puissance dans des circons- tances la loi n'autorise pas de telles mesures.
On prétend également que le défendeur Cernetic a délégué à tort les pouvoirs conférés par l'article 2.30(1) du Règlement, que la décision de placer les demandeurs, ou certains d'entre eux, dans l'USC a été prise par des personnes autres que le chef d'institution et que cette détention est par consé- quent illégale.
Les demandeurs allèguent aussi que pendant leur mise à l'écart en vertu de l'article 2.30(1) du Règlement, leur cas n'a pas été étudié chaque mois par le Comité de classement comme l'exige le Règlement 2.30(1).
Les demandeurs affirment, en terminant leur déclaration modifiée, que les traitements subis leur ont causé des souffrances et des angoisses considé- rables, au point de provoquer chez eux, dans cer- taines circonstances, une dégradation physique et
psychologique, des tentatives de suicide, des muti lations volontaires et autres réactions directes ou indirectes.
Les demandeurs réclament notamment:
a) un jugement déclaratoire portant que leur détention à l'USC du pénitencier de la C.-B. équivaut à l'imposition de peines ou traitements cruels ou inusités et qu'elle est contraire à l'arti- cle 2b) (précité) de la Déclaration canadienne des droits et n'est pas autorisée par la loi;
b) un jugement déclaratoire portant que leur détention à l'USC sans inculpation ni audition impartiale de leur cause par un tribunal indé- pendant et non préjugé et sans qu'il leur soit permis de se défendre pleinement, de produire des témoins et de procéder à un interrogatoire contradictoire, les prive de leurs droits à une audition impartiale de leur cause, selon les prin- cipes de justice fondamentale et est contraire à l'article 2e) de la Déclaration canadienne des droits et aux droits de l'individu à ne se voir priver de la sécurité de la personne que par l'application régulière de la loi, que leur garantit l'article 1 a) de la Déclaration canadienne des droits et que par conséquent leur détention n'est pas autorisée par la loi;
c) un jugement déclaratoire portant que l'arti- cle 2.30(1) du Règlement est inopérant parce qu'il s'oppose aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits; et
g) une ordonnance enjoignant aux défendeurs de se conformer aux jugements déclaratoires de la Cour.
J'ai l'intention tout d'abord de traiter du para- graphe a) de la demande de redressement des demandeurs que j'étudierai pour aller plus vite sous le titre suivant:
A. PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS ET INUSITÉS.
Sous ce titre, j'ai l'intention de résumer les témoignages sous les trois rubriques que voici:
a) antécédents des demandeurs;
b) conditions de vie à l'intérieur de l'USC du pénitencier de la C.-B.; et
c) les effets de la détention à l'USC sur les demandeurs.
a) Antécédents des demandeurs:
ANDREW BRucE—Vingt-sept ans—a achevé sa septième année—a enfreint la loi pour la première fois à l'âge de huit ans puis de nouveau à treize et à quatorze ans. A l'âge de seize ans, il a été condamné à quatre ans de prison et s'est évadé après avoir purgé treize mois de sa peine—il a été condamné ensuite à quatre ans et neuf mois de prison. En 1970, il a été déclaré coupable de meurtre non qualifié et il purge actuellement la peine découlant de cette conviction. Bruce a été mis à l'écart pendant des périodes assez longues à la prison d'Okalla et au Haney Correctional Insti tute. Il a été interné pour la première fois à l'USC du pénitencier de la C.-B. à dix-sept ans (mise à l'écart punitive conformément à l'article 2.29 du Règlement—peine de trente jours pour avoir eu de la contrebande en sa possession). Il a été détenu pour la première fois à l'USC du pénitencier de la C.-B. en vertu de l'article 2.30(1)a) du Règlement (quelquefois nommée mise à l'écart administrative par opposition à la mise à l'écart punitive confor- mément à l'article 2.29 du Règlement) au mois d'août 1970. Par la suite, il a été détenu la plupart du temps à l'USC jusqu'au 16 mars 1972 (soit en vertu de l'article 2.29 ou de l'article 2.30 du Règlement). En août 1972, Bruce a été transféré au pénitencier de la Saskatchewan à Prince Albert, il a été immédiatement placé à l'USC pour environ un mois. Il a tenté de s'évader de Prince Albert avec le demandeur Quiring. Bruce et Qui- ring, armés d'un fusil grossièrement fabriqué et d'un rasoir à manche ont pris en otage trois gar- diens. Au cours de cette tentative d'évasion, un gardien a été poignardé et Bruce a été accusé de tentative de meurtre. Le 15 novembre 1973, Bruce a été renvoyé de Prince Albert au pénitencier de la C.-B. et il y est resté en mise à l'écart administra tive jusqu'en décembre 1974. D'août 1970 à décembre 1974, Bruce a passé environ 793 jours en mise à l'écart administrative (article 2.30(1)a) du Règlement) au pénitencier de la C.-B.
RALPH COCHRANE—Quarante-neuf ans—a achevé sa septième année—en conflit avec la loi depuis l'âge de quatorze ans. Il a passé en prison la plus grande partie de sa vie d'adulte, le plus sou-
vent pour vols de banques. Il est actuellement emprisonné à vie pour vol à main armée avec violence. Il a été incarcéré dans la plupart des pénitenciers canadiens et mis à l'écart dans la majorité d'entre eux. Au mois de juillet 1974, Cochrane s'est évadé du pénitencier de la C.-B. et il a été capturé quelques heures plus tard. Il s'était déjà évadé du pénitencier de la Saskatchewan à Prince Albert. De janvier 1971 au 13 septembre 1974, Cochrane a passé environ 552 jours en mise à l'écart administrative (article 2.30(1)a) du Règlement) au pénitencier de la C.-B. Son dossier ne fait mention d'aucune mise à l'écart punitive conformément à l'article 2.29 du Règlement.
WALTER DUDOWARD—Trente-six ans—a achevé sa huitième année—est entré en conflit avec la loi pour la première fois à l'âge d'onze ans. Il a participé à de nombreux vols qualifiés, vols avec effraction et fraudes. De mai 1970 à mars 1974, Dudoward a passé environ 106 jours en mise à l'écart administrative (article 2.30(1)a) du Règle- ment). Son dossier fait également mention de vingt-six jours de mise à l'écart punitive conformé- ment à l'article 2.29 du Règlement.
JAKE QUIRING—Trente-neuf ans—en conflit avec la loi depuis l'âge de dix ans—de 1955 à 1963, il a été condamné à plusieurs reprises pour voies de fait sur des agents de police, vols qualifiés et introduction par effraction. En 1972, il a été reconnu coupable de vol qualifié et en 1973, il a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité pour meurtre non qualifié. Il a participé avec Bruce à la tentative d'évasion du pénitencier de la Saskatchewan à Prince Albert au cours de laquelle des gardiens avaient été pris en otage. Du 16 novembrè 1973 au 4 juillet 1974, Quiring a passé environ 231 jours en mise à l'écart administrative au pénitencier de la C.-B. (article 2.30(1)a) du Règlement). Avant cela, il avait passé huit mois dans une institution à sécurité maximale dans la province de Québec et environ 300 jours à l'USC de Prince Albert. Son dossier ne fait pas mention de mise à l'écart punitive en vertu de l'article 2.29 du Règlement.
MELVIN MILLER—Trente-trois ans—a quitté l'école à douze ans—a été placé dans un orphelinat à l'âge de quinze ans—est entré en conflit avec la loi dès l'âge de seize ans. Entre 1958 et 1964, Miller a été reconnu coupable à plusieurs reprises
d'introduction par effraction et de vols. Il purge actuellement une peine d'emprisonnement de quinze ans pour vol qualifié et une peine de douze ans pour tentative de meurtre. Entre janvier 1973 et septembre 1974, Miller a passé environ 343 jours en mise à l'écart administrative (article 2.30(1)a) du Règlement) au pénitencier de la C.-B. Pendant cette période, il a également passé 11 jours en mise à l'écart punitive en vertu de l'article 2.29 du Règlement.
JOHN EMMETT McCANN—Trente ans—en con- flit avec la loi dès l'âge d'onze ans—a été incarcéré à la prison de Bordeaux à l'âge de douze ans et mis au «trou» pendant 4 ou 5 jours. A l'âge de quinze ans, il a été condamné à un emprisonnement d'une durée de deux ans au pénitencier de Saint-Vin- cent-de-Paul pour vol d'automobile et évasion d'une garde légale. Entre 1963 et 1966, on a porté contre lui diverses accusations de vols, possession de faux documents et de cartes de crédit volées. Il s'est évadé d'Okalla en 1966. De janvier 1967 à mai 1974, McCann a été détenu pendant 1,471 jours à l'USC du pénitencier de la C.-B. en mise à l'écart administrative (article 2.30(1)a) du Règle- ment),—dont une période continue de 98 jours, une autre de 90 jours, une autre de 80 jours, une autre de 754 jours (du 23 juillet 1970 au 14 août 1972), une autre de 66 jours et enfin une période de 342 jours (du 4 juin 1973 au 9 mai 1974). Il s'est évadé en juin 1972 et de nouveau en 1973. Il purge actuellement une peine d'emprisonnement de 15 ans pour vol à main armée.
DONALD OAG—Vingt-cinq ans—en conflit avec la loi dès l'âge de treize ans—condamné pour vol à l'âge de dix-sept ans, à dix-huit ans pour posses sion d'une arme offensive, à dix-neuf ans pour voies de fait causant des lésions corporelles. A dix-neuf ans, il s'est évadé de l'institution Bur- wash. Oag a participé à l'émeute de 1971 au pénitencier de Kingston, au cours de laquelle deux détenus ont été tués. A la suite de cet incident, Oag ainsi que d'autres détenus ont été reconnus coupables d'homicide involontaire. En juillet 1972, il s'est évadé de l'Institution Millhaven. Après sa capture, il a été transféré au pénitencier de la C.-B. en janvier 1973. En mai 1973, Oag, armé d'un couteau, s'est évadé d'une garde légale alors qu'il se trouvait dans le cabinet d'un radiologue à l'extérieur du pénitencier. Il a été repris quelques
heures plus tard. De janvier 1973 à novembre 1974, Oag a passé quelque 628 jours en mise à l'écart administrative (article 2.30(1)a) du Règle- ment) au pénitencier de la C.-B. dont 573 jours d'affilée (du 17 janvier 1973 au 12 août 1974.) De plus, il a passé 16 jours en mise à l'écart punitive en août 1974 et 30 jours en septembre et octobre 1974 (article 2.29 du Règlement).
b) Les témoignages sur les conditions de vie à l'USC du pénitencier de la C.-B.:
ANDREW BRUCE—L'Unité spéciale de correction (que certains nomment l'USC et d'autres «l'appar- tement terrasse») contient 44 cellules, sur 4 étages comportant chacun 11 cellules. L'étage E est essentiellement réservé à la détention préventive, l'étage F à la mise à l'écart punitive (article 2.29 du Règlement); l'étage G est réservé principale- ment aux détenus qui reçoivent des soins psychia- triques et l'étage H est aux détenus en mise à l'écart administrative (article 2.30(1)a) du Règle- ment). Voici comment Bruce décrit les cellules de l'étage H: 11'2" sur 6'6"; l'occupant dort sur une dalle de ciment placée à quatre pouces du plancher et recouverte d'une planche de contre-plaqué et d'un matelas en caoutchouc mousse de 4 pouces d'épaisseur. On lui remet deux couvertures, deux draps, une taie d'oreiller et un oreiller en caout- chouc mousse. La pièce contient un cabinet d'ai- sance et un lavabo combinés. Dans le mur se trouve une bouche d'aération et une prise de radio. Il y a trois murs de ciment gris et la porte est en acier massif, avec un vasistas de 6 pouces. La cellule est éclairée par une lampe encastrée dans le plafond et située au centre de la pièce. La lampe est allumée 24 heures par jour, mais son intensité est quelque peu atténuée la nuit. Bruce l'a compa rée aux phares et aux feux de croisement d'une automobile. Il affirme aussi qu'on ne s'habitue jamais à la lumière. Bruce s'est plaint de l'aération de la cellule, disant qu'il faisait trop chaud ou trop froid—habituellement trop chaud l'été et trop froid l'hiver. Il s'est aussi plaint de n'avoir le droit de se raser que deux fois par semaine, habituelle- ment avec de l'eau froide; il prétend que l'exercice à l'extérieur de la cellule n'est en moyenne que de 40 minutes par jour et se limite à une marche le long du corridor de l'étage H (environ 75 pieds de long) et qu'il n'y avait pas d'exercice en plein air. Il s'est plaint également du manque de soins médi-
Caux; de l'absence de passe-temps, de films et de télévision; la radio ne comporte que deux stations; le choix des livres disponibles et le droit d'acheter à la cantine sont très limités. Il a dit que lorsqu'il quittait sa cellule pour aller chercher le plateau de son repas au bout du corridor, les gardiens poin- taient leurs fusils vers sa tête et faisaient à son endroit des observations désagréables. Il a égale- ment mentionné le fait qu'en septembre 1970 un gardien a ouvert le vasistas et vidé à l'intérieur de sa cellule une boîte de gaz lacrymogènes, ce qui, à son avis, était parfaitement injustifié, car, alors que les autres détenus de l'étage H frappaient contre leurs portes et créaient le désordre, il ne faisait rien. Les gaz lacrymogènes ont causé une éruption cutanée et irrité ses yeux pendant plu- sieurs jours. Il a également décrit la façon dont on procède à la «fouille corporelle» à l'USC, qui a lieu chaque fois qu'un détenu quitte l'USC ou y retourne. Bruce dit que la fouille corporelle avait habituellement lieu en présence de cinq ou six gardiens sous le dôme de l'USC (la partie centrale réservée au bureau et à l'exercice des détenus et bordée par les sections E, F, G, et H). Il dit qu'il détestait cette mesure. Au cours du contre-interro- gatoire, il a affirmé que les conditions de vie à l'USC du pénitencier de la C.-B. étaient les pires qu'il ait jamais vues, ou selon ses propres termes: «... on n'expliquait pas pourquoi on nous mettait là;» «ils se tenaient au-dessus de vous avec un fusil» et «on vous tourmentait davantage là-bas.»
RALPH COCHRANE—Cochrane a confirmé le témoignage de Bruce au sujet des conditions de vie dans les cellules. Il a insisté cependant sur la mauvaise aération des cellules. Il y a 11 pieds du plancher au plafond et la bouche d'aération est située immédiatement au ras du plafond; Cochrane affirme que la circulation d'air ne se fait pas du tout au niveau du plancher. Quant à l'exercice, il a ajouté que le manque d'air frais dans l'USC le déprimait. Il dit: «... vous perdez votre appétit, le manque d'air frais vous donne la nausée.» Il s'est également plaint que les brocs à eau et les rasoirs n'étaient pas propres.
WALTER DUDOWARD—Dudoward s'est plaint du manque d'air frais et d'exercice et, comme les autres détenus, déclare qu'il faisait très froid dans sa cellule en hiver. Il dit avoir perdu de 30 40 livres pendant sa détention à l'USC. Il a décrit un
incident qui se serait produit le 9 décembre 1973 l'on s'était servi de gaz lacrymogènes. Il a insisté sur l'effet qu'avait sur lui l'éclairage inin- terrompu de la cellule. Il affirme qu'il lui était impossible de dormir et qu'à l'USC il ne dormait en moyenne que deux heures par nuit, en ajoutant qu'à cause de cet éclairage permanent «le temps n'existait plus là-haut.» Lors du contre-interroga- toire, il a admis «que chaque semaine on changeait les vêtements, les draps, la taie d'oreiller, les cou- vertures et les serviettes.» Au cours d'un nouvel examen, il a dit que les détenus à l'USC ne souffraient pas d'une diminution de privilèges con- cernant les visites. Cependant, lors des visites, les détenus à l'USC portaient la plupart du temps des menottes et étaient séparés de leurs interlocuteurs par une grille alors qu'on permettait aux autres détenus de recevoir leurs visiteurs dans des parloirs sans séparation.
JAKE QUIRING—Quiring confirme les dépositions des autres demandeurs au sujet des conditions de vie à l'USC. Il affirme qu'à plusieurs reprises, lorsqu'il était sorti de sa cellule pour aller chercher ses repas, les gardiens l'avaient suivi et avaient pointé leurs fusils dans sa direction, pour reprendre ses propres termes: «Les gardiens soule- vaient le percuteur, ils le faisaient cliqueter.» Qui- ring a été détenu dans plusieurs Unités spéciales de correction d'autres prisons canadiennes. D'après lui, l'USC du pénitencier de la C.-B. était «sans doute la pire au Canada.» Il a dit qu'on ne l'avait jamais mis en joue à l'institution à sécurité maxi- male du Québec ni aux pénitenciers de Kingston ou de Prince Albert. Il s'est également plaint qu'on ne lui ait pas donné de travail lors de sa mise à l'écart au pénitencier de la C.-B. Il a fait la remarque suivante: «Ici, on ne comprend que la violence.»
MELVIN MILLER—Miller s'est plaint qu'on l'ait forcé à dormir dans une telle position que sa tête n'était qu'à un pied de la cuvette des cabinets. L'éclairage permanent le gênait également. «Je peux encore voir cette lumière» a-t-il déclaré. Il a décrit un incident au cours duquel on s'est servi de gaz lacrymogènes, survenu en décembre 1973. Selon lui, un gardien a vidé dans sa cellule une boîte de gaz lacrymogènes, puis lui a dit par la suite qu'il s'agissait d'un accident. Il a ajouté que plusieurs gardiens l'ont mis en joue et qu'une fois
en 1973, un gardien a même chargé, ce qui l'a terrifié.
JOHN EMMETT McCANN—D'une façon générale, McCann a confirmé les témoignages des autres demandeurs relativement aux conditions de vie à l'intérieur de l'USC. Il a ajouté que les «fouilles corporelles» décrites par les autres demandeurs le gênaient considérablement. Il les a déclarées «dégradantes» et «humiliantes» et selon lui la majo- rité des gardiens semblait tirer plaisir de ces mesu- res. Il a corroboré les témoignages des autres demandeurs selon lesquels les gardiens qui se trou- vaient sur la passerelle mettaient en joue les déte- nus de l'USC, en ajoutant que cela se produisait surtout à l'heure des repas. Il a confirmé le témoi- gnage de Miller selon lequel, lorsqu'ils dormaient, les détenus devaient faire face à la porte, avec leurs visages près de la cuvette des cabinets et il a ajouté que s'ils refusaient de se plier à cette règle, le gardien pouvait très bien jeter de l'eau sur les draps du lit ou donner des coups de pied dans la porte de la cellule. Il a raconté un incident survenu en juillet 1973, au cours duquel les gardiens avaient fait usage de gaz lacrymogènes; il a admis qu'on ne les avaient employés qu'à la suite d'un chahut des détenus de l'étage pour protester contre une diminution de la durée de l'exercice, d'une heure et demie à une demi-heure, le minimum permis selon le Règlement.
Venons-en maintenant aux preuves qu'ont four- nies les demandeurs sur les conditions de vie à l'USC du pénitencier de la C.-B.; je dois souligner tout d'abord que d'une façon générale, le directeur de l'institution, le défendeur Cernetic, a confirmé la description des cellules par les demandeurs. Il a dit que l'USC occupe le dernier étage de l'immeu- ble B7, construit en 1935. L'USC a été construite en 1963 ou 1964 et superposée à l'ancien immeu- ble. Cernetic a déclaré que la partie centrale ou le «dôme», comporte une ouverture dans le toit don- nant accès à l'air frais. La superstructure consiste en des poutres de bois et un toit en fibre de verre (construit il y quatre ou cinq ans) permettant à l'air frais d'entrer. Il a dit qu'on distribuait à l'USC le même genre de literie qu'aux autres prisonniers du pénitencier de la C.-B. sauf qu'on interdisait les lits et les châlits en acier (que les prisonniers ne pourraient démonter pour fabriquer des armes). Il a déclaré que l'éclairage était fourni
le jour par une ampoule de 116 watts et de 25 watts la nuit, l'ampoule de nuit étant allumée entre 21 et 22 heures (pour l'inspection du soir). Il a justifié l'éclairage permanent en expliquant qu'il permettait au personnel de procéder à la vérifica- tion des cellules toutes les vingt minutes.
Cependant, Cernetic s'est montré en désaccord avec les témoignages des demandeurs au sujet du système de chauffage et d'aération. Selon lui, il a été conçu par des ingénieurs du ministère des Travaux publics et comporte un appareil scellé placé dans le toit de l'USC, réglé au moyen de deux thermostats et pourvu d'un ventilateur, d'épurateurs et de porte-vent, chacun de ces der- niers fournissant l'air à quatre ou cinq cellules. L'expulsion se fait par circulation naturelle de l'air. Un espace d'un pouce sous les portes des cellules, permet à l'air de circuler à l'étage et de sortir par les fenêtres ouvertes. Il a ajouté que la porte des cellules avait été conçue par des architec- tes et des ingénieurs.
En ce qui concerne l'aire d'exercice, Cernetic a souligné que les directives du Commissaire relati ves à l'exercice des détenus (pièce 37) stipulent que ces derniers ont droit, tous les jours, lorsque le temps le permet, à des exercices en plein air d'une durée d'au moins une demi-heure. Selon lui, l'USC a pris les dispositions nécessaires pour que les détenus puissent faire de l'exercice en plein air dans une cour ouverte et bien aérée et si le temps et le personnel disponible le permettent, certains gardiens autorisent les détenus à prolonger leurs exercices au-delà de la durée minimale d'une demi-heure. Il a ajouté que les détenus à l'USC ne se sont jamais plaints à lui du manque d'exercice en plein air. Cernetic a réfuté le témoignage des demandeurs au sujet de l'usage abusif de gaz lacrymogènes à l'USC, affirmant avoir étudié ces plaintes et s'être assuré qu'elles n'étaient pas fondées.
Au sujet de l'usage et du maniement des armes à feu, Cernetic a affirmé qu'on ne mettait pas un prisonnier en joue sans raison. Selon lui, le fait de diriger une arme à feu contre une personne est un acte gratuit. Il a ajouté qu'il ne croyait pas que cela se produisait à l'USC, concédant toutefois qu'une personne énervée ou mal informée pouvait le faire par mégarde. Cernetic croit que normale-
ment on instruit correctement les gardiens sur l'usage des armes à feu.
Au cours du contre-interrogatoire, lorsqu'on lui a demandé de comparer les institutions de Millhav- en et Archambault au pénitencier de la C.-B., Cernetic a reconnu que dans ces institutions, chaque bloc cellulaire avait une cour servant aux exercices en plein air. Il a concédé qu'elles étaient «bien conçues et utilisées d'une façon intelligente.»
William M. Ford a aussi témoigné; il est aujour- d'hui chargé de la direction de l'USC il a servi en qualité de gardien pendant de longues périodes depuis 1955. Il a réfuté les témoignages des demandeurs à l'égard du manque de soins médi- caux et psychiatriques à l'USC, ainsi que leurs plaintes au sujet des rasages, du droit d'acheter à la cantine, des passe-temps, des visites et de l'usage qu'on leur permettait de faire de la radio et de la bibliothèque.
Theodore Koenig, gardien depuis sept ans, a également témoigné. Il a nié avoir pointé son fusil en direction des demandeurs Oag et Bruce, comme l'affirment ces derniers. Il dit que son fusil était toujours dirigé vers le côté et qu'il ne le braquait jamais sur les détenus. Il a également nié s'être servi de gaz lacrymogènes.
Daniel Young, gardien depuis environ onze ans a également témoigné. Il a nié avoir pointé son fusil en direction des détenus. En décrivant les «fouilles corporelles», il a expliqué que trois ou quatre fonctionnaires devaient être présents, un ou deux d'entre eux devant s'assurer que les détenus n'avaient ni stupéfiants ni couteaux. Il a dit que les «fouilles corporelles» avaient ordinairement lieu dans la partie de l'immeuble surmontée d'un dôme ou dans les douches, les prisonniers remettant leurs vêtements aux gardiens aux fins de la fouille. Il a nié avoir fait des observations blessantes à l'endroit des détenus au cours de ces fouilles, pas plus qu'il n'a entendu d'autres fonctionnaires en proférer. Il a témoigné n'avoir jamais utilisé de gaz lacrymo- gènes à l'USC, ajoutant qu'on ne s'en était jamais servi en sa présence.
Joseph Carrier, gardien au pénitencier de la C.-B. depuis dix-sept ans a aussi témoigné. Il admet avoir utilisé une fois des gaz lacrymogènes, après l'émeute d'octobre 1973. Il y avait alors à l'USC 89 détenus, plusieurs d'entre eux devant
partager une même cellule. Les détenus faisaient beaucoup de bruit, frappaient contre les portes, etc. et l'agent de sécurité avait autorisé l'utilisation des gaz lacrymogènes.
Au cours du contre-interrogatoire, il a admis avoir réduit la période d'exercice à l'USC à la durée minimum d'une demi-heure prescrite par le Règlement. Il a nié avoir menacé le demandeur Miller au cours de son procès. Cependant, il a admis avoir dit au préposé aux activités récréatives du pénitencier (un certain Robin McKenzie) le 2 octobre 1975: [TRADUCTION] «Je l'aurais envoyé (Miller) sous le pommier depuis longtemps.» L'ex- pression «sous le pommier» se rapportait au cime- tière du pénitencier.
Un autre gardien, Donald Crawford, a égale- ment témoigné. Il a nié «faire n'importe quoi avec le fusil», affirmant au contraire qu'il s'en servait d'une façon militaire, en gardant son fusil dans la position «repos». Il a nié avoir jamais braqué son fusil sur les prisonniers.
Afin de réfuter ces derniers témoignages, les demandeurs ont produit Michael G. Marshall. Marshall était un gardien au pénitencier de la C.-B. de juillet 1971 à novembre 1973. Cependant, il n'a servi à l'USC que durant 9 jours en 1972 et 13 jours en 1973. Il dit qu'il avait l'habitude, ainsi que les autres gardiens, de pointer son fusil en direction des détenus lorsqu'ils allaient chercher leurs repas. Il a confirmé le témoignage des demandeurs selon lequel les exercices avaient pres- que toujours lieu dans le corridor de l'étage et non dans la partie de l'édifice surmontée d'un dôme. Il est également d'accord avec les demandeurs lors- qu'ils affirment que la plupart des «fouilles corpo- relles» avaient lieu dans la partie de l'unité sur- montée d'un dôme en présence parfois de 8 gardiens et que ces fouilles étaient rarement effec- tuées dans les douches.
c) Preuves quant à l'effet de la détention à l'USC sur les demandeurs:
ANDREW BRUCE—Bruce a déclaré qu'à l'étage H certains détenus étaient des «cinglés», mot dont il se sert pour décrire des individus déséquilibrés. Selon lui: «après un mois environ, ils commencent à vous entraîner avec eux—vous commencez à perdre pied.» A ce sujet, il faisait allusion tout
particulièrement aux détenus Bellemaire et McCaulley. Bellemaire était interné dans la cellule voisine de celle de Bruce. Selon ce dernier, Belle- maire avait évidemment besoin de soins psychiatri- ques. Il a décrit un incident au cours duquel Bellemaire a mis le feu à sa propre personne. D'après Bruce, Bellemaire se plaignait continuelle- ment d'avoir [TRADUCTION] «une machine dans sa tête». Bruce occupait la cellule voisine lorsque Bellemaire s'est pendu en avril 1974. Au sujet du détenu McCaulley, il dit avoir observé sur lui le contrecoup de longues périodes de mise à l'écart. Il a déclaré l'avoir connu plus tôt, lorsqu'il était «sain d'esprit» et: «lorsqu'il (McCaulley) a perdu la raison, je suis devenu un peu fou, parce que j'ai vu l'effet que cela produisait sur mes amis.» Il voyait qu'il commençait à perdre pied et à plusieurs reprises il s'est «tailladé». Quand on lui a demandé de décrire sa réaction à la mise à l'écart, il a répondu «ça vous déforme. Votre frustration se transforme en haine contre les gardiens et tous ceux qui vous tiennent là-dedans.» Il dit avoir été sujet à des hallucinations durant son dernier emprisonnement à l'USC, qui dura, sans interrup
tion, de novembre 1972 décembre 1974, soit deux ans (environ 12 mois à Prince Albert et 12 mois au pénitencier de la C.-B.). Voici comment il a décrit ses hallucinations: «Vous voyez des choses et des gens que vous savez ne pas être là. Vous essayez de vous convaincre que ce n'est pas vrai.» Il dit avoir tenté de se suicider à trois reprises au cours de l'automne 1974. Il a ajouté être dans l'impossibilité de se concentrer lorsqu'il était en mise en l'écart. «Lorsque vous lisez,» dit-il, «vous lisez la- moitié d'une phrase et vous poursuivez les mots tout au long de la page.» Lorsqu'il est revenu, après sa mise à l'écart parmi les autres prisonniers, il a éprouvé de grandes difficultés à «s'adapter.» Par exemple, il ne pouvait plus causer avec les autres détenus. Et «ce qui les fait rire ne vous amuse pas.» Il a observé toutefois: «Votre haine vous aide à faire face à la situation.»
RALPH COCHRANE—Cochrane a témoigné que le fait que le gardien sur la passerelle braquait son fusil sur lui lorsqu'il allait chercher ses repas l'af- fectait psychologiquement. Il a dit des gardiens: «Ils essaient la psychologie sur vous—ils tentent d'amener les individus à réagir à leur gré parce que cela justifie leurs idées. Ils font du lessivage de cerveau.»
Cochrane a confirmé le témoignage de Bruce au sujet du détenu McCaulley. Il dit que McCaulley avait beaucoup changé. Selon Cochrane, McCaul- ley aurait être placé en établissement psychia- trique. Il a déclaré «cela me frustrait parce que je savais qu'il avait besoin de voir un psychiatre. Il est `dingue', il ne peut se tenir tranquille, il frappe de ses poings nus la porte d'acier massif, ses jointures sont enflées. Je me sens responsable de ce qui se passe là-haut—je vois ces détenus en des- cendre avec leurs visages et leurs bras tailladés.» Il a partagé l'opinion de Bruce au sujet des difficul- tés de réadaptation après la fin de la mise à l'écart et le retour parmi les autres prisonniers, ajoutant ceci: «mes sentiments d'hostilité ne me quitteront jamais; mais je les combats parce que je sais que mon amertume peut me détruire.» II dit que le plus dur était de ne pas connaître ni les raisons ni la durée de la mise à l'écart.
WALTER DUDOWARD—Dudoward a décrit la mise à l'écart comme «une très mauvaise expérience, très frustrante.» Il déclare être devenu paranoïa- que, plein de haine et de ressentiments dont il ne s'est pas encore débarrassé. Il dit que «la tension est extrême.» D'après lui, les gardiens «vous tortu- rent mentalement.» Il a raconté qu'un gardien lui a affirmé tout au long de sa mise à l'écart qu'il serait bientôt libéré, mais il apprit plus tard que son cas n'avait été examiné qu'en mars 1974. Il a confirmé les témoignages précités des autres demandeurs au sujet de l'état de Bellemaire et de McCaulley. De ce dernier, il a déclaré que son état l'avait troublé: «Je me suis rendu compte que je- pouvais en venir au même point si je ne me ressaisissais pas.» Il a également affirmé avoir eu des difficultés de réa- daptation à sa sortie de l'USC. Il dit que peu après sa libération il «entendait des voix» et que, depuis, son attitude était absolument négative (haine et ressentiments).
JAKE QUIRING—Quiring a témoigné que la mise à l'écart était «difficile à accepter.» Il dit qu'il était devenu émotif et qu'il était incapable de maîtriser ses sentiments. A son retour parmi les autres pri- sonniers après sa libération de l'USC, il a éprouvé les mêmes difficultés de réadaptation que celles décrites par les autres demandeurs. Il a affirmé avoir été sujet à des hallucinations pendant sa mise à l'écart. Voici ses observations générales sur le pénitencier de la C.-B. «c'est une farce—ils ne
veulent pas vous aider—ils vous mettent derrière les verrous et vous oublient.»
MELVIN MILLER—Miller dit «je pourrais suppor ter des coups, mais comment faites-vous face à la folie? ... il y a certaines choses que je ne peux vous expliquer—vous n'avez aucune idée ... abso- lument idée ... de l'effet ... j'ai connu des hommes qui se frappaient la tête contre les murs.» Plus loin il dit: «... si je me reporte au sentiment que j'éprouvais alors, je vais vous offenser. Ce n'est pas si loin. Je ne veux pas offenser la Cour. Je ne veux pas offenser personne, mais comment diable faites-vous face à la solitude? Cette damnée lumière toujours allumée ... tout le temps ... les maux de tête qu'elle vous donne ... vous ressentez de la haine, de la frustration ...». Miller a con firmé les témoignages des autres demandeurs quant aux difficultés de réadaptation après la fin de la mise à l'écart. Il dit que ses réactions étaient lentes et qu'il n'était pas à l'aise parmi les autres.
JOHN EMMETT MCCANN—MCCann était parti- culièrement furieux d'avoir été placé à l'USC en vertu de l'article 2.30(1)a) du Règlement sans qu'on lui en ait donné la raison. Il a pris contact avec plusieurs fonctionnaires administratifs mais il dit qu'ails se renvoient tous la balle.» Il a mis le feu à sa propre personne lorsqu'il était à l'USC pour protester contre ce qu'il considérait un traitement injuste. Il a déclaré: «je ne voulais plus rester .. . je voulais en sortir ... ça m'était égal de mourir.»
Il se dit très affecté par la mort de Bellemaire; il a demandé à témoigner à l'enquête mais sa demande a été refusée. Selon lui, il a commencé à être sujet à des hallucinations après environ six mois d'isolement. Voici, selon lui les pires aspects de la mise à l'écart:
1. Le fait de ne pas connaître la raison ni la durée de la mise à l'écart.
2. Le fait de ne pas pouvoir communiquer faci- lement avec les fonctionnaires du service de classement.
3. Le fait d'être victime de mensonges et de duperies: «ils ne vous disent pas la vérité—ils se débarrassent de vous et ne vous donnent pas les véritables raisons.»
4. Les mutilations volontaires des autres prison- niers et la mort de Bellemaire l'ont beaucoup affecté.
Il a déclaré qu'il était lui-même proche du même état. Il dit: «ils nous tuaient mentalement et non physiquement.» Il affirme que le temps passé en mise à l'écart a augmenté son hostilité et son amertume. D'après lui, un détenu qui retourne parmi les autres prisonniers après sa mise à l'écart est «un homme marqué» vis-à-vis des gardiens. Il a confirmé les témoignages antérieurs au sujet de la détérioration mentale de McCaulley à 1'USC. Il a ajouté avoir observé la détérioration mentale et physique du demandeur Oag lors de sa mise à l'écart.
Les deux parties ont produit de nombreux témoignages de médecins et de psychiatres quant à l'effet de la mise à l'écart au pénitencier de la C. -B. sur les demandeurs. Le premier des témoins qu'ont produit les demandeurs, était Richard R. Korn, directeur du Centre for the Study of Crimi nal Justice de Berkeley, Californie. Il a obtenu son doctorat en psychologie sociale à l'université de New York et a 23 ans d'expérience dans la recher- che en criminologie et sur les régimes pénitentiai- res. Pendant quatre ans, il a dirigé tous les aspects du programme de traitement à la prison d'état du New Jersey, dont il était directeur adjoint. Depuis 1967, il a dirigé des séminaires annuels pour la formation des juges, des policiers, des procureurs, des agents de libération conditionnelle et des légis- lateurs qui, pendant quelques jours, vivent dans une prison avec les détenus. Korn a comparu devant des comités du Congrès américain en qua- lité d'expert et il a enseigné dans de nombreuses universités américaines. Korn a également écrit un manuel sur la criminologie et les régimes péniten- tiaires. Il y décrit son expérience à la prison d'état du New Jersey il était chargé du traitement des détenus et de la formation des gardiens à l'unité spéciale de correction. Il a aussi visité et a enquêté sur une dizaine de pénitenciers dans diverses par ties des États-Unis. J'estime que Korn est un expert hautement qualifié et qu'il a donné au procès un témoignage impressionnant et digne de foi. En février 1975, il a passé environ onze heures au pénitencier de la C. -B. et interrogé tous les demandeurs ainsi que quelques gardiens et fonc- tionnaires, y compris le défendeur Cernetic. Il a
visité toutes les installations et passé environ trois heures à l'USC.
Il a entendu les dépositions de la plupart des demandeurs. On lui a demandé de comparer les conditions de vie à l'USC du pénitencier de la C.-B. à celles qu'il avait observées dans d'autres institutions pénitentiaires. Il a répondu qu'elles étaient parmi les plus rigoureuses qu'il connaissait, comparables à celles qui existaient à San Quentin en Californie. Selon lui, le but de la mise à l'écart est généralement de casser un homme, de rompre sa résistance et de le mettre en état de soumission. Il a expliqué que la prison est une société particu- lière dans laquelle le prisonnier a son rôle, son travail et ses amis qui lui permettent de préserver sa dignité et son autonomie. Lorsqu'on le retire de cette société pour des raisons et une durée qu'il ignore, «il entre dans un cauchemar. Il n'existe plus en tant que personne ... il est condamné à survivre par des techniques qui le rendraient inapte à vivre parmi cette société ouverte.» Korn remar- qua, à propos des demandeurs qu'«... ils ont souli- gné que leur façon de survivre à l'isolement nuisait par la suite à leur réadaptation parmi les autres détenus.» Il a ajouté que d'après son expérience, le système est à toute épreuve et que personne n'y résiste après un certain temps. Dans une prison américaine il était employé, il a mis fin aux longues périodes de mise à l'écart, car: «c'est une forme de meurtre, il faut y mettre fin.»
En décrivant comment les détenus perçoivent le temps pendant leur mise à l'écart (pages 39 et 40), Korn a expliqué qu'aune peine trop longue l'USC) peut étouffer ... le temps s'arrête et com mence à vous écraser; vous suffoquez, vous êtes dans un espace réduit et condamné à une inactivité relative, vous subissez une expérience accablante et votre raison commence à jouer des tours pour ne pas sombrer ...».
Quant au caractère permanent des conséquences nuisibles, il a dit (page 52): «Je dirais que les effets durent toute la vie.»
En comparant la mise à l'écart et les peines corporelles, il a dit: «... il est prouvé que si vous tenez à l'écart une personne assez longtemps, elle va se livrer à des mutilations volontaires, simple- ment pour concentrer ses souffrances; alors il est
évident que si les détenus trouvent un exutoire dans les tortures physiques qu'ils s'infligent, ils répondent à cette question. Une douleur physique définie, que je peux maîtriser ... est beaucoup plus supportable qu'une vive souffrance morale que je ne comprends pas et sur laquelle je n'ai aucune prise.» (Pages 43 et 44).
A son avis, les demandeurs ont souffert intensé- ment de leur mise à l'écart (transcription des notes; page 52). D'un point de vue pratique, Korn a fait les recommandations suivantes en vue d'un programme réaliste de mise à l'écart, en tenant compte du fait qu'elle est nécessaire pour les déte- nus qui sont extrêmement dangereux, qui ont un casier judiciaire chargé et se sont livrés à la vio lence depuis leur enfance:
1. Une zone sûre, d'un point de vue matériel, à l'intérieur de laquelle les détenus doivent jouir de tous leurs droits et privilèges ordinaires.
2. Les détenus devraient aussi être autorisés à recevoir la visite des autres prisonniers, à l'inté- rieur d'une zone sûre.
3. Ils devraient également avoir le droit de rece- voir la visite de volontaires, comme les ministres du culte, les personnes qui s'intéressent à la réforme pénitentiaire, etc.
4. L'accès aux thérapeutes de leur choix.
5. De plus grandes cellules (Korn a trouvé les dimensions des cellules «absolument révoltan- tes»). La porte massive est aussi une précaution nuisible et inutile.
6. De l'exercice en plein air. Il a fait remarquer que «même les condamnés marchent dans la cour.»
7. Une moins grande privation d'objets person- nels—que Korn estime inutile.
A la page 58 de la transcription, Korn a déclaré: «Ce que je n'ai pu comprendre au pénitencier de la C.-B. c'est la cruauté gratuite, évidente et inutile. J'admets la rigueur lorsqu'elle s'impose, mais je la rejette lorsqu'elle est gratuite ... l'exiguïté de la cellule, le caractère élimé des articles ...». Korn qualifie de «primitive» la pratique de l'éclairage permanent. Il estime «inutile et révoltant» d'obliger les détenus à se coucher en adoptant toujours la même position.
Korn a exprimé l'opinion que la mise à l'écart appliquée conformément à l'article 2.30(1)a) du Règlement au pénitencier de la C.-B. était cruelle pour les détenus et très dangereuse et très dure pour le personnel (page 64): «... cruelle pour tous parce qu'elle met le personnel en danger et le terrifie. Vous mettez des hommes en cage. Vous les traitez comme des animaux et vous avez alors toute raison de les craindre; cette pratique est donc cruelle envers le personnel également.»
D'après Korn (page 64) la cruauté consiste à: «... infliger des souffrances gratuitement ou inten- tionnellement sans ... se préoccuper du bien-être de la personne qu'on tourmente ... et dont la souffrance ne sert à personne.» Il est d'avis que la mise à l'écart est inutile et n'a que de mauvais résultats, la qualifiant de «concept désavoué.» Aux pages 65 et 66 il dit: «Nous ne soumettons pas des animaux dangereux aux conditions que nous infli- geons aux hommes que j'ai vus. Visitez le zoo de l'endroit et le pénitencier de la C.-B.; je ne conçois pas comment un état souverain peut justifier cette situation.» Enfin, il a déclaré que la mise à l'écart comme on la pratique au pénitencier de la C.-B. ne sert aucune fin raisonnable ou rationnelle du point de vue la «dissuasion», du contrôle à long terme, du traitement ou de la correction.
Stephen Fox, professeur de psychologie à l'uni- versité de l'Iowa, a aussi témoigné pour les deman- deurs en qualité d'expert. Fox, tout comme Korn, est hautement qualifié: il a obtenu un doctorat de l'université du Michigan et a enseigné dans sa discipline à l'université du Michigan et à l'univer- sité de la Californie, Los Angeles (U.C.L.A.). Il est l'auteur d'environ 100 articles de psychologie et de physiologie, particulièrement dans le domaine du cerveau et du comportement. On le tient pour un expert dans le domaine de la privation senso- rielle, à cause de ses nombreuses recherches, d'abord chez les animaux et plus tard chez les humains isolés socialement et, particulièrement, dans les prisons. Il connaît plusieurs prisons améri- caines et leurs unités spéciales de correction. Fox a également témoigné devant des sous-comités du Congrès américain en plusieurs occasions au sujet de l'expérience qu'il a acquise auprès des prison- niers du système pénitentiaire américain. Il a interrogé plus de 100 personnes soumises à l'isole- ment cellulaire. Il a questionné les demandeurs en
février 1975, et a passé environ 12 heures avec eux. Il a vu les installations de l'USC et il a causé brièvement avec quelques gardiens de l'unité. Il a entendu les dépositions de la plupart des deman- deurs au procès. Lorsqu'on lui a demandé de com- parer les installations de l'USC du pénitencier de la C.-B. à celles d'autres institutions qu'il connaît, il a répondu (page 22): «... aux États-Unis, on a fermé tous les trous comparables à celui du péni- tencier de la C.-B., du moins tous ceux que je connaissais ... je crois que les conditions y sont aussi rigoureuses que la loi le permet actuellement. Elles sont sûrement parmi les pires que j'ai jamais vues.» A la page 23, il a déclaré: «L'installation consiste simplement en une cellule-type à l'état brut, un caveau de ciment on enterre les gens.» Voici ce qu'il dit à la page 24: «Je crois qu'il s'agit d'une des pires unités de correction, par son admi nistration et sa direction», puis, lorsqu'on lui a demandé d'exprimer son opinion au sujet de l'éclairage permanent (page 25): a... un éclairage continuel sans variation équivaut à un éclairage nul. ... C'est essentiellement le retrait de tout changement possible du milieu ambiant. C'est une mesure utilisée dans la torture internationale .... On n'y recourt pas tellement à des fins de sécurité, mais plutôt dans le but d'annihiler toute résistance humaine, de réduire les individus à l'état de loques .... Ne plus rien représenter, être dépouillé de toute signification, c'est essentiellement la plus grande souffrance humaine, aboutissant en fin de compte à la folie et au suicide.» Aux pages 31 et 32 Fox déclare: «Donc on exige la soumission absolue et totale afin de créer un individu qui ne respecte pas sa propre vie; lorsque cet individu en arrive à ce point il y a longtemps qu'il ne respecte plus celle d'autrui .... Je veux dire qu'une personne en arrive à perdre toute dignité, tout respect d'elle- même, elle n'a plus d'identité, ce qui produit l'être humain le plus violent, le plus dangereux qui soit. Vous risquez votre vie pour parvenir à cette fin... . Il y a un seuil à ne pas franchir, celui l'on élimine toute dignité possible.» Lorsqu'on lui a demandé si, selon lui, la mise à l'écart était défen- dable du point de vue de la réforme pénitentiaire, il a répondu par la négative.
Au sujet de l'influence de l'état de McCaulley sur les demandeurs, il déclare (page 44): a. .. lorsque McCaulley devient fou en leur présence, ils s'identifient à McCaulley, voilà tout—il ne s'en
trouve pas un qui n'entende sa propre voix lorsque McCaulley hurle. Ils sont McCaulley. Ils sont la folie de McCaulley et elle se trouve en eux. Lors- que McCaulley devient fou et se dirige vers la mort, comme l'a fait Bellemaire, lorsqu'ils voient la folie conduire à l'auto-destruction, ils savent qu'une partie d'eux-mêmes glisse dans cette direc tion, et ils doivent vivre avec leur propre folie, elle est devant eux.» Comparant le traitement ou le châtiment psychologique au traitement ou châti- ment physique, Fox a affirmé que le premier était le pire, qu'aucun châtiment physique ne pouvait se comparer au châtiment psychologique infligé aux demandeurs. Aux pages 45 et 46, il dit: «Miller en est arrivé à un point il est presque convaincu qu'il préférerait mourir plutôt que de continuer ainsi. Ce n'est pas la mort physique qu'il craint. La plupart d'entre eux préfèrent mourir, ils se pendent pour échapper au tourment psychologique. Voilà la cause des suicides, des mutilations volontaires ... Il est infiniment plus cruel de garder les gens en vie tout en les torturant que de les tuer.»
A la page 48, Fox déclare: «Ces conditions enlèvent aussi aux détenus une chose qu'ils ne retrouvent jamais, et c'est la capacité d'aimer.» Fox revient sur cette idée à la page 50: «Priver des individus de la capacité d'aimer c'est mettre en danger ceux qui entrent en contact avec eux. C'est créer des êtres qui ne sont plus humains—c'est inhumain. On produit des bêtes féroces ...».
Fox a fait des remarques sur les effets de la mise à l'écart sur chacun des demandeurs et il a admis que dans tous les cas, l'isolement avait été cruel et ressenti comme une véritable torture par chaque demandeur, bien qu'à des degrés différents. A la page 61, lorsqu'on lui a demandé si chaque deman- deur avait été sérieusement affecté par la mise à l'écart, il a répondu: «Sans aucun doute. Chacun possède une tolérance différente au milieu ambiant, sa façon, propre d'y réagir, mais cela ne justifie pas les conditions .... Il faut en revenir à Bellemaire. C'est en définitive sur McCaulley et Bellemaire que porte la discussion. Peu importe qu'ils ne soient pas morts, nous n'en sommes qu'à
la présente manche .... Ils ont atteint le palier qui se situe entre l'être réel et le mort vivant. Voilà ils en sont tous ou quelque part entre ces deux pôles.»
Le docteur Anthony Marcus, un psychiatre pra- tiquant à Vancouver, a également témoigné en faveur des demandeurs. Il avait interrogé les demandeurs en février 1974 et revu Bruce en juin et en juillet 1974. Il a entendu la déposition de Korn et s'était montré d'accord avec lui. Il a décrit l'USC du pénitencier de la C.-B. comme étant «une tombe à l'intérieur d'une tombe.» Il décrit l'exercice des détenus comme «un défilé de chiens.» Il affirme qu'«... il n'y a pas de programme—il n'y en a jamais eu», en ajoutant: «... selon moi la mise à l'écart est cruelle. Je crois que l'Unité spéciale de correction tente de casser le caractère. A mon avis, c'est cruel.» II dit que ceux des demandeurs qu'il connaît le mieux étaient McCann et Bruce et que «... ces hommes ont souffert de la mise à l'écart. Elle les a marqués du fer de la haine, de la méfiance et de la tension, qui font désormais partie de leur personnalité .... Selon la structure pénitentiaire actuelle, cela n'a servi aucune fin pratique.»
Au sujet de Bellemaire, il a déclaré: «Aucun condamné à l'emprisonnement au Canada ne devrait être trouvé mort dans sa cellule.» A son avis, cette situation indiquait une faille affligeante. Il était convaincu que tous les demandeurs avaient été sérieusement affectés par leur mise à l'écart.
Il a résumé son sentiment au sujet de l'isolement en disant qu'il provoque «un changement d'attitude marquée, un sentiment de haine et de vengeance, un désespoir total, le cynisme, des hallucinations, la claustrophobie ...».
Il est d'avis que les normes du pénitencier de la C.-B. ne répondent pas aux normes minimales établies par les Nations Unies en matière de déten- tion des prisonniers. Il trouve également que l'USC du pénitencier de la C.-B. était «... cruelle, inhumaine et dégradante pour le caractère humain.» Sur le plan pratique, il a préconisé plus de commodités, la cessation de mesures dégradan- tes, un personnel assez nombreux et sachant traiter les détenus comme des humains. A l'USC, le personnel doit être aussi en nombre égal ou même supérieur à celui des détenus et il faut créer un
programme qui sera appliqué par un personnel qualifié.
Peter Suedfeld, doyen de la faculté de psycholo- gie à l'université de la Colombie-Britannique, a témoigné en faveur des demandeurs. Suedfeld a fait des recherches sur les effets de la privation sensorielle sur les individus. Cependant, il n'a pas interrogé aucun des demandeurs en l'espèce ni entendu leur témoignage au procès l'exception d'une partie du témoignage de McCann). Il a vu l'USC du pénitencier de la C.-B. et il a parlé avec le défendeur Cernetic et le docteur Muthanna (psychiatre travaillant à plein temps au pénitencier de la C.-B.) au sujet des procédures suivies à l'USC. Suedfeld a lu le rapport de Fox et l'a entendu témoigner; il déclare ne pouvoir ni confir- mer ni contredire ses conclusions. Il est d'accord que si une période de mise à l'écart est «excessive» (il n'a pas défini ce qu'il entend par ce qualifica- tif), les mécanismes d'adaptation d'un détenu «pourraient se détériorer et la situation deviendrait très tendue» (page 40 de son témoignage). Inter- rogé sur les effets psychologiques permanents d'une mise à l'écart plus ou moins longue, il a répondu que les effets produits varieraient considé- rablement selon les individus (page 42). Il affirme à la page 43: «Je dirais que des personnes qui à l'origine ont de la difficulté à s'adapter à n'importe quel milieu, ou à un milieu normal—caractéristi- que générale de la personnalité que je m'attends à retrouver dans une prison—s'adapteraient diffici- lement à ce milieu.»
A la page 58, il a dit: «Je m'attendrais à ce que pour beaucoup, après une période assez longue, en particulier s'il n'existe aucun espoir d'être retiré de ce milieu, la situation devienne critique; les réac- tions des détenus à leur milieu se modifieraient. Cela pourrait se traduire par de l'apathie, ... , des rêves éveillés, le retrait du milieu extérieur et le repli dans une sorte de vie intérieure. Dans cer- tains cas, je suppose que cela pourrait conduire à la psychose.»
Suedfeld a aussi exprimé l'opinion que la mise à l'écart, à titre de sanction ne sert parfois qu'à exacerber les sentiments d'aggressivité et de ran- cune, et puisque dans ces cas le résultat est évi- demment nocif, la pratique devrait être abandon- née (voir page 14, résumé de la preuve, et pages 82
et 83, témoignage oral). Il a ajouté que l'efficacité de la mise à l'écart est suffisamment douteuse pour justifier son abandon. Il a déclaré: «son emploi à des fins punitives amoindrissent son utilité en thé- rapie .... Pour ma part, je voudrais la voir rayée du répertoire des techniques punitives.» (transcrip- tion, page 83).
En terminant son témoignage, Suedfeld dit qu'il n'était pas assez documenté pour déterminer si les conditions à l'USC du pénitencier de la C.-B. sont cruelles ou non. Il a admis qu'il serait plus en mesure d'exprimer une opinion s'il avait interrogé les demandeurs.
Le docteur George Scott, directeur régional adjoint, région de l'Ontario, Service canadien des pénitenciers, premier psychiatre de ce service, a aussi témoigné en faveur des défendeurs. Il a soumis à la Cour des statistiques concernant le pénitencier de la C.-B. Ces dernières ont établi qu'en 1974, 11 pour cent des détenus de l'USC s'étaient tailladés par opposition à 1 pour cent seulement des autres prisonniers; 6.4 pour cent des détenus de l'USC ont tenté de se suicider contre 0.9 pour cent des autres prisonniers; à l'USC un détenu s'est suicidé, parmi les autres prisonniers, aucun; 8.3 pour cent des détenus de l'USC se sont livrés à des actes de violence par opposition à 7.5 pour cent des autres prisonniers.
Le docteur K. C. Muthanna, psychiatre à plein temps au pénitencier de la C.-B. a également témoigné en faveur des défendeurs. Selon son con- tre-interrogatoire, il partage l'opinion que les déte- nus mis à l'écart manifestent plus d'anxiété et de stress. Il a observé aussi qu'ils étaient d'autant plus irrités et hostiles s'ils ne comprenaient pas les raisons des mesures prises à leur égard, ajoutant que les peines d'une durée indéterminée provo- quent la tension et le ressentiment. Il a confirmé le témoignage des demandeurs selon lesquels il est difficile de se concentrer en réclusion rigoureuse. D'après lui, du point de vue du traitement de la psychose, les installations de l'USC sont «atroces». Il a demandé des améliorations et ne pouvait imaginer rien de moins efficace pour McCaulley que l'isolement cellulaire. Il a décrit McCaulley comme un psychotique schizophrène. Le docteur Donald C. McDonald, psychiatre travaillant à temps partiel au pénitencier de la C.-B., estime lui
aussi que McCaulley est sérieusement troublé et psychotique et qu'il était nocif de mettre des déte- nus à l'écart, sans raison et pour une durée indéter- minée, en ajoutant cependant «... qu'ils n'avaient pas le choix.» Il a admis que la mise à l'écart, lorsqu'elle n'est pas volontaire, provoque le ressentiment.
J'en arrive à un examen des principes juridiques applicables au redressement demandé sous le titre A. Les avocats des deux parties m'ont renvoyé au récent jugement qu'a rendu la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire La Reine c. Miller et Cockriell 5 . Il s'agissait d'une condamna- tion pour le meurtre d'un agent de police et de la sentence de mort qui en est résultée. L'un des griefs de l'appel était que la peine capitale pour meurtre est une «peine cruelle et inusitée» dont l'article 2b) de la Déclaration canadienne des droits interdit l'exécution. L'avocat des défendeurs fait valoir le raisonnement qu'a adopté la majorité de la Cour et que le juge d'appel Robertson a exprimé dans les motifs du jugement, aux pages 52 à 55 inclusivement. Le juge d'appel Robertson donne trois raisons à l'appui du rejet de cette voie de recours, qui sont résumées à la page 55 du jugement. En toute déférence, seul le premier motif exprimé par le juge Robertson s'applique en l'espèce, car les faits diffèrent. Ses deuxième et troisième motifs découlent du fait notamment que la Déclaration canadienne des droits et le Code criminel sont des lois du Parlement. En l'espèce, la Cour doit étudier l'effet d'un article de la Déclara- tion canadienne des droits (votée par le Parle- ment) sur un règlement adopté par le gouverneur en conseil (le Cabinet). Il s'ensuit qu'une partie du raisonnement à l'appui des deuxième et troisième
motifs du juge Robertson (pages 52 55) ne s'applique pas en l'espèce.
Ce qui ne laisse que le premier motif exposé par le juge Robertson à la page 55 du jugement et que voici:
[TRADUCTION] .. . l'imposition de la peine capitale dans les cas de meurtre n'est pas «inusitée» au sens courant et normal du mot. De temps immémorial, on a condamné à mort les meur- triers en Angleterre. Il en était de même au Canada avant la Confédération. Depuis lors, la peine capitale est le châtiment prescrit, mais en 1961 l'emprisonnement à vie a remplacé la
5 [1975] 6 W.W.R. 1.
peine capitale pour certaines catégories de meurtres. Le fait que depuis 1962 le Cabinet, dans sa sagesse, ait décidé de commuer toutes les condamnations à mort prouve seulement que la majorité des ministres sont opposés à la peine capitale. A mon avis, elle n'est pas devenue une peine inusitée. [Souligne- ment ajouté.]
En toute déférence pour le point de vue du juge Robertson et de la majorité de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, je partage plutôt l'opi- nion dissidente exposée par le juge d'appel McIn- tyre dans son jugement portant sur la même affaire. Aux pages 68 et 69 de son jugement, le juge McIntyre déclare:
[TRADUCTION] J'en viens maintenant à étudier la question de savoir si la peine capitale peut être considérée comme cruelle et inusitée. Les mots utilisés pour décrire le châtiment proscrit, c'est-à-dire cruel et inusité, sont coordonnés. Parfois l'emploi des deux mots a provoqué une certaine confusion. Bien qu'on suggère des vues opposées en Angleterre, les juristes et universi- taires américains, qui nous fournissent la principale source de documentation sur ce sujet, interprètent en général les mots séparément ...
On a prétendu que dans le Bill of Rights anglais, le mot «inusité» a été utilisé par inadvertance et l'opinion générale veut qu'il n'a pas pour effet de limiter ou régir le mot «cruel». A mon avis, il est donc permis et préférable de lire séparément les mots «cruel» et «inusité», de sorte que les peines cruelles, même si elles sont usuelles dans le sens ordinaire du terme, pourraient être incluses dans la proscription. Selon moi, le mot «inusité» ne signifie pas seulement qu'on y recourt peu souvent, car il faut espérer qu'on impose rarement un châtiment rigoureux, mais il s'applique aux peines inusitées en ce sens quelles ne sont pas expressément prévues par la loi, qu'elles ne font pas partie de la pratique pénale ou que la société ne les juge pas acceptables.
Puis à la page 71 de son jugement:
[TRADUCTION] A mon avis, la peine capitale est une peine cruelle et inusitée si on ne peut prouver que son pouvoir de dissuasion l'emporte sur les objections qu'on peut soulever à son égard. De plus, même en lui supposant une certaine valeur de dissuasion, j'estime que la peine capitale est cruelle et inusitée si elle s'oppose aux normes de la décence et de la bienséance, si elle est inutile parce qu'il existe d'autres moyens suffisants, si elle ne peut être appliquée de façon raisonnable, conformément à des positions bien déterminées et si elle est excessive et disproportionnée aux crimes qu'elle s'efforce de réprimer.
Si l'on applique les critères que propose le juge McIntyre, quelles conclusions devons-nous tirer de la preuve en l'espèce? Les témoignages des deman- deurs nous renseignent sur les caractéristiques des cellules et ils n'ont pas été contredits par la preuve soumise en faveur des défendeurs. Les cellules mesurent environ 11 pieds sur 6 pieds et elles ont 11 pieds de haut—elles ont trois murs de ciment et
une porte d'acier massif. La cellule est dépourvue de fenêtre à l'exception d'un vasistas de 6 pouces dans la porte de cellule. La lumière est allumée 24 heures par jour. Tous les demandeurs se sont plaints de l'aération des cellules. Les défendeurs ont présenté des preuves établissant que le système de chauffage et d'aération avait été bien conçu, sans contredire cependant les demandeurs lors- qu'ils affirment que l'aération était mauvaise et que la plupart du temps, les cellules étaient trop chaudes ou trop froides. Les témoignages portant sur le rasage étaient contradictoires et je n'y accorde pas grande importance. La preuve démon- tre clairement que la plupart du temps, les détenus à l'USC devaient se contenter d'une période d'exercice quotidien de 30 à 40 minutes. Les défendeurs ont prétendu que les détenus prenaient de l'exercice en plein air dans la partie de l'immeu- ble surmontée d'un dôme, mais la preuve a établi que la plupart du temps les détenus devaient se contenter, pour leurs exercices, du corridor de 75 pieds de long de l'étage H et qu'il y avait très peu d'exercice en plein air. Selon moi, la preuve n'éta- blit pas le bien fondé des plaintes au sujet du manque de bons soins médicaux et de passe-temps et je n'attache pas grande importance au manque de films et de télévision ni au fait que la radio était restreinte à deux postes. Les témoignages sont contradictoires en ce qui concerne les allégations selon lesquelles les gardiens braquaient leurs fusils sur les détenus lorsque ces derniers allaient cher- cher les plateaux de repas. Compte tenu du fait que les détenus ont allégué ces incidents, niés par les gardiens qui ont témoigné mais confirmés par Marshall (qui était en réalité le seul témoin indé- pendant sur la question puisqu'il ne travaille plus au pénitencier de la C.-B. et qu'il était embarras- sant pour lui de témoigner, vu les circonstances ayant entouré la cessation de son emploi à cet endroit), j'ai conclu que, selon toute probabilité, quelques gardiens au moins ont parfois pointé leurs fusils en direction des détenus lorsque ces derniers allaient chercher leurs repas. Cependant, je ne crois pas que cela se soit produit aussi souvent que le prétendent les demandeurs dans leur témoi- gnage. Quant aux incidents qu'ont rapporté les demandeurs relativement à l'usage des gaz lacry- mogènes, je juge, en me fondant sur la preuve, que les faits se sont probablement produits dans des cas isolés, parfois accidentellement, sinon quand leur utilisation était tout à fait justifiée et autori-
sée. Par ailleurs, il est admis que les «fouilles corporelles», sont une mesure de sécurité indispen sable mais il se peut qu'en certaines circonstances un plus grand nombre de gardiens que nécessaire y ait assisté. J'estime que la preuve a établi la véra- cité de l'allégation selon laquelle les détenus devaient toujours adopter la même position pour dormir, leurs têtes près de la cuvette des cabinets.
La preuve établit également que les demandeurs ont passé les périodes suivantes en mise à l'écart administrative au pénitencier de la C.-B. en vertu de l'article 2.30(1)a) du Règlement:
BRucE—De août 1970 décembre 1974-793 jours—périodes continues les plus longues-258 jours et 338 jours. cocHRANE—De janvier 1971 à septembre 1974-552 jours— périodes continues les plus longues-247 jours et 107 jours. DUDOWARD—De mai 1970 mars 1974-106 jours—période continue la plus longue-95 jours.
QUIRING—DU 16 novembre 1973 et le 4 juillet 1974-231 jours—période continue la plus longue-231 jours.
MILLER—Dc janvier 1973 à septembre 1974-343 jours— périodes continues les plus longues-145 jours et 128 jours. McCANN—De janvier ,1967 à mai 1974-1,471 jours—avec les périodes continues suivantes: 98 jours, 90 jours, 80 jours, 754 jours, 66 jours, 342 jours.
oAG—De janvier 1973 novembre 1974-682 jours—période continue la plus longue-573 jours.
D'après la plupart sinon la totalité des demandeurs l'un des aspects les plus durs de la mise à l'écart administrative au pénitencier de la C.-B., était le fait qu'ils ignoraient la raison et la durée de leur isolement, et que les procédures d'examen de leurs cas n'étaient pas respectées.
Le défendeur Cernetic et Fred Leech ont témoi- gné afin de réfuter ces allégations. Cernetic est arrivé au pénitencier de la C.-B. en qualité de directeur en janvier 1974; son témoignage ne se rapporte donc qu'à la période écoulée depuis lors. Il a déclaré avoir délégué ses pouvoirs en vertu de l'article 2.30(1)a) aux fonctionnaires supérieurs de service qui peuvent prendre la décision de mettre à l'écart mais doivent l'en prévenir dans les vingt- quatre heures qui suivent. Le détenu reste en mise à l'écart à moins que le directeur ne contremande la décision du fonctionnaire de service. On donne au détenu et aux directeurs adjoints les motifs de la décision. Il a également décrit les formalités d'examen qu'il a instituées à l'égard des détenus
mis à l'écart conformément à l'article 2.30(1)a): un agent de classement doit interroger le détenu et faire rapport au Comité de formation des détenus qui s'occupe de chaque cas. Cernetic a préparé et approuvé les procès-verbaux de chaque réunion du Comité. La décision de mettre fin à la mise à l'écart administrative d'un détenu dépendait des facteurs suivants: a) le danger; b) l'attitude du détenu; c) ses besoins; d) la durée de la mise à l'écart; e) les motifs de la décision; f) les projets futurs; g) la conduite générale du détenu; h) sa tolérance et i) son esprit de rébellion.
Leech, qui à l'époque pertinente était le direc- teur-adjoint chargé de la sécurité au pénitencier de la C.-B., a témoigné au sujet des formalités d'exa- men en vigueur avant l'arrivée de Cernetic en qualité de directeur. Leech exigeait que le fonc- tionnaire chargé de l'USC lui fasse un rapport hebdomadaire complet sur tous les détenus de l'unité, sur leur comportement, la durée de leur réclusion, etc. Il demandait aussi à un des agents principaux de correction de comparaître chaque semaine devant le Comité de formation des déte- nus. Ledit Comité se réunissait chaque semaine et discutait de la situation des détenus à l'USC, sans nécessairement s'arrêter au cas de chaque prison- nier mais plusieurs entretiens ont eu lieu au sujet de différents détenus que l'on songeait à libérer.
Cernetic et Leech ont expliqué en détail les raisons pour lesquelles chacun des demandeurs a été placé et gardé en mise à l'écart administrative. Je n'ai pas l'intention de m'attarder sur ces témoi- gnages, sauf pour souligner que, même si dans certains cas le demandeur n'a pas été informé à titre officiel des raisons de son incarcération, je suis persuadé que, la plupart du temps, le détenu les connaissait. On a également prouvé à la satis faction de la Cour que la situation des demandeurs était étudiée périodiquement. Je suis cependant d'avis qu'il y a eu un manque de communication entre l'administration et les détenus au sujet de la durée de la mise à l'écart et je crois de plus que le caractère indéfini de leur incarcération a contri- bué, tout au moins dans une certaine mesure, à leur état mental que les témoins experts ont décrit avec une telle vividité.
Je m'appuie sur les témoignages des experts pour tenter d'établir si les conditions de vie à l'USC, précédemment décrites, peuvent être consi-
dérées comme une peine ou traitement cruel et inusité. Korn, Fox et le docteur Marcus se sont prononcés de façon catégorique sur le sujet. D'après Korn et Fox, ces conditions comptent parmi les pires qu'ils aient jamais rencontrées et ils les ont qualifiées sans hésitation de traitement cruel. Même Suedfeld, expert témoignant pour les défendeurs, a admis que la mise à l'écart poussée «à l'extrême»—terme qu'il a refusé de préciser— aurait des conséquences désastreuses. Le docteur Muthanna, psychiatre attaché au pénitencier de la C.-B. a aussi exprimé l'opinion que l'isolement augmentait l'anxiété et le stress.
A mon avis, les témoignages de Korn, de Fox et de Marcus sont plus convaincants que celui du docteur Suedfeld principalement parce que les deux premiers se sont entretenus longuement avec les demandeurs et ils ont pu observer personnelle- ment les effets qu'avait sur eux la mise à l'écart. Suedfeld n'a pas interrogé les demandeurs et il n'a entendu qu'une petite partie de leurs dépositions. Quoi qu'il en soit, il n'a pas contredit de façon importante les témoignages de Korn, Fox et Marcus. Compte tenu des témoignages des experts et de ceux des demandeurs eux-mêmes, je conclus sans hésitation que ces derniers ont été victimes d'un traitement cruel, pendant leur mise à l'écart au pénitencier de la C.-B. D'une façon générale, j'ajoute foi—aux témoignages des demandeurs au sujet des conditions de vie à l'USC du pénitencier de la C.-B. et j'accepte également leur description de l'effet produit. Ils ont été enclins à exagérer certaines plaintes mais pour l'essentiel, leur des cription des conditions de l'isolement et de ses conséquences n'a pas été sérieusement contredite et je la tiens pour digne de foi.
De plus, je suis d'avis que ledit traitement était aussi inusité au sens de ce terme dans la Déclara- tion canadienne des droits. Selon les critères pro- posés par le juge McIntyre, ce traitement ne sert aucune fin pénale pratique. Cernetic et plusieurs témoins experts l'ont affirmé. Au cours du contre- interrogatoire, Cernetic a répondu à la question suivante: «Vous êtes d'accord avec moi, n'est-ce pas, que la mise à l'écart telle qu'elle a été appli- quée au pénitencier de la C.-B. en vertu de l'article 2.30a) du Règlement ne sert aucune fin pénale? R. Étant donné les installations à notre disposition. Q. Et le programme que vous devez établir à cause de
ces installations? R. C'est exact.»
De plus, même s'il servait quelque fin pénale, je concluerais de toute façon que le traitement ainsi décrit est cruel et inusité parce qu'il est contraire aux normes publiques de la décence et inutile, puisqu'il existe d'autres moyens plus appropriés.
Il ne fait aucun doute que la mise à l'écart administrative est nécessaire dans une institution pénitentiaire de sécurité maximale notamment «... pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'institution», conformément à l'article 2.30(1)a) du Règlement. La preuve en l'espèce a établi clairement que certains demandeurs sont dangereux et ont des réactions imprévisibles, et que d'autres ont tendance à s'évader ou à essayer de s'évader. Donc, il est évident que la mise à l'écart est nécessaire. Cependant, «mise à l'écart» et «isolement» ne sont pas synonymes. Korn a fait sept recommandations quant à la mise à l'écart qui permettraient aussi d'éliminer les aspects les plus nocifs de l'«isolement»; j'ai résumé plus haut ces suggestions.
Fox s'est exprimé de façon différente (transcrip- tion page 73): «Je comprends que Messieurs Cer- netic et Leech tiennent à ce que ces individus soient tenus sous bonne garde, mais pas au point de les anéantir.» Côté pratique, Fox a conseillé «un programme de dialogue d'égal à égal et d"auto- détermination' à l'intérieur de l'institution ...» (transcription pages 77 et 78). Il propose que ce dialogue soit tripartite: entre l'administration, les gardiens et les détenus. Il affirme que l'administra- tion et les gardiens sont des entités distinctes qui ne sont pas exposées au même danger, et ont le droit d'exprimer leur opinion sur chaque question. Il a déclaré à la page 82: «Les gardiens ne sont pas des robots auxquels on impose ce cauchemar, là-haut ... ils doivent avoir voix au chapitre. Il s'agit d'un dialogue à trois, parce qu'ils sont tous membres de cette famille.»
Le docteur Marcus a également dit qu'il devait exister un dialogue, ajoutant qu'il était possible de modifier les attitudes et les convictions mais qu'il faut des pouvoirs pour le faire, c.-à-d. que les fonctionnaires fédéraux donnent aux fonctionnai- res du pénitencier le mandat d'apporter les modifi-
cations nécessaires. Selon lui, on doit modifier la Loi et le Règlement aussi bien que les directives en général. Il estime cependant qu'on peut apporter certains changements d'ordre local sans modifier les dispositions générales. Le professeur Michael Jackson, professeur adjoint à la faculté du droit de la Colombie-Britannique, possédant une expé- rience étendue dans le domaine de la psychiatrie et de la psychologie légales, membre du Comité de révision établi en vertu de la B.C. Mental Health Act était également d'avis que les détenus devaient participer davantage aux diverses mesures les con- cernant et aux procédures d'incarcération à l'USC. Selon lui, encore plus que le Règlement, c'est l'attitude de certains fonctionnaires de la prison qui doit changer.
Ce procès n'est pas une commission royale d'en- quête sur les conditions de vie à l'intérieur du pénitencier de la C.-B., aussi ne faut-il pas inter- préter en ce sens les extraits du témoignage des experts ils suggèrent certaines améliorations. J'y ai recours afin de déterminer si les conditions décrites dans la preuve soumise en l'espèce consti tuent «des peines ou traitements cruels et inusités,» puisqu'à mon avis pour en arriver à une décision, j'ai le droit d'étudier l'existence d'autres solutions appropriées. Il suffit de dire qu'en me fondant sur la preuve, je suis convaincu de l'existence d'autres solutions appropriées qui élimineraient le caractère «cruel et inusité» de la mise à l'écart en offrant cependant les mêmes garanties de sécurité.
Avant de passer à un autre aspect de cette affaire, je tiens à faire remarquer que si l'on donnait au mot «inusité» son sens ordinaire et courant, on pourrait soutenir que ce qualificatif s'applique au moins à une partie du traitement des détenus à l'USC du pénitencier de la C.-B. Le Shorter Oxford English Dictionary définit ainsi l'adjectif «inusité»: [TRADUCTION] «Qui se produit rarement ou n'est pas souvent observé, différent de ce qui est commun; inhabituel, remarquable, exceptionnel.»
Les défendeurs n'ont fourni aucune preuve éta- blissant que les conditions d'internement à l'USC du pénitencier de la C.-B. sont semblables à celles d'autres pénitenciers, au Canada ou à l'étranger. La seule preuve à cet égard, produite uniquement par les demandeurs et les témoins qu'ils ont cités, établit, tout au moins dans une certaine mesure,
que les conditions de vie à l'USC du pénitencier de la C.-B. étaient considérablement plus rigoureuses que dans d'autres établissements similaires.
Les demandeurs Bruce et Quiring, qui ont été internés dans plusieurs autres USC de divers péni- tenciers canadiens ont affirmé catégoriquement que les conditions de vie à l'USC du pénitencier de la C.-B. sont les pires qu'ils aient connues. Le défendeur Cernetic a concédé qu'au moins deux autres pénitenciers canadiens offrent de meilleures installations pour les exercices en plein air. La défense n'a pas prouvé que la pratique suivant laquelle Bellemaire et McCaulley étaient incarcé- rés très près des autres détenus avait son pendant dans d'autres institutions pénitentiaires. Les experts américains ont affirmé que l'USC en cause était la pire qu'ils aient jamais vues—ce qui suffit à qualifier de «différente de ce qui est commun», l'USC du pénitencier de la C.-B. Les témoignages susmentionnées portant que les gardiens avaient pointé leurs fusils en direction des détenus sem- blent placer ce pénitencier dans une catégorie à part puisqu'aucun des demandeurs n'a été traité de cette façon dans aucun autre établissement péni- tentiaire canadien. Korn a dit qu'il n'avait aupara- vant jamais vu de fusil dans une unité de ségréga- tion (page 34). On n'a pas prouvé que l'éclairage permanent des cellules est une pratique «courante» dans les autres établissements canadiens, ni que l'obligation de toujours dormir dans la même posi tion est «courante» au Canada ou ailleurs. La durée de la mise à l'écart des demandeurs suffit à qualifier le traitement d'«inusité». On n'a pas prouvé que les portes et les murs pleins, à l'excep- tion d'un vasistas de six pouces, étaient «courants». Donc, même si l'on donne à l'adjectif «inusité» le sens étroit que lui prête la majorité de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Miller et Cockriell (précitée), j'estime que les faits établis en l'espèce peuvent être qualifiés de «cruels et inusités».
Pour les raisons susmentionnées, je suis d'avis que tous les demandeurs, sauf Baker (au sujet de qui on n'a produit aucune preuve) ont établi que leur mise à l'écart au pénitencier de la C.-B. était une peine ou un traitement cruel et inusité, con- traire à l'article 2b) de la Déclaration canadienne des droits.
Au paragraphe c) de leur demande de redresse- ment, les demandeurs réclament que l'article 2.30(1) du Règlement soit déclaré sans effet parce que contraire aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits. L'avocat des demandeurs a réclamé ce redressement dans son plaidoyer initial, mais a déclaré, dans sa réponse au plaidoyer des avocats des défendeurs, qu'il ne recherchait plus une déclaration rendant sans effet l'article 2.30(1) du Règlement. Quoiqu'il en soit, j'estime que du point de vue juridique, les demandeurs n'ont pas établi leur droit au redressement réclamé au para- graphe c) de leur demande de redressement.
Dans l'affaire Curr c. La Reine 6 , le juge Laskin (maintenant juge en chef) dit aux pages 899-900:
... il faudrait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit fondée à exercer en l'espèce une compétence conférée par la loi (par opposition à une compétence conférée par la constitution) pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment adoptée par un Parlement compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe du gouvernement responsable, lequel constitue le fondement de l'exercice du pouvoir législatif en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Ces raisons doivent se rapporter à des normes objectives et faciles à appliquer, qui doivent guider les tribunaux, si on veut que l'application régu- lière dont il est question à l'alinéa (a) de l'art. 1, permette d'annuler une loi fédérale par ailleurs valide .... [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Burnshine 7 , le juge Martland a dit aux pages 707-8:
A mon avis, pour qu'il ait gain de cause en la présente affaire, il serait nécessaire, au moins, que l'intimé établisse à la satisfaction de la Cour qu'en adoptant l'art. 150 le Parlement ne cherchait pas l'accomplissement d'un objectif fédéral régu- lier .... [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, la compétence législative pertinente est conférée par l'article 91(28) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui accorde au gouvernement fédéral compétence en matière d'sétablissement, de maintien, et d'administration des pénitenciers.» J'estime que l'objet clairement énoncé du règlement 2.30(1) est le maintien du bon ordre et de la discipline dans les pénitenciers canadiens. Il s'agit, selon moi, d'un objectif fédéral
6 [1972] R.C.S. 889 aux pages 899 et 900.
7 Voir: La Reine c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693 aux pages 707-8. Voir aussi: Le procureur général du Canada c. Canard [1975] 3 W.W.R. 1 la décision qui suit l'affaire Burnshine—en particulier, le juge Martland à la page 13.
régulier et, pour cette raison, ce règlement est intra vires et ne peut être déclaré sans effet.
J'en arrive au jugement déclaratoire que récla- ment les demandeurs au paragraphe b) de leur demande de redressement que, pour abréger, je vais étudier sous le titre:
B. APPLICATION RÉGULIÈRE DE LA LOI.
A cet égard, les demandeurs s'appuient sur les articles l a) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Sous ce rapport, les remarques suivan- tes du juge en chef Laskin dans l'affaire Curr, (précitée), à la page 898 de son jugement, sont pertinentes:
Du point de vue de la procédure, je ne puis voir ce que l'alinéa (a) de l'article 1 peut viser en plus de ce que comprennent déjà l'alinéa (e) de l'article 2 (aune audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale») et l'alinéa (f) de l'article 2 («une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non préjugé»).
La question soumise à la Cour suprême dans l'affaire Ex parte McCaud 8 , concernait l'applica- tion de l'article 2e) de la Déclaration canadienne des droits à une décision portant sur la révocation de la libération conditionnelle en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus. Voici ce qu'en disait le juge Spence à la page 169:
C'est la Commission des libérations conditionnelles qui décide, à sa discrétion, si la sentence sera purgée dans une institution pénitentiaire ou à l'extérieur aux conditions de la libération; cette décision est de nature administrative et n'est aucunement une décision judiciaire.
Dans l'affaire Howarth c. La Commission nationale des libérations conditionnelles', la Cour d'appel fédérale a suivi le jugement rendu dans l'affaire McCaud, (précitée), en affirmant que la révocation de la libération conditionnelle par la Commission des libérations conditionnelles est une décision de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. A la page 1022 de son jugement, le juge en chef Jackett a fait la déclaration sui- vante, pertinente en l'espèce:
Une personne condamnée à une peine d'emprisonnement a perdu, par application régulière de la loi, la liberté d'aller
e [1965] 1 C.C.C. 168, à la page 169. 9 [1973] C.F. 1018.
elle veut et est gardée en détention dans une prison. C'est l'autorité administrative qui décide dans quelle partie de la prison elle devra demeurer à une époque donnée. [C'est moi qui souligne.]
La Cour suprême du Canada a confirmé cette décision dans un jugement majoritaire. La décision la plus récente qu'ait rendue la Cour suprême du Canada sur cette question est l'arrêt Mitchell c. La Reine'''. A la page 257 de son jugement dans cette affaire, le juge Ritchie, qui a rédigé le jugement majoritaire, a déclaré:
[TRADUCTION] L'affaire Howarth c. La Commission natio- nale des libérations conditionnelles, (précitée), suffit à asseoir l'assertion selon laquelle la Commission des libérations condi- tionnelles est un organisme statutaire possédant un pouvoir discrétionnaire illimité en matière d'application de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus et, sous ce rapport, n'est pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. La nature même de la tâche qui lui est assignée, notamment d'apprécier le caractère et les qualités des prisonniers et de déterminer—ce qui est particulièrement difficile—si l'un d'eux est susceptible de tirer profit d'une libération sous surveillance, exige que la Commission possède un pouvoir discrétionnaire aussi étendu que possible et que sa décision ne soit pas suscepti ble d'appel et ni soumise aux procédures habituelles d'examen des décisions soumise à un processus judiciaire ou quasi judi- ciaire. Voir la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, art. 23.
Vu la jurisprudence précitée, j'estime nécessaire d'étudier l'article 2.30(1) du Règlement et de déterminer à la lumière ' de cet examen si ledit règlement oblige le chef de l'institution à agir de façon judiciaire ou quasi judiciaire lorsqu'en vertu du règlement 2.30(1) il met un détenu à l'écart. Pour trancher la question, il faut étudier les fonc- tions qui lui ont été assignées.
L'article 2.30(1)a) du Règlement prévoit que lorsque le chef de l'institution (que le règlement 1.02(f) définit comme: «le fonctionnaire nommé aux termes de la Loi ou du présent règlement pour administrer l'institution et comprend, en cas d'ab- sence ou d'incapacité d'agir de ce dernier, son adjoint légitime») est convaincu que pour le main- tien du bon ordre et de la discipline dans l'institu- tion, il est nécessaire ou opportun d'interdire à un détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire. Le paragraphe prévoit également que le cas du détenu doit être étudié, au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recom-
10 (1976) 24 C.C.C. (29 241.
mandera au chef de l'institution la levée ou le maintien de cette interdiction.
Il convient de rappeler qu'en janvier 1974, le pénitencier de la C.-B. comptait au total 530 détenus et qu'il en reste encore environ 400, que la plupart des autres institutions pénitentiaires fédé- rales renferme chacune plusieurs centaines de détenus parmi lesquels il se trouve presque inévita- blement des individus dangereux, aux réactions imprévisibles, convaincus d'actes de violence, et que plusieurs des détenus se sont rendus coupables d'évasion, de capture d'otages et sont fauteurs de troubles et d'émeutes à l'intérieur du pénitencier. Il est donc évident que le chef de l'institution doit pouvoir réprimer les émeutes rapidement et ferme- ment, et placer les coupables à l'écart pour la protection des autres détenus, du personnel et des biens de l'institution ainsi que du public en géné- ral. Ce genre de situation s'est produit en octobre 1973 au pénitencier de la C.-B. lorsque les détenus ont causé des troubles sérieux, que certains d'entre eux ont qualifié d'«émeute». Immédiatement après cet incident, il a fallu incarcérer à l'USC environ 89 détenus. L'administration pénitentiaire serait impuissante et la situation deviendrait intolérable si, dans de telles circonstances, la mise à l'écart administrative en vertu du règlement 2.30 ne pou- vait être imposée qu'après application régulière de la loi. La même remarque s'imposerait dans le cas d'une tentative générale d'évasion. Après avoir étudié le libellé très clair du règlement 2.30(1)a) dans le contexte de l'étendue des fonctions du chef d'institution, je suis convaincu que la décision de recourir à la mise à l'écart en vertu du règlement 2.30(1)_ est purement de nature administrative et que les demandeurs ne peuvent se prévaloir des articles la) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits pour obtenir le jugement réclamé au paragraphe b) de leur demande de redressement.
A mon avis, les demandeurs n'ont pas prouvé leur droit au redressement qu'ils réclament aux paragraphes d), e) et f) de la déclaration modifée en date du 28 octobre 1975 et par conséquent ce redressement ne leur sera pas accordé.
Puisque j'ai jugé que tous les demandeurs, sauf Baker, ont établi que leur incarcération à l'USC du pénitencier de la C.-B. équivaut à l'imposition d'une peine ou traitement cruel et inusité contraire à l'article 2b) de la Déclaration canadienne des
droits, il reste à décider s'il est bien nécessaire qu'un jugement déclaratoire le précise, aucun des demandeurs n'étant actuellement incarcéré à ladite USC. Dans l'arrêt Landreville c. La Reine", le juge Pratte a décidé que la Cour avait compé- tence pour rendre un jugement déclaratoire qui, bien que dénué d'effet juridique, pourrait avoir quelque utilité d'un point de vue pratique. Dans ses motifs, le juge Pratte a cité, en les approuvant, les décisions rendues par lord Denning, maître des rôles, et lord Salmon dans l'affaire Merricks c. Nott-Bower [1964] 1 All E.R. 717. A la page 721 de ce jugement, lord Denning a déclaré:
[TRADUCTION] Et l'on se demande alors: Si l'on accepte cette opinion, quel est le redressement demandé? On demande uni- quement une série de jugements déclarant tous que la mutation a été effectuée en violation des règlements et des principes de justice naturelle. On demande alors: quelle utilité pourrait avoir maintenant un tel jugement déclaratoire, la mutation étant survenue six ans et demi auparavant? Quels effets bénéfiques pourraient bien avoir ces jugements maintenant? Il n'est évi- demment pas question de remettre en cause les mutations. Les demandeurs ont exercé leurs fonctions dans ces divisions pen dant toute cette période. On ne peut les ramener à Peckham. On nous a mentionné un certain nombre d'arrêts sur cette question et il en ressort que le pouvoir d'accorder un jugement déclaratoire a été grandement élargi ces dernières années. Lorsqu'une véritable question est en cause, c'est-à-dire une question qui ne soit pas uniquement théorique et au sujet de laquelle la décision de la Cour peut donner des directives utiles, elle peut, à sa discrétion, rendre un jugement déclaratoire. On en trouve un exemple dans une affaire récente il était question du système de mutation des joueurs de football asso ciation, Eastham c. Newcastle United Football Club Ltd. ([1963] 3 All E.R. 139), entendue par le juge WILBERFORCE. L'avocat des demandeurs soutenait qu'en l'espèce, le jugement déclaratoire pouvait avoir pour effet de retirer à la mutation des demandeurs le caractère d'un blâme. Il avait aussi avancé un argument plus général, à savoir qu'il était dans l'intérêt public de déclarer que le pouvoir de muter un employé ne peut être utilisé que pour des raisons de service et non pas comme un genre de punition. Il a affirmé qu'il serait utile que la Cour fasse une telle déclaration. Sans trancher cette question, il me semble que l'on peut soutenir qu'un tel jugement déclaratoire pourrait avoir une certaine utilité. Nous ne pouvons déclarer pour le moment que cette demande devrait être rejetée d'office.
Selon moi, nous sommes en présence de la situa tion à laquelle fait allusion lord Denning dans ses observations susmentionnées. Il me semble qu'en l'espèce la Cour peut et doit donner des «directives utiles» aux autorités du pénitencier de la C.-B. et au Service canadien des pénitenciers. Aucun des demandeurs en cause n'était à l'USC au moment du procès. Cependant, d'autres détenus s'y trou-
" [1973] C.F. 1223.
vaient et, vraisemblablement, y sont encore. Un jugement déclaratoire en l'espèce n'aurait donc pas seulement une valeur symbolique.
Par conséquent, il sera rendu un jugement déclarant que l'incarcération de tous les deman- deurs en cause, sauf Baker, à l'Unité spéciale de correction du pénitencier de la C.-B. constituait une peine ou traitement cruel et inusité contraire à l'article 2b) de la Déclaration canadienne des droits. Dans leur demande de redressement (para- graphe g)), les demandeurs réclamaient également une ordonnance visant à «enjoindre aux défendeurs de se conformer aux décisions de cette cour.» Toutefois, l'avocat des demandeurs n'a cité aucune jurisprudence à l'appui de cette demande. En me fondant sur les faits en cause et la jurisprudence, je suis convaincu que les demandeurs n'ont pas droit au redressement recherché 12.
Puisque le jugement en l'espèce est partagé, je n'accorde aucun dépens.
12 Voir à titre d'exemple: DeSmith, 2^ édition, Judicial Review of Administrative Action, pages 562 et 563.
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