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A-159-74
La Reine (Appelante) (Demanderesse) c.
Creative Graphic Services et Craft Graphic Ser vices Ltd. (Intimées) (Défenderesses)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 14 novembre 1975; Ottawa, le 21 novembre 1975.
Taxe de vente—Le Ministre a adressé à l'intimée «Craft» une sommation lui enjoignant de verser à la Couronne des montants par ailleurs payables à l'intimée «Creative»—Craft n'a pas obtempéré—La Division de première instance accorde à l'appelante la somme de $1715—Appel—La sommation est-elle valide?—Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13, art. 52(6),(7),(8).
Soupçonnant que l'intimée Craft était endettée ou sur le point de le devenir envers l'intimée Creative ou envers Kristen - sen, un associé de la Creative, le ministre du Revenu national a adressé une sommation à la Craft, lui enjoignant de verser au Receveur général des montants par ailleurs payables à la Creative ou à Kristensen. L'intimée Craft n'a pas obtempéré. La Division de première instance a déclaré que la société Creative devait payer à l'appelante la somme de $1715 mais l'action contre Craft a été rejetée et c'est de cette partie du jugement qu'on a interjeté appel. L'appelante allègue que la Cour a erré en ne décidant pas que: a) les associés étaient titulaires de licence conjointement avec la firme et personnelle- ment responsables; b) la sommation du Ministre constituerait une saisie-arrêt des sommes dont Craft serait débitrice à l'ave- nir envers Kristensen; c) la sommation respectait les exigences de l'article 52(6); et d) l'appelante avait droit à un jugement déclaratoire portant que Kristensen était un associé de la Creative.
Arrêt: l'appel est rejeté, il suffit que les moyens d'appel b) et c) soient rejetés. Tant que Kristensen est employé de la Craft, celle-ci serait redevable envers lui, à la fin de chaque période de paye, du salaire de cette semaine. A chaque paiement, la Craft ne serait plus redevable. Admettant que Kristensen était un titulaire de licence en tant qu'associé, la sommation était exécutoire jusqu'à concurrence seulement de toute somme due à la fin de la période de paye immédiatement postérieure à la réception de la lettre et non subséquemment parce que la Craft n'était pas «sur le point d'être endettée»; sa dette était éteinte. Il faut remplir strictement certaines conditions préalables de la Loi. Le tiers a le droit de savoir exactement envers qui il est censé être débiteur ou sur le point de le devenir et le montant exact. Si l'on peut penser que la sommation requiert de payer des fonds au-delà de ce qui revient au Ministre, celui-ci a excédé le droit qui lui a été conféré par la Loi. La sommation ne peut prétendre aller au-delà de ce que permet le droit spécial conféré au Ministre. Le paragraphe (6) dit implicitement que la dette doit être imminente. Un passage de la lettre donne l'impression que la dette est beaucoup plus étendue qu'une dette dont l'existence est imminente, et pourrait s'étendre à une dette susceptible de prendre naissance à l'avenir à une date indéterminée. C'était bien l'impression que l'on voulait créer,
c'est-à-dire que le Ministre avait un droit plus étendu que celui effectivement accordé par le législateur. Cela suffit à invalider la sommation.
APPEL. AVOCATS:
H. Erlichman et E. Bowie pour l'appelante. Personne n'a représenté les intimées.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Lang, Michener, Cranston, Farquharson & Wright, Toronto, pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel du jugement de la Division de première instance' déclarant que l'intimée Creative Graphic Services (ci-après appe- lée «Creative») était tenue de payer à l'appelante la somme de $1,715 ainsi que ses frais taxés. L'action de l'appelante contre l'intimée Craft Graphic Ser vices Ltd. (ci-après appelée «Craft» ou «la Compa- gnie») avait été rejetée avec dépens et c'est de cette partie du jugement qu'on a interjeté appel.
Voici, très brièvement, l'essentiel des faits révé- lés dans l'exposé conjoint des faits. La Creative Graphic Services, société composée de Carl Hans Kristensen et de Robert Bruce Douglas, et s'occu- pant d'imprimerie, s'est vue octroyer le 26 juillet 1967, au nom de la société, une licence en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1952, c. 100, actuellement S.R.C. 1970, c. E-13. La société ayant omis de payer à Sa Majesté la Reine les taxes de vente afférentes à la période du l er juin 1967 au 30 avril 1969, chacun des associés a été poursuivi et condamné individuellement à payer des amendes, dont une partie, dans chaque cas, était égale au montant de la taxe qui aurait être payée.
Vers le 17 août 1971, le ministère du Revenu national a adressé une sommation, conformément à l'article 52(6) (l'ancien article 50(6)) de la Loi, à l'intimée Craft Graphic Services Ltd., dont Kris-
[1974] 2 C.F. 75.
tensen était alors l'employé; en voici le texte:
[TRADUCTION]
MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL
DOUANES ET ACCISE
OBJET: SOMMATION DE PAYER LES TAXES D'ACCISE MODIFIANT LA PRÉCÉDENTE SOMMATION EN DATE DU 4 AOÛT 1971 Recommandée
Craft Graphic Services Ltd., Réponse à: C. MacDonald
570 Coronation Drive
West Hill, Ontario le 17 août 1971 Il semble que vous êtes endettée ou que vous soyez sur le point de le devenir envers la Creative Graphic Services, et/ou de Carl Kristensen, 36 Dunsany Crescent, Weston (Ontario).
ci-dessous appelé titulaire de licence.
Vous êtes tenue par les présentes de verser au Receveur général du Canada un montant suffisant pour libérer le titulaire de licence de l'obligation, telle qu'indiquée ci-après, ou le montant dont vous êtes endettée ou pouvez le devenir, suivant le montant le moins élevé.
L'obligation du titulaire de licence est la suivante: $4,210.51
pour la taxe de vente fédérale et l'intérêt accumulé à titre
d'amende. (Le Ministère estime satisfaisant un paiement au
rythme de $50 par semaine pris sur le salaire, le revenu ou
autres sommes perçues.)
Les paiements peuvent être versés auprès du
Chef régional,
Taxe d'accise,
C.P. 460, Succ. «Q»,
Toronto 290 (Ontario) qui vous délivrera des récépissés.
Si vous acquittez une obligation envers un titulaire de licence après réception des présentes, vous devenez personnellement responsable jusqu'à concurrence de l'obligation quittancée ou du montant réclamé ici, suivant le montant le moins élevé. Cette demande est présentée en conformité de l'article 50, paragraphes (6),(7) et (8) de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1952, chapitre 100 tel que modifié. (Texte ci-joint)
Salutations
Le Chef régional, Taxe d'accise
A la date de l'exposé conjoint des faits, la compagnie intimée n'avait pas obtempéré à la sommation et, également à cette date, le montant par la Creative Graphic Services, la société, était de $1,715, représentant le solde de la somme due au titre des amendes et intérêts. C'est le montant pour lequel l'appelante avait obtenu juge- ment contre la société. L'appelante interjette appel du jugement parce que, d'après elle, le savant juge de première instance a commis une erreur
a) en ne décidant pas que les associés indivi- duellement étaient titulaires de licence conjointe- ment avec la firme et donc personnellement res- ponsables du paiement de la dette de la Creative afférente à la taxe de vente,
b) en ne décidant pas que la sommation du Ministre constituerait saisie-arrêt des sommes dont Craft serait débitrice à l'avenir envers Kristensen;
c) en ne décidant pas que la sommation respec- tait suffisamment les exigences de l'article 52(6) de la Loi, et
d) en ne décidant pas que l'appelante avait droit à un jugement déclaratoire portant que Carl Hans Kristensen était un associé de la Creative.
L'avocat de l'appelante a reconnu que si l'un des moyens a), b) ou c) était rejeté, il n'aurait pas gain de cause. Il m'est inutile d'exprimer une opinion sur la validité des moyens a) ou d) de l'appelante, puisque j'estime que les deux autres moyens d'ap- pel doivent être rejetés.
L'appelante a soutenu que les paragraphes (6),(7) et (8) de l'article 52 constituent un système complet, en ce qui concerne les moyens dont dis pose le ministre du Revenu national pour le recou- vrement de la taxe de vente. Ces paragraphes sont ainsi libellés:
52. (6) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une per- sonne est endettée ou sur le point de le devenir envers un titulaire de licence, il peut, par lettre recommandée, exiger de cette personne que les fonds autrement payables au titulaire de licence soient en totalité ou en partie versés au receveur général à compte de l'obligation du titulaire de licence en vertu des dispositions de la présente loi.
(7) Le récépissé du Ministre, à ce sujet, constitue une quit- tance valable et suffisante de l'obligation, de cette personne envers le titulaire de licence jusqu'à concurrence du montant mentionné dans le récépissé.
(8) Tout individu qui acquitte une obligation envers un titulaire de licence après avoir reçu la lettre recommandée mentionnée est personnellement responsable envers le receveur général jusqu'à concurrence de l'obligation quittancée entre lui et le titulaire de licence ou jusqu'à concurrence de l'obligation du titulaire de licence pour impôt et amendes, suivant le montant le moins élevé.
On verra que les conditions suivantes doivent être remplies avant que le Ministre puisse faire la sommation prévue au paragraphe (6):
a) il doit savoir qu'une personne est endettée envers un titulaire de licence, ou
b) il doit soupçonner qu'une personne est endet- tée envers un titulaire de licence, ou
c) il doit savoir qu'une personne est sur le point de devenir endettée envers un titulaire de licence, ou
d) il doit soupçonner qu'une personne est sur le point de devenir endettée envers un titulaire de licence.
Si l'une de ces conditions est remplie, il peut exiger de la personne en question de verser au receveur général l'intégralité ou une partie des fonds autrement payables au titulaire de licence. Si la personne à qui la sommation est faite effectue le paiement, le paragraphe (7) le protège contre toute réclamation faite contre lui par le titulaire de la licence. Si la personne, ayant reçu une somma- tion valable, néglige de faire le paiement exigé, elle devient personnellement responsable, comme prévu au paragraphe (8).
Il est admis que, pendant toute la période qui nous intéresse, Kristensen était employé par la Craft à un salaire supérieur à $50 par semaine. Tant que Kristensen était employé de la Craft, celle-ci serait redevable envers lui, à la fin de chaque période de paye, soit la fin de chaque semaine, du salaire de cette semaine. A chaque paiement, la Craft ne serait plus redevable.
Pour cette raison et en admettant, sans trancher ce point, que Kristensen était un titulaire de licence en tant qu'associé de la Creative Graphic Services, la sommation du 17 août 1971 avait pour effet d'obliger la Craft à verser des fonds au receveur général du Canada jusqu'à concurrence seulement de toute somme due à la fin de la période de paye immédiatement postérieure à la réception de la lettre par Craft. Elle ne pouvait avoir d'effet en ce qui concerne les dettes nées en faveur de Kristensen pour les services fournis à la Craft pour les périodes de paye subséquentes, parce que la Craft, après avoir une première fois obtempéré à la sommation, n'était pas «sur le point d'être endettée» envers Kristensen. A ce moment sa dette envers lui était éteinte.
De même, dans l'hypothèse Kristensen était un titulaire de licence, la sommation, à mon avis, ne respectait pas les exigences de la Loi. Le légis- lateur a accordé au Ministre un droit assez excep- tionnel, celui de prendre des mesures pour recou- vrer une dette alléguée avant d'avoir obtenu un jugement d'un tribunal. Le Ministre est autorisé à agir de la sorte si certaines conditions préalables sont remplies. Il me semble que ce droit a pour corollaire l'obligation de remplir strictement les
conditions préalables. Le tiers à qui la sommation demande de payer au receveur général du Canada les fonds qu'il doit à quelqu'un d'autre, a le droit de savoir exactement envers qui il est censé être débiteur ou sur le point de le devenir, et le montant exact dont il est censé être débiteur ou sur le point de le devenir. Donc, si dans la sommation on peut penser que le Ministre le requiert. de payer des fonds au-delà de ce qui revient au Ministre, celui-ci a excédé le droit qui lui a été conféré par la Loi et la sommation demeure sans effet. En résumé, la sommation ne peut, ni en la forme ni au fond, prétendre aller au-delà de ce que permet le droit spécial conféré au Ministre.
En l'espèce, il est possible que la sommation ait été discutable en la forme pour plusieurs raisons, dont l'une est, à mon avis, péremptoire, ce qui me dispense d'examiner les autres. Aux termes du paragraphe (6), une sommation peut être faite si le Ministre soupçonne qu'une personne est sur le point de devenir endettée envers un titulaire de licence. Il s'ensuit clairement que la dette est, suivant l'expression du savant juge de première instance «imminente». Cependant, la sommation contient le passage suivant: [TRADUCTION] «Vous êtes tenue ... de verser au Receveur général du Canada ... le montant dont vous êtes endettée ou pouvez le devenir ...». A mon avis, ce dernier membre de phrase pourrait donner au lecteur l'im- pression que la dette dont on veut garantir le paiement est beaucoup plus étendue qu'une obliga tion consistant uniquement en une dette dont l'existence est imminente, et pourrait bien s'éten- dre à une dette susceptible de prendre naissance à l'avenir à une date indéterminée. C'était bien l'im- pression que l'on voulait créer, comme en témoigne le passage suivant de la lettre précisant: «Si vous acquittez une obligation envers un titulaire de licence après réception des présentes, vous devenez personnellement responsable jusqu'à concurrence de l'obligation quittancée ou du montant réclamé ici, suivant le montant le moins élevé.» Il résulte de ces deux phrases, prises corrélativement, que l'on voulait faire croire au lecteur que le Ministre avait un droit beaucoup plus étendu que celui effective- ment accordé par le législateur; cela suffit à invali- der la sommation.
L'avocat de l'appelante a soutenu qu'après réception de la lettre recommandée de sommation prévue au paragraphe (6), le fait d'«acquitter une obligation» (y compris les paiements de salaire faits à Kristensen à titre d'employé) par quiconque (en l'espèce Craft) rendrait Craft personnellement responsable conformément au paragraphe (8). On peut répondre brièvement à cet argument en disant que si la sommation est nulle aux fins du paragra- phe (6), elle doit l'être aussi aux fins du paragra- phe (8), puisque le paragraphe (8) se réfère à la sommation prévue au paragraphe (6). Comme je l'ai déjà constaté, la lettre de sommation envoyée dans cette affaire est nulle et on ne peut lui donner vie en interprétant le paragraphe (8) de la façon proposée.
Je rejette donc l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
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