Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1197-71
La Reine aux droits du Canada (Demanderesse) c.
Phoenix Assurance Company Limited (Défende- resse)
Division de première instance, le juge Decary— Montréal, le 6 avril 1976; Ottawa, le 14 avril 1976.
Couronne—Contrats—Cautionnement de soumission— Demande de commencer les travaux avant la signature d'un contrat formel et l'émission d'un cautionnement d'exécution— La défenderesse est-elle dégagée de ses responsabilités en vertu du cautionnement de soumission?
En vertu des conditions d'un contrat de construction, conclu par la demanderesse et la Compagnie D, les exigences de la demanderesse ont trait à deux étapes différentes: (1) la pre- mière: la soumission devait être accompagnée d'une garantie, en l'espèce, un cautionnement de soumission d'un montant de 10% du prix de la soumission; (2) la deuxième: dès l'adjudica- tion du contrat, un cautionnement d'exécution d'un montant égal à 50% du coût du contrat ou un dépôt de garantie du même montant, plus un cautionnement de paiement de main- d'oeuvre et de matériaux, au montant de 50% du coût du contrat. La Compagnie D s'est conformée à l'exigence de la première étape en obtenant un cautionnement de soumission émis par la compagnie défenderesse. La soumission de la Compagnie D a été acceptée et la demanderesse a demandé à cette dernière de commencer les travaux immédiatement. Les travaux ont commencé avant la conclusion d'un contrat formel écrit et l'émission au préalable d'un cautionnement d'exécution des travaux et de paiement de la main-d'oeuvre et des maté- riaux. La demanderesse intente l'action contre la défenderesse pour manquement aux obligations assumées en vertu du cau- tionnement de soumission.
Arrêt: l'action est rejetée. En vertu du cautionnement de soumission, la défenderesse s'engageait à assurer la signature du contrat et à ce que la Compagnie D fournisse un cautionne- ment d'exécution et de paiement de la main-d'œuvre et des matériaux. La demanderesse, en ordonnant de commencer les travaux avant que le contrat soit signé et que le cautionnement de paiement de la main-d'œuvre et des matériaux soit émis, dégageait la défenderesse de toute responsabilité et concluait un contrat sui juris ou innommé avec la Compagnie D, pour l'exécution des travaux. La demanderesse a ainsi mis fin à la première étape, celle de la soumission, et a entamé la seconde qui ne concerne aucunement la défenderesse.
Distinction faite avec l'arrêt: La Reine c. Fidelity Insur ance Co. of Canada [1970] R.C.É. 626.
ACTION. AVOCATS:
G. Côté, c.r., pour la demanderesse. A. Laurin pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Tansey, Lavery, Johnston, O'Donnell, Clark & Carrière, Montréal, pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DECARY: Le point en litige consiste à déterminer si, à cause de la demande de la deman- deresse à la compagnie «Les Entreprises Jean R. Denoncourt Inc.», ci-après appelée «Denoncourt», de commencer la construction d'un mur de soutè- nement avant que le contrat d'exécution des tra- vaux ait été signé, la défenderesse était libérée des obligations qu'elle avait assumées en vertu d'un cautionnement de soumission ou «bid bond».
Il s'agit d'une question de droit mais d'une question de droit dont la nature sera déterminée par les faits.
Je me dois de reproduire au long la page C-2 de la soumission de construction, qui a été adjugée à Denoncourt (Cote P-1):
EXIGENCES RELATIVES A LA GARANTIE A -AVEC LA SOUMISSION
1. SOUMISSION DE MOINS DE $25,000: Aucune garantie n'accompagne la présente soumission. Nous savons que le Ministère peut exiger une garantie au moment d'adjuger le contrat, conformément aux articles B-1 et B-2 ci-dessous.
2. SOUMISSION DE $25,000 et PLUS: Nous annexons aux présentes une garantie, sous forme, SOIT:
(i) d'un cautionnement de soumission, de forme approuvée et provenant d'une compagnie dont les cautionnements sont acceptables, d'un montant d'au moins 10 p. 100 de la soumission,
OU
(ii) d'un dépôt de garantie d'un montant d'au moins 10 p. 100 de la soumission, ou, lorsque la soumission dépasse $250,000, d'un montant de $25,000 plus 5 p. 100 du montant de la soumission au-dessus de $250,000. Le mon- tant maximum du dépôt requis pour toute soumission est de $100,000. Ce dépôt doit être un chèque visé, payable au Receveur Général du Canada, et tiré sur une banque à laquelle s'applique la Loi sur les banques ou la Loi sur les banques d'épargne du Québec,
OU
(iii) des obligations du Gouvernement du Canada ou d'une compagnie comprise dans les «Chemins de fer nationaux» (selon la définition de cette expression que donne la Loi sur la revision du capital des chemins de fer nationaux du Canada), garanties inconditionnellement, capital et inté- rêt, par le Gouvernement du Canada, si ces obligations sont
(a) payables au porteur,
(b) déposées en nantissement auprès du ministre des Finances et du Receveur Général du Canada en confor- mité des Règlements sur les obligations intérieures du Canada, ou
(c) enregistrées au nom du ministre des Finances et du Receveur Général du Canada.
Le dépôt de garantie, indiqué à (ii) et (iii), sera confisqué si nous refusons de passer un contrat lorsqu'on nous demandera de le faire, mais le Ministre peut, si c'est dans l'intérêt public, renoncer au droit de Sa Majesté de confis- quer le dépôt de garantie.
Nous comprenons que si la garantie n'est pas donnée de la façon prescrite, telle que décrite ci-dessus, la soumission est susceptible d'être rejetée.
B—LORS DE L'ADJUDICATION DU CONTRAT
1. Dès réception de l'avis de l'acceptation de notre soumis- sion, nous fournirons:
(i) un cautionnement d'exécution à un montant de 50% du montant payable en vertu du contrat, ou un dépôt de garantie tel que décrit à A-2(ii) ou à A-2(iii) ci-dessus,
ET
(ii) un cautionnement de paiement de main-d'oeuvre et de matériaux au montant de 50% du montant payable en vertu du contrat, ou un dépôt de garantie supplémentaire au montant de 10% du montant payable en vertu du contrat.
Page C-2 Formule de soumission.
Les exigences de la demanderesse ont trait à deux stades différents. Le premier stade, c.à.d. la soumission, qui doit être accompagnée d'une garantie et, dans le cas présent il s'est agi d'un cautionnement de soumission d'un montant de 10% du prix de la soumission. Ce cautionnement de soumission n'a trait qu'à la soumission et n'a rien à voir quant à l'exécution des travaux.
Le deuxième stade commence à l'adjudication du contrat et exige un cautionnement d'exécution d'un montant égal à 50% du coût du contrat, ou un dépôt de garantie d'un même montant et, en plus, un cautionnement de paiement de main-d'oeuvre et de matériaux, au montant de 50% du coût du contrat.
Denoncourt s'est conformé à l'exigence du pre mier stade en obtenant un cautionnement de sou- mission, émis par la compagnie défenderesse. Je crois qu'il est nécessaire de reproduire ici la partie pertinente de ce contrat intitulé «bid bond» (Cote P-2):
[TRADUCTION] PAR CONSÉQUENT, l'obligation sera éteinte si le débiteur principal fait accepter ladite soumission dans un délai de soixante jours de la date limite de l'appel d'offres et s'il signe un contrat avec l'obligataire et fournit un cautionnement
d'exécution et un cautionnement de paiement de main-d'oeuvre et de matériaux, chacun se chiffrant à 50% du montant payable en vertu du contrat, que l'obligataire jugera satisfaisants, ou s'il fournit une autre garantie; à défaut d'observation de ces condi tions, l'obligation restera en vigueur.
Ce paragraphe établit clairement, à mon avis, que l'obligation assumée par la défenderesse sera éteinte si la soumission de Denoncourt est acceptée dans un délai d8 60 jours de la date limite de l'appel d'offres et si Denoncourt a signé un contrat avec le Ministère des travaux publics et fourni un cautionnement d'exécution et de paiement de main-d'oeuvre et de matériaux. Par contre, s'il n'y a pas de contrat passé entre Denoncourt et la demanderesse, et s'il n'y a pas de cautionnement d'exécution et de cautionnement de paiement de la main-d'oeuvre et de matériaux, alors l'obligation assumée par la défenderesse demeure en vigueur.
Le 5 septembre 1969, soit 15 jours après le cautionnement de soumission, Denoncourt a été informé par télex que sa soumission était acceptée par le Ministère des travaux publics (Cote D-1):
CPCN TEL MTL TB
DPW REGNL MTL
MONTREAL PQ 5 SEPTEMBRE 1969
LES ENTREPRISES JEAN R DENONCOURT INC
79 RUE DU PRINCE
SOREL PQ
NOUS ACCEPTONS VOTRE SOUMISSION AU MONTANT 178,- 751.50 POUR MUR DE PROTECTION VERCHÈRES PQ COMMEN- CEZ TRAVAUX IMMÉDIATEMENT CONFIRMATION ÉCRITE SUIVRA
P PARÉ
CHEF DES SERVICES FINANCIER ET ADMINISTRATIF MINISTÈRE TRAVAUX PUBLICS
2085 AVE UNION MONTRÉAL 111 PQ CPCN TEL MTL TB DPW REGNL MTL
Cette communication du 5 septembre 1969 fut suivie d'une lettre de la même date, de M. Paul Paré, chef des services financier et administratif du Ministère des travaux publics, et qui se lit comme suit (Cote P-3):
c.c.: Gérant, Génie -Const. (District de Montréal)
2085 av. Union, Montréal 111, P.Q.
Les Entreprises Jean-R. Denoncourt Inc.
79 rue du Prince 2167-575-T Sorel, P.Q.
Le 5 septembre 1969
SUJET: Verchères, P.Q.—Construction d'un mur de
protection
Messieurs,
La présente servira à confirmer notre télégramme du 5 septem-
bre 1969 acceptant votre soumission au montant de $178,- 751.50 pour les travaux précités. Cette acceptation est sujette à toutes les conditions stipulées dans votre soumission.
Veuillez donc faire commencer le travail immédiatement et le faire exécuter de manière d'assurer son achèvement d'ici trois (3) mois à compter d'aujourd'hui, comme il est stipulé dans votre soumission. Vu que le temps est de l'essence du contrat, une des conditions de votre contrat est que toutes dépenses occasionnées à la Couronne par votre manquement à livrer l'ouvrage à temps vous seront imputées si le retard n'est pas causé par le Ministère.
L'exécution de ce contrat relèvera directement de M. G. K. Aubut Directeur de District, Ministère des Travaux Publics, 1631 rue Delorimier, Montréal 133, P.Q., et c'est à lui qu'il faudra vous adresser pour toutes demandes de renseignements. Veuillez vous assurer que la police d'assurance, en conformité des conditions générales, soit transmise à notre bureau, le plus tôt possible. Le montant de la police «tous risques» requise est de $178,751.50.
Avant que le contrat formel puisse être signé par le Ministère, vous devrez faire parvenir à notre bureau la garantie appropriée mentionnée dans les documents de soumission, soit:
i) un cautionnement d'exécution au montant de 50% du montant payable en vertu du contrat ou un dépôt de garantie tel que décrit à A-2(ii) ou à A-2(iii) des documents de soumission
ET
ii) un cautionnement de paiement de main-d'oeuvre et de matériaux au montant de 50% du montant payable en vertu du contrat ou un dépôt de garantie supplémentaire au montant de 10% du montant payable en vertu du contrat.
Aux termes du contrat, le Ministère n'effectuera aucun paie- ment avant d'avoir reçu les garanties appropriées et la police d'assurance.
Votre tout dévoué
ORIGINAL SIGNED BY PAUL PARE
Paul Paré
Chef du Service de l'adminis-
tration Financière
c.c.: Directeur de District (Montréal)
Agent des Opérations (Québec)
Ottawa, Ontario
Gérant, Génie -Const. (District de Montréal)
Bureau des Soumissions (District de Montréal)
Finance, Région
Agent des services régionaux (Montréal)
A. Michaud (Région)
L'on remarque dans cette lettre, une fois de plus, que l'on ordonne de commencer les travaux immédiatement pour qu'ils soient terminés dans les trois mois à compter de la date de la lettre, soit à compter du 5 septembre 1969. A la page 2 de ladite lettre, l'on remarque une référence au con- trat qui doit être signé et l'on désigne ce contrat comme étant un «contrat formel». Un contrat
formel implique qu'il existe déjà une entente entre les parties et du fait un contrat.
M. Paré réfère à nouveau aux exigences du Ministère avant la signature du contrat formel, lesquelles exigences, je l'ai noté plus haut, appa- raissent dans la soumission.
A mon avis, je ne puis ignorer qu'il y a eu un contrat entre les parties dès l'envoi de la communi cation télex du 5 septembre 1969, ordonnant à Denoncourt de commencer les travaux et ce fait est confirmé par la lettre datée le même jour, par M. Paré, bien qu'il y ait dans cette lettre une référence au contrat de cautionnement d'exécution des travaux, de paiement de la main-d'oeuvre et des matériaux. Je crois qu'il est nécessaire d'étu- dier la portée de ces faits vis-à-vis la défenderesse, qui s'est engagée à ce qu'un contrat soit signé, ensuite à ce que Denoncourt voit à ce qu'un con- trat de cautionnement d'exécution des travaux soit émis, de même que de cautionnement de paiement de main-d'oeuvre et des matériaux.
Est-ce que la défenderesse était dégagée de ses responsabilités vis-à-vis Denoncourt par le fait que la demanderesse exigeait le début d'exécution des travaux sans contrat écrit, sans cautionnement d'exécution, sans cautionnement de paiement de main-d'oeuvre et de matériaux, fournis au préalable?
A mon avis, la défenderesse s'engageait seule- ment à ce que Denoncourt signe un contrat et fournisse un cautionnement d'exécution des tra- vaux et de paiement de la main-d'oeuvre et des matériaux. Les obligations de la défenderesse ne dépassaient pas le stade préliminaire à savoir, celui de la soumission et la signature du contrat, et l'obtention des cautionnements de la part de son client Denoncourt.
La demanderesse, en ordonnant de commencer les travaux avant que le contrat soit signé et que le cautionnement de paiement de la main-d'oeuvre et des matériaux soit émis, dégageait la responsabi- lité de la défenderesse parce que la demanderesse mettait fin au premier stade, celui de la soumis- sion, en passant au deuxième stade la défende- resse n'était pas engagée de quelque façon que ce soit.
Par ces faits et gestes, la demanderesse déga- geait la responsabilité de la défenderesse et con- sentait à un contrat sui juris ou innommé, pour l'exécution des travaux. La responsabilité de la défenderesse quant au stade de soumission était dégagée parce que la demanderesse n'avait con tracté avec Denoncourt que quant au premier stade, à savoir celui de la soumission et celui de la formalisation des contrats d'exécution et de cau- tionnement avant le début des travaux de construc tion, même si la responsabilité de Denoncourt quant aux exigences prévues ne l'était pas.
L'on a fait grand état devant moi d'une affaire décidée par le juge Dumoulin, à savoir La Reine c. Fidelity Insurance Co. of Canada'. Le savant procureur de la demanderesse a même jusqu'à un certain point impliqué que cette décision consti- tuait un stare decisis. Il ne peut s'agir, entre juges d'un même banc, d'un stare decisis. Il peut être question de collégialité en autant que les faits soient identiques ou, du moins, aient une ressem- blance telle que l'on ne peut ignorer la décision.
Dans cette affaire qu'a eu à décider le juge Dumoulin, il ne s'agit pas du tout d'un cautionne- ment de soumission ou «bid bond», mais d'un cautionnement d'exécution ce qui, au départ, est complètement différent. Dans cette affaire décidée par le juge Dumoulin, il s'agissait du deuxième stade, à savoir l'exécution des travaux tandis qu'ici, il s'agit du premier stade, soit celui avant l'exécution des travaux. Or, à mon avis, la deman- deresse, en demandant l'exécution des travaux avant que les formalités soient remplies, renonçait vis-à-vis la défenderesse, aux droits qu'elle avait auparavant, vu que ces droits s'éteignaient avec le début des travaux.
Les faits dans l'affaire de La Reine c. Fidelity Insurance Co. of Canada (supra) sont bien diffé- rents des faits de la présente affaire en ce sens qu'il s'agit d'un contrat de cautionnement d'exécution qui demeurait en vigueur pour la compagnie ayant donné le cautionnement aussi longtemps que le contrat d'exécution n'était pas terminé, tandis que dans l'affaire présente, le contrat de cautionne- ment de soumission prend fin, à mon avis, lors- qu'un contrat innommé ou sui juris prend nais- sance par le commencement des travaux de construction.
[1970] R.C.É. 626.
A mon avis, une fois l'ordre donné d'exécuter les travaux avant la signature du contrat d'exécution, il n'y avait plus de lien de droit entre la demande- resse et la défenderesse parce que ce lien n'existait que pour la durée du premier stade qui se termi- nait au commencement des travaux, qu'un contrat soit signé ou non.
La demanderesse est déboutée de son action avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.