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T-3235-75
Les Travailleurs en communication du Canada (Requérants)
c.
Bell Canada (Employeur)
et
L'Association canadienne des employés de télé- phone (Intervenante)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, le 29 septembre; Ottawa, le 6 octobre 1975.
Compétence—Relations du travail—Requête visant à faire surseoir à l'exécution de l'ordonnance en attendant le jugement final—Le Conseil canadien des relations du travail ordonne à l'employeur de cesser d'interdire le prosélytisme syndical— L'employeur prétend que le Conseil viole la règle audi alteram partem—La Cour a-t-elle compétence?—Loi sur la Cour fédérale, art. 28 et 122 et règle 1909—Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, mod. S.C. 1972, c. 18, art. 119, 122 et 123.
L'employeur, Bell Canada, demande une ordonnance enjoi- gnant de surseoir à l'exécution de l'ordonnance du Conseil - canadien des relations du travail, qui prescrit à l'employeur de cesser d'interdire aux employés d'en inviter d'autres à adhérer à un syndicat dans leur temps libre jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale ait rendu son jugement final au sujet de la demande de l'employeur présentée en vertu de l'article 28. Le syndicat prétend que l'employeur a informé les employés qu'il est interdit en tout temps de chercher à recruter des membres dans les locaux de la compagnie. Le syndicat a déposé une plainte auprès du Conseil, d'où l'ordonnance susmentionné. L'employeur nie avoir contrevenu aux dispositions du Code canadien du travail et affirme que le Conseil a violé la règle audi alteram partem; le syndicat affirme avoir besoin de la protection qu'offre l'ordonnance et prétend qu'on causera un préjudice à son droit de lancer sa campagne si l'effet de l'ordonnance ne peut s'exercer tant que la demande présentée en vertu de l'article 28 ne sera pas tranchée. En raison des dispositions de l'article 29(1)a) du Règlement du Conseil cana- dien des relations du travail, des délais additionnels feraient perdre au syndicat la preuve des demandes d'adhésion déjà signées.
Arrêt: la requête est rejetée. La Cour a compétence pour accorder une suspension en vertu de la Règle 1909. Cependant on ne doit recourir à la suspension que modérément et seule- ment lorsque aucun doute n'existe quant à son opportunité; il faut être très prudent. Il appartient aux requérants d'établir qu'il existe plus qu'un simple équilibre entre les avantages et les inconvénients. Il est difficile de voir comment l'exécution de l'ordonnance serait injuste, abusive ou vexatoire envers l'em- ployeur, mais la suspension pourrait être préjudiciable et même fatale à l'égard du syndicat.
Arrêts appliqués: Sanders c. La Reine [1970] R.C.S. 109; CJTR Radio Trois-Rivières Limitée c. Le Conseil cana-
dien des relations du travail (non publié, T-965-75); Wardair Canada Limited c. La Commission canadienne des transports [1973] C.F. 597 et Weight Watchers Inter national Inc. c. Weight Watchers of Ontario Ltd. (1972) 25 D.L.R. (3') 419. Arrêt suivi: Central Broadcasting Company Limited c. Le Conseil canadien des relations du travail (non publié, T-803-75). Arrêts analysés: Empire - Universal Films Limited c. Rank [1947] O.R. 775; Battle Creek Toasted Corn Flake Co. Ltd. c. The Kellogg Toast ed Corn Flake Co. (1923-24) 55 O.L.R. 127 et Talsky c. Talsky (n° 2) (1974) 39 D.L.R. (3') 516.
REQUÊTE. AVOCATS:
A. Golden et P. Cavalluzzo pour les requérants.
B. Roy et S. Gulden pour Bell Canada. Personne pour l'intervenante.
G. Henderson, c.r., pour le Conseil canadien des relations du travail.
PROCUREURS:
Golden, Levinson, Sigurdson, Green, Sprin- gate & Cavalluzzo, Toronto, pour les requérants.
Ogilvy, Cope, Porteous, Montgomery, Renault, Clarke & Kirkpatrick, Montréal, pour Bell Canada.
Sims, Morton, McInerney, Espey & Brady, Whitby, pour l'intervenante.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le Con- seil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DUBS: Il s'agit d'une requête présentée au nom de Bell Canada, ci-après appelée «l'em- ployeur», visant à obtenir une ordonnance de la Division de première instance de la Cour fédérale enjoignant de surseoir à l'exécution de l'ordon- nance du Conseil canadien des relations du travail, en date du 22 août 1975, jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale ait rendu son jugement final au sujet de la demande de l'employeur présentée en vertu de l'article 28 contre ladite ordonnance. L'ordonnance du Conseil se lit comme suit:
N' du dossier du Conseil: 745-86
CONCERNANT LE
Code canadien du travail
et
les Travailleurs en communication du Canada,
plaignant,
et
Bell Canada,
Montréal, Québec,
répondant,
et
l'Association canadienne des employés de téléphone,
intervenante.
ATTENDU QUE le Conseil canadien des relations du travail a reçu des Travailleurs en communication du Canada une plainte, datée du 20 juin 1975, présentée en vertu du paragra- phe 187 du Code canadien du travail (Partie V—Relations industrielles), alléguant, entre autres choses, que Bell Canada ne s'est pas conformé aux dispositions des articles 184(1)a) et 184(3)e) dudit Code; et
ATTENDU QUE les parties ont fourni au Conseil, à sa demande, des preuves et des exposés concernant la politique et les directives du répondant qui interdisaient ou restreignaient les activités syndicales dans les locaux de la compagnie; et
ATTENDU QUE le Conseil a étudié la preuve produite par le répondant et les exposés oraux et écrits des parties;
EN CONSÉQUENCE, le Conseil juge que le répondant, par diverses directives, a appliqué une politique qui interdit à ses employés de participer, dans leur temps libre, à des activités syndicales licites dans les locaux de la compagnie et que cette politique et ces directives constituent une violation des disposi tions des articles 184(1)a) et 184(3)e) du Code canadien du travail (Partie V—Relations industrielles);
EN CONSÉQUENCE, le Conseil canadien des relations du tra vail, en vertu de l'article 189 du Code canadien du travail, ordonne au répondant de se conformer aux dispositions de l'article 184 du Code et de cesser d'interdire aux employés d'inviter d'autres employés à adhérer à un syndicat ou de distribuer de la documentation syndicale dans le temps libre des employés.
DE PLUS, le Conseil ordonne au répondant de transmettre copie de la présente ordonnance à toute personne à l'emploi dudit répondant qui, au su du répondant, a reçu copie des directives sur les activités syndicales qui ont été émises par M. L. C. Godden le 5 juin 1975 et par M. J. Jacobs le 11 juin 1975.
DONNE à Ottawa, le 22' jour d'août 1975, par le Conseil canadien des relations du travail.
La vice-présidente Hélène LeBel
L'employeur nie avoir contrevenu aux disposi tions du Code canadien du travail et affirme que le Conseil a violé la règle fondamentale audi alteram partem en ne lui permettant pas de pro- duire intégralement la preuve dont il dispose, et
qu'en outre il serait contraire aux principes de la justice naturelle de le forcer à se soumettre à une telle décision lorsque la question est pendante.
Les Travailleurs en communication du Canada ci-après appelés «le syndicat», prétendent que des surveillants de l'employeur ont informé les employés concernés par la campagne de réorgani- sation du syndicat qu'il était formellement interdit, même en dehors des heures de travail, de chercher à recruter des membres pour le syndicat ainsi que de distribuer des brochures syndicales dans les locaux de la compagnie. Le 20 juin 1975, le syndi- cat a déposé une plainte auprès du Conseil confor- mément à l'article 187 du Code canadien du tra vail, d'où l'ordonnance susmentionnée. De son propre aveu, l'employeur ne s'étant pas conformé à ladite ordonnance, le syndicat, à l'expiration du délai d'attente obligatoire, a déposé à la Cour fédérale une copie du dispositif de ladite ordon- nance, qui devenait un jugement, de cette cour, conformément à l'article 123 du Code canadien du travail.
Le syndicat affirme ne pouvoir mener sa campa- gne de recrutement sans la protection qu'offre l'ordonnance. Il prétend qu'on causera un préju- dice irrévocable à son droit de lancer sa campagne de recrutement à une période cruciale si l'effet réparateur de l'ordonnance du Conseil ne peut s'exercer tant que la demande présentée à la Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28 ne sera pas tranchée, c'est-à-dire probablement pas avant quelques semaines. En vertu du Code, le syndicat peut faire une demande d'accréditation d'employés appartenant à certaines unités de négociation n'im- portant quand après le Zef septembre 1975 et jus- qu'à la signature d'une nouvelle convention collec tive. En raison des dispositions de l'article 29(1)a) du Règlement, des délais additionnels feraient perdre au syndicat la preuve des demandes d'adhé- sion déjà signées.
Il n'appartient pas à cette cour de juger si la décision du Conseil doit ou non être examinée en raison d'un manquement à la justice naturelle ou parce qu'elle aurait omis d'entendre comme il se devait les témoignages de l'employeur, ou encore pour d'autres raisons. Cette question est déjà sou- mise à la Cour d'appel fédérale.
Ce qu'il faut trancher est la question de savoir si cette cour a compétence pour accorder une suspen sion des procédures d'une ordonnance du Conseil dûment déposée et devenue un jugement de cette cour et, dans l'affirmative, si une suspension des procédures est justifiée.
En vertu de l'article 122 du Code' toute ordon- nance du Conseil est définitive et ne peut être révisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Voici le texte de l'article 122:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et ne peut être mise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sous réserve du paragraphe (1), aucune ordonnance ne peut être rendue, aucun bref ne peut être décerné ni aucune procédure ne peut être engagée, par ou devant un tribunal, soit sous forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo war- ranto, soit autrement, pour mettre en question, reviser, inter- dire ou restreindre une activité exercée en vertu de la présente Partie par le Conseil.
L'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale définit la compétence de la Cour d'appel fédérale à l'égard des décisions des offices fédéraux:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
L'article 123 du Code traite du dépôt des ordon- nances du Conseil à la Cour fédérale et de la force et de l'effet que leur confère leur enregistrement:
123. (1) Lorsqu'une personne, un employeur, une associa tion patronale, un syndicat, un conseil de syndicats ou un employé a omis de se conformer à une ordonnance ou une décision du Conseil, toute personne ou association concernée par l'ordonnance ou la décision peut, passé un délai de quatorze jours à partir de la date de l'ordonnance ou de la décision ou de
S.R.C. 1970, c. L-1, mod. S.C. 1972, c. 18.
la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du dispositif de l'ordonnance ou de la décision.
(2) Dès son dépôt à la Cour fédérale du Canada effectué en vertu du paragraphe (1), une ordonnance ou une décision du Conseil doit être enregistrée à la Cour et cet enregistrement lui confère la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement émanant de cette Cour, et sous réserve de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, toutes les procédures lui faisant suite peuvent dès lors être engagées en conséquence.
On affirme que la Division de première instance n'a pas compétence parce que l'article 122 du Code énonce clairement que la décision du Conseil est définitive et ne doit pas être mise en question ni revisée par un tribunal si ce n'est conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Par conséquent, le syndicat devrait se pourvoir devant la Cour d'appel. On prétend également que l'arti- cle 119 du Code offre au syndicat la possibilité d'un autre redressement. Ledit article donne au Conseil le pouvoir de reviser et de modifier ses propres ordonnances:
119. Le Conseil peut reviser, annuler ou modifier toute décision ou ordonnance rendue par lui et peut entendre à nouveau toute demande avant de rendre une ordonnance rela tive à cette dernière.
La Règle 1909 énonce le pouvoir de la Division de première instance relativement à un jugement de ladite Cour:
Règle 1909. Une partie contre laquelle a été rendu un juge- ment ou une ordonnance peut demander à la Cour la suspen sion de l'exécution du jugement ou de l'ordonnance ou quelque autre redressement à l'encontre de ce jugement ou de cette ordonnancé, et la Cour peut, par ordonnance, accorder le redressement qu'elle estime juste, aux conditions qu'elle estime justes.
On allègue qu'il ne peut être fait appel au pouvoir accordé par la Règle 1909 vu l'aspect négatif de l'article 122 du Code et on prétend de plus que la seule raison de l'enregistrement à la Cour fédérale des ordonnances du Conseil est de lui donner la force et les moyens coercitifs qui lui font défaut.
Les circonstances de l'affaire Sanders c. La Reine 2 la faisaient tomber sous le coup de l'article 682b) du Code criminel qui empêche d'écarter l'ordonnance du magistrat par voie de certiorari. On a jugé que l'article a pour but d'empêcher la coexistence de deux redressements. Le juge Mart
2 [1970] R.C.S. 109.
land a dit à la page 141:
A mon avis, on a voulu que l'article s'applique, et il s'appli- que de fait à cause de ses termes, aux cas où, s'il n'existait pas, la compétence du tribunal pourrait être contestée par voie de certiorari. Si le prévenu a comparu devant un tribunal infé- rieur, s'il a enregistré un plaidoyer, si le tribunal a ensuite jugé au fond l'affaire mise en cause par le plaidoyer, et que le prévenu veuille faire renverser le jugement du tribunal, il doit, si la loi lui donne le droit d'en appeler, tenter de faire réformer le jugement par voie d'appel seulement. L'article vise, il s'applique, à empêcher la coexistence de deux recours et à limiter le pourvoi à la procédure d'appel lorsque l'appel est permis.
Dans une récente cause, CJTR Radio Trois- Rivières Limitée c. Le Conseil canadien des rela tions du travail', l'avocat du Conseil, se fondant sur le jugement rendu dans l'affaire Sanders, pré- citée, a soulevé une objection suivant laquelle l'ar- ticle 122 du Code canadien du travail annule le pouvoir d'émettre une injonction conférée à la Division de première instance en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Mon collègue le juge Addy n'a pas jugé à propos d'exprimer une opinion sur cette objection puisqu'il a rejeté la demande,pour d'autres motifs.
Une autre décision récente rendue par la Cour fédérale se rapproche beaucoup plus de l'affaire en cause. Dans l'affaire Central Broadcasting Com pany Limited c. Le Conseil canadien des relations du travail 4 , le juge en chef Jackett, siégeant de droit en qualité de juge de la Division de première instance, a suspendu l'exécution d'une ordonnance du Conseil qu'il «considérait comme étant un juge- ment de cette cour en vertu de l'article 123 du Code canadien du travail». Il est vrai que les avocats des parties avaient consenti à ce que le rejet de la demande par l'un des juges de la Cour d'appel fédérale, siégeant de droit en Division de première instance soit fondé sur l'argumentation présentée en Cour d'appel, mais le juge en chef n'avait pas besoin de leur consentement pour juger que «la Règle 1909 définit la compétence de la Division de première instance relativement à un jugement prononcé par cette cour.»
3 N. du greffe: T-965-75. , 4 N. du greffe: T-803-75.
Par conséquent, je suis d'avis que cette cour peut suspendre l'exécution de l'ordonnance du Conseil. Il reste à trancher si, dans les circonstances, la suspension est justifiée.
La Cour n'est pas obligée d'accorder automati- quement une suspension des procédures; elle peut exercer à ce sujet son pouvoir discrétionnaire. On ne doit recourir à la suspension que modérément et seulement lorsque aucun doute n'existe quant à son opportunité.
La jurisprudence a établi sur ce sujet d'utiles principes directeurs, comme ceux énoncés dans l'arrêt Empire -Universal Films Limited c. Rank', principes qu'a adoptés mon collègue le juge Heald de la Cour fédérale dans l'affaire Weight Watchers International Inc. c. Weight Watchers of Ontario Ltd. 6 :
[TRADUCTION] (1) Le simple équilibre entre les avantages et les inconvénients n'est pas un motif suffisant pour priver une demanderesse des avantages que lui procureraient la poursuite de son action si elle est par ailleurs introduite à bon escient. Le droit d'ester en justice ne doit pas être refusé à la légère. (2) Il faut remplir deux conditions pour justifier une suspension d'instance, l'une positive et l'autre négative: a) le défendeur doit convaincre la Cour que la poursuite l'action entraînerait une injustice car elle serait pour lui abusive ou vexatoire, ou constituerait par ailleurs un abus des procédures judiciaires; b) la suspension de l'instance ne doit pas causer d'injustice à la demanderesse. Dans les deux cas, le fardeau de la preuve incombe au défendeur.
Dans l'affaire Battle Creek Toasted Corn Flake Co. Ltd. c. The Kellogg Toasted Corn Flake Co.',
on a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance suspendant les procédures. Le juge Middleton a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] On devrait toujours surseoir à l'exécution du jugement lorsque d'une part, la suspension causera peu de préjudice à l'intimé, ce préjudice pouvant être compensé par le remboursement des dommages réels dont on peut calculer le montant aisément et avec une assez grande exactitude, et que d'autre part, le refus d'accorder la suspension infligera à l'appe- lant une perte cruelle et un tort irrémédiable. Le principe appliqué est alors le même que celui utilisé dans le cas d'une demande visant à obtenir une injonction provisoire—l'équilibre entre les avantages et les inconvénients, avec un facteur addi- tionnel des plus importants, la décision qui a été rendue et qui doit être considérée à première vue comme étant bien fondée.
On a cité et approuvé la déclaration susmention-
5 [1947] O.R. 775.
6 (1972) 25 D.L.R. (39 419 à la page 426.
7 (1923-24) 55 O.L.R. 127, la page 132.
née du juge Middleton dans l'arrêt Talsky c. Talsky (n° 2) 8 on a statué qu'un juge de la Cour suprême possède la compétence inhérente pour contrôler le fonctionnement de la Cour, et pour surseoir à l'exécution d'une ordonnance de cette cour en attendant un autre appel afin qu'un appelant, au cas il obtiendrait gain de cause, ne soit pas privé de sa victoire par suite de la dispari- tion de l'objet du litige ou d'autres circonstances annulant la décision finale.
Mon collègue le juge Walsh a décidé qu'il n'y avait pas lieu de décerner un bref de prohibition dans l'affaire Wardair Canada Limited c. La Commission canadienne des transports 9 et, con- cluant que la requérante tentait d'utiliser un bref de prohibition pour surseoir à l'exécution d'un jugement soumis à l'examen, il a fait le commen- taire suivant:
Celle-ci tente d'utiliser un bref de prohibition pour faire sur- seoir à l'exécution d'un jugement soumis à l'examen et objet d'un appel car les règles de la Cour ne prévoient pas de suspension de ce genre. L'absence d'une pareille règle ne suffit pas à justifier l'utilisation abusive des brefs de prérogative, qu'il s'agisse d'un bref de prohibition ou d'une injonction. De plus, même si une règle autorisant la suspension d'exécution existait, il ne faut pas oublier que les ordonnances rendues en vertu d'une telle règle le sont à la discrétion du tribunal à qui on les demande. Dans certains cas, il pourrait manifestement être injuste de procéder à une audition alors que la question fait l'objet d'un appel ou d'un examen; ce serait par exemple le cas quand on conteste la compétence même d'un tribunal d'instance inférieure. Mais il y a également des cas il pourrait être tout aussi injuste d'arrêter la procédure engagée devant un tribunal d'instance inférieure chaque fois qu'un appel est interjeté ou qu'on demande l'examen judiciaire d'un point secondaire sou- levé au cours de la procédure devant ce tribunal d'instance inférieure. Si c'était permis, on pourrait, en faisant appel de décisions sur des questions secondaires, suspendre presque indé- finiment les procédures et ceci au préjudice des parties qui désirent procéder à l'audition. L'autorisation de suspension d'une audition relève donc toujours de la discrétion du tribunal.
La jurisprudence nous enseigne donc qu'il faut être très prudent lorsqu'il s'agit d'accorder une suspension des procédures dans ces circonstances. Il appartient au requérant d'établir à la satisfac tion de la Cour qu'il existe plus qu'un simple équilibre entre les avantages et les inconvénients. L'employeur doit convaincre la Cour que l'exécu- tion de l'ordonnance du Conseil lui serait préjudi- ciable parce qu'elle serait abusive et vexatoire à son égard; il doit également persuader la Cour que la suspension ne lésera pas le syndicat.
e (1974) 39 D.L.R. (3°) 516.
9 [1973] C.F. 597, la page 603.
En l'espèce, il est difficile de voir comment l'exécution de l'ordonnance serait injuste, abusive ou vexatoire envers l'employeur.
L'ordonnance exige de l'employeur: première- ment, qu'il se conforme aux dispositions de l'article 184 du Code, c'est-à-dire qu'il cesse d'interdire aux employés d'en inviter d'autres à adhérer à un syndicat ou de distribuer de la documentation syndicale dans leur temps libre; deuxièmement, qu'il transmette copie de ladite ordonnance à toute personne à qui il a déjà donné des directives contraires. Assurément, il n'y a rien d'injuste, d'abusif ni de vexatoire envers l'employeur à ce que ladite ordonnance soit appliquée en attendant la décision de la Cour d'appel sur la demande présentée en vertu de l'article 28.
Cependant, la suspension peut être préjudiciable et même fatale à l'égard du syndicat, au moment se poursuit sa campagne de recrutement puis- que, comme je l'ai déjà dit, le temps est d'une grande importance. La présente situation ressem- ble à celle d'un chasseur ayant son permis et à qui on refuserait l'entrée en forêt pendant la saison de chasse.
C'est le rôle du Conseil, et non celui de la Cour, de juger des meilleures mesures qui peuvent assu- rer la paix sociale et de rendre des ordonnances visant à mettre en application les règles du Code canadien du travail. Puisque le Conseil a jugé que la question est suffisamment urgente pour justifier une ordonnance «immédiate» devant être mise à exécution sur le champ, il s'ensuit que surseoir à l'exécution de ladite ordonnance pourrait être pré- judiciable à l'autre partie. Il devient donc beau- coup plus difficile à l'employeur de prouver qu'une suspension ne serait pas préjudiciable à l'autre partie.
L'employeur n'a pas démontré à la satisfaction de la Cour que la suspension de l'ordonnance du Conseil ne lésera pas le syndicat.
ORDONNANCE
La requête visant à obtenir une ordonnance enjoignant de surseoir à l'ordonnance du Conseil canadien des relations du travail est rejetée avec dépens.
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