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T-4348-74
Torras Hostench S. A. et J. Vilaseca S. A. et Papelera Industrial S. A. (Demandeurs)
c.
Le navire Salvador Allende et ses propriétaires (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 1 °T mars; Ottawa, le 2 avril 1976.
Pratique—Demande de modification d'une ordonnance de communication de documents et de prorogation du délai fixé pour leur production—Le procureur des demandeurs sollicite des précisions sur la nature des documents—Il déclare que les défendeurs ne peuvent demander la production de certains documents et que d'autres, de nature confidentielle, ne sont pas en la possession des demandeurs—Règles 447 463 de la Cour fédérale et formule 20.
Le procureur des demandeurs a sollicité la modification d'une ordonnance de communication de documents et la proro- gation du délai fixé pour leur production. Il a demandé des précisions sur la nature des documents visés par l'ordonnance, déclarant que les défendeurs ne peuvent demander la produc tion de certains documents et que d'autres sont confidentiels et ne sont pas en «la possession, sous la garde ou l'autorité» des demandeurs, au sens de la Règle 448, puisqu'ils ne les ont jamais vus.
Arrêt: le délai est prorogé, les demandeurs doivent produire une liste de documents, y compris ceux en la possession de leur avocat et ceux qui ont trait à des points litigieux que, selon eux, les défendeurs ne peuvent soulever: Ils peuvent inscrire séparé- ment et s'opposer à la production de ces documents. La ques tion de la fin de non-recevoir étant assez controversée, tous les faits doivent être soumis à la Cour avant qu'elle ne rende une décision, laquelle ne doit pas être rendue sommairement sur simple demande de communication de documents présentée conformément à la Règle 448. La Règle 448 peut avoir une portée assez étendue pour englober non seulement les docu ments relatifs au litige principal, mais aussi ceux qui ont trait aux procédures à tierce partie, à supposer qu'on leur donne suite et que la Cour décide de les entendre en même temps que l'action principale. Il n'est pas souhaitable d'étendre inutile- ment la portée des procédures, mais il est préférable qu'à l'audition, la Cour dispose de tous les documents pertinents à l'action principale, à la défense ou aux procédures à tierce partie. Aucune décision n'est rendue sur l'admissibilité de tels documents. Les Règles 447 463 établissent la procédure à laquelle on peut recourir pour régler la question en litige et il n'est pas nécessaire de prendre à ce stade une décision défini- tive. Deuxièmement, il n'est pas essentiel que le client ait personnellement connaissance des documents en la possession de son avocat lorsqu'il établit l'affidavit prévu à la Règle 448 puisqu'il peut être réputé avoir connaissance de tels documents. Cela ne signifie pas qu'on ne peut réclamer une exemption; cette question aussi pourra être tranchée conformément à la Règle 457. Il est possible, au cas le document faisant l'objet d'une demande d'exemption serait déclaré par la suite non confidentiel, qu'on en ordonne la production même s'il tombe
sous le coup du second moyen d'opposition ayant trait à la fin de non-recevoir. La formule 20, proposée pour la présentation de la liste à fournir, conformément à la Règle 448, prévoit que le demandeur peut s'opposer à la production des documents et il n'y a aucune raison pour qu'il n'y ait pas deux oppositions.
Arrêts mentionnés: Silver c. Ocean Steamship Company (1929) 35 L1.L.R. 49; Ciano [1947] A.M.C. 1477.
ACTION. AVOCATS:
V. Prager pour les demandeurs. T. Bishop pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Stikeman; Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour les demandeurs.
Brisset, Bishop & Davidson, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les demandeurs sollicitent la modification d'une ordonnance de communication de documents, rendue conformément à la Règle 448, et la prorogation du délai fixé pour leur production. Aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1975, les demandeurs devaient déposer dans un délai de 60 jours ou tout autre délai que pourrait accorder la Cour, la ou les liste(s) de documents en leur possession, sous leur garde ou leur autorité ayant trait aux points litigieux de l'affaire, notamment les dommages et la contami nation, le sauvetage et la valeur marchande, avec un ou plusieurs affidavits attestant l'exactitude de la ou des liste(s) en question. Dans l'affidavit joint à la présente requête, le procureur des demandeurs sollicite des précisions sur la nature des documents visés par l'ordonnance. Il déclare qu'en particulier certains documents ont trait soit à l'acquisition et à la manutention des balles de pâte de bois en litige avant leur chargement à bord du Salvador Allende, documents que, selon lui, les défendeurs ne peuvent présenter en preuve par suite de la délivrance de connaissements nets, soit au présumé dommage causé par de la sciure de bois dont ne font mention ni la déclaration ni la défense mais que le défendeur a essayé de soulever en tentant d'engager des procédures à tierce partie contre les acconiers; cependant, la permission pour ce faire lui a été refusée. De plus, il déclare avoir sous sa
garde des documents rédigés à sa demande aux fins d'étudier la protection offerte par l'assurance, documents que les demandeurs eux-mêmes n'ont jamais eus en leur possession, sous leur garde ou leur autorité et qui, selon lui, devraient être exclus. En outre, il prétend qu'il lui sera nécessaire de se rendre en Espagne afin d'expliquer à ses clients la portée de l'ordonnance et de déterminer s'ils ont des documents supplémentaires qu'il n'a pas en sa possession; il affirme ne pouvoir faire ces démar- ches et préparer les listes ou les affidavits aux fins de dépôt ou de signification avant le 15 mai 1976 et que par conséquent, il doit demander que le délai soit reporté à cette date. Vu les circonstances, je suis disposé à proroger le délai conformément à la Règle 463 et à modifier en conséquence l'ordon- nance que j'ai rendue le 17 novembre 1975.
Toutefois, les parties ne sont pas d'accord sur les documents que les demandeurs peuvent être forcés de produire et un bref résumé des faits en litige aidera à mieux comprendre la situation. Les demandeurs réclament des dommages-intérêts de $550,000 pour le dommage causé à une cargaison de balles de pâte de bois transportées de Saint- Jean (Nouveau-Brunswick) à Barcelone (Espagne) et dans d'autres ports méditerranéens sur le navire Salvador Allende. Les demandeurs prétendent être les propriétaires de la cargaison et les détenteurs et les endossataires à titre onéreux des connaisse- ments. Ceux-ci indiquent que les balles ont été reçues à bord en bon état. En temps et lieu, les défendeurs ont signifié un avis à tierce partie contre la March Shipping Limited, demandant à être indemnisés à l'égard de toute somme que les demandeurs pourraient recouvrer par suite de la délivrance à Saint-Jean, par la March Shipping, des connaissements nets alors que cette compagnie, conformément aux reçus de livraison, aurait faire mention des dommages; cette omission cons- titue une rupture de contrat de la part de la March Shipping Limited, agent des défendeurs. La tierce partie a déposé un acte de comparution condition- nelle sur autorisation donnée par le juge Addy le 17 février 1975 et disposait de 15 jours pour contester la compétence de la Cour; on n'a pas donné suite à cet avis à tierce partie.
Par la suite, les défendeurs ont tenté de joindre à leurs procédures à tierce partie un autre défen- deur, à savoir la Logistec Corporation, les acco-
niers qui ont assuré le chargement, par suite d'une réclamation pour contamination par la sciure de bois qui est censée s'être produite avant ou durant le chargement de la cargaison à Saint-Jean. Cette sciure de bois aurait été utilisée sur les docks et dans les cales du navire. Cette requête a été rejetée par jugement portant la date du 17 novembre 1975, aux motifs que ni la déclaration ni la défense, produites le 29 août 1975, ne mention- naient des dommages causés pai la sciure de bois, que les allégations ayant trait à ces dommages semblaient être très vagues et fondées sur des ouï-dire et que par conséquent il ne fallait pas à ce stade étendre la portée des procédures en introdui- sant la Logistec Corporation en qualité de tierce partie. Cette décision a été rendue sans préjudice des droits des défendeurs de présenter une requête semblable à une date ultérieure si, après l'interro- gatoire préalable, la communication et l'examen des documents, il semble que les défendeurs ont des raisons de soutenir que les dommages allégués ont été causés de cette façon.
Dans l'exposé de la défense, les défendeurs pré- tendent que les connaissements nets n'ont pas été délivrés sous leur autorité et avec leur permission mais qu'au contraire la March Shipping Limited avait reçu ordre de mentionner l'état des balles au moment du chargement, comme sur les reçus pro- visoires, et que par conséquent les connaissements nets ne les lient pas. Les demandeurs ont répliqué que les connaissements sont explicites et, puisqu'ils en sont les détenteurs à titre onéreux et de bonne foi, les défendeurs n'ont pas le droit de mettre en doute l'état de la cargaison avant la délivrance du connaissement.
Les demandeurs font état de deux moyens d'op- position à la production de certaines catégories de documents:
1. En ce qui concerne les documents traitant de l'état de la cargaison avant le chargement, les demandeurs prétendent qu'ils ne sont pas perti- nents vu la délivrance de connaissements nets et que par conséquent les défendeurs ne peuvent pas demander leur production.
2. Quant aux documents qu'a obtenus l'avocat des demandeurs au cours d'une enquête conduite pour le compte des assureurs maritimes, il affirme qu'il s'agit de documents confidentiels et qu'ils
n'étaient pas en «la possession, sous la garde ou l'autorité» des demandeurs au sens de la Règle 448 puisque ces derniers ne les ont jamais vus. Il prétend que certains documents peuvent être visés par les deux oppositions, c'est-à-dire qu'ils sont confidentiels et de plus ont trait à l'état de la cargaison avant le chargement ce qui, selon lui, leur enlève toute pertinence. Il affirme que les défendeurs réclament leur production non pas seu- lement pour s'en servir comme défense contre les procédures introduites par les demandeurs mais surtout afin d'appuyer leurs procédures à tierce partie contre la March Shipping Limited, lesquel- les n'ont pas dépassé le stade de la signification d'un avis à tierce partie.
La question de l'irrecevabilité est un argument très sérieux qui a été soulevé dans les conclusions écrites des demandeurs et des défendeurs. Dans l'arrêt Silver c. Ocean Steamship Company, (1929) 35 L1.L.R. 49, on lit à la page 55:
[TRADUCTION] Voici les trois éléments nécessaires à une fin de non-recevoir:
1. Une déclaration de faits
2. à laquelle s'est fiée la personne alléguant l'irrecevabilité et
3. qui lui a causé un préjudice.
Cependant l'arrêt Ciano [1947] A.M.C. 1477, dit la page 1477] que:
[TRADUCTION] Ordinairement, le transporteur peut contre- dire la mention indiquant le bon état apparent de la cargaison puisqu'il ne s'agit ni d'un contrat ni d'une garantie. Toutefois, des circonstances particulières peuvent avoir l'effet d'une fin de non-recevoir. Cependant, supposant qu'il y ait eu fausse décla- ration, il est indispensable, pour opposer unefin de non-rece- voir, de prouver que l'on s'est fié à cette déclaration et qu'un préjudice en a résulté.
La mention du bon état apparent de la cargaison portée sur un connaissement indique seulement, après inspection, la condi tion extérieure de la cargaison: elle n'a trait qu'au bon état extérieur ou apparent.
Voir également les arrêts Canada and Dominion Sugar Co. c. Canadian National (W.L) Steamship Limited (1947) 80 L1.L.R. 13, Freedman c. M/S Concordia Star [1958] A.M.C. 1308, la page 1309, Evans c. James Webster & Bro. Ltd. (1928)
32 L1.L.R. 218, la page 222, et Tribunal de Commerce de Dunkerque [1961] D.M.F. 678, tous mentionnés dans Tetley; Marine Cargo Claims, aux pages 66à 68.
Je conclus que la question de la fin de non-rece- voir étant assez controversée, tous les faits doivent être soumis à la Cour avant qu'elle ne rende une décision, laquelle ne doit pas être rendue sommai- rement sur simple requête présentée conformément à la Règle 448 pour obtenir la communication de documents. Soulignons que la Règle 448 men- tionne des documents «qui ont trait à tout point litigieux de l'affaire ou de la question» ce qui peut englober non seulement les documents relatifs au litige principal opposant les demandeurs et les défendeurs, mais aussi ceux qui ont trait aux pro- cédures à tierce partie, à supposer qu'on leur donne suite et que la Cour décide de les entendre en même temps que l'action principale.
D'une part, il n'est pas souhaitable d'étendre inutilement la portée des procédures, mais d'autre part, il est préférable qu'à l'audition, la Cour dispose de tous les documents pertinents à l'action principale, à la défense ou aux procédures à tierce partie.
En ordonnant aux demandeurs d'inclure dans leur liste de documents tous ceux qui ont trait à l'état des marchandises avant le chargement, je ne me prononce pas pour autant, à ce stade des procédures, sur l'admissibilité de tels documents à l'audition ni sur le droit des défendeurs d'examiner les documents en question. En ce qui concerne le droit de l'autre partie d'examiner les documents, la Règle 453 dit:
... autres que ceux à la production desquels elle s'oppose....
et, en déposant une liste de documents, les deman- deurs peuvent renouveler leur opposition à la pro duction de tout document relatif à l'état des mar- chandises avant le chargement et les défendeurs peuvent alors, en vertu de la Règle 455, demander une ordonnance visant à leur production et obtenir une décision. Conformément à la Règle 457, la Cour elle-même peut examiner le ou les documents avant de rendre sa décision. En bref, les Règles 447 463 établissent la procédure à laquelle on peut recourir pour régler la question en litige et il n'est pas nécessaire de prendre immédiatement une décision définitive à ce sujet sur la présente demande de production de documents.
On peut également remettre à plus tard la déci- sion relativement à l'exemption que réclament les
demandeurs. La Règle 448 exige que la partie une action établisse une liste des «documents qui sont ou ont été en sa possession, sous sa garde ou son autorité» et l'on considère habituellement que les documents en la possession de l'avocat de la partie doivent être portés sur la liste tout comme s'ils étaient en la possession du client lui-même. Je ne crois pas essentiel que le client ait personnelle- ment connaissance de ces documents lorsqu'il éta- blit l'affidavit prévu à la Règle 448 puisqu'il peut être réputé avoir connaissance de tout document en la possession de son avocat. Toutefois, cela ne signifie pas qu'on ne peut réclamer une exemption à l'égard de ces documents en raison de leur caractère confidentiel privilégié, de sorte que si l'avocat des demandeurs avait fait rédiger certains rapports au nom des assureurs de ses clients, avec l'intention ou pas de s'en servir en l'instance, on pourrait soutenir que les défendeurs n'ont pas le droit d'examiner ces documents et d'en tirer des renseignements dont ils se serviraient contre les demandeurs ou contre les défendeurs dans les pro- cédures à tierce partie. Cette question pourra aussi être tranchée conformément à la Règle 457.
Dans son plaidoyer, l'avocat des demandeurs a évoqué la possibilité, au cas le document faisant l'objet d'une demande d'exemption serait par la suite déclaré non confidentiel, qu'on en ordonne la production même s'il a trait à une période anté- rieure au chargement des marchandises à bord du navire, et donc tombe sous le coup du second moyen d'opposition découlant de la prétendue impossibilité dans laquelle se trouvent les défen- deurs d'utiliser ledit document pour repousser l'ac- tion des demandeurs. Le second paragraphe de la formule 20, proposée pour la présentation de la liste de documents à fournir conformément à la Règle 448, indique clairement que le demandeur peut s'opposer à la production des documents énu- mérés en énonçant les raisons de son opposition, et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait, en dressant la liste, formuler deux oppositions.
ORDONNANCE
Conformément à la Règle 448, les demandeurs doivent établir, déposer et signifier aux défendeurs une liste des documents qui sont ou ont été en leur possession, sous leur garde ou leur autorité, y compris ceux en la possession ou sous la garde de leur avocat et qui ont trait à tout point litigieux de
l'affaire en cause, y compris l'état des marchandi- ses avant le chargement et la prétendue cause des dommages qu'elles ont subis; cette liste sera appuyée d'un affidavit en attestant l'exactitude. En fournissant,la liste en question, les demandeurs peuvent inscrire séparément et s'opposer à la pro duction des documents qu'ils assurent être d'un caractère confidentiel privilégié ou qu'ils affirment ne pas avoir à produire parce qu'ils ont trait à une période antérieure au chargement des marchandi- ses, la délivrance du connaissement net interdisant aux défendeurs de prétendre que les dommages ont été causés avant le chargement; ces deux opposi- tions peuvent être soulevées lorsqu'elles sont appli- cables. Le délai pour le dépôt et la signification de ladite liste et de l'affidavit à l'appui est prorogé jusqu'au 17 mai 1976.
Les dépens de la présente requête suivront l'is- sue de la cause.
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