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T-3106-72
Swiss Bank Corporation (Demanderesse) c.
Air Canada, et Swissair and Swiss Air Transport Co. Ltd. (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Addy — Montréal, le 6 mai et Ottawa le 20 mai 1975.
Compétence—Aéronautique—Réclamation pour perte d'un colis expédié par avion—La défenderesse reconnaît sa respon- sabilité mais invoque la limitation imposée par la Loi sur le transport aérien—La demanderesse soutient qu'il y a faute lourde et que la limitation de responsabilité n'est pas applica- ble—La défenderesse demande le rejet de l'action pour défaut de compétence—Loi sur le transport aérien, S.R.C. 1970, c. C-14, Ann. I, arts. 22, 25, 30 et Ann. III, arts. XI, XIII.
Un chargement de billets de banque canadiens a été expédié de Suisse à Montréal et a disparu après avoir été déchargé. La défenderesse Air Canada admet sa responsabilité mais prétend qu'elle est limitée à $73.25 conformément à la Loi sur le transport aérien. La demanderesse soutient que la perte et le défaut d'en aviser la police constituent une faute lourde et que la limitation de responsabilité ne s'applique pas. La défende- resse demande le rejet de l'action pour défaut de compétence.
Arrêt: la requête est accueillie; la Cour n'est pas compétente. D'après l'arrêt Canadian Fur Company (NA) Ltd. c. KLM [1974] 2 C.F. 944, la Cour n'est pas compétente pour entendre une réclamation relative au fret, dirigée contre un transporteur aérien. Air Canada n'est pas «une compagnie mandataire de la Couronne», si elle l'était la Cour serait compétente en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale. Elle n'est pas non plus un préposé de la Couronne au sens de l'article 17(4). En ce qui a trait au sens du terme «aéronautique» employé à l'article 23, rien dans l'arrêt Okanagan Helicopters [1974] 1 C.F. 465 n'indique que ce terme pourrait s'appliquer à une action rela tive au fret, intentée contre un transporteur aérien. La compé- tence en matière de transport aérien de marchandises est soigneusement écartée par les dispositions de l'article 22(3)b). En ce qui concerne le moyen selon lequel la Cour est compé- tente en vertu de l'article 23 aux motifs que le droit d'action se fonde sur une loi du Parlement du Canada, la Loi sur le transport aérien et plus précisément la Convention de Varsovie et qu'un tel transport constitue des «ouvrages ou entreprises... s'étendant ... au-delà des limites d'une province», le droit de demander réparation peut bien se fonder sur la Loi, mais le transport de fret aérien ne constitue pas un ouvrage ou une entreprise de la Couronne.
Arrêts suivis: Canadian Fur Company (NA) c. KLM [1974] 2 C.F. 944 et King c. La Reine (non publié; T-2573-71). Distinction établie avec l'arrêt: Okanagan Helicopters c. Canadien Pacifique Limitée [1974] 1 C.F. 465.
REQUÊTE.
AVOCATS:
V. Prager et M. De Man pour la
demanderesse.
A. Giard et M. Martineau pour la défende-
resse Air Canada.
J. Roger pour la, défenderesse Swissair.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliot, Tamaki, Mercier et Robb, Montréal, pour la demanderesse.
Boudreau, Giard et Gagnon, Montréal, pour la défenderesse Air Canada.
Doheney, Day et Cie, Montréal, pour la défenderesse Swissair.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Il s'agit d'une demande par voie de requête, présentée par la défenderesse Air Canada, tendant à rejeter, pour défaut de compé- tence, l'action dirigée contre elle. La requête a été présentée après les plaidoiries.
La réclamation résulte de la perte d'un charge- ment consistant en $60,400 de billets de banque canadiens expédiés de Bâle (Suisse) à destination de Montréal via Zurich. La requérante défende- resse a transporté le chargement dans la deuxième étape du voyage, c'est-à-dire de Zurich à Mont- réal. Les billets de banque sont arrivés à Montréal mais ont disparu après avoir été déchargés et avant que le consignataire, la Banque royale du Canada, en- eût pris réception ou ait été avisée de leur arrivée.
La requérante défenderesse admet sa responsa- bilité pour la perte et a consigné à la Cour la somme de $73.25, prétendant que sa responsabilité est limitée à ce montant conformément aux dispo sitions ci-après mentionnées de la Loi sur le trans port aérien.' L'intimée demanderesse prétend que la perte du chargement et le défaut d'en aviser la police constituent une faute lourde et qu'en consé- quence, la limitation de responsabilité ne s'appli- que pas.
Les billets de banque ont été expédiés sous lettre de transport aérien et la réclamation est régie par la convention intitulée Certaines règles relatives
S.R.C. 1970, c. C-14.
au transport aérien international signée à Varsovie en 1929 et modifiée par une autre convention signée à La Haye en 1955; l'une et l'autre conven tions, après leur adoption, ont été incorporées à la Loi sur le transport aérien. Le point litigieux se ramène à la question de savoir s'il y a eu de la part d'Air Canada ou de ses mandataires une faute lourde qui, par application de l'article 25 de la Convention de Varsovie, modifié par l'article XIII de la Convention de La Haye, enlèverait à la défenderesse le droit de se prévaloir de la limita tion de responsabilité prévue à l'article 22 de la Convention de Varsovie, modifié par l'article XI de la Convention de La Haye.
Dans l'arrêt Canadian Fur Company (NA) Ltd. c. KLM Lignes aériennes royales Néerlandaises [1974] 2 F.C. 944, j'ai déclaré que cette cour n'était pas compétente pour entendre une réclama- tion relative au fret, dirigée contre un transporteur aérien. Dans ce jugement, j'ai expliqué d'une façon détaillée les raisons pour lesquelles cette cour n'avait pas cette compétence et il n'y a pas lieu de les reprendre ici.
En l'espèce, je ne trouve aucun élément ni dans les faits ni dans les moyens avancés par l'avocat de l'intimée qui me conduirait à une conclusion diffé- rente de celle à laquelle je suis parvenu dans l'autre arrêt. En réalité, le simple fait que la requérante défenderesse soit Air Canada ne con- fère pas la compétence prévue à l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale puisque Air Canada n'est pas la Couronne ni une «compagnie mandataire de la Couronne» qui pourrait être assignée en justice comme s'il s'agissait effectivement de la Couronne. En outre, même si la Couronne était partie à l'instance, Air Canada vu les faits, ne pourrait pas non plus être assignée à titre de «préposé» de la Couronne au sens de l'article 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale. (Voir le jugement de mon collègue le juge Gibson dans l'arrêt King c. La Reine; King c. Air Canada, non publié, T-2573-71, du 17 novembre 1971, le statut d'Air Canada a été examiné en détail.)
L'avocat de la demanderesse intimée a soutenu qu'il fallait entendre dans un sens large le terme «aéronautique» employé à l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, à cause du principe énoncé dans l'arrêt Okanagan Helicopters Ltd. c. Canadien
Pacifique Limitée. 2 Dans cet arrêt, mon collègue le juge Mahoney a déclaré ce qui suit, à la page 467:
L'Oxford English Dictionary définit l'aéronautique comme: [TRADUCTION] «la science, l'art ou la pratique de voler dans l'air; la navigation aérienne.» Les définitions d'autres diction- naires valables ne sont pas plus élaborées. Le problème est de savoir si un hélicoptère au sol avec son rotor en action en vue du décollage relève de l'aéronautique. Je pense que oui. En effet, s'il était en vol, il en relèverait et, à mon avis, séparer les activités au sol essentielles à l'action de voler du vol lui-même reviendrait à une interprétation forcée et artificielle.
De plus, en l'absence de toute intention contraire manifeste dans la législation, la Cour doit conclure que le Parlement voulait que, dans l'exercice de sa compétence judiciaire, elle donne aux mots la même signification que le Parlement lui- même lui avait donnée dans l'exercice de sa compétence législa- tive. Le Parlement a légiféré en ce qui concerne l'utilisation et la conduite d'un aéronef, les accidents impliquant un aéronef, et cette législation s'applique à l'utilisation, à la conduite ou aux accidents aussi bien au sol que dans l'air.
(Cette décision a été partiellement infirmée par un arrêt de la Cour d'appel en date du 18 décembre 1974 [A-127-74], mais l'appel n'affecte pas le passage cité ci-dessus. En réalité, on n'avait pas soulevé la question de compétence, et la Cour d'appel a pris le soin de déclarer qu'elle s'abstenait de conclure en ce qui concerne la compétence.)
A mon avis, rien dans le passage précité ne permet en aucune façon, soit directement ou indi- rectement, de conclure que le terme «aéronautique» vise une action relative au fret, intentée contre un transporteur aérien. Au contraire, j'estime que l'interprétation donnée au terme «aéronautique» correspond bien à la définition normale qu'en don- nent les dictionnaires et à l'acception courante de ce mot.
L'avocat a aussi cité un article de Colin H. McNairn publié en 1969 dans La Revue du Bareau canadien, Volume XLVII, page 355, à l'appui de la thèse selon laquelle on doit étendre la signification du terme «aéronautique» pour y inclure les droits de l'expéditeur et du transporteur dans les contrats de transport aérien. J'ai lu l'arti- cle attentivement et je ne trouve pas qu'il corro- bore une telle thèse. En tout cas, aux fins de la Loi sur la Cour fédérale, il semble certain que ce terme ne peut être pris dans une acception qui viserait les contrats de transport aérien de mar-
i [1974] 1 C.F. 465.
chandises en raison du fait que, si l'article 22(2)f) donne à cette cour la compétence en matière de contrats de transport de marchandises par bateau, la compétence à l'égard des contrats portant sur le transport aérien est soigneusement écartée par les dispositions de l'article 22(3)b). L'article 22(3)b) est ainsi libellé:
22. (3) Pour plus de certitude il est déclaré que la compé- tence conférée à la Cour par le présent article s'étend
b) lorsque le droit d'action découle des alinéas j), k) et 1) du paragraphe (2), à tous les aéronefs, canadiens ou non, quel que puisse être le lieu de résidence ou le domicile des propriétaires; [C'est moi qui souligne.]
Enfin, on a soutenu que la Cour fédérale était compétente en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, aux motifs que le droit d'action se fonde sur une loi du Parlement du Canada, c'est-à- dire la Loi sur le transport aérien et, plus précisé- ment l'article 30 de la Convention de Varsovie constituant l'annexe I de la Loi, et qu'un tel transport constitue des: «... ouvrages ou entrepri- ses ... s'étendant au-delà des limites d'une pro vince ...». Le droit de demander réparation à Air Canada peut bien se fonder sur l'article 30 de l'annexe I de la Loi sur le transport aérien, mais je n'hésite pas à conclure que le transport de fret aérien ne constitue pas un ouvrage ou une entreprise de la Couronne; c'est un ouvrage et une entreprise d'Air Canada, compagnie créée par la Couronne.
Je conclus donc que cette cour n'a pas compé- tence pour entendre la présente action dirigée contre Air Canada. La requête d'Air Canada sera accueillie avec dépens et l'action contre elle sera rejetée avec dépens à payer par la demanderesse immédiatement après leur taxation.
En ce qui concerne l'autre défenderesse la Swiss- air and Swiss Air Transport Co. Ltd. quoiqu'elle ait été représentée à l'audition de la requête, elle n'était pas une partie à la requête et n'y a pris aucune part. Cependant, comme elle pourra mani- festement obtenir le rejet de l'action pour les mêmes motifs qu'Air Canada, pour éviter d'autres procédures et des dépenses inutiles, cette cour rejettera d'office l'action dirigée contre cette demanderesse, avec dépens.
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