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T-1626-75
La Reine (Demanderesse)
c.
Adolf Scheller (Défendeur)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, les 16 et 28 octobre 1975.
Impôt sur le revenu—Déductions—Interprétation de dispo sitions prévoyant une exemption—Défendeur réclamant des déductions à l'égard de son «épouse», sa fille et son frère, résidents dans un pays communiste—Sont-elles admissi- bles?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 109(1)a),b),d),f), 178(2) et 252(1)—Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, art. lb) et 2.
Certains événements politiques séparèrent le défendeur de la femme avec laquelle il vivait, de l'enfant de cette union, de son frère ainsi que d'autres membres de sa famille. Ne pouvant faire venir sa famille au Canada, le défendeur continua cepen- dant à subvenir à leurs besoins. Le Ministre ne conteste pas le fait que les sommes en cause ont effectivement été envoyées; il a cependant refusé (1) une partie de la déduction réclamée à l'égard de la fille parce qu'elle n'a pas demeuré avec le défen- deur dans un établissement domestique autonome tenu par ce dernier (article 109(1)b)); (2) la déduction réclamée à l'égard de l'■épouse» parce qu'elle n'était pas unie au défendeur au sens de l'article 109(1)b)(ii)(B) et celle réclamée à l'égard du frère (article 109(1)J)). La Commission de révision de l'impôt a accordé uniquement la réclamation à l'égard de la fille. D'une part, le Ministre interjette appel de cette décision, d'autre part, le défendeur attaque le rejet des deux autres réclamations.
Arrêt: l'appel de la Couronne est accueilli; ceux du défendeur sont rejetés. L'assujettissement à l'impôt est la règle générale; les exemptions sont des exceptions qui doivent être interprétées strictement. Toutes les exigences et toutes les conditions requi- ses dans la disposition prévoyant une exemption doivent être remplies. En l'espèce, on note l'absence d'éléments nécessaires dans les trois cas. La Commission a eu tort de permettre au défendeur de bénéficier au maximum des avantages de l'article 109(1)b) à l'égard de sa fille, après avoir conclu qu'il ne satisfaisait pas entièrement aux exigences de l'article.
Cette cour n'est pas la tribune appropriée pour plaider une modification de la loi. Lorsque le sens d'une loi est évident, les tribunaux n'ont pas à déterminer si elle est opportune ou juste; leur devoir est d'appliquer la loi existante. Le défendeur se voit accorder l'égalité devant la loi en ce sens que d'autres person- nes, dans les mêmes circonstances, sont sujettes à la même application de la Loi.
Arrêts suivis: Lumbers c. M.R.N. [1943] R.C.É. 202 et Harris c. M.R.N. [1969] C.T.C. 562.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
C. H. Fryers pour la demanderesse. A. Scheller pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Pour le défendeur, lui-même.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACE-1: Il s'agit d'un appel inter- jeté par le Ministre d'une décision de la Commis sion de révision de l'impôt accordant au défendeur une déduction réclamée aux fins du calcul de son revenu pour son année d'imposition 1972.
Dans le calcul de son revenu pour l'année d'im- position 1972, le défendeur a réclamé les déduc- tions suivantes:
(i) $1,500 pour lui-même;
(ii) $1,350 à l'égard de sa fille Katrin, âgée de 28 ans, résidant en Union des Républiques socialistes soviétiques;
(iii) $480 l'égard de Liidia Palts, qui réside aussi en Union des Républiques socialistes soviétiques;
(iv) $250 l'égard d'Evald Silvet, le frère du défendeur qui réside également en Union des Républiques socialistes soviétiques;
(v) $300 à l'égard de Kaspar Kolk, âgé d'un an, petit-fils du défendeur et fils de Katrin; et
(vi) $300 l'égard de Kaarel Kolk, petit-fils du défendeur, de Katrin au cours de l'année d'imposition 1972.
En établissant la cotisation du défendeur, le ministre du Revenu national n'a pas admis la déduction des sommes suivantes aux fins du calcul du revenu du défendeur, aux motifs que voici:
(i) $800 l'égard de Katrin, fille du défendeur parce que pendant l'année d'imposition 1972 elle n'a demeuré à aucun moment avec le défendeur dans un établissement domestique autonome tenu par ce dernier; (Puisque le défendeur avait réclamé un montant de $1,350 à l'égard de sa fille et que le Ministre a réduit ce montant de $800, il s'ensuit que le Ministre a accordé la déduction réclamée mais pour un montant de $550 en appliquant ainsi l'article 109(1)d)(v) de la Loi de l'impôt sur le revenu).
(ii) $480 l'égard de Liidia Palts parce qu'elle n'était pas unie au défendeur par les liens du sang ou de l'adoption comme l'exige l'article 109(1)b)(ii)(B) de la Loi de l'impôt sur le revenu; et
(iii) $250 l'égard d'Evald Silvet parce que non conforme aux dispositions de l'article 109(1)f).
Le membre de la Commission de révision de l'impôt a rejeté l'appel du défendeur à l'égard des sommes de $480 et de $250 mentionnées respecti- vement aux paragraphes (ii) et (iii) qui précèdent, mais a admis la déduction de $800 mentionnée au paragraphe (i).
Sa Majesté la Reine interjette appel de la déci- sion de la Commission de révision de l'impôt accordant la déduction de $800 à l'égard de Katrin, la fille du défendeur.
Après modification appropriée de sa défense, le défendeur appuie la décision de la Commission de révision de l'impôt accordant la déduction du mon-
tant total de $1,350 l'égard de sa fille Katrin, seule question qui fasse l'objet de l'appel de Sa Majesté; en revanche, il conteste la décision de la Commission quant aux questions tranchées en sa défaveur, c'est-à-dire la déduction de $480 à l'égard de Liidia Palts et celle des $250 versés par le défendeur à son frère Evald Silvet.
Le défendeur présente en fait une demande reconventionnelle sur ces deux dernières questions et c'est aussi le point de vue de Sa Majesté, puisqu'elle a déposé une «défense à la demande reconventionnelle».
Par conséquent, les plaidoiries soulèvent trois points litigieux:
(1) la somme de $800 l'égard de Katrin, fille du défendeur que le Ministre n'a pas admis à titre de déduction en établissant la cotisation du défendeur pour l'année d'imposition 1972, déduction admise par la Commission de révision de l'impôt dans une décision que Sa Majesté porte en appel sur ce point;
(2) la somme de $480 l'égard de Liidia Palts, que le Ministre n'a pas permis au défendeur de
déduire lors du calcul de son revenu pour son année d'imposition 1972, laquelle partie de la cotisation a été confirmée par la Commission de révision de l'impôt dont la décision sur ce point est portée en appel par le défendeur; et
(3) la somme de $250, déduction réclamée par le défendeur à l'égard de son frère, Evald Silvet, refusée par le Ministre, refus confirmé par la Commission de révision de l'impôt dont la déci- sion sur ce point est portée en appel par le défendeur.
La situation tragique dans laquelle se trouve le défendeur est la conséquence directe de forces et d'événements politiques sur lesquels le défendeur n'avait aucun contrôle. En 1943, les troupes alle- mandes ont envahi l'Estonie, pays natal du défen- deur; puis furent chassées par l'armée russe; l'Es- tonie est alors devenue partie de l'Union des Républiques socialistes soviétiques.
L'occupation allemande explique la différence entre le patronyme du défendeur, Scheller, et celui de son frère,_ Silvet. A l'origine, leur nom de famille était Silvet mais les autorités allemandes avaient ordonné aux habitants des territoires occu- pés de prendre des noms d'origine allemande. Le défendeur et sa mère, Emilie Scheller, se sont exécutés, mais le frère du défendeur ne l'a pas fait.
Invasion et contre-offensive engendrèrent inévi- tablement le chaos et le désordre parmi les habi- tants des territoires convoités et le bouleversement total de leur vie quotidienne. Le défendeur passa en Finlande, alliée de l'Allemagne et ennemie de la Russie. Après l'invasion de la Finlande par les armées russes, le défendeur a regagné l'Estonie, elle aussi sous occupation russe.
Il y fit la connaissance de Liidia Palts et s'éprit d'elle. Elle était déjà mariée, mais le défendeur et elle avaient la certitude morale que son époux avait été tué. Cependant, il leur était impossible d'en faire la preuve parce que s'il avait été tué, c'était en territoire occupé par l'ennemi. C'est pourquoi le défendeur et Liidia Palts, de bons chrétiens, ne pouvaient légalement contracter en Estonie un mariage religieux ou civil. Le proverbe dit que les mariages sont écrits au ciel et, confor- mément au proverbe, le défendeur et Liidia Palts
se considéraient mari et femme; ils vécurent ensemble pendant quelque temps. Les circons- tances l'imposant, les parties dûrent se séparer. Le 22 juin 1944, une fille, Katrin, est née de cette union.
Ni l'Église et ni l'État n'admettent ce proverbe. Le fait irréfutable était que le défendeur et Liidia Palts n'étaient pas mariés. Le défendeur se rendit en Suède et malgré ses efforts acharnés, il ne put trouver Liidia Palts qui était devenue réfugiée; il lui était pratiquement impossible d'effectuer des recherches ailleurs.
En 1951, le défendeur immigra au Canada il suivit des études poussées. Il obtint un doctorat en mathématiques, matière qu'il enseigne maintenant dans un collège.
Les moyens de communications entre des per- sonnes résidant au Canada et celles qui habitent l'U.R.S.S. se sont améliorés ainsi que les possibili- tés de faire des voyages; les uns et les autres restent néanmoins difficiles- étant donné les barriè- res politiques. Le défendeur a appris se trou- vaient Liidia Palts, sa fille Katrin, ainsi que sa mère et son frère. Ils habitent en Estonie qui est maintenant une province de l'U.R.S.S.
C'est contre le gré du défendeur que Liidia Palts et leur fille, Katrin, demeurent en U.R.S.S. Il a fait tous les efforts possibles et a eu recours à tous les moyens disponibles (il les a tous essayés) pour que Liidia Palts et leur fille le rejoignent au Canada; en vain, encore une fois à cause d'obsta- cles politiques qu'il ne peut contrôler ni contourner.
La réaction du défendeur, et on doit l'en félici- ter, fut de s'imposer l'obligation de subvenir de son mieux aux besoins de Liidia Palts ainsi qu'à ceux de sa fille et des autres membres de sa famille qui demeurent en U.R.S.S. et moins fortunés que lui. Ayant assumé cette responsabilité, il eut toutefois beaucoup de difficultés à s'en acquitter. Si les fonds sont envoyés par l'entremise d'institutions financières, le donataire reçoit moins que ce que lui a envoyé le donateur, à cause d'un taux d'échange défavorable au bénéficiaire. Si je me souviens bien du témoignage du défendeur, le
bénéficiaire recevait moins de 54% du montant expédié. Par conséquent, le défendeur eut recours à d'autres moyens, par exemple, en confiant de l'argent à des amis qui se rendaient en U.R.S.S. et en envoyant des articles facilement revendables à un prix supérieur en U.R.S.S. Un jour, le défen- deur fit même parvenir un dictionnaire anglais à son frère.
Le Ministre ne conteste pas le fait que le défen- deur a vraiment envoyé les sommes réclamées à titre de déduction aux personnes demeurant en U.R.S.S. Aux fins des présentes, j'admets égale- ment que le défendeur a vraiment fait parvenir ces sommes aux différents membres de sa famille aux- quels elles étaient adressées.
Il reste à décider si le défendeur peut déduire ces sommes du calcul de son revenu imposable pour son année d'imposition 1972. Lorsqu'on étudie et interprète une loi fiscale, il ne faut pas oublier que l'assujettissement à l'impôt est la règle générale, alors que l'exemption est l'exception; toute disposition qui prévoit une exonération doit donc être interprétée strictement. Si un contribua- ble demande une exonération d'impôt, il n'y aura droit que si sa réclamation répond exactement aux conditions prévues par la disposition d'exemption. Le contribuable doit démontrer que son cas com- prend tous les éléments nécessaires et qu'il satisfait à toutes les exigences de la disposition d'exemp- tion. (Voir Lumbers c. M.R.N.', à la page 211). En gardant à l'esprit ces principes bien établis, je vais étudier chacune des trois demandes de déduc- tion faites par le défendeur à la lumière des dispo sitions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu.
J'étudierai premièrement la déduction de $480 réclamée par le défendeur à l'égard de Liidia Palts. Il est incontestable que le défendeur n'est pas légalement marié à Liidia Palts. Le défendeur n'est donc pas une personne mariée et ne peut se prévaloir de l'article 109(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, le défendeur ne peut invoquer que l'article 109(1)b) de la Loi. Cet article prévoit une exemption pour un particulier non marié (comme le défendeur) tenant un établis- sement domestique autonome il vivait (ce qu'a
[1943] R.C.E. 202.
fait le défendeur) et il subvenait effectivement aux besoins d'une personne, Liidia Palts (ce que le défendeur n'a pas fait) qui, durant l'année, était entièrement à la charge du contribuable et unie à lui par les liens du sang, du mariage ou de l'adop- tion. Le défendeur ne peut établir deux des condi tions prévues. Il admet dans sa plaidoirie que Liidia Palts n'est pas unie à lui par les liens du sang ni de l'adoption. Il ne l'a pas épousée. Enfin, Liidia Palts ne vivait pas avec le défendeur dans un établissement domestique autonome et ce dernier ne subvenait pas à ses besoins. Je ne me prononce pas sur les autres conditions prévues à l'article 109(1)b) comme préalables à la déduction réclamée.
Par conséquent, le Ministre a eu raison de refu- ser la déduction de cette somme dans le calcul du revenu imposable du défendeur pour son année d'imposition 1972. De même, la Commission de révision de l'impôt a eu raison de rejeter l'appel du défendeur de la cotisation du Ministre. Pour ces motifs, je rejette l'appel du défendeur, formé par demande reconventionnelle contre la décision de la Commission de révision de l'impôt, sur ce point en particulier.
Examinons maintenant la déduction de $1,350 demandée par le défendeur à l'égard de sa fille Katrin. Comme je l'ai déjà mentionné, le Ministre, en établissant la cotisation du défendeur, a réduit la déduction de $1,350 réclamée par le défendeur à $550. Le Ministre a admis une déduction de $550 conformément à l'article 109(1)d), parce que Katrin était indubitablement un enfant du défen- deur, au sens de la définition élargie du mot «enfant» à l'article 252(1), et parce qu'âgée de plus de 21 ans en 1972, elle était cependant étudiante à plein temps à l'université.
D'après moi, il faut considérer qu'en établissant la cotisation du défendeur, le Ministre a admis que Katrin était entièrement à la charge du défendeur et que son revenu était inférieur à $1,050, faute de quoi les conditions prévues à l'article 109(1)d) n'auraient pas toutes été remplies. Lorsqu'elle entendit l'appel du défendeur, la Commission de révision de l'impôt accorda le plein montant réclamé par le défendeur, soit $1,350, le maximum
permis en vertu de l'article 109(1)b). Autrement dit, la Commission a rétabli la somme de $800 qu'avait refusée le Ministre. Ce dernier a interjeté appel de la décision de la Commission à cet égard seulement.
C'est l'article 109(1)b) qui a été étudié en rap port avec la déduction demandée par le défendeur à l'égard de Liidia Palts. Indéniablement, le défen- deur n'est pas marié, il tenait un établissement domestique autonome il vivait, mais il n'y sub- venait pas effectivement aux besoins de sa fille, Katrin, avec laquelle il est uni par les liens du sang. Il manque donc une des conditions prévues à l'article 109(1)b) et ce seul défaut constitue une raison suffisante pour accueillir l'appel du Minis- tre contre la décision de la Commission de révision de l'impôt accordant la somme additionnelle de $800.
Pour ce motif, l'appel du Ministre à cet égard est donc accueilli.
Dans sa réplique à la déclaration, le défendeur a demandé que soit rétabli le plein montant réclamé par lui ou que soit confirmée la décision de la Commission de révision de l'impôt. L'avocat de Sa Majesté prétend en revanche que la question de savoir si Katrin était «entièrement à la charge» du défendeur—une autre condition préalable à l'exemption en vertu de l'article 109(1)b)—est liti- gieuse et m'a demandé de trancher cette question de fait. Je refuse pour trois raisons:
(1) comme je l'ai déjà mentionné, il manque une autre condition requise pour l'exemption, et c'est pour cette raison que j'ai accueilli l'appel de Sa Majesté; il n'est donc pas nécessaire que je me prononce sur ce fait, comme me le demande l'avocat;
(2) la preuve soumise à cet effet ne me permet pas de formuler une conclusion; il n'est pas nécessaire que je m'appuie sur le défaut du défendeur de s'acquitter de la charge qui lui était imposée, étant donné mon premier motif pour accueillir l'appel; et
(3) une décision sur ce point reviendrait à auto- riser le Ministre à en appeler de sa propre cotisation. Le Ministre est lié par sa cotisation. Si je décidais que Katrin n'était pas entièrement à la charge du défendeur aux fins de l'article
109(1)b), logiquement, je devrais alors décider aussi qu'elle n'était pas entièrement à la charge du défendeur aux fins de l'article 109(1)d), alors qu'il faut présumer dans ce dernier cas que le Ministre a admis que Katrin était entièrement à la charge de son père faute de quoi il n'aurait pas accordé la déduction de $550 en vertu de l'article 109(1)d); il en résulterait aussi une augmentation de la cotisation du Ministre, ce qu'à mon avis, je ne peux faire.
Les remarques du juge Thurlow dans l'affaire Harris c. M.R.N. 2 constituent un précédent à l'ap- pui du principe que j'ai énoncé à titre de troisième motif pour refuser de trancher cette question de fait.
La troisième question en litige entre les parties est de savoir si les $250 que le défendeur a envoyés à son frère Evald Silvet cette année-là peuvent être déduits lors du calcul de son revenu pour son année d'imposition 1972.
Le témoignage du défendeur établit que pendant plusieurs années, sa mère, Emilie Scheller, avait subvenu à ses besoins en travaillant. Se faisant vieille, elle tomba malade et dut cesser de travail- ler. Si j'ai bien compris, le frère du défendeur a pris l'appartement que leur mère avait tenu jus- qu'alors. Il s'y est installé avec sa famille mais se chargea de fournir à sa mère logement, nourriture et soins. Ce frère avait peu de ressources financiè- res et ces ressources diminuèrent avec sa retraite. Le défendeur était convaincu que son devoir filial exigeait qu'il contribue à l'entretien de sa mère jusqu'à la fin de ses jours. Je comprends très bien les sentiments et les actes du défendeur. Si j'ai bien compris, le Ministre a admis les déductions relatives à l'entretien de sa mère pour les années d'imposition antérieures, et si c'est bien le cas, le Ministre a eu raison de le faire en vertu de l'article 109(1)f), jusqu'à concurrence de $550, condition que la mère du défendeur n'ait pas un revenu en sus de $1,050, car la déduction permise de $550 aurait été alors réduite du montant en sus de $1,050.
Cependant, la mère du défendeur est morte en janvier 1971. Le frère du défendeur a faire des dépenses additionnelles pour les funérailles. C'était
2 [1964] C.T.C. 562à la page 571.
pour alléger cette charge financière que le défen- deur a fait parvenir $250 à son frère au cours de son année d'imposition 1972. Certains documents font état d'envois de fonds par le défendeur à son frère de $7.48 en mars 1972, de $50 en août 1972 et à nouveau de $50 en octobre 1972, soit, en tout, $107.48; je présume que d'autres fonds ont été envoyés par le défendeur pour un total de $142.52 à des dates qui coïncident à peu près avec les trois envois de fonds dont nous avons une preuve docu- mentaire. Cela veut dire que les envois de fonds par le défendeur ont été faits plus d'un an et quelque trois à neuf mois après la mort de sa mère. D'un point de vue pratique, donc, compte tenu de ces faits, le défendeur n'a fait qu'apporter sa con tribution aux frais supplémentaires engagés par son frère à la mort de leur mère. Pour être encore plus précis, les sommes envoyées par le défendeur à son frère en 1972 avaient pour but de l'aider et non de subvenir aux besoins de sa mère qui était morte en janvier 1971. En outre, je ne vois pas comment on peut subvenir aux besoins d'une per- sonne qui est morte, puisque la définition courante de cette expression signifie: subvenir aux besoins vitaux. Le frère du défendeur n'est pas à la charge de ce dernier; il est âgé de plus de 21 ans, ne souffre d'aucune infirmité mentale ou physique et ne fréquente pas à plein temps l'école ou l'univer- sité. Par conséquent, la situation du frère du défen- deur ne correspond pas à celle prévue à l'article 109(1)f).
Pour ces motifs, je rejette le contre-appel du défendeur logé contre la décision de la Commis sion de révision de l'impôt à cet égard.
Le défendeur prétendait simplement qu'à cause de circonstances indépendantes de sa volonté, sa famille ne pouvait le rejoindre au Canada. Cela étant, il a alors demandé au Ministre, par l'inter- médiaire des fonctionnaires ou employés du minis- tère du Revenu national, d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de lui accorder les trois déduc- tions réclamées et qui font l'objet du présent litige. Le défendeur demande en fait une dérogation aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le législateur n'a prévu dans la Loi de l'impôt sur le revenu aucun pouvoir, discrétionnaire ou autre, pour ce faire et par conséquent, le Ministre a correctement appliqué la loi en vigueur. Pour les motifs que j'ai énoncés, c'est ce qu'a fait le Minis-
tre, conformément à son devoir et à sa fonction et il n'a pas commis d'erreur.
Comme je l'ai déjà dit, on doit interpréter res- trictivement dans une loi fiscale toute disposition qui prévoit une exemption. Lorsque le sens des dispositions de la loi est clair, comme le sont les articles 109(1)a), b), d) et f), applicables en l'es- pèce, les tribunaux n'ont rien à voir avec le fait qu'il s'agit de bonne ou de mauvaise politique, d'une disposition juste ou injuste. Lorsque l'inten- tion du législateur est claire et évidente, j'ai le devoir d'appliquer la loi telle qu'elle est. C'est ce que j'ai fait dans cet appel et dans ce contre-appel incident. Agir autrement équivaut à mettre de côté la fonction du juge à assumer celle du pouvoir législatif.
C'est l'erreur qu'a commise le savant membre de la Commission de révision de l'impôt. Lorsqu'il a accordé au défendeur la somme totale de $1,350 réclamée par ce dernier à l'égard de sa fille Katrin, il a dit:
Après avoir entendu les faits présentés en preuve, la Commis sion est d'avis qu'il devrait être permis à l'appelant de déduire, de son revenu imposable, la totalité du montant versé par lui pour l'entretien de sa fille Katrin qui, en 1972, poursuivait sa dernière année d'étude dans une université en Russie. Bien que l'appelant ne satisfasse pas entièrement aux exigences de l'arti- cle 109(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu et bien que l'impôt sur le revenu n'admette pas les considérations d'équité j'estime que, dans les circonstances, l'appelant devrait pouvoir bénéficier au maximum des avantages de l'article 109(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Dans le passage cité, le savant membre recon- naît que le défendeur «ne satisfait pas entièrement aux exigences de l'article 109(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.» Puisque j'en suis arrivé à cette conclusion, il s'ensuit, •conformément à l'af- faire Lumbers c. M.R.N. (précitée), que le défen- deur ne peut se prévaloir de l'exemption prévue à cet article.
Après avoir dit que le défendeur ne satisfaisait pas entièrement aux exigences de l'article et que l'equity ne s'appliquait pas en matière d'impôt, il a affirmé: «j'estime que, dans les circonstances, l'ap- pelant (le défendeur dans la présente affaire) devrait pouvoir bénéficier au maximum des avan- tages de l'article 109(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu». Il a donc accueilli l'appel du défendeur à la Commission et renvoyé la question au Minis- tre pour nouvelle cotisation conforme à la décision.
A mon avis, et pour les motifs énoncés, il avait tort de ce faire. Je suis certain que le savant membre éprouvait beaucoup de pitié pour le défendeur dans sa situation pénible, sentiment amplement justifié, mais il a permis à cette pitié de dicter son juge- ment. Il a prouvé la véracité du vieil adage selon lequel les cas d'exception font de mauvais précédents.
Au cours de l'audition, j'ai signalé au défendeur que cette Cour n'est pas la tribune appropriée pour plaider une modification de la loi qu'il considère injuste. Il faut s'adresser au pouvoir législatif et cette voie lui est encore accessible. Le défendeur est allé encore plus loin et a soutenu dans sa plaidoirie qu'en raison de circonstances indépen- dantes de sa volonté, sa famille ne pouvait le rejoindre au Canada, il se trouvait de ce fait, dans une situa ion moins avantageuse que celle des autres 'dents du Canada qui ont la chance d'être ento rés de leur famille. En conséquence, il prétend que la loi est mauvaise parce que discriminatoire.
Par là, je crois que le défendeur, inconsciem- ment peut-être, invoquait la Déclaration cana- dienne des droits (S.C. 1960, c. 44).
L'article 1 de cette Loi énumère certains droits fondamentaux dont, à l'alinéa b), «le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi». L'article 2 stipule que toute loi du Canada doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés à l'article 1, qui comprend évidemment le droit à l'égalité devant la loi.
Le défendeur se voit accorder l'égalité devant la loi en ce sens que d'autres personnes, dans les mêmes circonstances, sont sujettes à la même application de la Loi de l'impôt sur le revenu et, il n'y a donc pas de discrimination dans l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. S'il en résulte une certaine discrimination au sens que lui prête le défendeur, elle provient des situations différentes dans lesquelles se trouvent les différents contribua- bles; mais il ne s'agit pas alors de discrimination, pas plus que le fait qu'un contribuable ayant un revenu supérieur doit payer plus d'impôt qu'un contribuable ayant un revenu inférieur. Pour ces motifs, l'argument soumis par le défendeur est tout à fait insoutenable.
En vertu de l'article 178(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, lorsque, dans un appel interjeté par le Ministre d'une décision de la Commission de révision de l'impôt, le montant de l'impôt qui fait l'objet du litige ne dépasse pas $2,500, la Cour fédérale, en statuant sur l'appel, doit ordonner au Ministre de payer tous les frais raisonnables et justifiés du contribuable afférents à l'appel. Comme il a déjà été signalé, le Ministre n'a inter- jeté appel que de la partie de la décision de la Commission de révision de l'impôt qui accordait la totalité du montant réclamé à titre de déduction par le défendeur à l'égard de sa fille Katrin. C'est le défendeur qui a interjeté appel des parties de la décision de la Commission rejetant les déductions demandées par le défendeur à l'égard de Liidia Palts et Evald Silvet.
Je ne suis pas certain que le défendeur est exempt des frais de son contre-appel et que Sa Majesté n'a pas droit aux frais à l'égard de l'appel du défendeur; cependant ces trois questions sont imbriquées au point de ne former effectivement qu'un seul appel; étant donné que le défendeur a plaidé lui-même sa cause et que, par conséquent, ses frais taxés seront minimes, et en outre, que l'avocat du Ministre n'a pas demandé les frais, j'ai décidé d'exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère la Règle 344 et j'ordonne donc au Ministre de payer les frais du défendeur. Mais je ne vou- drais pas qu'on interprète ma décision comme signifiant qu'un défendeur a toujours droit à ses frais en vertu de l'article 178(2) et, si mes collè- gues ou un tribunal de première instance devaient trancher cette question, ils ne seraient aucunement liés par la façon dont j'ai exercé mon pouvoir discrétionnaire en l'espèce ni par mes remarques à ce sujet.
En résumé,
(1) est accueilli l'appel interjeté par Sa Majesté de la décision de la Commission de révision de l'impôt accordant au défendeur l'intégralité de la somme réclamée à titre de déduction aux fins du calcul de son revenu imposable pour son année d'imposition 1972 à l'égard de sa fille Katrin;
(2) je rejette l'appel du défendeur du rejet de la déduction demandée à l'égard des $480 versés
par le défendeur à Liidia Palts aux fins du calcul de son revenu imposable pour son année d'impo- sition 1972;
(3) je rejette l'appel du défendeur du rejet de la déduction demandée à l'égard des $250 versés à Evald Silvet aux fins du calcul de son revenu imposable pour son année d'imposition 1972;
(4) la cotisation du Ministre est rétablie; et
(5) le Ministre doit payer tous les frais raison- nables et justifiés du contribuable afférents à l'appel interjeté par le Ministre de la décision de la Commission de révision de l'impôt et au contre-appel du défendeur contre cette décision.
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