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A-361-75
Robert Thomas Martineau et Robert Earl Butters (Requérants)
c.
Le comité de discipline des détenus de l'institution de Matsqui (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Ryan et le juge suppléant Sheppard—Vancouver, le 23 janvier 1976; Ottawa, le 5 février 1976.
Examen judiciaire—Compétence—Détenus accusés d'in- fractions—La décision du comité de discipline est-elle con- forme aux principes de la justice naturelle?—Le comité a-t-il excédé sa compétence? Le comité a-t-il commis une erreur de droit?—La Cour a-t-elle compétence? Loi sur les péni- tenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, art. 3 à 6, 22(1),(3), 23 et 29 et le Règlement sur le service des pénitenciers, art. 2.28, 2.29g) et h)—Directives du Commissaire 242, 18 décembre 1973, et 213, 1° , mai 1974—Loi sur la Cour fédérale, art. 28(1) et (6).
Les requérants, détenus à l'institution de Matsqui, ont été accusés de deux infractions à la discipline, savoir, être deux détenus dans une cellule et commettre un acte indécent. A la suite d'une audition tenue par le comité de discipline des détenus, ils ont été condamnés à une période de 15 jours dans une cellule d'isolement, avec régime alimentaire restreint et perte de privilèges. Ils allèguent que le comité n'a pas respecté les principes de la justice naturelle en les privant du droit d'être pleinement informés des infractions alléguées, et de leur droit à une audition équitable, à la possibilité de présenter leur preuve d'une façon efficace, et à une décision conforme au processus judiciaire et fondée sur des documents validement soumis au comité. Ils prétendent en outre que le comité a excédé sa compétence en les déclarant coupables d'une infraction qui n'existe pas en droit et en adoptant une procédure contraire à la Déclaration canadienne des droits et que le comité a commis une erreur de droit, car l'infraction définie comme le fait d'être dans une position indécente n'existe pas en droit et la décision n'est pas étayée par la preuve. L'intimé soutient qu'une mesure disciplinaire prise en vertu de la Loi sur les pénitenciers est une décision administrative et n'est pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Arrêt: l'appel est rejeté, la Cour n'étant pas compétente. Les décisions en matière disciplinaire sont différentes des décisions administratives qui sont implicitement soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire et donc susceptibles d'examen judiciaire. Les décisions contestées sont de nature pénale et en vertu des règles administratives, doivent être rendues avec équité et justice, mais elles ne constituent pas des décisions au sens de l'article 28. Le fait que la réduction statutaire de peine soit affectée ne modifie pas leur nature fondamentale. Cepen- dant, toute décision ayant un effet sur les droits d'un individu doit constituer un exercice de bonne foi des pouvoirs conférés aux autorités pénitentiaires. On ne peut déduire de l'article 28(6), que si ce n'était le paragraphe (6), l'article 28(1) inclurait une procédure pour une «infraction militaire» en vertu de la Loi sur la défense nationale et, donc des procédures semblables en vertu de lois telles que la Loi sur les pénitenciers.
Le juge Ryan (dissident): La Cour a compétence. Le Règle- ment sur le service des pénitenciers, dans la mesure il concerne la discipline des détenus, et la directive 213 du Commissaire, validement édictés en vertu de l'article 29 de la Loi sur les pénitenciers, établissent un système d'administration de la discipline des détenus et imposent une exigence légale selon laquelle les décisions de nature disciplinaire relatives à des infractions graves et manifestes doivent être soumises à un processus quasi judiciaire.
Arrêts appliqués: Howarth c. La Commission nationale des libérations conditionnelles (1975) 18 C.C.C. (2e) 385; La Reine c. White [ 1956] R.C.S. 154; Le Commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft [1964] R.C.S. 49 et Association des employés de radio et de télévision du Canada c. Radio-Canada [1975] 1 R.C.S. 118. Arrêts approuvés: Ex parte Parker [1953] 1 W.L.R. 1150 et Ex parte Fry [1954] 1 W.L.R. 730. Arrêts critiqués: Saulnier c. La Commission de police du Québec (1976) 57 D.L.R. (3e) 545; Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40 et R. c. Le directeur du camp de correction de Beaver Creek, ex parte MacCaud [1969] 1 O.R. 373. Arrêts analysés: In re H. K. [1967] 2 Q.B. 617; Schmidt c. Home Secretary [1969] 2 Ch. 149 et R. c. Secretary of State [1973] 3 All E.R. 796.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
J. Conroy pour les requérants. J. Haig pour l'intimé.
PROCUREURS:
Services juridiques communautaires d'Ab- botsford, Abbotsford (C.-B.), pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une demande en vertu de l'article 28 visant l'annula- tion «de la décision et de l'ordonnance rendues le mercredi 18 juin 1975, à l'institution de Matsqui (Colombie-Britannique) contre ROBERT THOMAS MARTINEAU et ROBERT EARL BUTTERS, par les membres du comité de discipline ... tenant une audience du comité de discipline des détenus con- formément aux règlements adoptés en vertu de la Loi sur les pénitenciers ...».
Le 16 juin 1975, un agent de l'institution rédi- gea un [TRADUCTION] «rapport d'incident» qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le 15 juin 1975, vers 14h30, alors que je faisais une ronde de sécurité au troisième étage de l'aile ouest, j'ai trouvé 4461 MARTINEAU dans la cellule de 8142 BUTTERS, c'est-à-dire la cellule 3=W-22.
Il m'a semblé évident à ce moment que les deux détenus commettaient un acte indécent d'homosexualité. Les circons- tances à l'appui de mes suppositions sont les suivantes:
a) Lorsque j'ai ouvert la porte de la cellule, j'ai aperçu MARTINEAU étendu sur le dos, sur le lit de BUTTERS.
b) BUTTERS était agenouillé sur le plancher, penché sur MAR- TINEAU et avait le visage à la hauteur du bas ventre de MARTINEAU.
c) Surpris par mon arrivée, BUTTERS s'est relevé et c'est alors que j'ai remarqué que la braguette du pantalon de MARTI- NEAU était ouverte.
J'ai été choqué et embarrassé par une telle conduite et après m'être ressaisi, je leur ai demandé [TRADUCTION] «Qu'est-ce que ça veut dire?» A ce moment BUTTERS et MARTINEAU se sont tous deux levés. MARTINEAU m'a alors demandé ce que j'allais faire.
Puisque avant cet incident, je n'avais jamais eu personnelle- ment connaissance de ce genre de conduite, je lui ai répondu que je m'informerais auprès de mes supérieurs et que je les tiendrais au courant. Par la suite MARTINEAU s'est approché de moi et m'a supplié de leur donner une chance et de tout oublier.
Le même jour, l'agent rédigea un «rapport d'in- fraction» distinct dans lequel il signalait que chacun des détenus avait commis les infractions suivantes:
[TRADUCTION] Le 15 juin 1975 vers 14h30.
1) Deux détenus dans une cellule
Commettant un acte indécent (homosexualité)
Le 17 juin 1975, un autre agent a rempli une formule distincte à l'égard de chacun des requé- rants; cette formule s'intitule «Détermination de la catégorie d'infraction». Cette formule fut jointe au «Rapport d'infraction>» et, en plus de préciser qu'il s'agissait d'infractions «manifestes ou graves», l'agent remplit des formules en vue d'indiquer que l'affaire était déférée à un «comité de discipline pour l'instruction»» conformément aux paragraphes g) et h) de l'article 2.29 du Règlement sur le service des pénitenciers. Une formule supplémen- taire intitulée «Rapport d'infraction» et [TRADUC- TION] «Re: NOTIFICATION OFFICIELLE», rédigée à l'égard de chacun des requérants, indiquait que le détenu (identifié par son numéro et son nom) [TRADUCTION] «avait commis une infraction vers 14h30, le 15 juin 1975» dont on présentait un [TRADUCTION] «résumé» révélant, dans le cas de Butters, [TRADUCTION] «qu'il avait sans autorisa- tion, permis à un autre détenu de pénétrer dans sa
cellule, en contravention des règles et règlements de l'institution et qu'il avait commis un acte indé- cent» et, dans le cas de Martineau, [TRADUCTION] «qu'il se trouvait dans la cellule d'un autre détenu contrairement aux règles et règlements de l'institu- tion et qu'il avait commis un acte indécent». Cette formule indiquait aussi, à l'égard de chacun des hommes
[TRADUCTION] qu'une accusation serait portée contre lui en vertu de l'article 2.29h) et g) du R.S.P.
h) délibérément désobéit ou omet d'obéir à quelque règlement ou règle régissant la conduite des détenus,
g) se comporte, par ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce soit,
Cette formule fut signée par Butters pour attester qu'une copie lui avait été remise. Voici la version des faits du fonctionnaire désigné «président du comité de discipline des détenus», tels que présen- tés dans son rapport:
[TRADUCTION] 4. Les détenus Martineau et Butters ont été officiellement informés des accusations le 17 juin 1975, soit vingt-quatre heures avant leur comparution devant le comité de discipline des détenus, le 18 juin 1975. Les détenus ont com- paru séparément.
5. Les détenus ont été avisés oralement des accusations présen- tées par écrit par l'agent témoin de l'incident. Les détenus Martineau et Butters ont plaidé coupable à l'accusation portée en vertu du paragraphe h) de l'article 2.29 du Règlement sur le service des pénitenciers, car «les règles et règlements de l'insti- tution ne permettent pas à deux détenus de se trouver dans la même cellule, au même moment» et non coupable relativement à l'accusation portée en vertu du paragraphe g) de l'article 2.29 du Règlement sur le service des pénitenciers, «d'avoir commis un acte indécent au sens de la directive 242 du Commissaire».
6. Puisqu'ils plaidaient tous deux non coupable à l'accusation portée en vertu du paragraphe g) de l'article 2.29 du Règlement sur le service des pénitenciers, l'agent témoin de l'incident fut appelé pour témoigner.
7. Ce dernier a déposé en présence des détenus Martineau et Butters.
8. Le président et les membres du comité ont questionné le témoin en présence des détenus Martineau et Butters.
9. Martineau et Butters furent autorisés à lui poser des ques- tidns par l'intermédiaire du président du comité. Il est opportun de noter- qu'il fallut reprendre Martineau qui faisait des décla- rations sans poser de questions et dont le comportement à l'égard du témoin et du comité était outrageux.
10. Les détenus Martineau et Butters avaient la possibilité d'appeler des témoins mais ils ne s'en sont pas prévalus; ils ont cependant demandé un avocat. Ils furent alors informés que la Loi sur les pénitenciers ne le permettait pas et que le comité procéderait conformément à la directive 213 du Commissaire,
«Directives relatives à la discipline des détenus». Les deux détenus avaient la possibilité de faire des déclarations dans leur défense aux accusations.
11. Lorsqu'il fit le résumé des dépositions de l'agent témoin de l'incident, de la preuve écrite, orale, obtenue au cours de la période de question et à la suite des déclarations des détenus Martineau et Butters, le président du comité a informé Marti- neau et Butters que le comité jugeait qu'ils avaient délibéré- ment désobéi aux Règles et Règlements en étant dans la même cellule au même moment, que leur position indécente dans la cellule, telle qu'observée par l'agent témoin de l'incident, indi- quait que leur conduite était inacceptable, et que le comité concluait à leur culpabilité sous tous les chefs d'accusation.
12. Les détenus Martineau et Butters furent informés de leur condamnation à une peine de quinze (15) jours à l'unité spéciale de correction, à compter du 18 juin 1975, période durant laquelle ils recevraient une ration alimentaire restreinte et perdraient tous les privilèges qui ne sont pas habituellement octroyés pendant la détention dans cette unité.
Dans chaque cas, il existe un document intitulé «Instruction> qui mentionne les défenses «coupa- ble» et «non coupable», les constatations quant à leur culpabilité et la sanction imposée.
De toute évidence la demande en vertu de l'arti- cle 28 vise l'annulation de toutes ces décisions'. Cette demande énonce comme suit les motifs de contestation des décisions:
[TRADUCTION] (1) Le comité n'a pas respecté les règles sui- vantes de la justice naturelle:
a) le droit des détenus d'être bien informés, avant l'audition, de l'infraction alléguée à la discipline;
b) le droit des détenus à une audition équitable;
c) le refus de donner aux détenus la possibilité de présenter leur cause de façon efficace et d'entendre les témoignages pertinents à l'accusation portée contre eux;
d) le droit des détenus à ce que la décision rendue à leur égard soit conforme au processus judiciaire et fondée sur des éléments de preuve validement soumis au comité et ne soit pas irrégulière ni fondée sur des considérations n'ayant aucun rapport avec l'accusation.
(2) Le comité a excédé sa compétence;
(i) en déclarant les demandeurs coupables d'une infraction qui n'existe pas en droit;
(ii) en adoptant une procédure contraire à l'article 2d) et
e) de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970 Appendice III.
(3) La décision du comité est entachée d'une erreur de droit aux motifs que:
Je serais enclin à penser qu'en ce qui concerne lesdites décisions, chacun des requérants aurait présenter une demande en vertu de l'article 28; cependant ce point n'a pas été soulevé et je le mentionne uniquement afin d'éviter que la jonction de telles procédures ne fasse jurisprudence.
(i) l'infraction définie comme le fait d'être dans une posi tion indécente n'existe pas en droit;
(ii) leur décision n'était pas étayée par la preuve. (4) Et pour tout autre motif invoqué par l'avocat.
Conformément à l'ordonnance prononcée en vertu de la Règle 1402, l'affidavit de chacun des demandeurs fut joint au dossier de la Cour. Voici un extrait de l'affidavit de Martineau:
[TRADUCTION] (2) Le ou vers le 17 juin 1975, on m'a signifié un avis m'informant que conformément aux Règlements adop tés en vertu de la Loi sur les pénitenciers S.R.C. 1970 c. P-6, j'étais accusé des infractions suivantes à la discipline des détenus:
a) être deux détenus dans une cellule;
b) commettre un acte indécent.
(3) ROBERT EARL BUTTERS m'a dit, et je le crois, qu'il a été accusé des mêmes infractions, à la suite du même incident.
(4) Le mercredi 18 juin 1975, j'ai été convoqué devant le comité de discipline des détenus de l'institution de Matsqui (Colombie-Britannique); les membres du comité étaient WALTER ROBERT SWAN, président, DONALD FRANCIS PAVALIS et WAYNE SISSONS.
(5) Après avoir été amené à l'endroit le comité siégeait, on m'a fait attendre à l'extérieur, pendant environ une heure, jusqu'à ce que Robert Earl BUTTERS sorte de la salle d'audience.
(6) Ensuite, je suis entré dans la pièce l'on m'a lu les accusations à haute voix et demandé de présenter ma défense; j'ai plaidé coupable à l'accusation de m'être trouvé avec un autre détenu dans la même cellule et non coupable à celle d'avoir commis un acte indécent.
(7) Après cela, DUPPERON, un gardien de l'institution, a lu à haute voix sa déposition portant sur les circonstances entourant les infractions alléguées et j'ai été autorisé à lui poser des questions sur sa déposition.
(8) Quand j'ai voulu poser certaines questions au gardien DUPPERON, le président du comité, SWAN, m'a maintes fois interrompu au motif que mes questions n'étaient pas pertinen- tes et ne portaient pas directement sur l'accusation.
(9) On ne m'a jamais demandé de donner mon opinion ni de témoigner au sujet des faits allégués contre moi.
(10) Après cela, on m'a fait sortir de la pièce et on y a rappelé Robert Earl BUTTERS.
(11) Environ dix minutes plus tard, on m'a convoqué pour me dire qu'on me trouvait coupable d'avoir été dans une position indécente et non d'avoir commis un acte indécent.
(12) Je n'ai à aucun moment été présent lors du témoignage de BUTTERS à ce sujet et on ne m'a jamais permis de lui poser des questions sur son témoignage.
(13) J'ignorais que le fait d'être dans une position indécente constituait une infraction à la discipline et je ne sais toujours pas si cette infraction existe.
(14) Après avoir été déclaré coupable, on m'a condamné à une période de quinze jours dans une unité spéciale de correction avec un régime alimentaire restreint.
(15) J'ignore si la sentence imposée à mon égard couvre une seule ou les deux infractions alléguées.
Celui de Butters se lit en partie comme suit:
(2) Le ou vers le 17 juin 1975, on m'a signifié un avis m'informant que conformément aux règlements adoptés en vertu de la Loi sur les pénitenciers S.R.C. 1970 c. P-6, j'étais accusé des infractions suivantes à la discipline des détenus:
a) être deux détenus dans une cellule;
b) commettre un acte indécent.
(3) ROBERT THOMAS MARTINEAU m'a dit, et je le crois, qu'il a été accusé des mêmes infractions, à la suite du même incident.
(4) Le mercredi 18 juin 1975, j'ai été convoqué devant le comité de discipline des détenus de l'institution de Matsqui (Colombie-Britannique); les membres du comité étaient WALTER ROBERT SWAN, président, DONALD FRANCIS PAVALIS et WAYNE SISSONS.
(5) Lors de ma comparution devant le comité de discipline, le 18 juin 1975, on m'a lu les accusations à haute voix et demandé de présenter ma défense; j'ai plaidé coupable à l'accusation de m'être trouvé avec un autre détenu dans la même cellule et non coupable à celle d'avoir commis un acte indécent.
(6) Après cela, DUPPERON, un gardien de l'institution, a lu à haute voix sa déposition portant sur les circonstances entourant les infractions alléguées et l'on m'a alors permis de lui poser des questions sur sa déposition.
(7) On a ensuite demandé à DUPPERON de quitter la pièce.
(8) C'est alors qu'on m'a permis de donner mon opinion sur le sujet; j'ai déclaré que je me trouvais à l'extérieur de ma cellule pour nettoyer la fenêtre, lorsque MARTINEAU est entré; aussitôt après avoir terminé de nettoyer les vitres, je suis rentré dans ma cellule par la fenêtre en posant les pieds sur mon lit et ensuite sur le plancher. Pour autant que je me souvienne, MARTINEAU était assis sur mon lit et je venais à peine de rentrer dans ma cellule quand le gardien DUPPERON est arrivé. J'affirme que MARTINEAU et moi n'avons commis aucun acte indécent et que je n'ai pas vu MARTINEAU prendre une position indécente et que je n'ai pas adopté une telle position moi-même.
(9) DUPPERON a été rappelé et on m'a à nouveau permis de lui poser des questions; à la suite de ces questions, DUPPERON a admis qu'il ne nous avait vus commettre aucun acte indécent mais avait conclu de la position dans laquelle MARTINEAU et moi-même nous trouvions, selon son allégation, qu'un acte indécent avait été commis.
(10) Le gardien DUPPERON a allégué que les pantalons de MARTINEAU étaient détachés lorsqu'il est entré dans la cellule; je n'ai à aucun moment vu ou remarqué que les pantalons de MARTINEAU étaient détachés.
(11) Le détenu MARTINEAU était absent quand le gardien DUPPERON et moi-même avons témoigné.
(12) On m'a alors demandé de quitter la pièce et on a convo- qué le détenu MARTINEAU.
(13) Je n'ai à aucun moment été présent dans la salle d'au- dience lors du témoignage de MARTINEAU et on ne m'a jamais permis de lui poser des questions sur son témoignage.
(14) J'ai répondu aux questions du comité sur cette affaire parce que je croyais y être obligé et craignais d'être accusé d'une infraction supplémentaire si je ne le faisais pas.
(15) On m'a ensuite rappelé dans la salle d'audience pour me dire qu'on me trouvait coupable d'avoir été dans une position indécente et non d'avoir commis un acte indécent et j'ai été condamné à une période de quinze jours dans l'unité spéciale de correction, avec un régime alimentaire restreint.
(16) J'ignorais que le fait d'être dans une position indécente constituait une infraction à la discipline et je ne sais toujours pas si cette infraction existe.
(17) J'ignore si la sentence imposée à mon égard couvre une seule ou les deux infractions alléguées.
Il est reconnu que l'institution en question cons- titue un «pénitencier» en vertu de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6. Les dispositions suivantes de la Loi semblent être pertinentes:
3. Est maintenu un service des pénitenciers dans et pour le Canada, connu sous le nom de Service canadien des pénitenciers.
4. (1) Le gouverneur en conseil peut faire la nomination, et fixer le traitement, d'un fonctionnaire connu sous la désignation de commissaire des pénitenciers, qui, sous la direction du Ministre, est chargé de la surveillance et de la gestion du Service et de toutes les questions qui s'y rattachent.
5. (1) Le Ministre peut nommer des fonctionnaires du Ser vice, connus sous la désignation de directeurs de division et de directeurs régionaux.
6. (1) Sous la direction du Ministre, le commissaire peut nommer les autres fonctionnaires et employés du Service qui sont nécessaires pour l'application de la présente loi, ...
22. (1) Quiconque est condamné ou envoyé au pénitencier pour une période déterminée doit, dès sa réception à un péni- tencier, bénéficier d'une réduction statutaire de peine équiva- lant au quart de la période pour laquelle il a été condamné ou envoyé au pénitencier, à titre de remise de peine sous réserve de bonne conduite.
(3) Chaque détenu qui, ayant bénéficié d'une réduction sta- tutaire de peine, est déclaré coupable devant un tribunal disci- plinaire d'une infraction à la discipline, encourt la déchéance, en tout ou en partie, de son droit à la réduction statutaire de peine inscrite à son crédit, mais une telle déchéance ne peut être valide pour plus de trente jours sans l'assentiment du
commissaire ou d'un fonctionnaire du Service désigné par lui, ni pour plus de quatre-vingt-dix jours sans l'assentiment du Ministre.
23. Le commissaire, ou un fonctionnaire du Service désigné par lui, peut, s'il est convaincu qu'il y va de l'intérêt du redressement moral d'un détenu, annuler toute déchéance du droit à la réduction statutaire de peine, mais cette annulation ne peut pas valoir pour une perte de plus de quatre-vingt-dix jours de réduction statutaire de peine sans l'approbation du Ministre.
29. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
a) relatifs à l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'ef- ficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service;
b) relatifs à la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus; et
c) relatifs, de façon générale, à la réalisation des objets de la présente loi et l'application de ses dispositions.
(2) Le gouverneur en conseil peut, dans tous règlements édictés sous le régime du paragraphe (1) sauf son alinéa b), prévoir une amende d'au plus cinq cents dollars ou un empri- sonnement d'au plus six mois, ou à la fois l'amende et l'empri- sonnement susdits, à infliger sur déclaration sommaire de cul- pabilité pour la violation de tous semblables règlements.
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut établir des règles, connues sous le nom d'Instructions du com- missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
Les dispositions suivantes des règlements édictés par le gouverneur en conseil sous le titre Règle- ment sur le service des pénitenciers, semblent être pertinentes:
Mesures disciplinaires
2.28. (1) Il incombe au chef de chaque institution de main- tenir la discipline parmi les détenus incarcérés dans cette institution.
(2) Aucun détenu ne doit être puni sauf sur l'ordre du chef de l'institution ou d'un fonctionnaire désigné par le chef de l'institution.
(3) Si un détenu est trouvé coupable d'un manquement à la discipline, la peine consiste, sauf en cas d'infraction flagrante ou grave, en la perte de privilèges.
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines suivantes:
a) de la perte de la réduction statutaire de peine;
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une période d'au plus trente jours,
(i) avec l'imposition pendant la totalité ou une partie de cette période d'un régime alimentaire sans variété, mais assez soutenant et sain, ou
(ii) sans régime alimentaire;
c) de la perte de privilèges.
2.29. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu
qui
g) se comporte, par ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce soit,
h) délibérément désobéit ou omet d'obéir à quelque règle- ment ou règle régissant la conduite des détenus,
La directive 242 du Commissaire, en date du 18 décembre 1973, s'intitule «Homosexualité dans les pénitenciers» et se lit comme suit:
1. AUTORISATION
Cette directive est émise en vertu du sous paragraphe 2.29g) du
Règlement sur le service des pénitenciers.
2. DIRECTIVE
Même si, à part quelques exceptions, l'homosexualité ne consti- tue pas une offense selon le Code Criminel du Canada, elle est considérée comme un acte indécent et, comme tel, est interdite en vertu du sous paragraphe 2.29g) du Règlement sur le service des pénitenciers.
La directive 213 du Commissaire, en date du ler mai 1974, se lit en partie comme suit:
1. AUTORISATION
Cette directive est émise selon l'article 29(3) de la Loi sur les pénitenciers, et les articles 2.28, 2.29, 2.30 et 2.31 du Règle- ment sur le Service des pénitenciers.
4. FONCTIONNAIRES CHARGÉS D'IMPOSER LES PEINES
Le directeur de l'institution désignera, par écrit, conformément à l'article 2.28(2) du R.S.P., les fonctionnaires qui peuvent imposer des peines à l'égard d'infractions légères et ceux qui peuvent en imposer à l'égard d'infractions graves ou manifes- tes.. .. Les fonctionnaires qui sont chargés d'imposer les peines à l'égard d'infractions graves ou manifestes doivent être de niveau au moins équivalent à celui de directeur adjoint.
6. INFRACTIONS DES DÉTENUS
Les infractions des détenus sont telles qu'énumérées à l'article
2.29 du R.S.P.
7. INFRACTIONS GRAVES OU MANIFESTES
a. Est trouvé coupable d'une infraction grave ou manifeste, le détenu qui
(11) se comporte, par ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce soit;
b. Le détenu trouvé coupable d'une infraction grave ou manifeste se verra infliger une ou plusieurs des peines suivan- tes (conformément au R.S.P.):
(1) déchéance de sa rémission statutaire de peine;
(2) isolement cellulaire pendant moins de trente jours pendant lesquels il recevra sa ration alimentaire normale ou la ration prévue dans les cas d'isolement (conformé- ment à l'I.D. 667), cette dernière mesure pouvant s'étendre à la totalité ou à une partie de la période que dure sa punition;
9. DÉTERMINATION DE LA CATÉGORIE D'INFRACTIONS
En dépit des critères qui aident à établir si une infraction est grave ou légère, c'est au directeur de l'institution ou au fonc- tionnaire désigné par lui qu'il incombe de déterminer la catégo- rie d'infractions; chaque cas est étudié à la lumière des circons- tances qui entourent l'incident.
11. MESURES QUE L'AGENT TÉMOIN D'UNE INFRACTION DEVRA PRENDRE
L'agent du pénitencier témoin de ce qu'il considère comme un acte répréhensible de la part d'un ou de plusieurs détenus, prendra, selon le cas, les mesures suivantes:
c. il en avisera aussitôt le principal agent de sécurité de service pendant les heures normales de travail ou l'agent responsable de l'institution, en tout autre temps, dans les cas l'isolement cellulaire provisoire ou le renvoi du détenu à sa cellule s'impose;
d. il prendra note de l'infraction et la notera dans le dossier du détenu à titre d'indication pouvant être utile;
e. il dressera un rapport au sujet de cette infraction (voir l'Annexe «A» ci-jointe).
12. RAPPORTS D'INFRACTIONS
a. Les rapports d'infractions seront soumis à un agent dési- gné qui décidera de la nécessité d'une enquête plus approfon- die ainsi que de la catégorie de l'infraction dont il s'agit. Le principal agent de sécurité de service devra être immédiate- ment informé des infractions graves ou manifestes afin qu'il puisse agir sur-le-champ si cette infraction nuit à la sécurité de l'institution.
c. Si les résultats de l'enquête révèlent que l'infraction est sérieuse ou manifeste, on doit faire parvenir le rapport au directeur de l'institution qui doit agir conformément au paragraphe 13.
13. L'AUDITION DES INFRACTIONS GRAVES OU MANIFESTES
a. Le directeur de l'institution ou le fonctionnaire désigné par lui, de niveau au moins équivalent à celui de directeur adjoint, fera l'audition de toutes les causes correspondant à des infractions graves ou manifestes et, si la culpabilité du détenu est établie, il imposera une peine appropriée. Deux membres du personnel pourront être désignés pour assister à l'audition, mais leur rôle ne sera que consultatif.
c. On ne prononcera aucun verdict contre un détenu accusé d'une infraction grave ou manifeste en vertu de l'article 2.29 du R.S.P. à moins:
(1) qu'il ait reçu un avis écrit qui soit assez détaillé pour lui permettre de se remémorer le moment la présumée infraction a été commise, ainsi que les événements qui s'y rapportent, et un sommaire des preuves que l'on possède contre lui;
(2) qu'il ait reçu l'avis écrit et le résumé dont il est fait mention au paragraphe (1) au moins 24 heures avant l'ouverture de l'instruction, de façon à ce qu'il ait eu suffisamment de temps pour préparer sa défense;
(3) qu'il ait comparu en personne à l'audition de façon à ce que les accusations portées contre lui le soient en sa présence;
(4) qu'on lui ait donné la possibilité de dire tout ce qu'il y avait à dire pour sa défense, c'est-à-dire entre autres, que le président ait procédé à l'interrogatoire et au contre- interrogatoire des témoins; le détenu a le droit de convo- quer ses propres témoins, exception faite des cas le président juge que la présence du témoin convoqué pour- rait être frivole ou vexante: il est alors libre de refuser le témoignage de cette personne; il devra toutefois donner au détenu les motifs de son refus.
d. Le verdict de culpabilité ou de non-culpabilité doit être basé strictement sur les preuves produites lors de l'audition et un verdict de culpabilité ne peut être rendu que, si après avoir considéré les preuves produites de façon juste et impar- tiale, il ne subsiste aucun doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé.
14. IMPOSITION DES PEINES
a. Avant d'imposer une peine à un détenu, le directeur de l'institution, ou un fonctionnaire désigné par lui, devra étu- dier ses antécédents et les progrès qu'il a accomplis, et déterminer si l'infraction a été préméditée ou si elle résulte d'une impulsion; éventuellement, il envisagera le besoin d'ob- tenir des opinions professionnelles supplémentaires.
b. On appliquera les dispositions suivantes à l'imposition de la peine:
(1) Si l'on retire à un détenu un ou plusieurs privilèges, ce sera pour une période déterminée dont on l'informera; cependant, avant que celle-ci ne soit écoulée, le directeur de l'institution ou un fonctionnaire désigné par lui, pourra suspendre la peine et rétablir le détenu dans ses privilèges, sous réserve de sa bonne conduite constante. Une peine ne pourra être suspendue si, au cours du même mois, le détenu est de nouveau trouvé coupable d'une infraction semblable.
(2) Lorsqu'un détenu est condamné à être mis dans une cellule d'isolement, le directeur de l'institution ou le fonc- tionnaire désigné par lui, est autorisé à subordonner l'im- position de sa peine à sa bonne conduite dans l'avenir et à suspendre une partie de cette peine s'il semble se produire un changement d'attitude chez le détenu et si celui-ci s'engage à coopérer.
(3) Si un détenu est condamné par un tribunal discipli- naire pour une infraction grave ou manifeste, on peut prononcer la déchéance de la totalité ou d'une partie de la réduction statutaire qui lui avait été accordée, cette déchéance ne pouvant valoir que si elle est approuvée par le directeur régional lorsqu'elle porte sur une période de plus de trente jours ou, par le ministre, lorsqu'elle porte sur
une période de plus de quatre-vingt-dix jours. S'il n'y a pas de directeur régional et que la déchéance recommandée porte sur une période de plus de trente jours, les institu tions renverront le cas au Commissaire en l'accompagnant d'une recommandation pertinente. On avisera le détenu dont la réduction statutaire a été frappée de déchéance qu'en vertu de l'article 23 de la Loi sur les pénitenciers, sa peine peut être remise en totalité ou en partie, s'il y va de l'intérêt de son redressement moral (voir le paragraphe 3).
L'intimé conteste la compétence de cette cour pour connaître de cette demande présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale au motif qu'une décision en matière disciplinaire rendue aux termes de la Loi sur les pénitenciers constitue une décision de nature administrative qui n'est pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. A la suite des plaidoiries relatives à cette question, la Cour a maintenu l'objection et rejeté la demande présentée en vertu de l'article 28, sans entendre l'argumentation des requérants sur le fond de leurs contestations des décisions rendues contre eux par le comité de discipline. Les parties ont été avisées que les motifs de ce juge- ment seraient déposés au greffe aussitôt que possible.
A mon avis, des décisions en matière discipli- naire prises aux fins de l'administration de groupes organisés de personnes comme les armées ou les forces de police ou aux fins de l'administration d'institutions comme les institutions pénitentiaires, qu'il s'agisse de décisions administratives couran- tes ou de nature pénale sont partie intégrante du système administratif. Aux fins d'une saine admi nistration, ces décisions, puisqu'elles touchent inti- mement la vie et la dignité des individus concernés, doivent être et donner l'apparence d'être, aussi équitables et justes que possible. C'est à mon avis pour cette raison que s'est développée à l'égard des décisions de nature pénale la pratique d'utiliser la phraséologie et la procédure propre au droit crimi- nel. Néanmoins, j'estime que les décisions de nature disciplinaire sont essentiellement différen- tes des décisions de nature administrative qui sont implicitement soumises, en l'absence d'indication expresse à l'effet contraire, à un processus judi- ciaire ou quasi judiciaire et susceptibles d'examen judiciaire. A mon avis, ce principe est à la base des arrêts Howarth c. La Commission nationale des libérations conditionnelles 2 , La Reine c. White',
z (1975) 18 C.C.C. (2e) 385. 3 [1956] R.C.S. 154.
La Reine c. Metropolitan Police Commissioner Ex parte Parker', et Ex parte Fry'. Pour ce motif, je conclus que les décisions de nature disciplinaire en question, bien qu'elles soient de nature pénale et, qu'en vertu des règles administratives, elles doivent être rendues avec équité et justice, ne constituent pas des décisions soumises à un processus judi- ciaire ou quasi judiciaire au sens de ces termes à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
A mon opinion, le fait que la réduction statu- taire de peine (article 22 de la Loi sur les péniten- ciers) soit affectée par des décisions de nature disciplinaire, ne modifie pas la nature fondamen- tale de ces décisions 6 .
D'autre part, bien que cela ne soit pas pertinent à la question de compétence soulevée en l'espèce, je dirais que toute décision ayant un effet sur les droits d'un individu doit constituer un exercice de bonne foi des pouvoirs conférés aux autorités péni- tentiaires', et toute décision prise autrement serait invalide en vertu de la Loi et des règlements applicables.
Je tiens compte du fait que l'article 28(6) de la Loi sur la Cour fédérale interdit expressément d'instituer une demande en vertu de l'article 28 relativement à une procédure pour une «infraction militaire» en vertu de la Loi sur la défense natio-
° [1953] 1 W.L.R. 1150.
5 [1954] 1 W.L.R. 730.
Il existe une différence évidente entre les décisions de nature disciplinaire et les décisions démettant des personnes de leurs fonctions statutaires. Comparer Saulnier c. La Commission de police du Québec (1976) 57 D.L.R. (3') 545, et Ridge c. Baldwin [ 1964] A.C. 40.
6 A ce sujet, je ne partage pas l'opinion exprimée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt La Reine c. Le camp de correction de Beaver Creek, ex parte MacCaud [1969] 1 O.R. 373. Comparer le raisonnement dans l'arrêt Le Commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning [1964] R.C.S. 49, par le juge Judson (prononçant le jugement de la Cour) à la page 57.
' Comparer In re H. K. [ 1967] 2 Q.B. 617, lord Parker, juge en chef, à la page 630; Schmidt c. Home Secretary [1969] 2 Ch. 149, lord Denning M.R. à la page 169; et R. c. Secretary of State [1973] 3 All E.R. 796, lord Denning à la page 803.
pale. Bien que je n'estime pas cette disposition nécessaire, compte tenu de mon point de vue à cet égard, je ne suis pas convaincu que l'on puisse en déduire que, si ce n'était le paragraphe (6), l'arti- cle 28(1) incluerait une telle procédure et, en conséquence, des procédures semblables en vertu de lois comme la Loi sur les pénitenciers'.
Pour ces motifs, je conclus que cette cour n'a pas compétence pour connaître de la demande en vertu de l'article 28.
Même si ma conclusion est fondée sur une étude approfondie de la Loi et de la jurisprudence perti- nente, j'ajouterai qu'à mon avis, son résultat con- corde avec les réalités de la situation. A supposer qu'il faille améliorer le mode actuel de révision des décisions des tribunaux disciplinaires dans les péni- tenciers (mais je n'exprime aucune opinion sur le sujet) je ne pense pas qu'un examen judiciaire par une cour ordinaire pourrait améliorer la situation. Si l'on veut que le mode de révision de ces déci- sions soit suffisamment expéditif et n'ait pas pour effet d'alourdir ou de paralyser les procédures de nature disciplinaire, il me semble que cet examen ne devrait pas être confié à une cour ordinaire mais à des tribunaux spéciaux, que l'on appelle à l'occasion «visiteurs», et à la suite de procédures spéciales.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Les faits de cette affaire et les dispositions pertinentes de la Loi sur les péniten- ciers, du Règlement sur le service des pénitenciers et des directives du Commissaire des pénitenciers sont exposés dans les motifs prononcés par le juge en chef Jackett.
Cette affaire soulève un problème sérieux quant à l'application de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale en matière d'administration de la disci -
8 Voir l'arrêt Association des employés de radio et de télévi- sion du Canada c. Radio-Canada [1975] 1 R.C.S. 118, le juge Laskin (maintenant juge en chef) (dissident) aux pages 134- 135, et dont les motifs sur ce point furent adoptés par le juge Martland (prononçant le jugement de la majorité) à la page 127.
pline dans les pénitenciers canadiens. J'avoue avoir éprouvé une certaine difficulté à parvenir à une conclusion ferme sur ce point.
Les décisions du comité de discipline intimé contestées par les requérants portent sur des con- damnations pour infractions graves et manifestes, aux termes d'un code d'infractions établi par le Règlement sur le service des pénitenciers. Les déclarations de culpabilité furent prononcées à la suite de certaines procédures conformes à la direc tive 213 du Commissaire des pénitenciers.
Afin d'établir si cette cour a compétence pour connaître de ces demandes, il faut déterminer si les décisions en question sont de nature administrative légalement soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Dans l'arrêt La Reine c. Le directeur du camp de correction de Beaver Creek, Ex parte Mac- Caud 9 , la Cour d'appel de l'Ontario, en étudiant la nature du système disciplinaire des pénitenciers, a jugé que la discipline pénitentiaire constituait une question de nature administrative:
[TRADUCTION] Il est évident que dans l'exécution de ses devoirs de fonctionnaire du Service, responsable d'une institu tion, de la détention en sûreté et de la discipline des détenus, le principal devoir du directeur d'une institution consiste à pren- dre des décisions de nature administrative dont il n'est respon- sable que devant son supérieur et à l'égard desquelles il n'existe pas de droit à un examen par voie de certiorari. 10
Dans l'arrêt La Reine c. White", la Cour suprême du Canada a statué que les procédures de nature disciplinaire en question, prises par la Gen- darmerie royale du Canada, étaient de nature administrative et qu'elles ne revêtaient pas un caractère judiciaire ou quasi judiciaire; dans le cas contraire, les décisions en découlant auraient été sujettes à un examen, par voie de certiorari.
Bien sûr, il existe une grande différence entre la Gendarmerie royale, qui s'apparente à une organi sation militaire, et un pénitencier. Cependant les organisations militaires et de type militaire d'une part et les prisons d'autre part ont au moins ce
9 [1969] 1 O.R. 373.
10 Id., à la page 378.
11 [1956] R.C.S. 154.
point en commun: il faut agir promptement en cas d'infraction à la discipline. Je partage l'opinion de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Le camp de correction de Beaver Creek, selon laquelle la discipline pénitentiaire est une question de nature administrative.
Je ne néglige pas le fait que dans l'arrêt Le camp de correction de Beaver Creek la Cour a jugé que même si les décisions du directeur de l'institution sont de nature administrative, il a le devoir d'agir selon un processus judiciaire ou quasi judiciaire lorsque ces décisions affectent les droits civils d'un détenu. De l'avis de la Cour, les droits civils influent sur le statut du détenu en tant que personne, qu'il faut distinguer de son statut de détenu. En l'espèce, il me semble que le seul droit des requérants auquel on pouvait porter atteinte'', selon la liste des droits civils des détenus dressée par la Cour d'appel de l'Ontario, est le droit à la rémission statutaire; la Cour de l'Ontario l'a classé parmi les droits civils parce que la déchéance totale ou partielle de ce droit entraîne une prolon gation de la période d'emprisonnement et porte donc atteinte à la liberté du détenu. A la suite de l'arrêt Howarth c. La Commission des libérations conditionnelles 13 , il semble toutefois difficile d'ad- mettre que la perte réelle ou éventuelle de la rémission statutaire de peine constitue en elle- même un élément suffisant pour exiger qu'une décision de nature administrative soit soumise à un processus quasi judiciaire".
Donc mis à part cet effet possible de la directive du Commissaire, j'estime qu'en l'espèce, rien n'oblige le comité de discipline à suivre un proces- sus judiciaire ou quasi judiciaire. Cela ne signifie pas nécessairement que le comité n'est pas tenu de procéder avec équité. Il s'agit d'un tout autre problème 15 . Cela ne tranche cependant pas la
' , Il me semble que si la décision privant le détenu d'un droit civil doit être soumise à un processus quasi judiciaire, il en est de même dans les cas il est possible que soit rendue une telle décision.
13 (1975) 18 C.C.C. (2e) 385.
14 Voir, en particulier, le juge Beetz à la page 400.
15 Dans l'arrêt Howarth, le juge Pigeon a déclaré:
J'insiste sur ce point parce que, dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelant s'est appuyé surtout sur des arrêts qui, dans le contexte des recours de droit commun, traitent du devoir
question très importante de savoir si les disposi tions relatives à la procédure, contenues à la direc tive 213 du Commissaire, imposent à l'organe administratif le devoir d'agir de manière quasi judiciaire. Cette question est particulièrement déli- cate. On ne peut conclure à mon avis que, parce qu'une fonction disciplinaire est purement admi nistrative, sans tenir compte de la directive, l'addi- tion de règles de procédure établies dans l'exercice d'un pouvoir délégué ne change rien. Il faut se demander si ces règles imposent des devoirs et les droits correspondants quant à l'exercice d'une fonction de nature administrative, exigeant ainsi que les décisions soient soumises à un processus donné qui, à la lumière de la jurisprudence perti- nente, est maintenant tout au moins considéré comme quasi judiciaire. A mon avis, on ne peut répondre à cette question qu'en étudiant les règles en relation avec la fonction disciplinaire elle-même et en examinant les dispositions de la Loi.
Il convient de remarquer que dans l'arrêt Beaver Creek, la Cour d'appel de l'Ontario a estimé que la directive en cause, semblable mais non identique à la directive 213, ne conférait pas aux détenus, à l'encontre des membres du personnel du péniten- cier, le droit à l'observation de ses dispositions. Une importance particulière fut accordée à la différence entre les règlements édictés par le gou- verneur en conseil et les règles du Commissaire qui, de l'avis de la Cour, étaient promulguées dans le cadre du système administratif dont il était responsable. La Cour a souligné que les directives
d'être justes qui incombe à tous les organismes administra- tifs. Ces arrêts sont, à mon avis, sans rapport aucun avec la présente affaire parce que l'art. 28 est une exception à l'art. 18 et laisse intacts tous les recours de droit commun dans les cas l'art. 28 ne s'applique pas. La Cour d'appel fédérale n'a pas considéré, en annulant la demande, si l'ordonnance de la Commission des libérations conditionnelles pouvait être contestée par des procédures devant la Division de première instance. Aucun fait n'a été mis en preuve et le seul point dont on a traité a été de savoir si l'ordonnance attaquée est de celles que l'on peut considérer comme légalement soumi- ses à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Pratiquement toute l'argumentation qui nous a été présentée par l'avocat de l'appelant tend simplement à démontrer qu'on pourrait possiblement justifier quelque recours de droit commun, que la Commission des libérations conditionnelles doit toujours être juste, non pas qu'elle doit décider selon un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
du Commissaire sont destinées à l'usage interne du Service des pénitenciers: [TRADUCTION] «Elles établissent à l'intention des membres du personnel la façon de procéder et les restrictions dont cer- tains membres du service et lui-même doivent tenir compte, pour accomplir leur devoir ...». En revan- che, il est évident que la directive a été émise conformément au pouvoir du Commissaire, aux termes d'un paragraphe de la Loi applicable, d'éta- blir des règles relatives à la discipline des détenus et que ces règles prévoient des procédures relatives à la signification d'un avis et à la préparation de la réponse et de la défense à une accusation, qui font partie des exigences habituelles de la justice natu- relle. Il est aussi exact que les sanctions prévues pour les infractions manifestes et graves consti tuent de lourdes peines.
Je suis d'avis que le Règlement sur le service des pénitenciers, dans la mesure il concerne la discipline des détenus, et la directive 213 du Commissaire, validement édictés en vertu de l'arti- cle 29 de la Loi sur les pénitenciers, établissent un système en vue de l'administration de la discipline des détenus et imposent une exigence légale selon laquelle les décisions de nature disciplinaire relati ves à des infractions graves et manifestes doivent être soumises à un processus quasi judiciaire. J'ai donc conclu à la compétence de la Cour.,
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARD: Je souscris au jugement du juge en chef.
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