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A-688-75
Manon Denis, par l'intermédiaire de sa représen- tante ad litem, Melinette Borange, sa parente la plus proche (Appelante)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Ryan et Le Dain—Ottawa, le 5 décembre 1975.
Citoyenneté et immigration—L'appelante est une enfant qui a la citoyenneté canadienne et dont la mère a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion—La Division de première instance a rejeté la demande d'injonction interlocutoire—Selon l'appe- lante, l'expulsion de la mère irait à l'encontre de la Déclara- tion canadienne des droits—Déclaration canadienne des droits, S. C. 1960, c. 44, art. 2.
D'après l'appelante, une enfant qui a la citoyenneté cana- dienne, l'expulsion de sa mère enfreindrait la Déclaration cana- dienne des droits, puisque cela obligerait sa mère à l'emmener, ce qui enverrait l'appelante en exil, contrairement à l'article 2. De plus, prétend l'appelante, si sa mère l'emmenait, elle serait privée de son droit à la liberté, à l'encontre de la Déclaration canadienne des droits. Et enfin, plaide l'appelante, si sa mère la laissait au Canada, on la priverait du droit à la sécurité de la personne et on lui infligerait un traitement cruel et inusité, en contravention à la Déclaration canadienne des droits.
Arrêt: l'appel est rejeté; l'appelante n'a pas réussi à montrer de manière satisfaisante qu'à première vue ses prétentions ont des chances d'aboutir. L'objet des craintes de l'appelante, si celles-ci devaient se réaliser, ne se manifestera pas comme la conséquence directe et inévitable de l'application d'une loi canadienne, mais uniquement comme le résultat de la décision de la mère d'emmener l'appelante ou de la laisser. Même si le résultat est considéré comme inévitable, il est douteux qu'on puisse affirmer qu'il entraînera un exil arbitraire ou un traite- ment cruel et inusité. Le redressement approprié repose sur le pouvoir discrétionnaire de la Commission d'appel de l'immigra- tion d'en accorder un pour des motifs de pitié ou des considéra- tions d'ordre humanitaire; cette cour ne possède pas cette compétence.
APPEL. AVOCATS:
H. Mantha pour l'appelante. L. S. Holland pour l'intimée.
PROCUREURS:
Questin, Mantha, Ottawa, pour l'appelante. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: Je souscris aux motifs et à la conclusion du juge Le Dain.
La demanderesse est une mineure âgée de 2 1 / 2 ans. Sa déclaration soulève une nouvelle cause d'action. Ses chances de succès, s'il en existe, apparaissent minimes. Ses chances d'obtenir un redressement par voie d'injonction se trouvent, si possible, encore plus minces. En pareilles circons- tances, même en supposant que l'équilibre entre les avantages et les inconvénients favorise le main- tien du statu quo jusqu'à l'audition de sa demande et qu'une injonction interlocutoire constitue un moyen approprié d'atteindre ce résultat, on ne peut pas affirmer, selon moi, que le savant juge de première instance a appliqué un mauvais principe de droit ou qu'il s'est à d'autres égards trompé en refusant d'émettre une injonction qui aurait empê- ché la Couronne ou son ministre d'exécuter une obligation prévue par la loi.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE RYAN: Je souscris au rejet de l'appel et je suis d'accord avec les motifs qu'ont donnés les juges Thurlow et Le Dain.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'un appel relatif à une ordonnance du juge Cattanach de la Division de première instance rendue hier, le 4 décembre; elle rejetait une demande d'injonction interlocu- toire présentée contre le ministre de la Main-d'oeu- vre et de l'Immigration afin d'empêcher l'exécu- tion d'une ordonnance d'expulsion en attendant l'audition de l'action de l'appelante qui réclamait une injonction permanente et des dommages-inté- rêts. La poursuite est intentée contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada et, même si la demande d'injonction interlocutoire vise le Ministre, celui-ci n'est pas partie au procès. Le Ministre était toute- fois représenté à l'audition du présent appel.
L'appelante est une enfant qui a la citoyenneté canadienne et dont la mère naturelle a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion conformément aux dispositions de la Loi sur l'immigration. On a pris des dispositions pour que l'expulsion ait lieu tôt demain matin, le samedi 6 décembre, nous informe l'avocat de la Couronne, et la Couronne elle-même n'est pas disposée à différer l'exécution de l'ordon- nance d'expulsion plus longtemps. L'expulsion de sa mère irait à l'encontre de la Déclaration cana- dienne des droits, soutient l'appelante, puisque cela obligerait sa mère à l'emmener, ce qui aurait comme conséquence l'envoi de l'appelante en exil, contrairement à l'article 2 de la Déclaration cana- dienne des droits aux termes duquel nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme autorisant ou prononçant l'exil arbitraire de qui que ce soit. De plus, prétend l'appelante, elle serait privée de son droit à la liberté, à l'encontre de la Déclaration canadienne des droits, si sa mère l'emmenait en Haïti par suite de l'expulsion. Dans le cas sa mère la laisserait au Canada, soutient l'appelante, on la priverait du droit à la sécurité de la personne et on lui infligerait un traitement cruel et inusité, en contravention à la Déclaration cana- dienne des droits. La déclaration conclut en demandant une injonction permanente et, subsi- diairement, des dommages-intérêts.
Le juge Cattanach a rejeté la demande d'injonc- tion interlocutoire sans donner de motifs. Dans le présent appel, nous devons nous limiter à la ques tion de savoir si, dans les circonstances, le savant juge de la Division de première instance a exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire.
Sans estimer nécessaire d'exprimer une opinion sur la question de savoir si, lorsque l'occasion se présente, l'on peut octroyer une injonction contre le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, en supposant que les mesures nécessaires pour le constituer partie au procès ont été prises, je suis d'avis que l'appelante n'a pas montré de manière satisfaisante qu'à première vue, ses prétentions fondées sur la Déclaration canadienne des droits ont des chances d'aboutir.
L'objet des craintes de l'appelante, si celles-ci devaient se réaliser et tout regrettable que cela puisse être, ne se manifestera pas comme la consé- quence directe et inévitable de l'application d'une loi canadienne mais plutôt comme le résultat de la
décision de sa mère sur la question de savoir si elle va l'emmener ou la laisser au Canada. Même si le résultat, dans un sens ou dans l'autre, est considéré comme étant en pratique inévitable vu la difficulté que comporte la décision que la mère doit prendre, je doute fortement qu'on puisse affirmer que cela entraînera un exil arbitraire ou un traitement cruel et inusité au sens de l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits. Le Parlement a prévu des mesures en vue de parer à des situations de ce genre en accordant à la Commission d'appel de l'immigration le pouvoir discrétionnaire de déga- ger quelqu'un de l'exécution d'une ordonnance d'expulsion pour des motifs de pitié ou des considé- rations d'ordre humanitaire; selon le dire de l'avo- cat, on a demandé ce redressement qui, en l'espèce, a été refusé à la mère. Cette cour ne possède pas la compétence requise pour octroyer ce redressement à l'appelante ou à sa mère. Puisque, selon moi, les prétentions de l'appelante fondées sur la Déclara- tion canadienne des droits auraient très peu de chance d'aboutir, je ne vois pas pourquoi j'inter- viendrais dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge Cattanach. Je rejette donc l'appel.
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