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A-614-75
In re les demandes en vertu de la Loi sur l'Office national de l'énergie en vue d'obtenir des certifi- cats de commodité et nécessité publiques pour la construction et l'exploitation d'un pipe-line pour le transport du gaz naturel, présentées par Pipe line de gaz arctique canadien Limitée, Foothills Pipe Lines Ltd., Westcoast Transmission Com pany Limited et Alberta Gas Trunk Line (Canada) Limited; et in re une demande présentée par Alberta Natural Gas Company Ltd., en vue d'obtenir un certificat de commodité et nécessité publiques pour la construction et l'exploitation de certaines extensions à ses pipe-lines pour le trans port du gaz naturel; et in re une requête présentée par Alberta Gas Trunk Line Company Limited; et in re une demande présentée par l'Office national de l'énergie en Vertu de l'article 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale
Cour d'appel, les juges Thurlow, Pratte, Urie et Ryan et le juge suppléant Kerr—Ottawa, les 8, 9, 10 et 12 décembre 1975.
Examen judiciaire—Pipe-line de la vallée du Mackenzie— Le président de l'Office national de l'énergie est-il inhabile à faire partie du comité jugeant les demandes?—Y a-t-il vrai- semblance de partialité?—Compétence—La question relève- t-elle de l'art. 28(4)?—Loi sur la Cour fédérale, art. 28(4).
L'Office national de l'énergie a soumis à la Cour la question de savoir si l'Office ferait erreur en rejetant les objections contre la composition du comité devant juger les demandes et en statuant que le président n'est pas inhabile à faire partie du comité pour cause de crainte ou de probabilité raisonnables de partialité. On doute de l'impartialité de Crowe parce que pendant la période qui a précédé sa nomination au poste de président, il a activement participé, à titre d'administrateur puis de président de la Corporation de développement du Canada, aux délibérations et aux décisions d'un consortium dans l'exécution des objets du Gas Arctic-Northwest Project Study Group. Le point en litige est de savoir si Crowe est prévenu en faveur de la nécessité d'un pipe-line.
Arrêt: il faut répondre par la négative à la question soumise à la Cour. On n'allègue ni la partialité ni l'intérêt pécuniaire et la preuve ne révèle, de la part de Crowe, aucune promesse à qui que ce soit quant à l'issue des demandes. Les circonstances peuvent jeter le doute chez une personne scrupuleuse et la porter à croire qu'il est prévenu à son insu, mais ce n'est pas le critère applicable. Il faut plutôt se demander à quelle conclu sion en arriverait une personne bien renseignée qui aurait étudié la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Les faits ne devraient pas induire une personne raisonnable à craindre que Crowe ne soit pas impartial sur la nécessité.._d'_un pipe-line ou sur la question de savoir laquelle des requérantes devrait obtenir le certificat. La participation du président aux activités de la Corporation était essentiellement dans l'intérêt
du gouvernement; son mandat a pris fin au moment de sa nomination au poste de président de l'Office environ cinq mois' avant le dépôt de la première des demandes en question. Mis en présence de nouveaux éléments de preuve suggérant un point de vue différent sur les questions qu'il a étudiées au moment de a participation aux activités du groupe d'étude, rien ne porte à croire qu'il serait impuissant ou peu disposé à rejeter les préjugés qu'il pourrait avoir et qu'il serait influencé à son insu par les décisions qu'il a appuyées à titre de participant du groupe d'étude. Les questions soumises à l'Office sont très différentes de celles étudiées par le groupe. Le président n'a aucun intérêt dans aucune des compagnies requérantes; les décisions auxquelles il a participé ont été prises libres de toute considération pécuniaire et il ne fait plus partie du groupe d'étude. Donc, rien ne permet de craindre qu'il ne puisse pas aborder ces nouvelles questions avec sérénité et impartialité.
Arrêt analysé: Regina c. Botting [1966] 2 O.R. 121. Arrêt appliqué: Szilard c. Szasz [1955] R.C.S. 3.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
H. Soloway, c.r., Ian Blue et R. McGregor pour l'Office national de l'énergie.
G. W. Ainslie, c.r., pour le procureur général du Canada.
D. M. M. Goldie, c.r., et D. G. Gibson pour la Pipeline de gaz arctique canadien Limitée et le Groupe de pipeline de gaz arctique canadien.
R. J. Gibbs, c.r., pour la Foothills Pipe Lines. W. G. Burke-Robertson, c.r., pour l'Alberta Gas Trunk Line (Canada) Ltd.
J. Hopwood pour l'Alberta Gas Trunk Line Co. Ltd.
J. L. DeW. King et L. G. W. Chapman pour la Westcoast Transmission Co. Ltd.
B. A. Crane pour la TransCanada PipeLines Co. Ltd.
J. H. Farrell et W. J. Miller pour la Consum ers Gas Co. et la Union Gas Ltd.
J. R. Smith, c.r., pour l'Alberta Natural Gas Co. Ltd.
W. I. C. Binnie et R. J. Sharpe pour le Committee for Justice and Liberty.
A. R. Lucas pour le Canadian Arctic Resources.
T. G. Kane pour l'Association des consomma- teurs du Canada.
PROCUREURS:
Service juridique de l'Office national de l'énergie pour l'Office national de l'énergie.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour la Pipeline de gaz arctique canadien Limitée et le Groupe de pipeline de gaz arctique canadien.
McLaws & Company, Calgary, pour la Foot hills Pipe Lines.
Burke- Robertson, Chadwick & Ritchie, Ottawa, pour l'Alberta Gas Trunk Line (Canada) Ltd.
Howard, Dixon, Mackie, Forsyth, Calgary, pour l'Alberta Gas Trunk Line Co. Ltd. Macdonald, Affleck, Ottawa, pour la West - coast Transmission Co. Ltd.
Cowling & Henderson, Ottawa, pour la TransCanada PipeLines Co. Ltd.
Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Myers, Toronto, pour la Consumers Gas Co. et la Union Gas Ltd.
MacKimmie, Matthews, Calgary, pour l'Al- berta Natural Gas Co. Ltd.
MacKinnon, McTaggart, Toronto, pour le Committee for Justice and Liberty.
Service du contentieux du Comité canadien de ressources de l'Arctique pour le Comité canadien de ressources de l'Arctique.
Service du contentieux de l'Association des consommateurs du Canada pour l'Association des consommateurs du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: Par son ordonnance sous la cote PO-l -GH -2-75 en date du 29 octobre 1975, l'Office national de l'énergie a soumis à cette cour la question suivante, conformément à l'article 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale:
[TRADUCTION] L'Office ferait-il erreur en rejetant les objec tions et en statuant que M. Crowe n'est pas inhabile à faire partie du comité pour cause de crainte ou probabilité raisonna- bles de partialité?
Ces objections s'adressaient à la composition du comité de l'Office qui entendait les demandes mentionnées dans l'intitulé de cette action:-
L'ordonnance, dans quelque 21 paragraphes, cite les faits qui ont motivé la décision de soumet- tre cette question à la Cour; 14 pièces y sont
jointes, notamment les lettres qui ont amené l'af- faire devant l'Office, les documents relatifs au point contesté que soulève la question et une trans cription des débats de l'Office qui ont précédé l'ordonnance.
Au cours des débats devant l'Office, seulement 5 des 88 parties auxquelles on avait reconnu le droit de se faire entendre se sont opposées à ce que Crowe fasse partie du comité. Les autres n'ont pas présenté d'objection ou n'ont pas pris position. Devant cette cour, trois parties, à savoir le Canadi- an Arctic Resources Committee, le Committee for Justice and Liberty Foundation et l'Association des consommateurs du Canada étaient d'avis qu'il fallait répondre affirmativement à la question sou- mise à la Cour. L'avocat de l'Alberta Natural Gas Company Ltd. ne s'est pas opposé à ce que Crowe fasse partie du comité mais selon lui, c'était à la Cour de trancher la question. Toutes les autres parties représentées et entendues, y compris l'Of- fice national de l'énergie et le procureur général du Canada, ont affirmé qu'il fallait répondre négati- vement à la question.
Le premier point à résoudre, que la Cour a d'ailleurs soulevé, est de savoir si l'article 28(4) accorde à cette dernière la compétence de trancher la question soumise. Les avocats de l'Office natio nal de l'énergie, du procureur général du Canada et de plusieurs autres parties ont tous affirmé que oui. Personne n'a soutenu le contraire.
L'affaire n'est pas sans difficulté parce que la compétence conférée à la Cour en vertu du para- graphe 28(4) n'est pas de nature consultative. Le problème, nous semble-t-il, réside dans la - façon dont est formulée la question. Quant à sa subs tance, l'ordonnance de l'Office et les pièces y annexées citant tous les faits essentiels à la déci- sion, faits d'ailleurs non contestés, nous sommes convaincus que la question des conclus is qu'il faut en tirer et les conséquences qui en découlent sont des questions de droit au sens du paragraphe 28(4), et relèvent de la compétence de la Cour. De plus, si l'on considère la question soulevée comme relevant de la compétence de l'Office au sens du
mot «compétence» au paragraphe 28(4)', point de vue que nous croyons acceptable, et puisque les parties n'ont avancé aucun fait autre que ceux exposés dans l'ordonnance et dans les pièces y annexées, nous estimons que les faits qui nous ont été soumis et sur lesquels il faut fonder la décision relative à la compétence doivent nécessairement entraîner la même conclusion. Nous sommes par conséquent d'avis que la Cour a compétence pour trancher la question dont elle est saisie.
Comme l'indique l'intitulé de la cause, les procé- dures à l'origine de la question consistaient en un certain nombre de demandes faites à l'Office national de l'énergie, en vertu de la Loi sur l'Of- fice national de l'énergie, visant à obtenir des certificats de commodité et nécessité publiques pour la construction et l'opération de pipe-lines. Toutes ces demandes concernent des projets rela- tifs au transport du gaz naturel depuis l'Arctique jusqu'aux marchés méridionaux. Certaines deman- des sont en concurrence avec d'autres.
En avril 1975, l'Office a institué un comité composé de trois membres, dont Crowe, pour entendre les diverses demandes. Le 23 mai 1975, l'Office a ordonné qu'elles soient entendues ensem ble, au cours d'une même audience publique devant avoir lieu à l'automne de 1975, et a décrété, conformément à ses règles de pratique et de procé- dure, la tenue d'une conférence préalable à comp- ter du 8 juillet 1975. Par la suite, la date de l'audience a été fixée au 27 octobre 1975.
Le 9 juillet 1975, l'avocat de la Pipeline de gaz arctique canadien Limitée, l'un des demandeurs, a exprimé à l'avocat de l'Office l'inquiétude que lui causait la composition du comité si Crowe devait en faire partie, au motif qu'il y avait raisonnable- ment lieu de craindre que ce dernier ne soit pré- venu en faveur de son client. Il y eut échange de lettres et environ dix jours avant le début de l'audience, toutes les parties auxquelles on avait reconnu le droit de s'y faire entendre ont reçu copie de la correspondance et des documents pré- sentement soumis à la Cour, y compris une décla- ration que devait lire Crowe à l'audience.
Comparer à l'affaire Regina c. Bolting [1966] 2 O.R. 121, à la décision du juge d'appel Laskin (maintenant juge en chef de la Cour suprême du Canada) à la page 136.
En résumé, on doute de l'impartialité de Crowe parce que pendant la période qui a immédiatement précédé sa nomination au poste de président de l'Office national de l'énergie, d'octobre 1972 à octobre 1973, il a été d'abord administrateur puis président de la Corporation de développement du Canada, et en sa qualité de représentant de cette corporation, il a activement participé aux délibéra- tions et aux décisions d'un consortium de quelque 15 27 compagnies, dont la Corporation de déve- loppement du Canada, dans le cadre de l'exécution des objets de ce qui était connu sous le nom de Gas Arctic-Northwest Project Study Group aux termes d'une entente intitulée [TRADUCTION] «Conven- tion visant à la recherche et à l'étude en commun de la praticabilité», en date du l er juin 1972.
Le second paragraphe de l'article I de l'entente expose ces objets comme suit:
[TRADUCTION] 2. L'objet principal du groupe d'étude sera: (a) la conduite de recherches, d'expériences et d'études de praticabilité ainsi que l'élaboration de plans visant à déterminer si la construction et l'exploitation d'un pipe-line pour le trans port du gaz à partir du nord de l'Alaska et du nord-ouest du Canada à des endroits situés à la frontière entre le Canada et les États septentrionaux américains (ci-après désignées comme étant le projet) sont réalisables et avantageuses en tenant compte du milieu, de la nature du sol et des données économi- ques, des modalités de financement, des exigences de la Loi et des gouvernements; et, dans l'affirmative, (b) la préparation et l'exécution des études, des pièces et autres données qui peuvent être nécessaires au dépôt des demandes auprès des agences gouvernementales canadiennes et américaines afin d'obtenir l'autorisation de construire et d'exploiter l'entreprise projetée; et (c) le dépôt et la poursuite de ces demandes jusqu'à leur conclusion. Ces travaux seront ci-après désignés comme étant les travaux précédant la construction.
Au sujet de ce qui précède, le groupe d'étude étudiera et examinera tous les tracés réalisables de pipe-lines pour le transport du gaz, les routes à suivre, les installations nécessaires ainsi que les moyens d'en détenir la propriété, y compris (i) celles qui desservent les marchés de l'est, du centre et de l'ouest, (ii) les diverses routes et les installations propres à cette fin, y compris la construction de nouvelles installations et l'utilisation en partie ou en totalité, de tout réseau déjà en place dans son état actuel ou au besoin, agrandi ou modifié d'autre façon pour répondre aux exigences de l'entreprise (iii) la propriété de ces installations, en tout ou en partie, par une ou plusieurs entités devant être constituées à la demande des participants, d'un tiers ou du propriétaire actuel de toute partie existante ou par une combinaison de ce qui précède, les participants reconnaissant que chaque décision relative à la propriété aura des - répercus- sions sur le financement et la direction future de l'entreprise, sur l'exploitation réelle de tout le réseau de pipe-lines et sur les questions de réglementation, et que pour le moment ils n'ont pas d'opinion arrêtée quant à la nature, à l'étendue et aux conséquences de ces répercussions.
D'autres dispositions de l'entente prévoyaient la constitution de comités et de corporations chargés de l'exécution du projet. Ces derniers devaient voir au dépôt des demandes visant à obtenir des gou- r vernements américain et canadien les permissions exigées et construire, posséder et exploiter les ins tallations nécessaires aux pipe-lines après avoir obtenu les permissions susmentionnées. Aux termes de l'entente les participants ne pouvaient céder, sauf à une filiale, des droits et obligations que leur conférait l'entente sans l'agrément du comité de_ direction; de plus, chaque participant devait assumer une part égale des obligations con- tractées par les autres en tant que membres du groupe et chacun avait une part égale dans les biens du groupe.
Conformément à ces dispositions, la Pipeline de gaz arctique canadien Limitée a été constituée le 3 novembre 1972.
Le 30 novembre 1972, la Corporation de déve- loppement du Canada, constituée en vertu du cha- pitre 49 des Statuts du Canada de 1971, devint membre du groupe. A cette époque, le gouverne- ment du Canada détenait toutes les actions de la corporation, dont la direction était assurée par un conseil d'administration composé de quelque 21 membres dont Marshall Crowe était le président. Entre le 30 novembre 1972 et le 15 octobre 1973, date Crowe s'est démis de ses fonctions et a été nommé président de l'Office national de l'énergie, la corporation a contribué au groupe des sommes se chiffrant à 1.2 millions de dollars.
La preuve soumise montre que pendant la même période, plus précisément à partir du 25 octobre 1972, Crowe, à titre de représentant dea corpora tion a assisté et participé à des réunions et à des décisions prises par le comité exécutif du comité de direction du groupe, par le comité de direction et par le comité directeur du comité des finances, des impôts et de la comptabilité. Il est évident qu'il a participé à ces réunions et aux décisions prises qui, sans aucun doute, se rapportaient à des plans assez avancés sur la mise en oeuvre du projet de pipe line. L'une de ces décisions portait que le pipe-line devrait appartenir exclusivement aux membres de l'entreprise et qu'en partie, il aurait ses propres installations au lieu d'utiliser celles de l'Alberta Gas Trunk Line Company Ltd. qui, à l'époque, faisait partie du groupe d'étude.
Les objections soulevées devant l'Office à l'au- dience commune le 27 octobre 1975 au cours de laquelle on a présenté les diverses demandes, et qui sont mentionnées dans la question soumise à la Cour, sont les suivantes:
(1) Le Canadian Arctic Resources Committee a soulevé ce qu'on peut appeler une objection de forme, basée sur le fait que Crowe avait fait partie de la Corporation de développement du Canada et qu'à titre de dirigeant de cette corpo ration, il avait participé à des réunions du groupe d'étude sur le gaz de l'Arctique.
(2) La même partie s'est également opposée en se fondant sur des renseignements que contient le livre non encore publié du professeur Edmond Dosman intitulé The National Interest, qui traite de la politique canadienne de développe- ment du Nord et sur lequel David Crain a publié dans les journaux, peu avant l'audience, une série d'articles.
Je cite l'avocat de l'Office:
[TRADUCTION] Dans un de ces articles, en date du 15 octobre 1975, Crain mentionne que le professeur Dosman, dans son livre, parle d'une réunion tenue le 12 mai 1970 à laquelle avaient assisté un certain nombre de hauts fonc- tionnaires fédéraux, dont Crowe. Ce dernier était alors fonctionnaire supérieur au Bureau du Conseil privé et avait participé à ce titre à la réunion susmentionnée, comme il l'a expliqué dans la déclaration qu'il a lue aujourd'hui. C'était avant sa nomination au conseil d'admi- nistration de la CDC. Selon le professeur Dosman, on avait posé à cette réunion les jalons des lignes directrices de 1970 portant sur le pipe-line du Nord, approuvées par la suite par le Cabinet. Toujours selon le professeur Dosman, ces lignes directrices auraient en principe donné le feu vert à la construction d'un pipe-line pour le transport du gaz de la vallée du Mackenzie. Si c'est le cas, en mai 1970 Crowe aurait eu à déterminer la viabilité du pipe-line projeté de la vallée du Mackenzie dans une optique techni que, financière et économique tout en tenant compte du milieu, c'est-à-dire qu'il devait apporter une réponse aux mêmes questions qui se posent aujourd'hui au sujet des demandes présentées à l'Office. La nature de sa mission l'aurait alors mis en contact et en relations intimes avec divers groupes d'industriels préconisant le projet de pipe line de la vallée du Mackenzie, y compris l'organisme qu'a remplacé le présent requérant.
M. le président, il n'est pas très clair d'où le professeur Dosman tient ses renseignements.
M' GOLDIE: Le livre n'est pas publié.'
LUCAS: Nous alléguons que lès faits mentionnés dans le livre sont de nature à faire croire à une personne raisonnable qu'il y a vraisemblablement partialité ou au
moins à éveiller chez elle un doute sur l'impartialité de M. Crowe, et que par conséquent il faut faire la lumière sur ce qui s'est passé à cette réunion.
En ce qui concerne le fondement de cette objec tion, l'ordonnance de l'Office soumettant la ques tion à cette cour contient une déclaration portant que [TRADUCTION] «selon M. Crowe, la réunion n'avait pas pour but d'établir la teneur essentielle des lignes directrices de 1970 et n'a pas joué un rôle capital en ce sens.»
Rien dans les éléments de preuve dont nous disposons ne justifie de quelque façon le fondement de cette objection et lorsque nous l'avons souligné au cours de la plaidoirie, l'avocat n'a pas insisté. Nous considérons que l'objection est retirée.
(3) L'avocat de The Committee for Justice and Liberty Foundation a lu une déclaration selon laquelle la Foundation n'était pas convaincue que les faits donnaient des motifs raisonnables de craindre que Crowe ne favorise la demande de la Canadian Arctic Gas Pipe Line Limited de préférence à celle de la Foothills Pipeline Limit ed; la déclaration portait cependant que les faits donnaient effectivement des motifs raison- nables de craindre que Crowe ne croie à la nécessité d'un pipe-line. La déclaration ajoutait en outre que la Foundation estimait que ces considérations étaient le point crucial en litige au cours des audiences et elle s'étendait sur les raisons pour lesquelles elle désirait le retrait de Crowe.
(4) L'Association des consommateurs du Canada ne s'est pas opposée officiellement mais a suggéré de soumettre le problème à la Cour.
(5) Le Workgroup on Canadian Energy Policy a prétendu se réserver le droit de soulever plus tard la question de savoir s'il y a raisonnable- ment lieu de craindre que l'Office, de façon générale, ne soit prévenu en faveur de la néces- sité d'un pipe-line à la frontière canado-améri- caine. Nous ne considérons pas cela comme une objection et nous n'en tenons pas compte.
(6) Ken Rubin, alléguant un conflit d'intérêts s'est opposé à ce que Crowe préside le comité. Comme les éléments de preuve dont nous dispo- sons ne précisent ni n'étayent cette prétention,
l'objection, à notre avis, est irrecevable. ,
Dans leurs plaidoyers très soignés et approfon- dis, les avocats nous ont renvoyés à de nombreuses opinions sur la question de partialité et à de non moins nombreux critères d'incapacité. L'abon- dance de cette documentation peut s'expliquer en partie du fait que la partialité peut s'établir de diverses façons. Par exemple, une personne serait certainement inhabile à agir si elle avait un intérêt pécuniaire ou si elle omettait de faire connaître à une partie, dont elle doit obtenir l'assentiment pour agir, l'existence de quelque intérêt ou partici pation de nature à retenir cet assentiment 1. L'in- habilité n'est pas aussi évidente et ne peut être décrétée de façon aussi automatique dans ce qu'on peut appeler les cas de préjugés, c'est-à-dire lors- qu'il y a eu expression de vues sur le sujet, suppo- sant une opinion déjà formée. Les cas les plus frappants sont ceux l'on a fait une promesse précise au requérant, par exemple quand on lui a promis d'accorder ou de refuser un permis. Et même dans ces cas il faut se demander s'il y a lieu de craindre que la personne dont dépend la déci- sion ne fasse la sourde oreille aux témoignages et ne rende une décision sans en tenir compte.
En l'espèce, on n'allègue ni la partialité ni l'inté- rêt pécuniaire et la preuve ne révèle, de la part de Crowe, aucune déclaration publique ou privée, ni aucune promesse à qui que ce soit quant à l'issue des demandes.
Il est vrai que toutes les circonstances de l'af- faire, notamment les décisions auxquelles Crowe a participé comme membre du groupe d'étude, peu- vent jeter le doute chez une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne et la porter à croire qu'il pourrait à son insu être prévenu et devrait être récusé. Mais, croyons-nous, ce n'est pas le critère applicable en l'espèce. Il faut plutôt se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profon- deur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, Crowe, consciem- ment ou non, ne rendra pas une décision juste?
En nous fondant sur l'ensemble des faits, qui n'ont été exposés que sommairement, nous sommes tous d'avis qu'une personne juste et raisonnable n'aurait pas lieu de craindre que Crowe ne soit pas
'Voir Szilard c. Szasz [1955] R.C.S. 3.
impartial sur la question de savoir si la commodité et la nécessité publiques, présentes et futures, ren- dent nécessaire la construction d'un pipe-line ni sur la question de savoir, si elle se pose, laquelle des diverses requérantes devrait obtenir le certificat.
Il nous apparaît que Crowe a participé aux activités du groupe d'étude de façon parfaitement désintéressée, à titre de représentant de la corpora tion dont il était le président et dans laquelle il n'avait aucun intérêt pécuniaire. Puisque le gou- vernement du Canada était l'unique actionnaire, Crowe agissait essentiellement dans l'intérêt du gouvernement, dans les limites du mandat que lui avait accordé à cette fin le conseil d'administration de la corporation. Son mandat a pris fin au moment de sa démission de la corporation et de sa nomination au poste de président de l'Office natio nal de l'énergie, environ cinq mois avant le dépôt à l'Office de la première des demandes en question. A aucun moment sa participation aux activités du groupe d'étude à titre de représentant de la corpo ration a-t-elle engagé son intérêt personnel. Au- jourd'hui, il n'a rien à perdre ou à gagner d'aucune décision qu'il pourra être appelé à rendre à titre de président de l'Office au sujet des demandes qui lui sont soumises, que ces décisions soient conformes ou contraires à celles qu'il a appuyées lorsqu'il par- ticipait aux activités du groupe d'étude. Mis en présence de nouveaux éléments de preuve suggé- rant un point de vue différent sur les questions qu'il a étudiées au moment de sa participation aux activités du groupe d'étude, rien ne porte à croire qu'il serait impuissant ou peu disposé à rejeter les préjugés qu'il pourrait avoir ni qu'il serait influencé à son insu par les décisions qu'il a appuyées à titre de participant du groupe d'étude.
N'oublions pas que deux ans se sont écoulés depuis la fin de sa participation et que les ques tions soumises à l'Office, que rien ne nous permet de croire qu'elles lui sont bien connues, sont très différentes de celles que le groupe a étudiées. Celui-ci avait à se prononcer sur la praticabilité économique d'un projet de pipe-line pour le trans port du gaz de l'Arctique sur de longues distances jusqu'aux marchés méridionaux et il devait s'assu- rer que l'entreprise offrirait toutes les garanties
d'une exploitation saine et rentable. Les questions soumises à l'Office concernent le public en général car il s'agit de savoir s'il est dans l'intérêt national de construire et d'exploiter un pipe-line, et dans l'affirmative, à laquelle des compagnies requéran- tes, ou à quelle autre compagnie, il faut accorder cette possibilité. Crowe n'a aucun intérêt dans aucune de ces compagnies; les décisions auxquelles il a participé ont été prises libres de toute considé- ration pécuniaire et il ne fait plus partie du groupe d'étude ni de la Corporation de développement du Canada. Donc, rien dans la preuve ne permet de craindre qu'il ne puisse pas aborder ces nouvelles questions avec la sérénité et l'impartialité auxquel- les on s'attend d'une personne dans sa situation.
Nous sommes d'avis qu'aucune des nombreuses objections n'est recevable et qu'il faut répondre par la négative à la question soumise à la Cour.
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