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T-999-76
Benjamin Weider et Weider Sports Equipment Co. Ltd. (Demandeurs)
c.
Industries Beco Ltée, Sydney Pinchuk et Samuel Schwartz (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney— Ottawa, les 20 et 21 mai 1976.
Brevets—Compétence—Action en contrefaçon—Demande de radiation de certains passages de la déclaration—Compétence de la Cour pour connaître d'une action en passing off fondée sur l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce—Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 7, 53 et 55.
Cette action en contrefaçon se fonde sur l'allégation selon laquelle les défendeurs se proposent d'importer, de mettre en vente et de vendre un appareil de culture physique semblable à celui des demandeurs. On n'allègue pas qu'il y a déjà eu contrefaçon. Les défendeurs sollicitent la radiation de certaines parties de la déclaration et leur demande soulève la question de la compétence de la Cour, dans les circonstances, pour connaî- tre d'une action en passing off fondée sur l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Les défendeurs prétendent que les parties des plaidoiries se rapportant exclusivement au pass ing off «ne sont pas essentielles, peuvent causer préjudice, gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action et constituent un emploi abusif des procédures de la Cour».
Arrêt: la demande est accueillie. Le seul motif valable de la demande est la compétence de la Cour pour connaître de l'action en passing off. La question découle logiquement de la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l'affaire MacDonald c. Vapor Canada. Le Parlement, au moyen des articles 7, 53 et 55 de la Loi sur les marques de commerce, a établi plusieurs causes d'action et a accordé à la présente cour la compétence pour les juger. Si l'on applique la décision rendue dans l'affaire Vapor Canada, on ne peut considérer l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce comme un complément du système de réglementation prévu par le Parle- ment dans l'exercice de sa compétence pour légiférer en matière de brevets. (Acte de l'Amérique du Nord britannique, article 91(22).) La Loi sur les brevets fournit des causes d'action et des recours pour faire valoir et pour protéger les droits qu'elle accorde. Les demandeurs ne servent en rien l'esprit de la Loi sur les brevets en cherchant une cause d'action à l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce ou un redressement à l'article 53.
Arrêt appliqué: MacDonald c. Vapor Canada (1976) 22 C.P.R. (2 e ) 1.
DEMANDE. AVOCATS:
G. A. Macklin pour les demandeurs. R. Uditsky pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Gowling et Henderson, Ottawa, pour les demandeurs.
Greenblatt, Godinsky, Resin & Uditsky, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La demande des défen- deurs visant à la radiation de certaines parties de la déclaration soulève la question de la compétence de la présente cour, dans les circonstances particu- lières de l'espèce, pour connaître d'une action en passing off fondée sur l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce'. L'invention en ques tion est un appareil de culture physique composé de cordes avec boucles et poulies destinées à coor- donner les mouvements des bras et des jambes de l'utilisateur, dans une combinaison à l'égard de laquelle a été délivré le brevet canadien 980,376 au demandeur Weider, le 23 décembre 1975, la suite d'une demande datée du l er février 1973. La compagnie demanderesse détient une licence exclusive de distribution et de vente de l'appareil au Canada. L'action en contrefaçon se fonde sur l'allégation selon laquelle la compagnie défende- resse, dont les codéfendeurs sont des administra- teurs et des actionnaires, se propose d'importer, de distribuer, de mettre en vente et de vendre au Canada, un appareil semblable. On n'allègue pas que les défendeurs ont contrefait le brevet avant l'introduction de l'action mais seulement qu'ils se proposent de le faire. La demande dont je suis saisi ne soulève aucune question directement liée à cette cause d'action.
Les défendeurs n'ont pas soumis de preuve à l'appui de la demande, comme il leur était loisible de le faire, et je dois donc me prononcer en me fondant uniquement sur le dossier et en prenant pour acquise la véracité des allégations de fait contenues dans la déclaration. On demande à la Cour de rendre l'ordonnance au motif que les parties des plaidoiries exclusivement pertinentes au passing off «ne sont pas essentielles, peuvent causer préjudice, gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action et constituent un emploi abusif des procédures de la Cour». Ces motifs de
' S.R.C. 1970, c. T-10.
radiation sont prévus aux paragraphes b),d) et f) de la Règle 419(1). Après avoir entendu les plai- doyers, je suis convaincu que le seul motif valable de la demande est celui que l'on a cité au début, à savoir, la compétence de la présente cour, dans les circonstances, pour connaître de l'action en pass ing off.
Il semble que la question découle logiquement de la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l'affaire MacDonald c. Vapor Canada Ltd. 2 Les passages de la déclaration dont on demande la radiation sont les paragraphes 6, 7, 8, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 17, 25, 26 et 27, certains passages des paragraphes 32 et 33 et les sous-ali- néas a) et b) du paragraphe 36. Ces paragraphes sont cités intégralement à l'annexe «A» ci-jointe; les parties des paragraphes 32 et 33 dont on demande la radiation sont soulignées et le sous-ali- néa c) du paragraphe 36 est inclus afin de démon- trer que les sous-alinéas a) et b) sont clairement superflus dans le contexte de l'action en contrefa- çon seulement. Les dispositions pertinentes la Loi sur les marques de commerce sont contenues aux articles 7, 53 et 55.
7. Nul ne doit
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem- blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi- ses, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde
(i) les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la composition,
(ii) l'origine géographique, ou
(iii) le mode de fabrication, de production ou d'exécution
de ces marchandises ou services; ni
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affai- res contraire aux honnêtes usages industriels ou commer- ciaux ayant cours au Canada.
53. Lorsqu'il est démontré à une cour compétente, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, la cour peut rendre l'ordonnance que les circonstances exigent, y compris une stipulation portant un redressement par voie d'injonction et
2 (1976) 22 C.P.R. (2e) 1.
le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et peut donner des instructions quant à la disposition des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la pré- sente loi et de toutes matrices employées à leur égard.
55. Toute action ou procédure en vue de l'application d'une disposition de la présente loi ou d'un droit ou recours conféré ou défini de la sorte est recevable par la Cour fédérale du Canada.
Il est bien entendu que la présente cour n'a d'autre compétence que celle que le Parlement du Canada lui a accordée dans l'exercice de son pou- voir législatif. Il est tout aussi évident que plaider une cause d'action sur laquelle la Cour n'a pas compétence pour statuer constitue clairement un emploi abusif de ses procédures. Le Parlement, au moyen des articles 7, 53 et 55 de la Loi sur les marques de commerce, a établi plusieurs causes d'action et a accordé à la présente cour la compé- tence pour les juger. Il s'agit donc de déterminer si, étant donné les faits allégués dans la déclara- tion, la cause d'action prévue à l'article 7b) ressor- tit au pouvoir législatif du Parlement. Dans l'af- faire Vapor Canada, à la page 28 de ses motifs, le juge en chef a déclaré:
En l'espèce, j'en viens à la conclusion suivante. Ni l'art. 7 dans son ensemble, ni l'al. e) considéré seul ou en relation avec l'art. 53, n'est une loi fédérale valide relative à la réglementa- tion des échanges et du commerce ou une autre rubrique de compétence fédérale. Il y a empiètement sur la compétence législative provinciale dans la situation comme elle se présente. Toutefois l'art. 7 comprend des dispositions visant les fins de la loi fédérale dans la mesure l'on peut les considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l'exercice de sa compétence à l'égard des brevets, du droit d'auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux. Si les alinéas de l'art. 7 se limitaient à cela, ils seraient valides et, si l'al. e) qui est le seul dont la constitu- tionnalité soit contestée en l'espèce, pouvait être ainsi restreint, je serais certainement prêt, à maintenir dans cette mesure sa validité.
Appliqué aux faits allégués dans la déclaration, on ne peut considérer l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce comme un complément du système de réglementation prévu par le Parlement dans l'exercice de la compétence que lui accorde l'article 91(22) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de légiférer en matière de brevets. La Loi sur les brevets 3 fournit aux demandeurs des causes d'action et des recours pour faire valoir et pour protéger les droits qu'elle leur accorde. Ils ne 'servent en rien l'esprit de la Loi sur les brevets en
3 S.R.C. 1970, c. P-4.
cherchant une cause d'action à l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce ou un redresse- ment à l'article 53.
ORDONNANCE
La demande est accueillie avec dépens en faveur des défendeurs, quelle que soit l'issue de la cause.
ANNEXE «A»
6. Le demandeur, Ben Weider, s'occupe de santé physique, d'exercices et d'appareils de culture physique depuis 1937, lorsque lui et son frère Joe Weider ont commencé à promouvoir la santé physique depuis leur résidence de Montréal (Québec).
7. De 1937 1947, le demandeur Ben Weider et son frère Joe Weider ont fabriqué à Montréal, sur une modeste échelle, des appareils de culture physique destinés à être vendus dans la région montréalaise aussi bien qu'ailleurs au Canada.
8. De 1947 au 30 décembre 1959, le demandeur Ben Weider, sous la raison sociale de Weider Sports Equipment Co., a fabriqué et distribué des appareils de culture physique.
10. Le demandeur, Ben Weider, depuis au moins 1947, s'oc- cupe activement de promouvoir et d'encourager la santé et la culture physiques tant au Canada qu'à l'étranger, à tel point que le nom du demandeur, Ben Weider, et le nom de «Weider» sont synonymes de santé physique et de développement muscu- laire en général.
11. Grâce aux efforts personnels du demandeur, Ben Weider, la demanderesse Weider Sports est reconnue au Canada et même mondialement comme étant le meilleur distributeur d'ac- cessoires et d'appareils de culture physique. Les accessoires et appareils que l'on vient de décrire et portant la marque de commerce «Weider» sont en vente dans la plupart des grands magasins et chez la majorité des détaillants d'articles de sport, au Canada et dans environ quatre-vingts autres pays.
12. Le frère du demandeur, Joe Weider, s'est acquis une réputation semblable aux États-Unis, il habite et fait affaire depuis près de trente ans.
14. Ledit appareil de culture physique, léger et portatif, coor- donne au moyen de cordes, de boucles et de poulies les mouve- ments des jambes et des bras de l'utilisateur, lui permettant ainsi de s'entraîner quotidiennement sans recourir à des appa- reils lourds et compliqués.
15. Avant et immédiatement après le lancement sur le marché du «Total Body Shaper», appareil de culture physique, la demanderesse Weider Sports a fait ou fait faire des études afin de contrôler l'efficacité dudit appareil de culture physique.
16. Au moment et immédiatement après le lancement sur le marché du Total Body Shaper, la demanderesse Weider Sports ainsi que plusieurs de ses principaux clients, ont lancé une grande campagne publicitaire destinée à présenter au public le
nouvel appareil de culture physique «Weider», c'est-à-dire, le Total Body Shaper.
17. Grâce aux efforts des demandeurs, Ben Weider et Weider Sports, et des clients de Weider Sports, pour promouvoir le Total Body Shaper comme appareil de culture physique, ledit appareil est devenu, dans l'esprit des consommateurs canadiens, inséparablement lié aux demandeurs, Ben Weider et Weider Sports.
25. L'appareil de culture physique que la défenderesse Beco se propose d'importer, distribuer, mettre en vente et vendre au Canada est une imitation trompeuse et de qualité inférieure de l'appareil de culture physique du demandeur, le Total Body Shaper, et la mise en vente et la vente dudit appareil créera une confusion auprès des consommateurs canadiens entre l'appareil de culture physique du demandeur, le Total Body Shaper, et l'appareil que la défenderesse Beco se propose d'importer.
26. La vente au Canada par la défenderesse Beco d'une imita tion trompeuse et de qualité inférieure du Total Body Shaper des demandeurs causera un tort et un préjudice irréparables à l'achalandage et à la réputation de ces derniers au Canada, y compris à sa réputation de fabricant et de vendeur de produits et d'accessoires de culture physique sûrs et d'excellente qualité.
27. Les agissements de la défenderesse Beco, dont font état les paragraphes 25 et 26 de la présente annexe, constituent des actes illégaux de concurrence déloyale contraires aux usages commerciaux honnêtes ainsi qu'à l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce.
32. L'entreprise dans laquelle s'est lancée la défenderesse Beco, selon les ordres exprès des défendeurs Pinchuk et Schwartz, a été délibérément machinée par ces derniers dans l'intention de se servir de la défenderesse Beco pour porter atteinte aux droits des demandeurs sur l'appareil de culture physique, le Total Body Shaper, et dans le but de créer la confusion parmi les consommateurs canadiens entre ce dernier appareil et celui que le défendeur Beco se propose d'importer et dans le but égale- ment d'exploiter l'achalandage et la réputation des demandeurs au Canada, le tout afin de tirer profit de la vente au Canada desdits appareils de culture physique au détriment des demandeurs.
33. En raison des agissements des défendeurs Pinchuk et Schwartz, susmentionnés, ces derniers sont responsables du fait que le défendeur Beco a porté atteinte aux droits accordés par le brevet canadien 980,376; et sont également responsables des actes de concurrence déloyale auxquels s'est livrée la défen- deresse Beco et dont font état les paragraphes 25, 26 et 27 de la présente annexe.
36. Par conséquent, les demandeurs réclament:
a) une ordonnance provisoire enjoignant aux défendeurs ou à chacun d'eux d'importer, de porter à la connaissance du public, de mettre en vente et de vendre au Canada un appareil de culture physique du type décrit au paragraphe 28 de cette déclaration, ou son équivalent, tant que cette hono rable cour n'aura pas rendu son jugement définitif;
b) une ordonnance provisoire enjoignant aux défendeurs ou à chacun d'entre eux d'importer, de porter à la connaissance du
public, de mettre en vente et de vendre au Canada un appareil de culture physique semblable à celui des deman- deurs, le Total Body Shaper, ou une imitation trompeuse de celui-ci;
c) une ordonnance provisoire enjoignant aux défendeurs ou à chacun d'entre eux de contrefaire le brevet canadien 980,376 ou de porter atteinte à toute revendication s'y rap- portant, par l'importation, la mise en vente et la vente au Canada d'un appareil de culture physique du type décrit au paragraphe 23 de cette déclaration ou l'équivalent de cet appareil, tant que cette honorable cour n'aura pas rendu son jugement définitif;
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