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T-1874-76
In re un mandat de main-forte et in re la Loi sur les stupéfiants
Division de première instance, le juge Mahoney— Ottawa, le 8 juin 1976.
Couronne—Pratique—Requête en vertu de la Règle 324 pour la délivrance à «W.., agent de la GRC d'un mandat de main-forte--Nécessité d'un affidavit à l'appui—Requête ajournée en attendant le dépôt de documents—Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1, art. 10(3) Loi sur la Cour fédérale, art. 64(2) et Règles 319 et 324 Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 2—Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, c. R-9, art. 17(3).
Le ministre de la Santé et du Bien-être social a présenté une demande ex parte conformément à l'article 10(3) de la Loi sur les stupéfiants pour la délivrance d'un mandat de main-forte à un certain W, agent de la GRC. La requête a été présentée par écrit, sans comparution personnelle, conformément à la Règle 324, sans aucun affidavit à l'appui.
Arrêt: la demande est ajournée sine die et le requérant est autorisé à fournir des renseignements supplémentaires à l'appui de la demande et à présenter une plaidoirie orale. La Cour a refusé d'examiner l'affaire avant le dépôt d'un affidavit. La demande autorisée par l'article 10(3) de la Loi sur les stupé- fiants doit être présentée sous forme de requête conformément à la Règle 319(1) et appuyée par un affidavit conformément à la Règle 319(2). L'article 10(3), pris isolément, semblerait appuyer la pratique suivie; il n'y a rien à prouver par affidavit et il suffit au Ministre de désigner la personne à qui le mandat doit être délivré et la Cour doit le délivrer. Cependant, il ressort des paragraphes (1) et (4) de l'article 10 que le Parlement a voulu que seul un «agent de la paix» exerce le droit de perquisi- tion et de saisie accordé par un mandat de main-forte. Si cela est exact, il reste alors deux problèmes à résoudre avant de pouvoir juger cette demande. (1) Une nomination conformé- ment à l'article 17(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada confère-t-elle la qualité d'«agent de la paix», et, sinon, qu'en est-il? (2) W est-il un «agent de la paix» à cette fin? Rien ne prouve que W a été nommé agent de la paix, si telle est la condition nécessaire et la Cour n'est pas prête à examiner ces questions conformément à la Règle 324, mais elle exige une comparution personnelle et une plaidoirie de vive voix.
DEMANDE ex parte.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le ministre de la Santé et du Bien-être social a présenté une demande ex
parte conformément à l'article 10(3) de la Loi sur les stupéfiants' pour la délivrance d'un mandat de main-forte à un certain W. La requête a été pré- sentée par écrit, sans comparution personnelle, conformément à la Règle 324. Il n'a été déposé aucun affidavit à l'appui de la demande bien que celle-ci reconnaissait W comme un membre de la Gendarmerie royale du Canada chargé de l'exécu- tion de la Loi sur les stupéfiants. J'ai refusé d'examiner la demande avant le dépôt d'un affidavit.
L'article 10(3) de la Loi dispose:
10. (3) Un juge de la Cour fédérale du Canada doit, à la demande du Ministre, délivrer un mandat de main-forte autori- sant et habilitant la personne qui y est nommée, aidée et assistée de tel individu que la personne y nommée peut requérir, à entrer à toute heure dans une maison d'habitation quelconque pour découvrir des stupéfiants.
Voici les paragraphes pertinents de la Règle 319:
(I) Lorsqu'il est permis de faire une demande à la Cour, à un juge ou un protonotaire, la demande doit être faite par voie de requête.
(2) Une requête doit être appuyée par un affidavit certifiant tous les faits sur lesquels se fonde la requête sauf ceux qui ressortent du dossier; cet affidavit doit être déposé.....
Je dois reconnaître que mon rejet initial de la demande a été instinctif plutôt que motivé. La demande autorisée par l'article 10(3) de la Loi doit se présenter sous forme de requête conformé- ment à la Règle 319 (1) et elle doit être appuyée par un affidavit conformément à la Règle 319(2). Par la suite, l'avocat du Ministre m'a demandé une entrevue personnelle et il l'a obtenue. Il a fait remarquer que la procédure que j'ai rejetée est suivie depuis longtemps et il m'a demandé de réexaminer mon rejet tout en se montrant prêt à adopter une procédure différente si la Cour le souhaitait.
Le juge en chef de la Cour fédérale, alors prési- dent de la Cour de l'Échiquier du Canada, a statué relativement aux demandes de mandat de main- forte présentées conformément à une autre loi 2 :
[TRADUCTION] ... j'en ai conclu qu'un juge de la Cour de l'Échiquier, auquel le procureur général du Canada demande conformément à l'article 143 de la Loi sur les douanes de délivrer un mandat de main-forte, doit le délivrer conformé-
' S.R.C. 1970, c. N-1, modifié par S.R.C. 1970 (2e Supp.) c. 10, art. 64(2).
2 I re mandats de main-forte [1965] 2 R.C.É. 645, la page 651.
ment à la demande, à condition de s'être assuré que la personne désignée dans la demande est un «préposé».
Il y a une distinction entre la disposition pertinente de la Loi sur les douanes 3 (et celle de la Loi sur l'accise 4 ) d'une part, et la Loi sur les stupéfiants (et la Loi des aliments et drogues 5 ) d'autre part. L'article pertinent de la Loi sur les douanes exige que la personne à laquelle est délivré le bref soit un «préposé» qui est par définition «une personne employée pour l'application ou l'exécution» de la Loi et comprend un «membre de la Gendarmerie royale du Canada». Ainsi en ce qui concerne les mandats de main-forte demandés en vertu de la Loi sur les douanes, il est usuel de déposer un affidavit prouvant que la personne désignée dans la demande est un «préposé» au sens de cette loi. La pratique est la même pour la Loi sur l'accise.
L'article 10(3) de la Loi sur les stupéfiants, pris isolément, semblerait appuyer la pratique suivie; il n'y a rien à prouver par affidavit. Si le Ministre décide de demander un mandat de main-forte, il lui suffit de désigner la personne à qui le mandat doit être délivré et la Cour doit le délivrer. Cepen- dant, il ressort des paragraphes (1) et (4) de l'article 10 que le Parlement a voulu que seul un «agent de la paix» exerce le droit de perquisition et de saisie accordé par un mandat de main-forte.
La Loi ne définit pas elle-même l'expression «agent de la paix» et n'adopte pas non plus une définition de cette expression tirée d'une autre loi. Sans énoncer ici la définition, il est manifeste que ce terme, tel qu'il est utilisé dans le Code crimi- nel 6 , comprend des catégories de personnes, comme par exemple les maires, les reeves, les gardiens de prison, auxquelles nulle personne censée agir à titre judiciaire ne devrait accorder le pouvoir qu'a le Ministre d'exiger la délivrance d'un mandat de main-forte sans une directive explicite du Parlement. En common law, l'expression «agent
3 S.R.C. 1970, c. C-40, art. 145.
4 S.R.C. 1970, c. E-12, art. 78.
5 S.R.C. 1970, c. F-27, art. 37(3) et 45.
6 S.R.C. 1970, c. C-34, art. 2, modifié par S.C. 1972, c. 13, art. 2.
de la paix» semble recouvrir cette catégorie de fonctionnaires publics autorisés par leurs fonctions à pratiquer une arrestation sans mandat'. Je le répète, une directive sans ambiguïté du Parlement serait bienvenue si le législateur entend que le Ministre puisse réclamer à la Cour fédérale la délivrance d'un mandat de main-forte non seule- ment à un agent de police mais aussi à un juge de paix, à un coroner, à un shérif ou à un gardien nommé conformément au Statut de Winchester' ou à son adjoint. J'estime que le Parlement a voulu donner à l'expression «agent de la paix» utilisée dans l'article 10 de la Loi sur les stupéfiants un sens plus étroit que celui donné en common law ou celui adopté par le Code criminel.
Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne les mem- bres de la GRC, le pouvoir de nomination attribué au Commissaire se substitue à toute autre défini- tion de l'expression «agent de la paix». L'article 17 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada 9 prévoit notamment que:
(3) Tout officier ainsi que toute personne nommée par le Commissaire aux termes de la présente loi pour être agent de la paix sont des agents de la paix dans toute partie du Canada et jouissent de tous les pouvoirs, de toute l'autorité, de toute la protection et de tous les privilèges que les lois accordent à un agent de la paix.
Par définition, «officier» signifie un agent de police mandaté, du sous-inspecteur au commissaire. Il est évident que tout membre de la GRC n'est pas nécessairement un agent de la paix; les officiers le sont ainsi que d'autres personnes nommées par le Commissaire qui, semble-t-il, n'appartiennent pas nécessairement à la Gendarmerie royale.
L'obligation qui pèse sur la Cour fédérale lors-
qu'elle examine une telle demande, est réelle bien que très limitée dans sa portée:
[TRADUCTION] Eu égard au pouvoir très large que la loi confère au détenteur d'un mandat de main-forte et eu égard au fait qu'un tel mandat, une fois délivré, reste en vigueur pendant toute la carrière de l'officier auquel il est délivré, il est impor tant d'examiner avec soin les circonstances dans lesquelles un
7 Commentaries on the Laws of England, William Black- stone, livre I, ch. 9; livre IV, ch. 21.
8 13 Edw. I (1285), c. 6.
9 S.R.C. 1970, c. R-9.
L'article 17(4) accorde les droits etc. d'un préposé de la douane et de l'accise à tout membre nommé agent de la paix par le Commissaire alors que l'article 17(3) prévoit qu'il peut nommer agent de la paix une personne, et non pas un membre. C'est moi qui souligne.
tel mandat doit être délivré et la forme que celui-ci doit prendre."
Ici la forme du mandat n'est pas contestée.
Si j'ai raison de prétendre qu'un mandat de main-forte délivré conformément à l'article 10(3) de la Loi sur les stupéfiants doit être délivré à un agent de la paix, il reste alors deux problèmes à résoudre avant de pouvoir juger cette demande. En premier lieu, il faut se demander si une nomination conformément à l'article 17(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada confère la qualité d'agent de la paix aux fins de l'article 10(3) de la Loi sur les stupéfiants et dans la négative, il faut déterminer ce qui confère cette qualité. Cette défi- nition établie, il reste à savoir si W est un «agent de la paix» à cette fin. Rien ne me prouve qu'il a été nommé agent de la paix par le Commissaire, si telle est la condition nécessaire.
Je ne suis pas prêt à examiner ces questions conformément à la Règle 324. J'exige une compa- rution personnelle et une plaidoirie de vive voix. Les mêmes remarques s'appliquent à la demande concurrente présentée en vertu de la Loi des ali- ments et drogues en ce qui concerne le même membre de la GRC (No du greffe: T-1875-76) et l'ordonnance sera la même.
ORDONNANCE
La demande est ajournée sine die et le requérant est autorisé à fournir des renseignements supplé- mentaires à l'appui et à présenter une plaidoirie orale à une date convenue avec le greffe, soit pendant les grandes vacances ou à une autre date.
"In re mandats de main-forte [1965] 2 R.C.É. 645, la page 647.
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