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T-4640-75
Lex Tex Canada Limited (Demanderesse)
c.
Tricots Cirtex Inc. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney— Ottawa, les 1 et 2 juin 1976.
Brevets—La défenderesse sollicite la radiation d'une partie de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action—Le fait d'acheter à un importateur et d'utiliser au Canada le produit non breveté, fabriqué ailleurs, selon un procédé et sur un appareil brevetés au Canada constitue-t-il une contrefaçon du brevet canadien?—Loi sur les brevets, S.R.C. 1886, c. 61, art. 20; S.R.C. 1970, c. P-4, art. 46—Règle 419 de la Cour fédérale.
Dans une action en contrefaçon, la défenderesse demande la radiation des mots «ou en achetant à un importateur» dans la déclaration, au motif qu'ils ne révèlent pas une cause raisonna- ble d'action. La question soulevée était de savoir si le fait d'acheter à un importateur et d'utiliser au Canada le produit non breveté, fabriqué ailleurs, selon un procédé et sur un appareil brevetés au Canada constitue en soi une contrefaçon du brevet canadien. La position de la défenderesse est la suivante: s'il est douteux que l'importation et la vente au Canada par la même personne, du produit non breveté d'un procédé breveté constitue une contrefaçon, il est clair que le simple fait d'acheter le produit à l'importateur et de l'utiliser au Canada ne saurait être une contrefaçon.
Arrêt: la demande est rejetée. Il n'est pas suffisamment évident que les mots que l'on veut radier ne révèlent pas une cause raisonnable d'action pour trancher la question sommaire- ment et priver la demanderesse de la possibilité de la soumettre au procès de l'action.
Arrêts appliqués: Union Carbide Canada Ltd. c. Trans Canadian Feeds Ltd. [1966] R.C.É. 884; Elmslie c. Bour- sier (1870) L.R. 9 Eq. 217; Von Heyden c. Neustadt (1880) 14 Ch.D. 230; Auer Incandescent Light Manufac turing Company c. O'Brien (1897) 5 R.C.É. 243; Toronto Auer Light Co. Ltd. c. Colling (1899) 31 O.R. 18 et F. Hoffmann -LaRoche & Co. c. Le commissaire des brevets [1955] R.C.S. 414.
DEMANDE. AVOCATS:
G. A. Macklin et B. E. Morgan pour la
demanderesse.
N. Fyfe et J. Fantl pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la demanderesse.
Smart & Biggar, Ottawa, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La présente demande sou- lève la question de savoir si le fait d'acheter à un importateur et d'utiliser au Canada le produit non
breveté, fabriqué ailleurs, d'un procédé et d'un appareil brevetés au Canada constitue en soi une contrefaçon du brevet canadien. La défenderesse, conformément à la Règle 419, demande la radia tion au paragraphe 10 de la déclaration des mots
soulignés:
[TRADUCTION] 10. La défenderesse a illicitement et sans autorisation, consentement, permission ni acquiescement de la demanderesse, violé les droits exclusifs de cette dernière sur le brevet canadien portant le numéro 624,592 en important au Canada ou en achetant à un importateur, pour s'en servir dans ses usines situées à Caraquet (Nouveau-Brunswick) et à Mont- réal (Québec), lesdits tissus fabriqués selon les méthodes que décrivent les revendications 1, 3, 4, 15, 17 et 18, sur l'appareil décrit aux revendications 25 30 inclusivement et à la revendi- cation 39 du brevet numéro 624,592.
La défenderesse prétend que les mots dont elle demande la radiation ne révèlent pas une cause raisonnable d'action. La déclaration n'allègue pas que la défenderesse a incité l'importateur à impor
ter le produit en question.
La défenderesse s'appuie sur l'opinion émise par le président Jackett, maintenant juge en chef, dans l'arrêt Union Carbide Canada Ltd. c. Trans Canadian Feeds Ltd. 1 :
[TRADUCTION] Vu que la loi canadienne envisage claire- ment un monopole d'exploitation pour un procédé et un mono- pole d'exploitation distinct pour un produit, et vu qu'aux termes
de cette loi, le monopole d'exploitation ne vaut qu'au Canada, il semble s'ensuivre que la vente ou l'usage au Canada d'un produit fabriqué à l'étranger selon le procédé en question ne violera pas le monopole d'exploitation du procédé au Canada.
Il a mentionné deux décisions 2 anglaises portant que l'importation et la vente en Angleterre d'un produit fabriqué dans un pays étranger par un procédé faisant l'objet d'un monopole d'exploita- tion en Angleterre violait le monopole d'exploita- tion du procédé anglais et il a indiqué que, bien qu'il n'existât aucune différence pertinente entre les lois canadienne et anglaise, il ne trouvait pas ces décisions concluantes. Le juge Burbidge a appliqué ces arrêts anglais au Canada dans le
' [1966] R.C.É. 884, la p. 888 et suivante.
2 Elmslie c. Boursier (1870) L.R. 9 Eq. 217 et Von Heyden
c. Neustadt (1880) 14 Ch.D. 230.
jugement rendu dans l'affaire Auer Incandescent Light Manufacturing Company c. O'Brien 3 . Cette décision, aussi bien que l'arrêt anglais Von Heyden c. Neustadt et le jugement rendu dans l'affaire Toronto Auer Light Co. Ltd. c. Colling 4 , dont je traiterai plus loin, avaient tous été l'objet de l'opi- nion suivante émise dans un jugement de la Cour suprême du Canada 5 :
[TRADUCTION] Il ne semble y avoir aucune raison pour douter de la rectitude de ces décisions.
Le savant Président a conclu la page 890] qu'en dépit des réserves formulées, il devait
[TRADUCTION] ... suivre la décision rendue par le juge Bur- bidge en 1897 aussi longtemps que cette jurisprudence ne sera pas modifiée par une décision de la Cour suprême du Canada. En adoptant cette position, je ne souhaite pas que l'on considère que j'exprime une opinion sur la procédure à suivre lorsqu'un problème semblable se pose devant la présente cour à un moment elle est constituée de façon différente.
La position de la défenderesse est la suivante: s'il est fort douteux que l'importation et la vente au Canada par la même personne, du produit non breveté d'un procédé breveté constitue une contre- façon du brevet de procédé, il est clair que le simple fait d'acheter le produit à l'importateur et de l'utiliser au Canada ne saurait être une contre- façon de ce brevet. Cependant, l'opinion émise dans l'arrêt Hoffman-LaRoche visait aussi la déci- sion d'une Cour des divisions de l'Ontario dans l'arrêt Colling.
Dans cette affaire, les faits semblent être les mêmes que ceux allégués en l'espèce. Le juge Boyd a déclaré pour la Cour la page 26]:
[TRADUCTION] Je ne vois aucune raison pour statuer qu'une personne qui achète ou utilise des manteaux fabriqués en violation du brevet des demandeurs, peu importe leur origine,
ne peut être poursuivie.
et il a ensuite statué la page 29] relativement au brevet en question:
[TRADUCTION] ... le procédé a été expressément revendiqué mais le produit était compris par induction.
Je ne trouve aucune différence substantielle entre
3 (1897) 5 R.C.É. 243.
4 (1899) 31 O.R. 18.
5 F. Hoffmann -LaRoche & Co. Ltd. c. Le commissaire des brevets [1955] R.C.S. 414, la p. 416.
les droits de monopole d'exploitation d'un titulaire de brevet en vertu de la Loi sur les brevets 6 étudiée dans cet arrêt et la loi actuelle.
Il appert que la proposition selon laquelle les mots que l'on veut radier ne révèlent pas une cause raisonnable d'action, n'est pas suffisamment évi- dente pour juger l'affaire sommairement et priver la demanderesse de la possibilité de faire trancher la question à l'audition de l'action.
Subsidiairement, la défenderesse cherche à obte- nir des détails relatifs au présumé achat des mar- chandises à un importateur, sans déposer d'affida- vit à l'appui de la demande. D'après le dossier, je dois conclure qu'il est probable que la défenderesse possède déjà ces détails, alors que vraisemblable- ment la demanderesse n'en aura pas connaissance avant la communication des documents.
ORDONNANCE
La requête est rejetée avec dépens à la deman- deresse quelle que soit l'issue de la cause.
6 S.R.C. 1886, c. 61, art. 20; S.R.C. 1970, c. P-4, art. 46.
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