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T-1105-77
Dome Petroleum Limited (Demanderesse) c.
N. Bunker Hunt, W. Herbert Hunt, et Lamar Hunt, exploitant une entreprise sous la raison sociale de Hunt International Petroleum Company of Canada et Hunt International Petroleum Com pany of Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Dubé— Vancouver, les 25 et 29 avril 1977.
Compétence Demande pour faire rayer la déclaration et annuler l'injonction dans une action contractuelle, pour incom- pétence La demanderesse s'occupe de forage pour l'huile dans la mer de Beaufort La demanderesse utilise des navires dans ses opérations La compétence découle-t-elle de l'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale? Loi sur la Cour , fédérale, art. 22.
Les défendeurs ont présenté des requêtes pour obtenir deux ordonnances annulant, l'une la déclaration de la demanderesse et l'autre une injonction dans une action contractuelle au motif de l'incompétence de la Cour. La défenderesse avait, par con- trat, retenu les services de la demanderesse pour le forage d'un puits d'huile dans la mer de Beaufort; l'opération nécessitait l'utilisation de navires de forage et de navires de fourniture. La demanderesse prétend que son action relève de la compétence de la Cour fédérale en vertu de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: la demande est accueillie. L'existence d'une législation fédérale applicable est une condition préalable à l'exercice par la Cour fédérale de sa compétence pour connaître de toutes les procédures qui lui sont soumises. Il ne suffit pas que l'affaire soit de compétence fédérale, une loi du Parlement doit servir de base à l'action. Seule une loi claire et non équivoque peut élargir le champ de compétence. Rien à l'alinéa 22(2)i) ni à l'article 22 dans son ensemble n'indique clairement que les «systèmes de forage» évoqués dans la convention et dans la déclaration entrent dans le cadre de la navigation et de la marine marchande sur lesquels la Cour fédérale a compétence concurrente en première instance.
Arrêts suivis: McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine (1977) 75 D.L.R. (3d) 273; Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée (1977) 71 D.L.R. (3d) 111; Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2e) 673 et Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le »Juzan Maru» [1974] 2 C.F. 488.
DEMANDE. AVOCATS:
Marvin V. McDill et P. Jull pour la demanderesse.
F. J. Fleury et J. D. McCartney pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Ballem, McDill & Maclnnes, Calgary, pour la demanderesse.
McKimmie Matthews, Calgary, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUB$: Il s'agit de deux requêtes pré- sentées par les défendeurs pour obtenir deux ordonnances annulant, l'une la déclaration de la demanderesse et l'autre une injonction contre les défendeurs au motif de l'incompétence de la Cour. Les présents motifs s'appliquent aux deux requêtes qui ont été entendues simultanément.
La demanderesse (ci-après appelée «Dome») est une compagnie canadienne ayant son siège social à Calgary en Alberta. Les défendeurs (ci-après appelés «Hunt») sont tous administrateurs de com- pagnies du Texas (E.-U.) s'occupant de prospec- tion de pétrole et de gaz naturel.
La déclaration allègue que, par contrat en date du 15 mars 1974, Hunt a retenu les services de Dome pour procéder par navire au forage d'un puits d'essai dans certains terrains du lit de la mer de Beaufort, dans les limites territoriales du Canada. Voici le libellé des paragraphes 5 et 7 de ladite déclaration:
[TRADUCTION] 5. Afin d'effectuer, en vertu du contrat, le forage du puits d'essai pour les défendeurs, la demanderesse a fait construire et mobilisé à ses frais deux (2) grands navires de forage, cinq (5) navires de fournitures, une base côtière des opérations pour permettre l'entretien et l'approvisionnement de ces navires et tout le matériel nécessaire à la conduite des opérations de forage pour les défendeurs sur les terrains du lit de la mer de Beaufort.
7. Aux termes du contrat la demanderesse acceptait de forer le puits d'essai pour les défendeurs et en leur nom, mais aux frais, risques et périls, de ces derniers qui devaient, après détermina- tion du montant des frais, le verser à la demanderesse confor- mément aux rubriques 2a) et b), libellées comme suit:
2a). Les frais de forage du puits d'essai (s'ajoutant à ceux relatifs aux fournitures, aux provisions et au personnel, non compris dans les devis de forage) comprendront le prix d'installation des systèmes de forage et de la base côtière, celui des fournitures et du matériel de transport et de leur utilisation après la période initiale de deux ans, commençant à courir à l'arrivée des deux systèmes dans la mer de Beaufort. Les frais seront déterminés au prorata du nombre de jours que le système passera sur l'emplacement du puits
d'essai, comparativement au nombre de jours que lesdits systèmes passeront sur tous les emplacements des puits forés par eux pendant ces deux ans. Jusqu'au calcul de ce prorata, à l'aide de l'expérience et des événements, nous supposerons qu'ensemble les deux systèmes de forage auront passé 240 jours sur les emplacements de puits et foré quatre puits pendant cette période. De plus, Hunt paiera les fournitures et provisions utilisées pendant le forage de ce puits d'essai, au fur et à mesure des besoins.
2b). Dès qu'un système de forage se trouvera sur les lieux du puits d'essai, Dome pourra facturer à Hunt les coûts estima- tifs du système de forage, de la base côtière, de la fourniture et du matériel de transport utilisé les 30 jours suivants, sur la base susmentionnée, et pourra ensuite lui facturer des avan- ces semblables à intervalles de 30 jours pendant la période de forage du puits d'essai. Dans les 15 jours de leur réception à son bureau de Dallas, Hunt devra verser à Dome le montant des factures ainsi établies.
Dome dit qu'elle a commencé le forage le 6 août 1976, ou vers cette date, et présenté, conformé- ment au contrat, des factures correspondant au coût de forage et que Hunt lui doit plus de $33 millions et des dommages-intérêts. Dans sa décla- ration, Dome demande la nomination d'un séques- tre pour protéger l'actif de Hunt au Canada jus- qu'à extinction de la créance.
Lors du dépôt de la déclaration, ou le 22 mars 1977, sur demande ex parte présentée par Dome, la Cour a rendu une ordonnance nommant un séquestre et enjoignant à Hunt de s'abstenir, jus- qu'à nouvel ordre, de transférer ou autrement grever ses intérêts concernant le forage d'un puits d'essai conformément au contrat du 15 mars évoqué dans la déclaration.
Deux décisions' récentes de la Cour suprême du Canada établissent clairement que l'existence d'une législation fédérale applicable est une condi tion préalable à l'exercice par la Cour fédérale de sa compétence pour connaître de toutes les procé- dures qui lui sont soumises. Il ne suffit pas que l'affaire soit de compétence fédérale, une loi fédé- rale doit servir de fondement à l'action. La Cour fédérale n'est pas compétente dans le domaine contractuel, même si l'entreprise envisagée par le contrat relève de la compétence fédérale, à moins qu'une loi fédérale précise ne serve de fondement au redressement demandé.
' McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine (1977) 75 D.L.R. (3e) 273. Quebec North Shore Paper Co. c. Cana- dien Pacifique Ltée (1977) 71 D.L.R. (3e) 111.
En l'espèce, il s'agit essentiellement d'une action en recouvrement de prêt entre un ressortissant canadien et un américain, et l'injonction a été accordée pour protéger la créance. La seule loi pouvant servir de fondement à l'action et au redressement demandé devant cette cour, et la seule loi invoquée par l'avocat, est la Loi sur la Cour fédérale et plus précisément son article 22, lequel traite de navigation et de marine mar- chande. Voici le libellé des articles pertinents:
22. (1) La Division de première instance a compétence con- currente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
i) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
En bref, la question est de savoir si la réclama- tion de Dome est fondée sur une convention rela tive au transport de marchandises à bord d'un navire, ou bien à l'utilisation ou au louage d'un navire au sens général de l'article 22 qui traite de navigation et de marine marchande.
La convention évoquée dans la déclaration et signifiée à Hunt ex juris avec celle-ci, ne traite pas du transport de marchandises à bord d'un navire, ni de l'utilisation ou du louage d'un navire ou reliés à un navire. Elle traite du forage d'un puits d'essai.
Dans l'affaire Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board 2 , il s'agissait d'une compagnie s'occupant d'installation et d'en- tretien d'emplacements pour le forage 'de gaz sous l'eau, à des distances de 1 1 / 2 mille à 14 milles de la côte, et utilisant à cette fin une tour et une plate- forme, un bateau de plongée et des vedettes de travail. Il a été statué que les compagnies étaient régies par The Labour Relations Act de l'Ontario et non par la loi fédérale. Les activités de la compagnie relevaient des paragraphes 92(1) et (16) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et n'étaient pas assujetties à la compétence fédérale relativement à la navigation et aux bâti-
2 (1960) 24 D.L.R. (2e) 673.
ments ou navires en vertu du paragraphe 91(10) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Bien qu'il soit question de «navigation» et de «bâtiments», il s'agissait d'éléments accessoires de l'activité principale, c'est-à-dire l'installation et l'entretien d'emplacements pour les puits de gaz.
Dans Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le «..duzan Maru» 3 , mon collègue le juge Collier a jugé que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour connaître d'une action introduite contre un entreposeur en vertu des alinéas 22(2)h) et i) de la Loi sur la Cour fédérale. L'entreposeur avait loué un remorqueur et un chaland pour transporter une certaine quantité de tubes du navire à l'entrepôt. C'était une activité accessoire de l'activité prin- cipale de l'entreposeur. Le juge de première ins tance s'exprime ainsi à la page 493:
Je ne peux souscrire à la prétention de la demanderesse selon laquelle cette compétence résulte des alinéas h) ou i). Le simple fait que la demanderesse et la Johnston, par l'une des clauses de leur contrat relative à la manutention et à l'entreposage des tubes, ont convenu que les tubes seraient transportés sur un chaland (un «navire» ou «bâtiment») plutôt que par camion, par rail ou par quelqu'autre moyen de transport, ne fait ni nécessai- rement ni automatiquement entrer en jeu les deux chefs de compétence invoqués. A mon avis, il faut examiner au fond l'accord passé entre la demanderesse et la Johnston.
Et à nouveau à la page 496:
Enfin quand, comme on l'a soutenu au nom de la Johnston, on analyse l'essence de l'accord ou du contrat conclu entre la demanderesse et la Johnston, ainsi que les faits propres à cette affaire, on constate que l'aspect droit maritime de l'accord commercial ainsi conclu est infime et secondaire. L'activité prépondérante de la Johnston consistait à recevoir et à entrepo- ser les marchandises de la demanderesse. Ses principales activi- tés étaient celles d'un dépositaire-entrepositaire, et non celles d'une compagnie faisant des opérations maritimes, cette expres sion étant prise dans son sens le plus large. [Voir La cité de Montréal c. Les Commissaires du havre de Montréal [1926] A.C. 299.] Le critère des caractère et objectif prépondérants a été l'un de ceux appliqués par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2') 673.
La convention sur laquelle repose cette réclama- tion pour dettes ne porte manifestement pas sur le transport de marchandises à bord d'un navire, au sens de l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale. Peut-il s'agir d'une convention pour «l'utilisation ou le louage d'un navire» en vertu du même alinéa? Non. Il s'agit d'une convention pour le forage d'un puits d'essai.
3 [1974] 2 C.F. 488.
Selon un principe de droit bien établi, seule une loi claire et non équivoque peut élargir le champ de compétence. Rien à l'alinéa 22(2)i) ni à l'article 22 dans son ensemble n'indique clairement que les «systèmes de forage» évoqués dans la convention et dans la déclaration entrent dans le cadre de la navigation et de la marine marchande sur lesquels la Cour fédérale a compétence concurrente en première instance. Dans son ensemble, l'article 22 traite de navigation et de marine marchande et il y est question de «navires» à presque tous les alinéas. La Loi sur la marine marchande, S.R.C. 1970, c. S-9 définit à son article 2, les termes «navire» et «bâtiment»:
«navire» comprend
a) les bâtiments de toute sorte employés à la navigation et non mus par des rames, et
8) pour les fins de la Partie I et des articles 647 652, les chalands ou allèges de toute sorte et les bâtiments semblables employés à la navigation au Canada, quel qu'en soit le mode de propulsion;
«bâtiment» comprend tout navire ou bateau ou toute autre sorte de bâtiments servant, ou destinés à servir, à la navigation;
Le mot «navigation» figure dans les deux défini- tions. Ni la Loi sur la marine marchande ni la Loi sur la Cour fédérale ne définissent le mot «naviga- tion», toutefois ce terme bien connu suppose le déplacement de navires sur l'eau, d'un endroit à un autre. Voici comment le définissent des dictionnai- res réputés:
The Shorter Oxford English Dictionary
[TRADUCTION] Navigation 1. Le fait de naviguer; le fait ou la pratique de se déplacer sur l'eau dans un navire ou autre bâtiment .... 2. L'art ou la science de la conduite d'un navire sur la mer ....
The Living Webster Encyclopedic Dictionary of the English Language
[TRADUCTION] Naviguer. Se déplacer sur l'eau à bord d'un navire ou d'un bateau ....
Navigation. Le fait de naviguer; la science ou l'art de la conduite des navires; la science permettant de déterminer la situation, la vitesse, la destination et la direction d'avions et autres véhicules.
Black's Law Dictionary, éd.
[TRADUCTION] Navigation. L'art, la science ou le commerce relatifs à la traversée de la mer ou d'autres eaux à bord de navires ou de bâtiments.
Stroud's Judicial Dictionary, 40 éd.
[TRADUCTION] Navigation. (1) «Navigation» est «la science ou l'art de la conduite d'un navire d'un endroit à un autre ....»
Aucun effort d'imagination ne pourrait amener à concevoir qu'un «système de forage» en exploita-
Lion constitue de la navigation. Quelles que soient sa configuration ou sa position, qu'il flotte ou soit immergé, il doit être stationnaire. Toute naviga tion requise pour le touer en position est purement accessoire.
Je suis donc d'avis que la Cour fédérale n'est pas compétente en la matière. Il s'ensuit que la décla- ration doit être rayée et l'injonction annulée.
ORDONNANCE
La déclaration est rayée et l'injonction annulée.
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