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T-1762-73
La Reine, sur la dénonciation du sous-procureur général du Canada (Demanderesse)
c.
Gilbert A. Smith (Défendeur)
Division de première instance, le juge Dubé— Newcastle (Nouveau-Brunswick), les 7 et 8 sep- tembre 1976, les 16, 17, 18 et 19 mai 1977; Ottawa, le 9 septembre 1977.
Indiens Dénonciation par la Couronne Terres de réserve Terres prétendument cédées à la Couronne pour être vendues au bénéfice de la bande Terres non vendues et bénéfices non reçus Terres occupées par le défendeur et ses prédécesseurs en titre depuis 1838 Ont-elles été confiées à la province lors de la cession en 1895? Le défendeur détient-il valablement ces terres en vertu d'une possession acquisitive? Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 31.
Cette dénonciation produite en vertu de l'article 31 de la Loi sur les Indiens réclame au nom de la bande d'Indiens Red Bank le droit de possession, à l'encontre du défendeur, d'un lopin de terre qui serait situé dans leur réserve. La demanderesse pré- tend que ce lopin de terre a été cédé à la Couronne pour être vendu au bénéfice de la bande et allègue que ce lopin n'a jamais été vendu et que la bande n'en a jamais bénéficié. Le défendeur prétend, cependant, avoir acheté ce lopin de terre, et possède trois contrats enregistrés à l'appui de sa prétention. Il allègue que ledit lopin a été confié a la province lors de la cession en 1895, et que, subsidiairement, il détient ce lopin en vertu d'une possession acquisitive.
Arrêt: l'action est rejetée. La cession de 1895 n'était pas une cession définitive, finale consentie par la bande Red Bank à la Couronne, mais simplement une cession conditionnelle qui ne devenait absolue qu'après la vente et le dépôt de l'argent au crédit de la bande. La convention de 1958 entre le Canada et le Nouveau-Brunswick règle tous les problèmes en suspens relatifs aux terres indiennes, y compris celui de leur transfert entre le Canada et la province, et permet a la Reine du chef du Canada de prendre des mesures efficaces à l'égard des terres faisant partie desdites réserves. A cette fin, la Reine du chef du Canada peut légitimement déposer une réclamation devant cette cour au nom des Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens. Mais pour réussir, une réclamation doit s'appuyer sur un droit non éteint. Les droits d'occupation dont on ne fait pas usage ne durent pas indéfiniment. De 1838 à la date de cette dénonciation en 1973, la possession acquisitive n'a été effective- ment interrompue par aucune des parties ayant droit de le faire, soit la province du Nouveau-Brunswick de 1838 à 1958, le gouvernement du Canada de 1958 à 1973, et la bande Red Bank pour ce qui touche leur propre droit d'occupation pendant la période.
ACTION.
AVOCATS:
J. M. Bentley, c.r., et Robert R. Anderson pour la demanderesse.
James E. Anderson, John D. Harper et Wil- liam J. McNichol pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Anderson, MacLean & Chase, Moncton, pour
le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DUBE: Il s'agit d'une dénonciation produite par le sous-procureur général du Canada en vertu de l'article 31 de la Loi sur les Indiens' réclamant au nom de la bande d'Indiens Red Bank le droit de possession, à l'encontre du défendeur, d'un lopin de terre présumément situé dans la réserve indienne Red Bank 7, comté de North- umberland, province du Nouveau-Brunswick.
La demanderesse prétend que ce lopin de terre est situé dans la partie de la réserve qui a été cédée à la Couronne en 1895 pour être vendue au béné- fice de la bande. On allègue que ce lopin précis n'a, en fait, jamais été vendu et que la bande n'en a jamais bénéficié.
Par ailleurs, le défendeur prétend avoir acheté le lopin de terre à un certain Isaac Mutch et possède trois contrats enregistrés, en date du 26 septembre 1952, du 8 septembre 1958 et du 16 juillet 1959 à l'appui de sa prétention.
Les pièces produites pour la Couronne comptent des levés, plans et actes du début du dix-neuvième siècle indiquant les possessions des terres de la réserve indienne sur la rivière Little Southwest Miramichi, l'un des nombreux embranchements de la rivière Miramichi. Le document de cession lui- même, en date du 6 juin 1895, a cédé à la Cou- ronne, entre autres, les lots 1, 2, 3, 5, 6, 7 et 17 sur le côté nord de la rivière Little Southwest Mirami- chi. Un rapport concomitant envoyé au surinten- dant général, Affaires indiennes, en date du 30 juillet 1896, déclare que les lots [TRADUCTION] «sont occupés par des colons sans titre, la cession ayant pour but de permettre au ministère des Affaires indiennes de vendre les lots aux parties qui les occupent».
1 S.R.C. 1970, c. I-6.
Une lettre en date du 15 juillet 1898 envoyée par un représentant du ministère des Affaires indiennes au «Secrétaire, ministère des Affaires indiennes, Ottawa», rapporte que [TRADUCTION] «conformément aux directives ... j'ai visité cette réserve». Le représentant a noté que les lots 6, 7 et 8 étaient occupés par James Mutch.
Un mémoire en date du 12 août 1898, envoyé au secrétaire après la tenue d'une enquête concernant [TRADUCTION] «la question des colons sans titre de la réserve indienne Red Bank» relate ce qui suit concernant le lot 6, au nord de la rivière Little Southwest:
[TRADUCTION]
Lot Occupant Remarques
6 James Mutch L'occupant désire acheter et paiera
partie du prix l'automne prochain.
Dans une lettre en date du 5 juillet 1901 adres- sée au sous-ministre de la Justice, Ottawa, le secrétaire écrit:
[TRADUCTION] On me demande d'inclure un exposé des faits concernant les colons sans titre de la réserve indienne Red Bank, comté de Northumberland (N.-B.), et d'exiger que des mesures soient prises pour les forcer à payer les terres.
L'exposé des faits énumère les noms [TRADUC- TION] «des occupants des [lots] non vendus» y compris celui de James Mutch pour le lot 6, au nord de la rivière Little Southwest.
Dans une lettre en date du 14 mars 1919 de H. G. Buoy, inspecteur forestier, à un certain M. Orr, on recommande [TRADUCTION] «que l'on offre à M. Isaac Mutch la possibilité d'acheter cette terre au prix de $2 l'acre», faisant référence à la [TRA- DUCTION] «moitié est du lot 6 du côté nord de la rivière Little South West Miramichi dans la réserve Redbank».
Dans une lettre postérieure entre les mêmes parties en date du 10 juin 1919, Buoy conclut [TRADUCTION] «je partage son opinion (celle de Mutch) que $2 l'acre pour toute la terre serait un prix excessif et à mon avis $1.50 l'acre représente- rait un prix raisonnable et équitable».
Un mémoire en date du 16 mars 1960, prove- nant du surintendant de la Miramichi Indian
Agency révèle que [TRADUCTION] «les lots 6 et 17 ont été antérieurement cédés pour vente mais n'ont jamais été vendus«.
La description des limites du terrain en question qui apparaît dans la déclaration a été préparée en 1973 par W. D. McLellan, arpenteur géomètre, qui a beaucoup témoigné au procès et a établi à ma satisfaction qu'en remontant à la cession de 1895 la propriété en question est vraiment le même lopin de terre.
L'affidavit de H. R. Phillips, Conservateur des terres indiennes et fonctionnaire responsable du Registre des terres cédées, produit comme pièce, confirme qu'il n'existe au registre aucun document transférant lesdites terres au défendeur ou à qui que ce soit.
Le défendeur soulève principalement deux moyens de défense, premièrement, qu'en raison de la cession de 1895, la terre est devenue propriété de la Couronne du chef du Nouveau-Brunswick, et non du Canada, et deuxièmement qu'il détient la propriété en question en vertu d'une possession acquisitive opposable à tous.
Dans St. Catherine's Milling and Lumber Com pany c. La Reine 2 , le Conseil privé a jugé que l'article 109 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, donne à chaque province le plein droit de propriété de la Couronne sur toutes les terres à l'intérieur de ses limites, qui, au moment de l'union, appartenaient à la Couronne, sous réserve des droits que le Dominion peut con- server en vertu des articles 108 et 117. Par la Proclamation royale de 1763 3 la possession des terres en question en Ontario avait été accordée à certaines tribus indiennes. En 1873 par traité formel avec certaines tribus indiennes ces terres ont été cédées gu gouvernement du Dominion pour la Couronne, socs réserve d'un certain privilège restreint de chasse et de pêche.
2 (1886) 10 O.R. 196, confirmé (1886-87) 13 O.A.R. 148, confirmé (1887) 13 R.C.S. 577, (1889) 14 App. Cas. 46.
3 (S.R.C. 1970, Appendice II.) En vertu de la Proclamation royale, le roi George a établi quatre gouvernements distincts, savoir: ceux de Québec, de la Floride orientale, de la Floride occidentale et de Grenade. Elle ne s'applique pas à la Nouvelle- Écosse qui à l'époque comprenait le Nouveau-Brunswick.
Le Conseil privé a dit qu'en raison de la procla mation, le droit de propriété des Indiens était un droit personnel et usufructuaire assujetti au bon vouloir de la Couronne et qu'en vertu de la cession, la propriété réelle des terres, sous réserve du privi- lège de chasse et de pêche, a été cédée à la province aux termes de l'article 109 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867.
Le défendeur allègue que l'arrêt St. Catherine's s'applique en l'espèce et est une autorité du plus haut ordre pour dire qu'au moment de la cession des terres par la bande Red Bank en 1895, la propriété réelle et le titre du bien en question ont été dévolus à la Couronne du chef de la province du Nouveau-Brunswick, libre de tout intérêt ou obligation des Indiens. Le défendeur prétend donc que la Reine du chef du Canada n'a pas qualité pour agir dans cette action.
Deux ans après l'arrêt St. Catherine's, soit en 1890, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a jugé dans Burk c. Cormier 4 que le titre des terres réservées aux Indiens dans la province, appartient au gouvernement provincial et non au gouverne- ment fédéral. Le juge en chef a dit à la page 149:
[IRnnucnom Ici, encore, il me semble que les arguments à l'appui des droits provinciaux sont plus forts que dans l'arrêt St. Catherine's parce que, dans cette province, le droit de propriété de la Couronne sur les terres en litige n'est assujetti (selon ce qui ressort de la preuve) à aucun titre indien.
et plus bas:
[TRADUCTION] Il n'y a jamais eu de doute dans cette province, que le titre des terres réservées à l'usage des Indiens est demeuré, comme celui de toutes les autres terres non cédées, à la Couronne, les Indiens ayant tout au plus un droit d'occupation.
En 1895, la Cour suprême du Canada a jugé dans La province de l'Ontario c. Le Dominion du Canada et la province du Québec 5 qu'en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, le Dominion du Canada a pris à sa charge les dettes et obligations de la province du Canada et que l'article 109 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 a prévu que toutes les terres appartiennent aux provinces dans lesquelles elles sont sises «sous réserve des fiducies existantes». En 1850, l'ancienne province du Canada avait passé
° (1890) 30 N.B.R. 142. 5 (1896) 25 R.C.S. 434.
des traités avec certaines tribus indiennes par les- quels des terres indiennes ont été cédées en contre- partie de rentes.
En 1902, dans Ontario Mining Company, Lim ited c. Seybold 6 le Conseil privé a suivi l'arrêt St. Catherine's et a jugé que les terres en Ontario, cédées par les Indiens aux termes du traité de 1873, sont la propriété réelle de la province de l'Ontario. La Couronne peut donc seulement en disposer sur l'avis de la province et sous son sceau. Lord Davey disait à la page 82:
[TRADUCTION] En vertu de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, le Parlement du Canada a compé- tence législative exclusive sur les .Indiens et les terres réservées aux Indiens», mais cela n'a investi le gouvernement du Domi nion d'aucun droit de propriété dans ces terres ni d'aucun pouvoir de légiférer pour s'approprier les terres devenues terres publiques de la province, à titre de réserve indienne, en vertu de la cession du titre indien, en violation des droits de propriété de la province.
Le juge Anglin, de la Cour suprême du Nou- veau-Brunswick dans Warman c. Francis' en 1958 cite un long passage de l'arrêt St. Catherine's et ajoute à la page 207:
[TRADUCTION] En 1888, cette opinion sur la nature du titre indien était en effet celle qui prévalait au Nouveau-Brunswick concernant les réserves que le gouverneur en conseil a (consti- tuées» au Nouveau-Brunswick peu après l'établissement de cette province en 1784. Le volume des lois du Nouveau-Bruns- wick pour 1838 contient en annexe un rapport du commissaire des terres de la Couronne énumérant les ■terres réservées à l'usage des Indiens dans cette province... à l'époque ces réserves ont été constituées ....» Au bas de ce rapport se trouve la mention suivante:
Nature des réserves—A occuper et posséder jusqu'à révocation.
Le défendeur s'appuie sur ces arrêts et sur plu- sieurs autres arrêts postérieurs à l'arrêt St. Cathe- rine's, pour prétendre qu'en 1895 les Indiens de la bande Red Bank ont cédé de façon absolue la terre en question dont la propriété a été dévolue à la province du Nouveau-Brunswick, libre de tout intérêt indien.
Par ailleurs, la demanderesse prétend que l'arrêt St. Catherine's ne s'applique pas en l'espèce. Elle allègue que la cession de 1895 était conditionnelle et non absolue et n'éteint pas le titre indien tant que les conditions ou modalités de la fiducie ne sont pas remplies. Dans les modalités de la cession
6 [1903] A.C. 73.
7 (1959-60) 43 M.P.R. 197.
on lit: [TRADUCTION] «Pour posséder et détenir.. . en fiducie... et à la condition que tout argent provenant de la vente nous soit. ..crédité...». La demanderesse fait valoir que, n'ayant jamais été vendue, la propriété en question est encore assujet- tie à la fiducie et que le titre indien n'a pas été éteint.
A l'appui de cette proposition la demanderesse invoque l'arrêt St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. Le Roi 8 rendu en 1950 par la Cour suprême on a jugé qu'il n'y avait pas de cession totale et définitive à la Couronne. On voulait faire une cession qui permette une location valide à des fiduciaires [TRADUCTION] «aux termes et conditions» que peut approuver le surin- tendant général.
La demanderesse s'appuie également sur un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britanni- que rendu en 1970, Corporation of Surrey c. Peace Arch Enterprises Ltd. and Surfside Recreations Ltd. 9 , on a jugé que la «cession» n'était pas finale et complète mais simplement conditionnelle. D'où, les terres demeuraient des «terres réservées aux Indiens» au sens du paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et le Parlement du Canada conservait sur les terres la compétence législative exclusive. Certaines terres de la réserve indienne Semiahmoo ont été cédées aux conditions suivantes:
[TRADUCTION] Pour que Sa Majesté la Reine, ses héritiers et successeurs possèdent et détiennent lesdites terres en fiducie pour les louer à la personne ou aux personnes et aux conditions que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables pour notre bien-être et celui de notre peuple.
Et à la condition que 90% de l'argent provenant de leur location soient distribués aux locataires et les 10% restant déposés au compte de revenu de la bande.
Le juge d'appel Maclean disait aux pages 384 et 385:
[TRADUCTION] A mon avis la cession en l'espèce, une cession à Sa Majesté «en fiducie pour les louer à la personne ou aux personnes et aux conditions que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables pour notre bien-être et celui de notre peuple» tombe dans la catégorie des cessions restreintes ou conditionnelles.
En vertu de cette forme de cession, «en fiducie» et pour un objet particulier, soit «les louer», il me semble qu'on ne peut dire que l'intérêt de la tribu dans ces terres s'est éteint. En toute
8 [1950] R.C.S. 211. -
9 (1970) 74 W.W.R. 380.
déférence, je suis d'avis que le savant juge de première instance a commis une erreur en concluant que la cession était «sans condition».
Et plus loin, à la page 385, après avoir cité l'arrêt St. Ann's Island Shooting and Fishing Club il ajoute:
[TRADUCTION] A mon avis la «cession» en vertu de la Loi sur les Indiens n'est pas une cession au sens l'entendrait un notaire. On interdit en effet aux Indiens de louer ou de céder les terres de la réserve indienne, et, le cas échéant, seul un fonctionnaire du gouvernement peut le faire: voir l'art. 58(3) de la Loi sur les Indiens. Par là, on vise manifestement la protec tion des Indiens. De plus, il faut remarquer que la cession est en faveur de Sa Majesté «en fiducie». Cela signifie manifestement en fiducie pour les Indiens. Le titre que Sa Majesté la Reine reçoit en vertu de cette entente est vide.
Il conclut à la page 387:
[TRADUCTION] Il se pourrait fort bien (mais il n'est pas nécessaire que j'en décide) que si les Indiens ont effectué une cession absolue en vertu de la Loi sur les Indiens et que cette cession ait été suivie d'un transfert par le gouvernement du Canada à un acheteur, la terre cesserait d'être une réserve en vertu de la Loi sur les Indiens et cesserait également d'être «une terre réservée aux Indiens» en vertu de l'art. 91(24) de l'A.A.N.B., 1867, mais ce n'est pas le cas ici.
Je conclus que le Parlement du Canada conserve la compé- tence législative exclusive sur la terre en question et que les lois provinciales (y compris les règlements municipaux) qui édictent des règles relatives à l'usage de ces terres sont inapplicables.
A mon avis la cession de 1895 n'était pas une cession définitive, finale consentie par la bande Red Bank à la Couronne, mais simplement une cession conditionnelle qui ne devenait absolue qu'après la vente et le dépôt de l'argent au crédit de la bande. Quoi qu'il en soit, la question de savoir si les terres indiennes du Nouveau-Bruns- wick appartiennent maintenant à la province ou au Canada a été tranchée en 1958 par la convention Canada-Nouveau-Brunswick de cette même année. (An Act to Confirm an Agreement between Canada and New Brunswick respecting Indian Reserves, S.N.-B. 1958, c. 4.)
La convention règle tous les problèmes en sus- pens relatifs aux réserves indiennes dans cette province et transfère au Canada tous les droits de la province dans les terres de réserve pouvant représenter un intérêt en l'espèce. Voici les disposi tions pertinentes:
[TRADUCTION] A CES CAUSES, LA PRÉSENTE CONVENTION FAIT FOI QUE les parties aux présentes, en vue de régler tous les problèmes en cours relatifs aux réserves indiennes dans la province du Nouveau-Brunswick, et de permettre au Canada de
prendre à l'avenir des mesures efficaces à l'égard des terres faisant partie desdites réserves, sont convenues, sauf approba tion du Parlement du Canada et de la Législature de la province du Nouveau-Brunswick, de ce qui suit:
1. Dans la présente convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente,
b) l'expression «terres de réserve» désigne les réserves, dans la province, dont fait mention l'appendice de la présente convention;
3. Le Nouveau-Brunswick transfère par les présentes au Canada tous les droits et intérêts de la province dans les terres de réserve, sauf celles qui se trouvent sous les routes publiques, et les minéraux.
Et l'annexe comprend:
[TRADUCTION]:
[RESERVE 7] Dans la paroisse de Southesk avec une petite
RED BANK partie dans le coin nord-est de la paroisse de Northesk. Au nord de la rivière Little South west Miramichi, en face de la réserve indienne 4 de Red Bank.
Le double objet de la convention était tout d'abord de régler tous les problèmes en suspens relatifs aux réserves et deuxièmement de permettre au Canada de prendre à l'avenir des mesures efficaces à l'égard des terres faisant partie desdites réserves, y compris, bien sûr, les terres cédées mais non transférées. Afin de prendre des mesures effi- caces à l'égard de ces terres la Reine du chef du Canada peut légitimement déposer une réclama- tion devant cette cour au nom des Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens. Mais pour réussir, une réclamation doit s'appuyer sur un droit non éteint. Les droits d'occupation dont on ne fait pas usage ne durent pas indéfiniment.
J'étudierai maintenant le moyen de défense fondé sur la possession acquisitive.
L'obligation d'établir la possession acquisitive incombe à la partie qui soulève ce moyen. Le défendeur doit établir qu'il a eu une possession réelle, publique, exclusive, non interrompue et pai- sible. La possession nécessaire pour acquérir un titre par possession acquisitive doit être telle qu'elle sera jugée raisonnable et convenable selon la nature du bien-fonds. Elle doit être considérée dans chaque cas selon les circonstances particuliè- res.
Dans la province du Nouveau-Brunswick nul ne peut engager de procédure en recouvrement de
bien-fonds après un délai de vingt ans 10 et la Couronne ne peut réclamer de bien-fonds après une possession acquisitive non interrompue de soixante ans ". En vertu de la Loi sur les conces sions de terres publiques' 2 , fédérale, nul n'acquiert par prescription un droit ou intérêt dans des terres publiques. En vertu de la Nullum Tempus Act" le droit de la Couronne est périmé après soixante ans. Les deux parties admettent que si la possession acquisitive est un moyen de défense en l'espèce, la règle de soixante ans s'applique, que la Nullum Tempus Act ou l'Act Respecting Limitation of Actions in respect to Real Property du Nouveau- Brunswick soit applicable.
Le défendeur n'ayant lui-même acquis la pro- priété en question qu'en 1952 ne peut bien sûr établir une possession acquisitive de soixante ans. Alors, la possession acquisitive, s'il en est, doit avoir été établie par Mutch ou ses prédécesseurs en occupation, ou par la possession cumulée continue de ces derniers et du défendeur, non interrompue par le détenteur du titre.
La possession de biens-fonds a toujours été une pierre angulaire du droit; si le propriétaire vérita- ble ne vient pas réclamer son droit pendant la période prévue, son droit s'éteint et le titre passe au possesseur et à ses héritiers. Il est parfois bien difficile de décider de la possession de fait et le propriétaire véritable ajoute à la difficulté lorsqu'il laisse écouler plusieurs années avant de faire valoir son titre.
En l'espèce, on a permis la preuve verbale pour essayer d'évaluer le large passé historique de la région en vue de déterminer quels actes particu- liers de possession ont été accomplis concernant la propriété en question.
Il est significatif que la preuve littérale aboutisse inévitablement aux droits d'occupation des Indiens alors que la preuve verbale révèle que la région de la rivière Little Southwest Miramichi, ou les terres sur ses rives, y compris la propriété en question, ont été occupées et exploitées par des non-Indiens durant plus d'un siècle. Selon le professeur W. D.
10 Act Respecting Limitation of Actions in respect to Real Property, L.R.N.-B. 1903, c. 139, art. 3.
" Act Respecting Limitation of Actions in respect to Real Property, L.R.N.-B. 1903, c. 139, art. 1.
12 S.R.C. 1970, c. P-29, art. 5.
13 9 Geo. III, c. 16.
Hamilton de l'université du Nouveau-Brunswick, un témoin ayant une connaissance étendue de l'his- toire locale, la «région», ainsi désignée, a été colo nisée par des non-Indiens dans les années 1830-1840.
Le professeur Smith a mené des recherches et des études poussées sur l'histoire et la généalogie du peuple de la région, et en particulier de la propriété d'Isaac Mutch et d'Ebenezer Travis qui a été touchée par les événements suivants, posté- rieurs à la création de la province du Nouveau- Brunswick en 1784.
En 1808, le Conseil exécutif du Nouveau-Bruns- wick a accordé un permis d'occupation aux [TRA- DUCTION] «Indiens du comté de Northumberland en général».
Le 10 août 1820, les membres de la famille indienne Julian ont loué l'herbe sauvage sur un lopin de terre, comprenant la propriété en ques tion, à un nommé Richard McLaughlin, marchand de bois, pour une période de six ans. Ensuite, dans les années 1830, les Julian ont loué la propriété en lotissements de ferme à des colons non indiens, et en particulier à un nommé Ebenezer Travis (c1794-f1871), vers 1838.
Une pétition d'Ebenezer Travis en date du 25 octobre 1841, démontre qu'il réclamait la terre qui comprend maintenant la propriété en question.
Dans son «Reports on Indian Settlements», Journal of Assembly, Fredericton, 1842, Moses H. Perley, commissaire aux Indiens, relate la visite qu'il a effectuée en 1841 dans la région qu'il décrit comme «Little South West Tract». Il écrit que Barnaby Julian, chef de la nation Micmac, rési- dant au village de Red Bank, en vertu d'une commission de Son Excellence Sir Archibald Campbell, en date du 20 septembre 1836, s'est approprié le droit de vendre et de louer la plus grande partie de la réserve de 10,000 acres sur le Little South West et [TRADUCTION] «a depuis reçu presque 2,000 livres en argent et en biens de diverses personnes en considération d'actes et de baux et pour rentes. ... pourtant je le trouve tellement gêné par ses affaires pécuniaires, qu'il n'ose pas venir à Newcastle, sauf le dimanche, par crainte d'être arrêté par le shérif.»
Le rapport parle ensuite des colons non indiens. [TRADUCTION] «Ils se situent en général bien au- delà des colons sans titres ... [au point Indien] tant par leur caractère que par leur situation. Il était très étrange de comparer ces personnes, qui croyaient avoir un bon titre, avec celles qui n'avaient pas l'ombre d'un droit et de remarquer la différence entre le colon sans titre, désordonné, et le colon honnête et travailleur.»
Suite à une étude approfondie et à une analyse des documents concernant toutes les propriétés des deux côtés de la rivière Little Southwest Mirami- chi, le professeur Hamilton prétend que la pro- priété d'Isaac Mutch, comme telle, existe depuis un arpentage fait par William E. Fish en 1901 lequel a réduit la grandeur de la propriété origi- nale de la famille Ebenezer Travis dont elle avait fait partie pendant environ 63 ans.
Il semble qu'à ce moment le gouvernement du Canada faisait pression pour que les résidents achètent leur propriété à un prix déterminé l'acre, et qu'ils ont refusé. Ebenezer Travis en particulier qui avait vécu sur cette terre toute sa vie, a refusé, tel qu'il ressort d'un document de 1898 du minis- tère des Affaires indiennes, dont voici un passage: [TRADUCTION] «M. Travis m'affirme qu'ils ont eu leur propriété de Jared Tozer qui l'avait eue des Indiens il y a soixante ans. Ils prétendent qu'elle leur appartient de droit.»
Selon la tradition qui est parvenue au professeur Hamilton, natif de la région, dont le grand-père était un beau-frère d'Isaac Mutch et qui travaillait également comme chaîneur de l'arpenteur Fish, une dispute s'est produite entre ce dernier et Travis suite à laquelle Fish est parti en furie, laissant son équipement sur la ligne, mais est revenu le lendemain pour agir à sa guise et créer en même temps la propriété Isaac Mutch.
Le professeur Hamilton est d'avis qu'il existait un titre indien localement reconnu, de caractère forain et indéfini, dans ces terres, depuis environ 40 ans seulement, ou approximativement la pre- mière partie du dix-neuvième siècle. Il oppose ce titre à l'occupation par des non-Indiens à partir de 1830.
La plupart des personnes qui ont témoigné sur la possession acquisitive étaient des non-Indiens cités par le défendeur. Le seul Indien cité par la deman-
deresse sur ce point (amené à la Cour par un mandat d'arrêt lancé en cours d'audience) a admis au contre-interrogatoire qu'en autant qu'il puisse se souvenir, cette lisière le long de la rivière n'avait jamais été occupée par des Indiens. Le témoin est âgé de soixante-six ans et vit dans le village de Red Bank, l'agglomération indienne, depuis l'âge de trois ans.
Il ressort manifestement de la preuve orale, que la lisière de terre divisant les deux réserves indien- nes, les réserves Red Bank 7 et 4, a été paisiblement colonisée par des non-Indiens au siècle dernier et considérée par les Indiens et les non-Indiens comme une colonisation non indienne. Certains témoins déclarent n'avoir vu aucun Indien dans cette région de toute leur vie. Les Indiens habitent le village de Red Bank, une agglomération organisée sur le côté sud, alors que la terre en question est sise dans l'agglomération non indienne de Lyttieton sur le côté nord de la rivière Little Southwest Miramic à quelques 5 1 / 2 milles en amont de Red ; ank.
Depuis 1952 le défendeur a manifestement occupé lui-même le terrain en y exerçant une possession acquisitive avec apparence de droit. H a obtenu un titre de bonne foi et a payé pour l'avoir. Il a construit un chalet peu après l'achat et a vécu avec sa famille presque tous les étés. Il a acheté deux lots additionnels à Mutch pour agrandir son achat initial, payant au total $1,600 pour les trois lopins. Il a dépensé de l'argent pour améliorer la construction, il a vendu du gravier d'une carrière de gravier située entre le chalet et la route princi- pale. Il a payé les taxes provinciales chaque année, environ $100 annuellement sur le terrain et la construction. Bien qu'il n'ait 1. s été lui-même pêcheur, il a eu des invités au chalet qui pêchaient le saumon dans l'étang public près de la propriété. Il a l'intention de se retirer là-bas. Les voisins considèrent que la propriété en question lui appartient.
Selon la preuve, Isaac Mutch a acheté l'an- cienne école Sillekars avoisinante en juillet 1904 et l'a déménagée elle se trouve aujourd'hui, du côté nord de la route principale, directement en face de la propriété qu'il a prétendu vendre au défendeur en 1952. Il a transformé l'école en maison il a vécu et élevé une famille. H avait une ferme et des animaux sur le côté nord de la route.
Du côté sud de la route principale jusqu'à la rivière, se trouvent les 26 acres de terrain vendus au défendeur. Le chalet du défendeur est sis sur une falaise près de la berge de la rivière et un chemin de gravier relie le chalet à la route princi- pale. Mutch utilisait ce chemin pour se rendre à la rivière il faisait de la draye au printemps. Mutch était un marchand de bois qui coupait occasionnellement des arbres de chaque côté de la route principale. Selon son fils il y avait des sapins et des épinettes sur le côté sud qui étaient vendus pour la pulpe de bois. On coupait également des arbres de Noël à l'endroit se trouve maintenant le chalet du défendeur.
Mutch était également fermier. Il cultivait le foin, la patate, l'avoine sur une petite île, appelée Hay Island, située dans la rivière face à la pro- priété en question. Il devait traverser la propriété pour se rendre à l'île. A l'occasion il cultivait également une petite étendue clôturée, appelée «interval», parfois partiellement submergée près de la rive sur la propriété en question. Il conduisait ses chevaux et ses camions à partir de la grange de l'autre côté de la route principale, descendant le chemin de gravier jusqu'à l'«interval» et l'île. Il a payé les taxes provinciales sur ces terres toute sa vie. Pendant plusieurs années antérieurement à 1960, Mutch a vécu dans une autre maison de ferme appelée Sommer's Farm à environ un demi mille de là. La maison des Mutch était alors louée à d'autres personnes. Il est mort en 1965 laissant la propriété à sa femme qui l'a transférée à leur fils Weldon Vincent Mutch.
Selon la preuve, Mutch a eu la terre de son père Edmond qui l'avait eue de James, le grand-père. Il faut se souvenir qu'en 1898 l'occupant du lot 6 était inscrit sous le nom de James Mutch dans le rapport du représentant des Affaires indiennes. Une bonne partie de cette preuve vient de témoins qui habitent la région depuis longtemps et dont la mémoire remonte jusqu'à 70 ans. Pendant toute cette période la ferme voisine a été occupée par William Mutch, autre fils d'Edmond et frère d'Isaac.
La sorte de possession nécessaire pour établir la possession acquisitive varie selon le type de terre possédée, le vrai critère étant d'établir les actes que le propriétaire véritable accomplirait normale- ment s'il était en possession. Voir Jackson c.
Cumming 14 , Levy c. Logan 15 , Wallace c. Potter 16 , Le procureur général du Canada c. Krause".
Pour établir la possession dans des régions à moitié incultes du début du siècle, on n'exige pas la même preuve que pour les lots des villes modernes ou les terres de village ou les régions cultivées. Les actes accomplis par Mutch avant la vente de la propriété en question au défendeur me paraissent être le type d'actes qu'accomplirait normalement et convenablement un marchand de bois fermier à cette époque sur la rivière Miramichi.
Comme je l'ai déjà mentionné, un représentant des Affaires indiennes a visité la terre en question en 1898. En 1919, Buoy, l'inspecteur forestier et Isaac Mutch ont discuté du prix l'acre. Ensuite, il n'est question de rien avant les années 1970. Bien que ce point ne soit pas en litige, la déposition de quelques témoins indique que l'intérêt soudain dans la propriété en question aurait été éveillé par l'exploitation de la carrière de gravier, située près du chalet du défendeur, et les revenus qu'elle produit.
Le 24 février 1919 Isaac Mutch a écrit au ministère des Affaires indiennes pour obtenir ces sion de sa propriété. Voici le libellé de sa lettre:
[TRADUCTION] Je vis sur une parcelle de terre indienne située entre le côté nord de la rivière Lyttle South West, le côté est du lot 6, mesurant 42 perches de largeur, bornée à l'ouest par une terre réclamée par Ebenezar Traviss et j'aimerais en obtenir la concession.
Le savant avocat de la demanderesse prétend que la lettre est [TRADUCTION] «le meilleur élé- ment de preuve fourni sur le statut de la terre et l'état d'esprit d'Isaac Mutch et constitue une reconnaissance du titre de la Couronne, ce qui interrompt la période de prescription».
La lettre soulève manifestement des difficultés. Il ressort clairement de décisions antérieures (voir Hamilton c. Le Roi", Sanders c. Sanders 19 ) que lorsqu'un titre est établi en vertu d'une loi et que le droit d'un propriétaire antérieur est éteint, le titre
14 (1917) 12 O.W.N. 278.
15 (1976) 14 N.S.R. (2') 80.
16 (1913) 10 D.L.R. 594.
17 [1956] O.R. 472.
18 (1917) 54 R.C.S. 331, la p. 346.
19 (1881-82) 19 Ch. D. 373, la p. 382.
ne peut être annulé par une reconnaissance posté- rieure de ceux qui ont acquis ce titre établi en vertu de la loi. Mais une reconnaissance en bonne et due forme pourrait interrompre une possession acquisitive incomplète.
La Nullum Tempus Act ne contient aucune mention de reconnaissance, mais elle prévoit qu'une interruption par entrée ou loyer, arrêtera la prescription. Dans Hamilton c. Le Roi la Cour suprême du Canada a dit à la page 344 que [TRADUCTION] ail serait un peu audacieux pour la Cour d'ajouter un autre fait ou incident à ceux que la Loi Nullum Tempus mentionne expressément comme constituant une interruption de prescrip tion contre la Couronne.»
Dans cette même décision le juge en chef Fitz- patrick a également dit aux pages 339-340:
[TRADUCTION] La Couronne a permis aux défendeurs ou à leurs prédécesseurs en titre de conserver la possession paisible pendant 58 ans avant de prendre une action en 1890 et, au cours des 24 années suivantes, n'a pris aucune mesure pour faire respecter le jugement obtenu. Pendant ce long délai toutes les parties concernées sont décédées. Le type de gouvernement du pays a maintes fois changé et le By-town d'alors, nouvelle- ment fondé et sans importance, est devenu une grande ville, la capitale du Dominion du Canada. Dans ces circonstances, je crois que les cours peuvent exiger la preuve la plus rigoureuse d'un droit à l'éviction des défendeurs. A défaut de quoi, je crois que justice inhérante et une justice fondée sur la loi auront été faites si on ne trouble pas la possession qu'ils ont eu depuis si longtemps.
La loi du Nouveau-Brunswick concernant la prescription contient cependant une disposition au sujet de la reconnaissance de titre: l'article 45 actuel, l'ancien article 14 de l'Act Respecting Limitation of Actions in respect to Real Property, c. 139, Consolidated Statutes of New Brunswick 1903. Il prévoit:
45. Lorsqu'une reconnaissance écrite du titre de propriété d'une personne ayant droit à tout bien-fonds est signée par la personne qui se trouve en possession du bien-fonds ou en reçoit les profits, ou par son représentant autorisé à cet égard, et a été donnée à cet ayant droit ou à son représentant avant que son droit d'engager des procédures en recouvrement du bien-fonds ait été prescrit par les dispositions de la présente loi, la posses sion ou la perception des profits par la personne qui a donné cette reconnaissance est alors réputée, conformément au sens de la présente loi, avoir été celle exercée ou effectuée par la personne à laquelle, ou au représentant de laquelle, cette recon naissance a été donnée à la date de sa remise, et le droit de cette dernière personne ou de tout ayant droit de cette dernière d'engager des procédures est réputé avoir initialement pris naissance exactement à la date à laquelle la reconnaissance, ou la dernière de ces reconnaissances, s'il en a plusieurs, a été donnée.
Dans l'affaire Hamilton une lettre de 1871 avait été produite à titre de reconnaissance. Dans son jugement (46 ans plus tard), le juge Idington était réticent à accorder beaucoup d'importance à ce document. Il a dit à la page 350:
[TRADUCTION] Je suis peu disposé à accorder beaucoup d'importance à un tel document (s'il en a) sans recevoir au moins de la Couronne, le plus de détails possibles sur ce que la teneur d'une telle réclamation implique, et sans savoir comment on peut la considérer comme une reconnaissance éteignant les droits acquis en vertu de la loi.
En l'espèce, la Couronne ayant attendu plus de 50 ans après la prétendue reconnaissance pour intenter cette action peut difficilement établir maintenant ce que la lettre de 1919 signifiait. En gardant à l'esprit que la terre en question est située dans une agglomération non indienne, la descrip tion «terre indienne» utilisée par le colon signifiait probablement une terre située à l'extérieur de la réserve indienne, terre sur laquelle il vivait et pour laquelle il désirait «obtenir» une concession de la Couronne, un document officiel confirmant son propre titre. La preuve montre qu'il n'a pas payé pour ce titre, donc on peut présumer qu'il n'atta- chait pas beaucoup de valeur à ce document.
Je ne peux accepter que la lettre de Mutch est une reconnaissance suffisante pour éteindre la pos session acquisitive déjà accumulée à l'époque, soit quelque 15 ans par Isaac Mutch sur ce lopin de terre précis et au moins un demi-siècle par ses prédécesseurs sur toute la région, y compris le lot 6. De plus la lettre n'était pas adressée à la province, la personne alors en titre, mais à un ministère fédéral.
Si la Couronne avait agi à l'époque et intenté des procédures, les témoins auraient été disponi- bles, y compris Isaac Mutch, pour déterminer avec plus de certitude la teneur de la lettre et la durée de la possession acquisitive. Il serait manifeste- ment injuste que l'inaction d'une partie devienne la ruine de l'autre. [TRADUCTION] «Les droits long- temps inexercés sont souvent plus cruels que la justice qu'ils abritent.» 20
La demanderesse prétend également que la con vention de 1958 transférant tous les droits et inté- rêts provinciaux dans la réserve au gouvernement fédéral a mis fin à la prescription. La Loi sur les
20 A'Court c. Cross (1825) 3 Bing. 329, la p. 332, 130 E.R. 540, la p. 541, le juge en chef Best.
concessions de terres publiques mentionnée plus tôt, prévoit qu'on ne peut acquérir par prescription aucun droit dans des terres publiques, mais on ne peut en déduire que la Loi éteindra rétroactive- ment une possession acquisitive déjà établie.
En bref, après la création de la province du Nouveau-Brunswick en 1784, la province a accordé aux Indiens en 1808 un permis d'occupa- tion, qu'ils ont négligé d'exercer sur le lopin de terre longeant la rivière Little Southwest Mirami- chi. De 1830 jusqu'à la cession de 1895, les Indiens ont perdu leur droit d'occupation en raison de la possession acquisitive. La cession de 1895 ne pou- vait évidemment pas transférer à la Couronne du chef du Canada ce que les cédants avaient déjà perdu et la possession acquisitive au cours de cette période jouait contre la Couronne du chef de la province, la personne alors en titre, jusqu'à la convention de 1958. Cette convention ne pouvait pas porter préjudice à une possession acquisitive déjà établie. La loi fédérale interdisant la prescrip tion, la Loi sur les concessions de terres publiques, ne pouvait bien sûr s'appliquer à la terre en ques tion avant la convention de 1958 et, à ce moment-là, la possession acquisitive avait été éta- blie et les droits des propriétaires antérieurs étaient éteints.
Sur cette lisière de terrain longeant la rivière Little Southwest Miramichi se trouve l'aggloméra- tion non indienne actuelle de Lyttleton on se situe le lopin de terre que possédait Ebenezer Travis en 1838. En 1898, James Mutch occupait manifeste- ment le lot 6 de ce lopin. Son petit-fils Isaac a construit sur ce lot en 1904 et, en 1952, 1958 et 1959, en a vendu au défendeur les parties qui composent la propriété maintenant réclamée dans la présente dénonciation.
Pendant toute cette période, de 1838 à la date de cette dénonciation en 1973, soit pendant 135 ans, la possession acquisitive n'a été effectivement interrompue par aucune des parties ayant droit de le faire, soit la province du Nouveau-Brunswick de 1838 à 1958, le gouvernement du Canada de 1958 à 1973 et la bande Red Bank pour ce qui touche leur propre droit d'occupation pendant la période.
Je conclus donc que le défendeur et ses prédé- cesseurs ont établi la possession acquisitive sur la
propriété en question à l'encontre de tous et je rejette l'action de la demanderesse avec dépens.
Les deux parties ont fait témoigner des experts pour établir la valeur marchande de la propriété en question. Dans l'éventualité mes conclusions sur la question deviendraient utiles dans des procédu- res ultérieures, voici mes conclusions sur la valeur marchande de la propriété de Gilbert A. Smith: terre et améliorations de l'emplacement $12,000; constructions $16,000; carrière de gravier $8,000. Total $36,000.
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