Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-553-76
Mike Sheehan (Requérant) c.
Upper Lakes Shipping Ltd. et le Conseil canadien des relations du travail (Intimés)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge suppléant MacKay—Toronto, les 27 et 28 septem- bre 1977.
Examen judiciaire Relations du travail Pratiques déloyales de travail Erreur à la lecture du dossier de la décision du Conseil canadien des relations du travail Refus de l'intimée d'embaucher le requérant à cause de l'exclusion de ce dernier du Syndicat Le Conseil a jugé que la plainte n'avait pas été présentée dans le délai imparti et ne violait pas l'interdiction prévue par le Code canadien du travail Le Conseil a-t-il erré? Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1 (modifié par S.C. 1972, c. 18), art. 184(3)a)(ii), 187(2), 188(3) Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 24(1) Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
La présente demande, introduite sous l'autorité de l'article 28, vise à faire annuler une décision du Conseil canadien des relations du travail qui a rejeté une plainte déposée par le requérant contre Upper Lakes Shipping Ltd. Cette plainte faisait valoir que la compagnie avait refusé de l'embaucher à cause de son exclusion du S.I.M. et, plus tard, du S.M.C.— exclusions qui ont eu lieu en 1960—et ce, contrairement à l'interdiction prévue à l'article 184(3)a)(ii) du Code canadien du travail. Malgré la décision du Conseil selon laquelle la plainte ne pouvait suivre son cours parce que déposée hors du délai prévu, le Conseil a exprimé son point de vue sur le bien-fondé de la plainte et a conclu qu'il n'y avait pas eu violation de l'interdiction. Le requérant fait valoir, en premier lieu, que les exclusions ne doivent être que des facteurs détermi- nants dans le refus de l'embaucher, et non la raison d'être de ce refus et, en second lieu, que la preuve n'a qu'à établir que ces refus ont été fondés, en tout ou en partie, sur la connaissance de ces exclusions.
Arrêt: la demande est accueillie. Chaque demande d'emploi suivie d'un refus en contravention de l'article 184, aurait pu faire l'objet d'une plainte si elle avait eu lieu après l'entrée en vigueur de l'article 184, soit le 1°' mars 1973. Le Conseil a erré en concluant que la plainte n'avait pas été déposée dans le délai fixé. L'exclusion du requérant du S.I.M. et du S.M.C. a été la cause directe du refus de l'embaucher. Le fait que ni l'un ni l'autre de ces syndicats ne représente actuellement les employés de l'unité de négociation importe peu; chacun était un syndicat au sens de l'article 184(3)a)(ii). Bien que la Fraternité cana- dienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers ne soit pas, strictement, le syndicat qui a succédé au S.M.C. ou qui s'est fusionné à ce dernier, cela ne signifie pas que les exclusions des syndicats antérieurs rendent inapplicable l'article 184(3)a)(ii).
Arrêt approuvé: R. c. Bushnell Communications Ltd. (1974) 1 O.R. (2') 442; et (1975) 4 O.R. (2') 288. Arrêt appliqué: Central Broadcasting Co. Ltd. c. Le Conseil canadien des relations du travail [1977] 2 R.C.S. 112.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
D. Moore pour le requérant.
E. Rovet pour l'intimée Upper Lakes Ship ping Ltd.
L. M. Huart pour l'intimé, le Conseil cana- dien des relations du travail.
PROCUREURS:
Lockwood, Bellmore & Strachan, Toronto, pour le requérant.
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman, Toronto, pour l'intimée Upper Lakes Ship ping Ltd.
Le conseiller juridique du Conseil canadien des relations du travail, Ottawa, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit en l'espèce d'une demande, introduite sous l'autorité de l'article 28, visant à faire annuler une décision du Conseil canadien des relations du travail [(1977) 17 di 14] rendue le 27 juillet 1976 qui a rejeté une plainte déposée par le requérant contre l'intimée, Upper Lakes Shipping Ltd., (ci-après appelée «la compa- gnie»), alléguant que la compagnie avait violé l'ar- ticle 184(3)a)(ii) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. 18, (ci-après appelé, «le Code»). L'article se lit comme suit:
184....
(3) Nul employeur et nulle personne agissant pour le compte d'un employeur ne doit
a) refuser d'embaucher ou de continuer à employer une personne, ni autrement prendre contre une personne des mesures discriminatoires en ce qui concerne un emploi ou une condition d'emploi, parce que cette personne
(ii) a été exclue définitivement ou temporairement d'un syndicat pour une raison autre que le défaut de paiement des cotisations périodiques, contributions et droits d'adhé- sion que tous les membres du syndicat sont uniformément tenus de payer pour adhérer ou rester adhérents au syndicat,
Dans une lettre datée du 23 mai 1974, adressée au Conseil canadien des relations du travail, le requérant allègue, entre autres, que les dirigeants de la compagnie ont enfreint l'article 184(3)a)(ii)
[TRADUCTION] «par leur refus constant d'inscrire mon nom sur une liste d'emploi ou de m'embau- cher parce que j'aurais été exclu du S.M.C. (C.M.U.)». S.M.C. est le sigle utilisé par le requé- rant dans sa plainte, il désigne le Syndicat des marins du Canada (Canadian Maritime Union), Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers. Les dirigeants de la compagnie visés dans les allégations sont B. Merri- gan, le vice-président au personnel et J. D. Leitch, le président de la compagnie. Le requérant a déclaré que le 26 avril 1974 et le 3 mai 1974, Merrigan et Leitch, respectivement, ont refusé de l'embaucher en qualité de marin non breveté à bord de navires appartenant à la compagnie parce qu'il avait été exclu d'un syndicat pour des motifs autres que le défaut de paiement des cotisations et ce, contrairement à l'article 184(3)a)(ii) de la Loi. La plainte faisait état de rencontres antérieures entre le requérant et MM. Merrigan et Leitch. La plainte renfermait en outre des allégations portant que la section locale 401 du Syndicat des marins du Canada, Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers, avaient violé d'autres articles de la Loi.'
La compagnie, par le biais de ses procureurs, a déposé en réponse à la plainte, le 13 juin 1974, une réponse qui niait les allégations contenues dans ladite plainte. La réponse exigeait des détails quant aux rencontres entre le requérant et MM. Merrigan et Leitch et alléguait que la plainte n'avait pas été déposée dans le délai fixé, contrai- rement à l'article 187(2) du Code. Les paragra- phes pertinents de l'article 187 se lisent comme suit:
187. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute per- sonne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte portant qu'un employeur, une personne agissant pour le compte d'un employeur, un syndicat, une personne agissant pour le compte d'un syndicat ou un employé ne s'est pas conformé aux articles 148, 184 ou 185.
(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, une plainte pouvant être déposée en application du paragraphe (1) doit être adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à compter de laquelle le plaignant a eu ou, de l'avis du Conseil, aurait avoir connaissance des mesures ou des circonstances donnant lieu à la plainte.
' La décision du Conseil qui a rejeté la plainte portée contre le syndicat a fait l'objet d'une autre demande présentée sous l'autorité de l'article 28, à la page 847 infra, dont l'audition a eu lieu une fois complétée l'argumentation concernant la pré- sente demande.
Afin de comprendre le fondement de cette pro position, il faut se reporter brièvement à l'histori- que des relations entre le requérant, la compagnie et les syndicats qui, de temps à autre, ont été mis en cause.
Le témoignage du requérant révèle qu'il a exercé, depuis l'âge de 14 ans, le métier de marin au Royaume-Uni et au Canada, à bord de chalu- tiers, de paquebots, de navires de haute mer desti- nés au sauvetage, de navires de guerre et de navi- res affectés au transport maritime sur les Grands Lacs. Peu de temps après sa libération de la Marine royale canadienne, survenue après la Seconde Guerre mondiale, il s'est intéressé au mouvement syndical canadien à titre d'officier dans le Syndicat international des marins (ci-après appelé le «S.I.M.»).
En 1961 ou vers cette date, le requérant a été exclu du S.I.M. à cause de son rôle dans la mise sur pied du Syndicat des marins du Canada (ci- après appelé le «S.M.C.») dont il fut le premier président. Le S.M.C. est devenu l'agent négocia- teur des marins non brevetés au service de la compagnie intimée. En 1964, le requérant a été exclu du S.M.C. Avant son exclusion, il avait rencontré, à plusieurs reprises, J. D. Leitch durant la période de mise sur pied du S.M.C.; il va sans dire que M. Leitch était au courant de l'exclusion du requérant des deux syndicats. La preuve démontre également que ces faits étaient bien connus de M. Merrigan.
Durant la fin des années 1960 et au début des années 1970, le requérant a tenté d'obtenir, par intervalles, un emploi en qualité de marin non breveté auprès de la compagnie et d'autres pro- priétaires de navires, mais ses tentatives ont échoué. Dans une plainte amendée il a donné un certain nombre de détails relativement à ses allégations, le requérant a déclaré qu'il avait à six reprises, avant 1974, rencontré M. Leitch et que ce dernier lui aurait déclaré à chaque fois que la compagnie, en aucun cas, ne l'embaucherait.
Le 3 mai 1974, le requérant, après avoir pris un rendez-vous à cet effet, a rencontré M. Leitch dans sa chambre dans un hôtel de Toronto. La plainte relate cette rencontre en ces termes:
[TRADUCTION] Le 3 mai 1974, je l'ai rencontré à l'hôtel Royal York de Toronto. Je lui avais téléphoné environ une semaine auparavant et lui avais demandé de me rencontrer parce que je n'arrivais à aucun résultat avec le «Personnel». Il a accepté de me rencontrer et l'a effectivement fait. A la réunion, il m'a dit, comme c'est de mise, que j'avais l'air bien. Il m'a demandé ce que je faisais. Je lui ai répondu: «Rien. C'est pourquoi je voulais vous rencontrer. Je veux retourner travailler à bord d'un navire, c'est je suis bien. J'estime que vous me devez quelque chose. Après tout, c'est moi qui ai réellement permis à votre entreprise de continuer à fonctionner et qui ai mis fin à l'étranglement de votre compagnie par le S.I.M. Il ne me reste que cinq ans avant de toucher ma pension du Canada et je voudrais pouvoir retourner à mon métier, la navigation». Il m'a répondu: «Si tu reviens naviguer sur nos navires, tu feras du syndicat ton cheval de bataille. Nous ne voulons pas être dérangés, par conséquent, nous nous efforcerons de te tenir éloigné et ce, à n'importe quel prix. J'utiliserai tous les moyens à ma disposition pour ce faire. Mais indépendamment de cela, je suis disposé à t'aider de quelque façon que ce soit».
Je lui ai alors déclaré que j'allais demander au Conseil canadien des relations du travail d'étudier mon cas parce que j'estimais qu'il s'agissait bel et bien d'un cas de discrimination. Il m'a dit: «Tu as peut-être la moitié des chances de ton côté». J'ai répondu: «Je pense avoir toutes les chances.» Nous nous sommes alors quittés sur un ton amical.
Le requérant a également déclaré dans sa plainte qu'il avait, depuis 1963, rencontré à plu- sieurs reprises M. Merrigan et qu'à chaque fois, ce dernier lui aurait déclaré qu'il n'aurait plus jamais l'occasion de naviguer sur l'un quelconque des navires de la compagnie.
Au début des procédures devant le Conseil, la compagnie et le syndicat ont tous deux fait valoir que parce que la prétendue infraction avait eu lieu, à l'origine, dès 1963, soit avant l'adoption du Code canadien du travail qui est entré en vigueur le l»r mars 1973, elle ne pouvait faire l'objet d'une plainte en vertu de l'article 184(3)a)(ii). Advenant le rejet de cette proposition, on a allégué, à titre subsidiaire, que la plainte avait été déposée au- delà des quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à compter de laquelle le requérant a eu ou aurait avoir connaissance des mesures ou des circons- tances donnant lieu à la plainte. L'avocat de la compagnie a adopté le point de vue voulant que, puisque les demandes d'emploi s'étendant de 1963 jusqu'à mai 1974 et que leurs rejets étaient subs- tantiellement les mêmes, le requérant avait eu connaissance des actes contestés bien avant de déposer sa plainte concernant cette pratique déloyale. Le Conseil a suspendu sa décision relati- vement à cette proposition jusqu'à ce que l'audi- tion au fond de la plainte ait été terminée. Dans
ses motifs de décision en date du 27 juillet 1976 [(1977) 17 di 14 aux pages 20 et 21], le Conseil a traité de la question du délai de présentation en ces termes:
1. Le délai de présentation
Dans sa décision intérimaire, le Conseil a résolu de prendre sous réserve les objections préliminaires soulevées par l'em- ployeur-intimé jusqu'à ce que l'audition soit complétée et que le Conseil ait pris connaissance des faits sous-jacents à la plainte. Cette décision reflétait le souci du Conseil de permettre à un plaignant de présenter sa cause devant lui à moins qu'il n'ait été clairement établi que sa plainte était tout à fait sans fondement ou qu'elle était irrecevable aux termes du Code canadien du travail (Partie V—Relations industrielles).
Après avoir entendu les témoins, le Conseil est convaincu que M. Sheehan n'a effectivement pas porté plainte dans le délai imparti en ce que, dans les circonstances, les incidents dont il se plaint ne peuvent être considérés comme des incidents séparés. Il ne s'agit en fait que du dernier épisode d'une longue suite d'événements qui a commencé au début des années 60.
Même si le Conseil est d'avis que l'alinéa 118m) du Code lui confère le pouvoir de proroger le délai de présentation d'une plainte, il reste que cet alinéa ne lui permet pas de recevoir des plaintes fondées sur une situation qui a pris naissance avant même l'entrée en vigueur des articles pertinents du Code, c'est-à-dire avant le ler mars 1973.
En toute déférence, je suis d'avis que la conclu sion du Conseil est erronée. En premier lieu, puis- que les interdictions incorporées dans l'article 184 ne sont entrées en vigueur qu'en mars 1973, il n'a pu y avoir infraction à ces interdictions qu'après cette date. Par conséquent, à mon sens, les événe- ments qui se sont produits avant cette date n'ont aucun rapport avec l'infraction commise ultérieu- rement. Si ce qui a été fait après l'adoption de la loi constituait une infraction, le fait qu'exactement la même chose aurait pu se produire impunément avant son adoption n'en constitue pas moins une violation de la loi. De plus, à mon avis, il est clair que chaque demande d'emploi suivie d'un refus en contravention de l'article 184, aurait pu faire l'ob- jet d'une plainte. En l'espèce, puisque la plainte a été déposée le 23 mai 1974 relativement à des prétendus refus en date du 26 avril 1974 et du 3 mai 1974 d'embaucher le requérant, on ne peut conclure que la plainte n'a pas été déposée dans le délai fixé et le Conseil a erré en concluant qu'elle l'avait été.
Nonobstant la décision du Conseil selon laquelle la plainte ne pouvait suivre son cours parce que déposée hors du délai prévu, le Conseil a voulu exprimer son point de vue sur le bien-fondé de la plainte relativement aux pratiques déloyales et a
conclu que la compagnie n'avait pas, par ses actes, violé l'interdiction prévue à l'article 184(3)a)(ii) du Code. Voici un extrait de la page 21 des motifs:
Après étude de la preuve, le Conseil est convaincu qu'à l'occasion des rencontres qu'ils ont eues avec le plaignant en avril et mai 1974, M. Leitch et M. Merrigan n'ont pas refusé de l'embaucher parce qu'il avait été expulsé du SIMC et du Syndicat des marins du Canada pour des raisons autres que le défaut de payer les cotisations ordinaires. Par conséquent, le Conseil estime que l'employeur n'a pas violé les dispositions du sous-alinéa 184(3)a)(ii) du Code canadien du travail (Partie V—Relations industrielles).
Il est évident que M. Leitch et M. Merrigan connaissaient très bien M. Sheehan et n'ignoraient rien de son passé au Syndicat des marins du Canada. Le Conseil est tout de même convaincu que leur décision de refuser de l'embaucher en tant que marin à bord des navires de l'employeur ne dépend pas de son expulsion du SIMC et du Syndicat des marins du Canada.
La thèse du requérant est fondée sur deux propositions.
En premier lieu, la question exacte à poser pour déterminer si les refus de M. Merrigan ou de M. Leitch, agissant en leur qualité de dirigeants de la compagnie, d'embaucher ou non le requérant, con- treviennent à l'article 184(3)a)(ii), n'est pas: Ont-il refusé parce que le requérant a été exclu? mais plutôt: Les exclusions ont-elles été des fac- teurs déterminants dans la décision de ne pas l'embaucher?
En second lieu, si l'on convient que la dernière question est la question exacte à formuler, alors la prochaine question à poser est celle-ci: La preuve démontre-t-elle, en l'espèce, que la connaissance de telles exclusions a déterminé, en tout ou en partie, les refus?
En ce qui concerne la première proposition, j'estime qu'il faut examiner la décision du juge Hughes de la Haute Cour de Justice de l'Ontario, R. c. Bushnell Communications Ltd. (1974) 1 O.R. (2e) 442. Dans cette affaire, l'accusé avait été poursuivi aux termes de l'article 110(3) du Code tel qu'il se lisait en février 1973. Le libellé de cet article, dans la mesure cela est nécessaire pour les présents motifs, se lit comme suit:
110....
(3) Nul employeur, nulle personne agissant pour le compte d'un employeur, ne doit
a) refuser d'embaucher ou de continuer d'employer une personne, ou autrement faire des distinctions contre une personne à l'égard d'un emploi ou d'une condition quel-
conque d'emploi parce que celle-ci est membre d'un syndicat, ou .... [C'est moi qui souligne.]
Abstraction faite de quelques améliorations apportées dans la rédaction française du texte présentement en vigueur, on voit que le libellé de cet article est identique à celui de l'article 184(3)a) jusqu'à et y compris l'expression «parce que». Cela dit, il semble que les motifs du. juge Hughes soient applicables en l'espèce, même si l'affaire Bushnell traite d'une accusation portée contre la compagnie avec l'autorisation du ministre du Travail, comme cela était permis aux termes de l'article précurseur de l'article 184, et non d'une plainte de pratique déloyale de travail présenté au Conseil. La page 447 du recueil reproduit la con clusion suivante:
[TRADUCTION] La Cour doit examiner d'un point de vue plus large un texte législatif dépourvu des mots «seule raison» ou «pour la seule raison» liés au renvoi, qui ne repose que sur l'expression «parce que». Si la Cour est convaincue, au-delà de tout doute raisonnable, que l'adhésion d'un employé à un syndicat a déterminé la décision de l'employeur de renvoyer ce dernier, soit en tant que raison principale ou incidente, soit en tant qu'une des nombreuses raisons invoquées ni à titre princi pal ni à titre incident, alors l'art. 110(3) du Code canadien du travail a été violé.
Je suis d'accord avec l'interprétation donnée par le juge Hughes de l'article et j'estime que ses motifs sont applicables en l'espèce malgré ses com- mentaires relatifs à la charge de la preuve, com- mentaires découlant de la nature quasi criminelle de l'accusation dans Bushnell.
La décision du juge Hughes a été confirmée par la Cour d'appel de l'Ontario. Le juge Evans, alors juge d'appel, a déclaré à la page 290 du recueil dans lequel est citée la décision de la Cour d'appel, soit (1975) 4 O.R. (2») 288:
[TRADUCTION] Nous sommes essentiellement d'accord avec la conclusion du juge Hughes et, à notre avis, la question à trancher pour la Cour est celle-ci: «Quel facteur a incité l'employeur à accomplir l'acte qu'il a effectivement accompli à l'égard de l'employé?» Si l'on conclut que l'adhésion à un syndicat constitue le fondement de l'acte accompli, alors il doit y avoir condamnation; sinon un acquittement s'impose. La question de savoir si l'adhésion à un syndicat est à l'origine de la mesure prise est purement une question de faits que le juge de première instance doit, en chaque cas, déterminer après avoir évalué la crédibilité des différents témoins.
A notre avis, il faut, pour enfreindre l'art. 110(3) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, que l'adhésion au syndicat soit une cause directe de renvoi; mais cette cause peut exister de concert avec d'autres causes directes.
En conclusion, l'appel est rejeté avec dépens.
Il se dégage clairement de la preuve en l'espèce que l'un des facteurs pris en considération par les dirigeants de la compagnie pour refuser d'embau- cher le requérant a été l'exclusion du requérant du S.I.M. et, plus tard, du S.M.C. Ces exclusions ont été les causes directes du refus d'embaucher le requérant. A mon avis, le fait que ni l'un ni l'autre de ces syndicats ne représente actuellement les employés de l'unité de négociation importe peu. Chacun était «un syndicat» au sens de l'article 184(3)a)(ii) et, bien que la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers ne soit pas, strictement, le syndicat qui a succédé au S.M.C. ou qui s'est fusionné à ce dernier (et sur ce point, on n'a avancé aucune preuve directe), cela ne signifie pas que les exclu- sions des syndicats antérieurs rendent inapplicable le sous-alinéa a)(ii) de l'article 184(3).
Cette conclusion établie, la seconde proposition peut facilement, à mon avis, être réglée. Le requé- rant a fait état, dans sa plainte, d'allégations con- cernant les refus de MM. Merrigan et Leitch de l'embaucher à l'intérieur de la compagnie. Le requérant et M. Merrigan ont tous deux témoigné de façon exhaustive à l'audition devant le Conseil. M. Leitch n'a pas témoigné; les allégations du requérant concernant la rencontre entre lui-même et M. Leitch n'ont pas été réfutées. La plainte reproduit clairement la prétention du requérant selon laquelle il lui a été impossible d'inscrire son nom au bureau d'embauchage, une condition régis- sant l'embauchage, et que cela était à son exclusion du S.I.M. et du S.M.C. Il est clair, par conséquent, que cela constituait tout au moins «une raison» pour la compagnie de ne pas l'embaucher.
Le témoignage du requérant a confirmé la plainte et fourni quelques détails à l'appui de sa prétention. Cette prétention, du moins en ce qui concerne la situation de M. Leitch dans cette affaire, n'a pas été contestée ni démentie.
L'article 188(3) du Code se lit comme suit:
188....
(3) Une plainte déposée par écrit en application de l'article 187 et portant qu'un employeur ou une personne agissant pour le compte d'un employeur ne se serait pas conformé à l'alinéa 184(3)a) constitue une preuve que cet employeur ou cette personne ne s'est pas conformée à cet alinéa.
L'avocat du requérant a fait valoir que l'article doit être lu de concert avec l'article 24(1) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23:
24. (1) Quand un texte législatif déclare qu'un document constitue la preuve d'un fait sans qu'il y ait, dans le contexte, une indication que le document est une preuve concluante, ce dernier est recevable comme preuve dans toutes procédures judiciaires et le fait est alors réputé établi en l'absence de toute preuve contraire.
La Cour suprême du Canada a étudié cette question dans un autre contexte, soit celui de l'affaire Central Broadcasting Co. Ltd. c. Le Con- seil canadien des relations du travail [1977] 2 R.C.S. 112. Le juge de Grandpré, parlant au nom de la Cour, a conclu aux pages 117 et 118 de ses motifs:
La plainte est recevable comme preuve et, s'il n'y a pas d'autre preuve, le fait qui y est allégué «est alors réputé établi». Si d'autres éléments de preuve sont présentés, le Conseil alors est tenu d'examiner tous ces éléments et de considérer tout aussi bien la plainte que tous ces autres éléments, écrits ou oraux.
Après quoi, aux pages 118 et 119, discutant d'une proposition qui consistait à savoir s'il existait ou non une présomption selon laquelle les faits mentionnés dans la plainte devaient être réputés établis si, dans un cas la preuve n'est plus probante dans un sens que dans l'autre, ils ne sont pas réfutés, il a déclaré ceci:
Compte tenu à la fois du par. 188(3) du Code canadien du travail et du par. 24(1) de la Loi d'interprétation, je conclus que l'employeur n'a pas la charge de la preuve lorsque des éléments de preuve sont présentés en plus de la plainte; dans ce cas, pour arriver à une conclusion, le Conseil doit examiner l'ensemble de la preuve en tenant compte de toutes les circons- tances. La loi édicte simplement que le fait mentionné dans la plainte «est alors réputé établi en l'absence de toute preuve contraire». Si l'une ou l'autre des parties présente une preuve contraire, le Conseil n'est pas fondé à conclure que, si la preuve n'est plus probante dans un sens que dans l'autre, la plainte est établie. Cela reviendrait à dire que l'employeur a la charge de la preuve et rien dans le Code ne nous permet de tirer une telle conclusion.
Aucune question relative à la charge de la preuve n'a été soulevée en l'espèce et les alléga- tions concernant le rôle de M. Leitch dans les procédures n'ont pas été contestées de la seule façon vraiment admissible, c.-à-d. en faisant témoigner M. Leitch. Ainsi, le Conseil n'a eu aucune preuve contraire à examiner avant de rendre sa décision et, en vertu des articles extraits des deux lois citées antérieurement, les faits men-
tionnés dans la plainte, dans la mesure ils se rapportent à M. Leitch, doivent être réputés éta- blis. Puisque ces faits révèlent que l'un des facteurs qui a déterminé le refus de la compagnie d'embau- cher le requérant a été son exclusion du S.I.M. et, plus tard, du S.M.C., ce facteur doit être réputé avoir été établi et la compagnie était par consé- quent coupable d'une pratique déloyale de travail, aux termes de l'article 184(3)a)(ii).
En raison de cette conclusion, il ne sera pas nécessaire d'examiner ni de commenter les autres erreurs qui auraient, son le requérant, été commi- ses par le Conseil.
Par conséquent, je suis d'avis qu'il faut accueillir la demande introduite sous l'autorité de l'article 28, annuler l'ordonnance du Conseil délivrée le 27 juillet 1976, dans la mesure elle se rapporte à la compagnie intimée, et renvoyer l'affaire au Conseil afin qu'il rende, conformément à l'article 189 du Code, une décision fondée sur le fait que la compa- gnie a enfreint l'article 184(3)a)(ii) du Code.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je suis d'accord.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.