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T-2148-77
Ernesto G. Galas, Elio B. Bongon, Abraham R. Radovan, Rosario C. Del William, Jacinto S. Rapada, Ernesto F. De Mesa, Cesar G. Pangili- nam, Glicerio C. Salvador Jr., Venancio P. Lea- bres, George A. Remetilla, Edilberto P. Floro, Sergio R. Dedel, Ismael M. Encarnacion, Vergilio S. Esguerra, Pedro A. Bartolo, Pedro P. De Guzman, Francisco B. Marcelo, Romeo R. Esconde (Demandeurs)
c.
Le navire SIS Lowell Thomas Explorer, sa car- gaison et son fret (Défendeur)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, le 26 septembre; Ottawa, le 30 septem- bre 1977.
Pratique Requête en radiation de demande reconvention- nelle Les propriétaires, qui ne sont pas parties à l'action, peuvent-ils être entendus dans la demande reconventionnelle? Les propriétaires faillis ont-ils qualité pour agir? La Cour fédérale connaît-elle une demande reconventionnelle pour perte d'entreprise (location)? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10, art. 22(1), 22(2)o) Règle 1724 de la Cour fédérale.
Les demandeurs ont introduit une requête en radiation de la demande reconventionnelle des propriétaires. Il est, tout d'abord, allégué qu'il n'existe aucune loi sous le régime de laquelle la Cour fédérale peut connaître d'une poursuite fondée sur des pertes d'entreprise (location), lesquelles sont des matiè- res civiles. Les demandeurs allèguent aussi que les propriétaires n'étant pas parties au présent procès, ne peuvent être entendus dans une demande reconventionnelle, et qu'ils n'ont pas qualité pour présenter une demande reconventionnelle parce qu'ils ont fait cession de leurs biens à un syndic de faillite.
Arrêt: la demande est rejetée. Les propriétaires, bien qu'ils ne soient pas parties à l'action, peuvent être entendus dans une demande reconventionnelle. L'arrêt Camosun, sur lequel se sont basés les demandeurs, affirme seulement qu'aucune demande reconventionnelle n'est admise relativement à des matières ne relevant pas de la compétence de la Cour. Les propriétaires faillis sont habiles à introduire une demande reconventionnelle: non seulement la Règle 1724, prévoyant que la faillite ne met pas fin à la procédure, est applicable, mais la demande reconventionnelle a été lancée avant la cession. En outre, ladite demande reconventionnelle ne s'appuie pas seule- ment sur des pertes de location; elle est effectivement une demande en dommages-intérêts contre des marins pour inexé- cution de contrat maritime et saisie illégale du navire en Cour. Il serait difficile de prévoir et de déterminer le montant des dommages dans une requête en radiation. Il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de radier les plaidoiries à ce stade-ci.
Arrêt mentionné: Brown c. L'«Alliance (1914) 21 R.C.E. 176; arrêt mentionné: Gilmore c. Le «Marjorie» (1908) 12 O.W.R. 749; arrêt mentionné: Le «Sparrows
Point» c. Greater Vancouver Water District [1951] R.C.S. 396. Distinction faite avec l'arrêt: Dome Petroleum Ltd. c. Hunt [1978] 1 C.F. 11; distinction faite avec l'arrêt: Bow, McLachlan & Co., Ltd. c. Le KCamosun» [1909] A.C. 597; distinction faite avec l'arrêt: Wolfe c. S.S. «Clear - pool» (1920) 20 R.C.É. 153.
DEMANDE. AVOCATS:
Joseph Nuss, c.r., et G. H. Waxman pour les
demandeurs.
E. Baudry pour Mid Ship Repairs.
Marc de Man pour les demandeurs dans
T-2742-77.
B. Courtois pour l'intervenant Pickwood.
PROCUREURS:
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour les demandeurs.
Chauvin, Marler & Baudry, Montréal, pour Mid Ship Repairs.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour les demandeurs dans T-2742-77.
O'Brien, Hall & Saunders, Montréal, pour l'intervenant Pickwood.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBS: Il s'agit d'une requête introduite par les demandeurs en radiation d'une demande reconventionnelle faite par le défendeur, pour plu- sieurs motifs qui peuvent être commodément résu- més ainsi qu'il suit:
1. L'action in rem est lancée par des membres de l'équipage du navire défendeur pour non-paie- ment de salaires, alors que la demande reconven- tionnelle a été faite par les propriétaires du navire au motif de perte de location. Il n'existe aucune loi fédérale sous le régime de laquelle la Cour peut connaître d'une poursuite fondée sur des pertes d'entreprise, lesquelles sont des matières civiles;
2. Les propriétaires, n'étant pas parties au pré- sent procès, ne peuvent être entendus dans une demande reconventionnelle;
3. Ainsi qu'il a été énoncé dans la défense modi- fiée et dans la demande reconventionnelle, la com- pagnie Midwest Cruises Panama S.A. est proprié-
taire défenderesse dans le présent procès, et, le 15 août 1977, elle a fait cession de ses biens à un syndic autorisé, pour le profit général des créan- ciers. Par conséquent, les propriétaires en faillite n'ont pas qualité pour présenter une demande reconventionnelle.
J'examine tout d'abord la question de compé- tence. L'avocat des demandeurs a renvoyé à une décision récente, l'affaire Dome Petroleum Lim ited c. Hunt', dans laquelle j'ai conclu que la Cour fédérale n'est pas compétente pour connaître d'une demande en paiement de dette intéressant deux sujets, fondée sur un accord pour le forage de puits dans la mer de Beaufort. En voici le dernier para- graphe à la page 13:
Deux décisions 2 récentes de la Cour suprême du Canada établissent clairement que l'existence d'une législation fédérale applicable est une condition préalable à l'exercice par la Cour fédérale de sa compétence pour connaître de toutes les procédu- res qui lui sont soumises. Il ne suffit pas que l'affaire soit de compétence fédérale, une loi fédérale doit servir de fondement à l'action. La Cour fédérale n'est pas compétente dans le domaine contractuel, même si l'entreprise envisagée par le contrat relève de la compétence fédérale, à moins qu'une loi fédérale précise ne serve de fondement au redressement demandé.
L'avocat se fonde aussi sur une décision de 1909 du Conseil privé, Bow, McLachlan & Co., Limited c. Le «Camosun» 3 , une action in rem était instituée devant la Cour de l'Échiquier du Canada en recouvrement du solde sur l'hypothèque du navire. Dans leur défense, les cessionnaires enre- gistrés du navire soutenaient qu'ils avaient le droit de compenser une somme qu'ils avaient dépensée. Il était admis que la compensation impliquait une demande reconventionnelle faite en vertu d'un con- trat distinct de l'hypothèque, et comme la Cour n'avait pas compétence générale en common law et que les intimés n'avaient pas le droit, en juridiction d'amirauté, de poursuivre ou le navire ou l'appe- lant, ils ne pouvaient pas porter leur demande reconventionnelle devant la Cour de l'Échiquier. Faisant allusion à la compensation, lord Gorell a conclu la page 613] [TRADUCTION] «que le litige doit être réglé par action reconventionnelle
' [1978] 1 C.F. 11.
2 McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Liée [1977] 2 R.C.S. 1054.
3 [1 909] A.C. 597.
portée devant un tribunal ayant compétence pour en connaître.»
Bien entendu, en vertu du paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale, cette cour a, dès l'origine, une compétence simultanée en toute matière tombant dans la catégorie de la navigation et du transport par mer, et plus spécialement dans le domaine régi par l'alinéa 22(2)o) relativement à toute revendication de salaires par l'équipage d'un navire. Le défendeur allègue que les contrats qui justifient les revendications de salaires fondent aussi la demande reconventionnelle contestée. En voici les paragraphes les plus importants:
[TRADUCTION] 19. Pendant que le navire était dans le port de Montréal, des représentants de l'International Transport Work ers' Federation essayaient de convaincre les demandeurs d'écar- ter leurs engagements contractuels et d'exécuter les accords fictifs d'ITF;
20. En pleine connaissance des conséquences que cela entraîne- rait pour les conditions financières et d'exploitation du défen- deur, le 26 mai 1977 les demandeurs quittèrent le navire défendeur, arrêtèrent illégalement le travail, instituèrent les présentes procédures et saisirent ledit navire;
21. Dans le cas od les demandeurs auraient travaillé jusqu'à la fin de mai 1977, le montant à eux par le défendeur serait de $10,444.45;
22. Nonobstant le fait que, plus d'une fois, un montant supé- rieur à la somme de $10,444.45 a été offert aux demandeurs, ceux-ci ont refusé de libérer le navire en compensation de la somme offerte, empêchant ainsi celui-ci de naviguer;
23. Comme conséquence des agissements illégaux et injustifiés des demandeurs, le défendeur était dans l'impossibilité de com- mencer sa saison de croisière d'été, et a jusqu'ici essuyé une perte d'au moins $360,000 à cause des occasions manquées de location.
Les contrats ou accords conclus entre, d'une part, la Philcan Personnel Consultants Limited à titre d'employeur, et, de l'autre, les membres indi- viduels de l'équipage, citoyens des Philippines, à titre d'employés, traitent de l'attribution des tra- vaux, des salaires, des tâches, du logement, des allocations, de la dénonciation des contrats, et aussi du rapatriement, des congés à terre et de l'accréditation syndicale. Il n'y a aucune stipula tion relative aux pertes de location subies par le navire ou ses propriétaires.
Mais cette demande reconventionnelle n'est pas limitée aux pertes de location. Il s'agit en réalité d'une demande de dommages-intérêts introduite devant cette cour contre les marins pour cause de rupture de contrat maritime et saisie illégale de navire. Quand un navire est saisi par suite de la
mauvaise foi ou d'une faute lourde de la part des demandeurs, les propriétaires ont droit à des dom- mages-intérêts en conséquence de la saisie (vide L'aEvangelismos» (1858) Swab. 378). Il serait difficile de prévoir et de déterminer le montant des dommages dans une requête en radiation. Quoique au premier abord, une revendication contre des marins pour des pertes de location puisse paraître peu habituelle et forcée, il n'est ni clair ni évident que les propriétaires ne pourraient pas avoir, contre lesdits marins, une revendication valable en dommages-intérêts pour rupture de contrat mari time ou pour saisie illégale du navire, et il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de radier les plaidoi- ries à cette étape de la procédure.
En second lieu, j'examine le droit des propriétai- res d'introduire une demande reconventionnelle dans une action contre le navire. Les demandeurs se fondent sur la jurisprudence de l'affaire Wolfe c. S.S. «Clearpool» 4 laquelle est une action in rem intentée par des débardeurs en vue de recouvrer des indemnités pour des dommages prétendument survenus par suite de la rupture de leur contrat de chargement du navire défendeur. Le juge Maclen- nan D.L.J.A. a ainsi conclu à la page 157:
[TRADUCTION] Le propriétaire n'est pas partie à la présente action et, à mon avis, cette cour n'était pas compétente pour entendre une revendication de ce genre, que ce soit contre le navire ou contre le propriétaire, et la matière devrait être réglée devant une cour compétente.
Il est évident cependant, d'après la décision rendue, que la demande des débardeurs a été rejetée parce que la Cour d'amirauté n'est pas compétente pour exécuter une revendication pour rupture de contrat entre les débardeurs et les propriétaires du navire, et non pas parce que les propriétaires n'ont pas été inclus parmi les défendeurs.
Dans l'affaire Brown c. L'«Alliance 2» 5 , procès intenté par des marins contre un navire de pêche pour réclamer des salaires, les propriétaires du navire ont obtenu gain de cause dans une demande reconventionnelle contre les demandeurs pour cause de perte d'engrenage.
4 (1920) 20 R.C.É. 153. 5 (1914) 21 R.C.É.176.
Dans l'affaire Camosun citée plus haut, la déci- sion rendue implique le seul corollaire qu'aucune demande reconventionnelle ne peut être introduite relativement à des matières qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour, et il ne faut pas en déduire qu'une telle demande relevant de cette compétence serait rejetée simplement parce que le nom des propriétaires ne figure pas parmi les défendeurs.
Dans l'affaire Gilmore c. Le «Marjorie» 6, il a été jugé que des procédures in rem peuvent être combinées avec des procédures in personam en un procès unique aux fins d'une justice plus achevée. Dans l'affaire Le «Sparrows Point» c. Greater Vancouver Water District', il était permis au navire d'ajouter le Conseil des ports nationaux comme codéfendeur.
En troisième lieu, j'examine la situation des propriétaires en faillite qui sont inhabiles à intro- duire une demande reconventionnelle. L'avocat des syndics a souligné que la défense initiale et la demande reconventionnelle, datées du 12 août 1977, ont été introduites avant la cession du 15 août 1977, et que la Règle 1724 de la Cour fédérale dispose que la faillite ne met pas fin à la procédure. De plus, l'ordonnance rendue le 20 septembre 1977 par le juge Decary permet à Christopher H. Pickwood d'intervenir dans le procès en sa capacité de syndic de la masse de Midwest Cruises Panama S.A.
ORDONNANCE
Il est ordonné ce qui suit:
1. La requête des demandeurs en radiation de la demande reconventionnelle du défendeur est rejetée;
2. La requête des demandeurs en rejet de toutes les plaidoiries de la compagnie Midwest Cruises Panama S.A. et en radiation de toute référence à ladite compagnie est rejetée;
3. Les frais de la requête vont au défendeur quelle que soit l'issue de la cause.
6 (1908) 12 O.W.R. 749.
7 [1951] R.C.S. 396.
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