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T-1648-77
Skaarup Shipping Corporation (Demanderesse) c.
Hawker Industries Limited, Hawker Siddeley Canada Ltd. et le navire Lionel A. Forsyth (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney— Halifax, le 6 septembre; Ottawa, le 26 septembre 1977.
Droit maritime Compétence Les défendeurs se sont engagés à prévenir un déversement de mazout et à en assumer la responsabilité, le cas échéant Paiement, par la demande- resse, du coût du nettoyage afin d'empêcher la saisie du navire
Navire gardé en la possession des défendeurs jusqu'à ce que la somme couvrant les réparations et le nettoyage soit déposée Action par la demanderesse pour recouvrer la somme versée pour le nettoyage et pour obtenir des dommages-intérêts en raison de la perte de revenus causée par la détention du navire
Demande présentée par les défendeurs visant à rejeter l'action pour défaut de compétence Loi sur la Cour fédé- rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22, 42 Administra tion of Justice Act, 1956, 4 & 5 Eliz. 2, c. 46, art. 1(1)n) (R-U.) Statut de Westminster, 1931, 22 Geo. 5, c. 4, art. 4 (R-U.) Loi sur l'Amirauté, S.R.C. 1952, c. 1, art. 18(1) Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 734, 735.
Les défendeurs sollicitent un jugement qui déclarerait que cette cour n'a pas compétence pour connaître de la présente action au motif qu'il n'existe aucun droit positif fédéral applica ble en l'espèce. Le mazout contenu dans le navire de la deman- deresse s'est déversé dans le port de Halifax lorsque le navire a été soulevé dans le dock flottant des défendeurs. La demande- resse a procédé au nettoyage moyennant un coût très élévé en vue d'empêcher la saisie du navire, malgré le fait que les défendeurs se soient engagés à prévenir un déversement de mazout et à en assumer la responsabilité, le cas échéant. Les défendeurs ont toutefois gardé en leur possession le navire jusqu'à ce qu'une somme couvrant les frais de réparation et de nettoyage et une somme additionnelle prévue pour le nettoyage autour du dock flottant aient été déposées. La demanderesse cherche à obtenir la somme totale versée pour le nettoyage et les dommages-intérêts découlant de la perte de revenus essuyée durant la période les défendeurs ont gardé en leur possession le navire.
Arrêt: la demande visant à rejeter l'action est accueillie. Bien que le propriétaire du Colin Brown ait clairement été victime d'un préjudice pécuniaire important en raison de la prétendue négligence des défendeurs et de leur défaut d'exécuter le con- trat, le navire lui-même n'a pas subi de dommages matériels. Le droit maritime canadien ne donne, au propriétaire d'un navire, aucun recours contre une personne qui répare ce navire pour des dommages provenant de l'inexécution du contrat de réparation ou de la négligence dans l'exécution de, ce dernier lorsque ledit navire n'a pas subi de dommages matériels. Il n'existe aucune loi fédérale donnant à la Cour compétence en la matière. Prétendre que la compétence de la Cour de l'Échiquier en matière d'amirauté issue de l'article 18(1) de la Loi sur
l'Amirauté, a été élargie par la Administration of Justice Act, 1956 de la Grande-Bretagne est contraire à l'article 4 du Statut de Westminster, 1931 et aux principes d'interprétation des lois. La cause d'action ne peut nullement être fondée sur les articles 734 et 735 de la Loi sur la marine marchand du Canada. Enfin, la juridiction ne peut être conférée par le simple fait de demander l'intérêt au taux commercial à compter de la date de la perte.
Arrêts appliqués: Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Liée [1977] 2 R.C.S. 1054; McNama- ra Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; La Reine c. Canadian Vickers Ltd., T-1453-74 (non encore publié). Distinction faite avec l'arrêt: Sivaco Wire & Nail Co. c. Atlantic Lines, T-4371-76 (non encore publié).
DEMANDE. AVOCATS:
J. Murphy pour la demanderesse.
J. M. Davison, c.r., J. E. Gould et W. W.
Spicer pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Stewart, MacKeen & Covert, Halifax, pour la
demanderesse.
McInnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les défendeurs sollicitent un jugement qui déclarerait que cette cour n'a pas compétence pour connaître de la présente action au motif qu'il n'existe aucun droit positif fédéral
applicable en l'espèce.
Les faits essentiels, tels qu'allégués dans la déclaration et dans l'affidavit déposé en opposition à la requête et que je dois considérer, aux fins des présents, comme vrais et susceptibles d'être prou- vés, se résument comme suit. Les deux compagnies défenderesses sont associées dans une entreprise de réparation de navires à Halifax. Le navire défen- deur est un dock flottant exploité par elles dans le cadre de leur entreprise. La demanderesse est pro- priétaire du navire Colin Brown qui a subi de forts dommages lorsqu'il s'est échoué près de l'entrée du port de Halifax, le 4 avril 1975. Après une opéra- tion de sauvetage, le Colin Brown a été déplacé vers un môle situé dans le port et des mesures ont été prises pour qu'il soit réparé par les défendeurs. Le Colin Brown avait encore à son bord une certaine quantité de mazout. On prévoyait qu'au moment de soulever le navire, le mazout se répan-
drait dans le dock flottant par les trous de carène du navire et qu'à défaut de mesures préventives, le mazout se déverserait dans le port par les extrémi- tés ouvertes du dock flottant. Les défendeurs se sont engagés à prévenir le déversement de mazout et à en assumer la responsabilité, le cas échéant. Les mesures prises par les défendeurs à cette fin ont échoué. Les deux navires, soit le Colin Brown et le Lionel A. Forsyth, seraient saisis par le ministère des Transports s'il n'était pas procédé à un nettoyage. Les défendeurs ont refusé d'effec- tuer le nettoyage du port et, pour empêcher la saisie du Colin Brown, la demanderesse a déboursé environ $210,000 afin d'y procéder. Les répara- tions terminées, les défendeurs ont gardé en leur possession le Colin •Brown pour une période d'envi- ron 30 jours; ils refusaient de le remettre jusqu'à ce qu'une somme couvrant les frais de réparation et de nettoyage soit déposée. A cela était ajoutée une somme additionnelle de $165,000, versée sous toutes réserves, pour le nettoyage à l'intérieur et autour du dock flottant.
La demanderesse cherche à obtenir des domma- ges-intérêts en raison de la perte de revenus essuyée durant la période de 30 jours, une somme globale de $374,896.02 versée pour le nettoyage, l'intérêt au taux commercial et ses dépens. Elle allègue, avec détails à l'appui, inexécution du con- trat, négligence et innavigabilité du Lionel A. For- syth. L'affidavit des défendeurs expose des faits qui tendent à établir que le Lionel A. Forsyth n'est pas, en fait, un navire bien qu'il soit immatriculé conformément aux dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada'.
Deux décisions récentes de la Cour suprême du Canada 2 ont eu pour effet de contester la compé- tence de la présente cour dans un certain nombre de cas qui étaient autrefois généralement considé- rés comme relevant de la compétence de la pré- sente cour 3 en matière d'amirauté. Brièvement, la Cour suprême a décidé que l'expression «lois du Canada» à l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 se limite au droit de la
S.R.C. 1970, c. S-9.
2 Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifi- que Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054 et McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
3 La Compagnie Robert Simpson Montréal Limitée c. Ham- burg-Amerika Linie Norddeutscher [1973] C.F. 1356.
Couronne dans la mesure ce droit se rapporte à la Couronne du chef du Canada et aux lois adop- tées par le Parlement du Canada dans le cadre de son pouvoir législatif. La compétence de la pré- sente cour, créée sous l'autorité de l'article 101, se limite à l'administration des lois du Canada aux termes de cette définition. Le droit de la Couronne n'entre pas en jeu dans la présente action.
Ces lois, si je comprends bien, peuvent être intégrées au droit positif fédéral de trois façons au moins. Le Parlement peut adopter de telles lois expressément dans le cadre de son pouvoir législa- tif. Il peut adopter par renvoi et insérer dans un de ses champs de compétence législative le droit écrit ressortissant à une autre juridiction; par exemple, il a adopté, par le biais du paragraphe 225(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu'', la disposition provin- ciale exemptant de saisie certains biens. Le Parle- ment peut également adopter, par renvoi, le droit non écrit qui existe dans d'autres juridictions pour l'intégrer dans un domaine relevant de son pouvoir législatif. En ce qui concerne le «droit maritime canadien», le Parlement semble s'être inspiré de ces trois façons lorsqu'il a adopté les dispositions pertinentes de la Loi sur la Cour fédérales. Relati-
^ S.C. 1970-71-72, c. 63.
5 S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10.
2. Dans la présente loi
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application relevait de la Cour de l'L . chiquier du Canada, en sa juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifications apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada;
22. (1) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre- ment, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
n) toute demande née d'un contrat relatif à la construction, à la réparation ou à l'équipement d'un navire;
veinent à ces dispositions, le juge en chef adjoint a déclaré 6 :
A mon sens, ces dispositions législatives ont pour effet de maintenir en vigueur le code d'amirauté que la Loi de 1891 sur l'Amirauté avait introduit dans la législation canadienne et qui a été appliqué ensuite par la Cour de l'Échiquier du Canada en vertu de cette loi et de la Loi de 1934 sur l'Amirauté. Elles visent aussi peut-être à introduire le droit maritime fondé sur les sources de droit mentionnées dans le passage de l'ouvrage de Mayers intitulé Admiralty Law and Practice que j'ai cité, qui était appliqué sous le règne d'$douard III et avant les lois promulguées par Richard II et Henry IV, qui ont été ensuite interprétées et exécutées par les cours de common law, appli- quant les principes de common law de manière à restreindre sévèrement la compétence de la Cour d'Amirauté. Mais, comme je l'ai déjà indiqué, le droit introduit par la Loi de 1891 sur l'Amirauté (Can.), à mon avis n'incluait pas le droit positif donnant au propriétaire d'un navire un recours en matière d'amirauté contre un charpentier pour des dommages prove- nant de la rupture d'un contrat afférent à la construction, à l'équipement ou à la réparation du navire. On ne m'a cité aucune jurisprudence et je n'en ai trouvé aucune indiquant que le droit maritime appliqué par la Cour d'Amirauté ait jamais inclus une loi traitant des droits du propriétaire du navire contre le charpentier en vertu d'un tel contrat, ou donnant à un propriétaire de navire un recours en dommages-intérêts dans un cas comme celui qui nous occupe. [C'est moi qui souligne.]
J'ai souligné la dernière phrase du passage précité parce que l'essentiel de l'argument principal de la demanderesse est que, dans la mesure il est question d'un contrat de réparation, le juge en chef adjoint ne serait probablement pas arrivé à cette conclusion s'il avait eu l'avantage de consulter la jurisprudence que la demanderesse m'a citée.
En ce qui concerne l'alinéa 22(2)n), le juge en chef adjoint a déclaré ce qui suit:
A première vue, ces termes sont assez larges pour inclure la réclamation d'un propriétaire contre un constructeur à propos de dommages découlant de la rupture d'un contrat afférent à la construction ou à l'équipement d'un navire. Mais il me semble qu'il faut lire les alinéas du paragraphe (2), qui décrivent les catégories de demandes de la compétence de la Cour, sous la réserve que les demandes ne sont exécutables devant la Cour que lorsqu'elles sont fondées sur le droit maritime canadien ou sur une autre loi fédérale, que cela soit mentionné dans le paragraphe 22(1) ou ailleurs.
La question est de savoir si, en vertu de son pouvoir législatif, le Parlement a adopté une loi donnant au propriétaire d'un navire un droit d'ac-
42. Le droit maritime canadien existant immédiatement avant le le' juin 1971 reste en vigueur sous réserve des modifi cations qui peuvent y être apportées par la présente loi ou toute autre loi.
6 La Reine c. Canadian Vickers Limited, du greffe T-1453-74, rendue le 22 juin 1977.
tion, dans un cas comme celui qui nous occupe, contre une personne qui répare un navire. Je dois dire immédiatement que le fait que d'une part, l'affaire Vickers traitait d'un contrat relatif à la construction et à l'équipement d'un navire et que, d'autre part, la conclusion du juge en chef adjoint à l'égard d'un contrat de réparation pourrait, à proprement parler, être considérée comme un obiter dictum, constitue, à mon avis, un critère de distinction inacceptable et fort peu solide entre cette affaire et la présente. Bien entendu, je suis au courant que dans une autre décision récente', mon collègue le juge Walsh a conclu que la Cour avait compétence pour connaître d'une action relevant du domaine des contrats ou de la responsabilité délictuelle en raison de dommages causés à la cargaison d'un navire; il faut cependant faire clai- rement la distinction entre cette affaire et la présente.
Les décisions sur lesquelles la demanderesse s'appuie pour affirmer que le droit maritime cana- dien, maintenu en vigueur par l'article 42 et appli- qué par la présente cour conformément à l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, régit la cause d'action en l'espèce sont: Le Lancastrian s, Le Rehearo 9 et Le Forfarshire 10 , toutes des actions alléguant inexécution de contrat ou, subsidiaire- ment, négligence, intentées par un propriétaire de navire à l'endroit d'une personne qui répare des navires, et Le Moorcock", Le Devon' 2 , L`Empress 13 et Le Grit' 4 , toutes des actions inten- tées par un propriétaire de navire contre des pro- priétaires ou exploitants de docks en raison de la négligence de ces derniers. Dans chacun de ces cas, le navire a subi des dommages matériels; dans le cas en l'espèce, le Colin Brown n'a pas subi de dommages matériels bien que son propriétaire ait clairement été victime d'un préjudice pécuniaire important en raison, est-il allégué, de la négligence des défendeurs et de leur défaut d'exécuter le contrat.
Sivaco Wire & Nail Co. c. Atlantic Lines, du greffe
T-4371-76, rendue le 11 juillet 1977.
8 (1915) 32 T.L.R. 117, confirmé ibid., à la p. 655.
9 (1933) 18 Asp. Mar. Law Cas. 422.
10 (1908) 11 Asp. Mar. Law Cas. 158.
" (1888) 13. P.D. 157.
' Z (1923) 40 T.L.R. 136.
13 [1923] P. 96.
14 [1924] P. 246.
L'argument de la demanderesse selon lequel la déclaration révèle une cause d'action en raison des dommages causés à un navire ou par ce dernier, ou les deux à la fois, n'a aucune valeur. Par consé- quent, il n'est pas nécessaire d'examiner la preuve et les arguments invoqués à l'appui ou contre la proposition voulant que le Lionel A. Forsyth soit, en fait, un navire.
La demanderesse allègue en outre que si, à l'époque, la Cour de l'Échiquier du Canada n'avait pas la compétence nécessaire (ce qu'elle réfute), alors elle a très certainement obtenu cette compé- tence avec l'entrée en vigueur de la Administration of Justice Act, 1956 15 du Royaume-Uni. Cet argu ment est directement contraire à l'article 4 du Statut de Westminster, 1931 16 ; cependant, il est nécessaire d'étudier cet argument du point de vue canadien et non britannique. En 1956, la Cour de l'Échiquier du Canada s'est vue attribuer sa juri- diction d'amirauté par la Loi sur l'Amirauté", dont le paragraphe 18(1) se lit en partie comme suit:
... cette juridiction embrasse ... les mêmes endroits, person- nes, matières et choses que la juridiction d'amirauté actuelle- ment possédée par la Haute Cour de Justice en Angleterre, qu'elle existe en vertu de quelque loi ou autrement... .
L'expression «actuellement possédée» doit-elle être interprétée comme se rapportant à l'époque ce paragraphe est entré en vigueur, soit en 1934, ou cette expression fait-elle référence à toutes les époques pendant lesquelles il est demeuré en vigueur, ce qui aurait pour effet d'insérer l'amen- dement britannique de 1954 dans le droit maritime canadien? Conclure que l'amendement de 1954 y était, serait conclure que par l'insertion des mots «actuellement possédée» du paragraphe 18(1), le
15 4 & 5 Eliz. 2, c. 46 (R.-U.).
[TRADUCTION] 1.—( 1) La juridiction d'amirauté de la Haute Cour est la suivante, savoir la juridiction pour enten- dre et décider l'une quelconque des contestations ou réclama- tions suivantes—
n) toute réclamation relative à la construction, à la répa- ration ou à l'équipement d'un navire ou aux droits de dock; ' 6 22 Geo. 5, c. 4 (R.-U.).
4. Nulle loi du Parlement du Royaume-Uni adoptée posté- rieurement à l'entrée en vigueur de la présente Loi ne doit s'étendre ou être censée s'étendre à un Dominion, comme partie de la législation en vigueur dans ce Dominion, à moins qu'il n'y soit expressément déclaré que ce Dominion a demandé cette loi et a consenti à ce qu'elle soit édictée.
17 S.R.C. 1952, c. 1.
Parlement avait l'intention d'arriver à une conclu sion différente de celle du Conseil privé se rappor- tant à un article presque identique contenu dans les Colonial Courts of Admiralty Act, 1890 18 dans Le Yuri Marti'''. Si le Parlement avait eu l'inten- tion d'infirmer l'arrêt Le Yuri Maru, j'estime qu'il aurait plutôt utilisé l'expression usuelle [TRADUC- TION] «possédée en quelque temps que ce soit» comme l'a proposé lord Merrivale dans cette der- nière décision, plutôt que l'expression «actuelle- ment possédée». Les seules causes canadiennes que j'ai pu trouver traitant des conséquences du mot «actuellement» dans une situation très semblable mettait en cause une règle de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba qui donnait le pouvoir à un juge des référés [TRADUCTION] «d'exercer les
fonctions ... et . les pouvoirs ... qu'exerce actuellement ... tout juge de la Cour siégeant en chambre des référés». On a conclu que cette règle ne donnait pas à un juge des référés la juridiction conférée aux juges après l'entrée en vigueur de la loi sous l'autorité de laquelle la règle a été édictée 20 .
L'interprétation avancée par la demanderesse, à mon avis, n'est ni l'interprétation normale de l'arti- cle ni l'interprétation à laquelle je suis astreint en vertu de l'article 10 de la Loi d'intérprétation 21 . Je serais très étonné de découvrir que le Parlement a, après l'entrée en vigueur du Statut de Westmins- ter, délégué au Parlement britannique le pouvoir d'amender les lois du Canada, si ce n'est en termes très explicites. De plus, on doit reconnaître qu'en ces temps modernes, une déclaration par le Parle- ment britannique selon laquelle la juridiction
18 53 & 54 Vict., c. 27 (R.-U.).
[TRADUCTION] 2... .
(2.) La juridiction s'exerce ... sur les mêmes endroits, personnes, matières et choses que celles relevant de la juridic- tion d'Amirauté de la High Court en Angleterre, qu'elle ait été établie par une loi ou autrement... .
19 [1927] A.C. 906.
20 Par exemple, Watson c. Dandy (1898) 12 Man. L.R. 175. Les règles ont subséquemment été modifiées pour refléter le contraire. Voir Walker c. Stinson [1930] 3 D.L.R. 144.
21 S.R.C. 1970, c. I-23.
10. La loi est censée toujours parler et, chaque fois qu'une matière ou chose est exprimée au présent, il faut l'appliquer aux circonstances au fur et à mesure qu'elles surgissent de façon à donner effet au texte législatif ainsi qu'à chacune de ses parties, selon son esprit, son intention et son sens vérita- bles. [C'est moi qui souligne.]
d'amirauté de la Haute Cour s'étend à une nou- velle matière a simplement pour effet de renvoyer la juridiction en cette matière d'une division de la Haute Cour à une autre. Le Parlement canadien, en donnant à la présente cour en sa juridiction d'amirauté, une juridiction sur une nouvelle cause d'action, vise à faire partager aux tribunaux qui détiennent une compétence inhérente historique sur cette cause d'action, une juridiction qui jus- qu'alors leur était exclusive. Il m'est impossible d'accueillir la prétention selon laquelle il était dans l'intention du Parlement de parvenir à ce résultat en se basant sur ce qui correspond, en Grande-Bre- tagne, à une simple réorganisation du travail à l'intérieur de la Haute Cour.
De même, la proposition selon laquelle la cause d'action de la demanderesse serait, de quelque façon que ce soit, fondée sur les articles 734 et 735 de la Loi sur la marine marchande du Canada qui ne sont pas spécifiquement plaidés dans la déclara- tion, n'a aucune valeur. Je pourrais donner un certain nombre de raisons pour appuyer cette con clusion, mais il suffit de dire que ces articles ont trait à «un navire qui transporte un polluant en vrac»; que l'expression «en vrac» a été habilement définie par le règlement comme signifiant «une quantité ... supérieure à 1,000 tonnes» 22 et que la déclaration allègue qu'au moment il s'est échoué, le Colin Brown avait à son bord environ 674 tonnes de mazout, et que lorsqu'il a été sou- levé dans le dock flottant, il en comptait environ 100.
Je suis également convaincu que la réclamation de la demanderesse n'a aucunement trait à des opérations de sauvetage et que la demanderesse ne peut donner à cette cour une juridiction qu'elle ne détient pas autrement en demandant simplement [TRADUCTION] «l'intérêt ... au taux commercial à compter de la date de la perte», un redressement disponible dans une cour d'amirauté mais non dans une cour de common law.
Finalement, je suis sensible aux dépenses et aux inconvénients que doit subir un propriétaire de navire résidant à l'étranger et tenu de satisfaire aux lois provinciales touchant l'enregistrement des compagnies et l'obtention de permis afin d'avoir accès à une cour supérieure provinciale. Le souci
22 Règlement sur la Caisse des réclamations de la pollution maritime, DORS/73-536, par. 2(2).
de commodité manifesté par le plaideur pour éviter ces procédures ne change rien, d'une façon ou d'une autre, à la juridiction de cette cour.
Rien dans la doctrine ou la jurisprudence citée ou trouvée ne m'indique que le droit maritime canadien s'applique à une action intentée par un propriétaire de navire contre la personne qui répare le navire en raison de l'inexécution du contrat ou de la négligence dans l'exécution de ce contrat, en l'absence de dommages matériels subis par le navire en réparation. De même, je ne peux trouver aucune loi fédérale pour appuyer la juri- diction de la présente cour dans l'action en l'espèce.
ORDONNANCE
La demande est accueillie avec dépens. L'action est rejetée.
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