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A-6-78
Musafau Oloko (Requérant) c.
Emploi et Immigration Canada et Gilles Perron, enquêteur spécial (Intimés)
et
Le procureur général du Canada (Mis-en-cause)
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain— Montréal, les 20 et 22 février et le 13 mars 1978.
Examen judiciaire Immigration Demande visant l'ob- tention d'un permis du Ministre au cours d'une enquête spé- ciale Nouveaux motifs humanitaires qui n'ont pas encore fait l'objet d'un examen Enquêteur spécial refusant d'ajourner l'enquête spéciale L'ordonnance d'expulsion de l'enquêteur spécial est-elle invalide en raison de son refus d'ajourner? Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 2, 8, 67 Règlement sur l'immigration, DORS/73-20, art. 3D, 3G Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 » Supp.), c. 10, art. 28.
Le requérant attaque l'ordonnance d'expulsion prononcée contre lui au motif qu'elle est devenue invalide à la suite du refus de l'enquêteur spécial d'ajourner l'enquête afin de per- mettre que son cas soit reconsidéré en vue de l'obtention d'un permis du Ministre. De nouvelles circonstances d'ordre humani- taire qui n'avaient pas encore fait l'objet d'un examen étaient survenues au cours d'un ajournement de l'enquête spéciale.
Arrêt (le juge Le Dain dissident): l'appel est rejeté pour les mêmes motifs que ceux rendus dans l'arrêt Louhisdon Domini- que (voir supra, page 589).
Le juge Le Dain dissident: Le raisonnement de la Cour suprême dans l'arrêt Ramawad [1978] 2 R.C.S. 375 s'applique à une demande présentée en vue de l'obtention d'un permis du Ministre au cours d'une enquête. Il existe, au même titre que dans l'affaire Ramawad, un «droit» d'obtenir une décision sur la question de savoir si un permis du Ministre sera accordé. Les deux décisions sont discrétionnaires et, si elles sont favorables, elles peuvent être considérées comme un «privilège», mais, dans chaque cas, il existe un droit de voir sa demande étudiée. Le pouvoir de délivrer un permis du Ministre a été conféré, au moins en partie, à l'avantage des personnes qui désirent entrer ou demeurer au pays et ce pouvoir peut être exercé autrement que de la propre initiative du Ministre. Une personne ne devrait pas être empêchée en réalité, par le fait des autorités de l'immigration, de faire examiner sa demande d'obtention d'un permis du Ministre avant qu'il ne soit trop tard. Lorsque l'enquêteur spécial refuse d'ajourner une enquête pour permet- tre que le cas soit examiné en vue de l'obtention d'un permis du Ministre au motif que les circonstances ne justifieraient pas la délivrance d'un permis ou, erronément que les circonstances ont déjà été prises en considération par le Ministre, l'enquêteur spécial usurpe en fait le pouvoir discrétionnaire du Ministre.
Arrêt mentionné: Ramawad c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Charles Spector pour le requérant. Roméo Léger, c.r., pour les intimés.
PROCUREURS:
Chaikelson, Spector & Shore, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Par une demande formulée en vertu de l'article 28, le requérant attaque l'ordon- nance d'expulsion prononcée contre lui, le 5 janvier 1978.
Le seul argument sérieux avancé au soutien de la demande, c'est que l'enquêteur spécial a commis une erreur de droit qui lui a fait perdre juridiction en l'affaire lorsque, avant de terminer l'enquête, il a refusé de se rendre à la demande du requérant de déférer l'affaire au Ministre pour qu'il décide s'il consentait à délivrer un permis en vertu de l'article 8 de la Loi autorisant le requérant à demeurer au Canada. Dans mes motifs de la décision Louhisdon Dominique (supra, page 589), j'ai établi les rai- sons pour lesquelles cet argument doit être rejeté.
Pour ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN (dissident): J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Pratte dans l'arrêt Louhisdon Dominique (supra, page 589), mais je regrette de ne pouvoir être d'accord avec la conclusion à laquelle il en est venu.
En l'espèce, le requérant a été admis au Canada en tant que non-immigrant, dans la catégorie des touristes, en août 1973. Plus tard, il a reçu le statut de non-immigrant comme étudiant, et ce
statut a été prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 30 septembre 1977. Au cours de ce mois, il a été arrêté et détenu en vertu de l'article 15 de la Loi sur l'immigration, comme personne soupçonnée d'être l'une de celles qui sont décrites à l'article 18(1)e)(viii) de la Loi, c'est-à-dire qui est demeu- rée au Canada par suite de renseignements faux qu'elle a fournis. En vertu de l'article 24 de la Loi, une enquête a débuté le 27 septembre 1977. Au cours de l'enquête, on a fourni la preuve que, pendant que le requérant était étudiant au Canada, il avait travaillé sans permis pour trois employeurs pendant diverses périodes, qu'au moment il a fait des demandes de prolongation de son statut d'étudiant, on lui avait posé les questions suivantes: [TRADUCTION] «Travaillez- vous présentement?» et [TRADUCTION] «Avez-vous travaillé depuis votre arrivée au Canada?», et qu'il avait répondu «Non» aux deux questions. On a établi que le requérant était marié, que sa femme et son enfant au Canada vivaient avec lui au Canada, et que sa femme, qui n'était pas forte, attendait un autre enfant. Si je comprends bien son témoignage, le requérant a maintenu qu'il avait travaillé seulement lorsqu'il lui était nécessaire de le faire pour soutenir sa famille, qu'il ne travaillait pas quand on lui a posé la question: «Travaillez- vous présentement», et qu'il ne pouvait se rappeler qu'on lui ait posé la question: «Avez-vous travaillé depuis votre arrivée au Canada». Il a affirmé, dans son témoignage, qu'il ne lui restait plus que quel- ques mois pour terminer son cours lui permettant de devenir évaluateur de biens immobiliers, et qu'il avait l'intention de retourner, à la fin de ses études, au Nigeria pour y travailler.
Le 12 octobre 1977, l'enquête a été ajournée à la demande du requérant pour que son cas puisse être examiné, pour des motifs d'ordre humanitaire, par un autre fonctionnaire. Le but de cet ajournement était de permettre au requérant de demander un permis du Ministre en vertu de l'article 8 de la Loi. A cette fin, le requérant a été examiné le 26 octobre 1977, par M. Therrien, et à la suite de cet examen, on a décidé que le cas du requérant n'en était pas un de motifs humanitaires. Le 16 décem- bre 1977, avant la reprise de l'enquête, l'épouse du requérant a donné naissance à un enfant préma- turé qui pesait un peu plus de deux livres. Lorsque l'enquête a repris, le 5 janvier 1978, l'avocat du
requérant a demandé qu'on reconsidère les aspects d'ordre humanitaire dans le cas du requérant, à cause de la naissance prématurée et de la santé de l'épouse et de l'enfant. Voici comment la demande a été présentée à l'enquêteur spécial:
[TRADUCTION] ... selon moi, depuis que M. Therrien a fait l'examen, le 26 octobre 1977, il y aurait d'autres motifs d'ordre humanitaire, peut-être plus sérieux que jamais, pour permettre à M. Oloko de demeurer au pays au moins jusqu'à temps que son épouse et sa jeune enfant soient assez bien pour retourner dans leur pays d'origine. Il lui reste quelques mois avant de terminer ses études au Canada et ce serait très ... si on ne lui permettait pas de demeurer ici au moins pendant quelques mois. Je suggérerais que ces motifs supplémentaires soient soumis à un fonctionnaire autre que M. Therrien, qui n'a pas semblé intéressé à la santé de la famille de M. Oloko.
Le requérant lui-même a aussi demandé un ajournement à cette fin. La demande a été refusée par l'enquêteur spécial, qui s'est exprimé ainsi:
[TRADUCTION] Au sujet de votre demande, je dois vous dire que même si c'est M. Therrien qui a pris les renseignements ayant pour but de faire réexaminer votre cas pour des motifs d'ordre humanitaire, la décision sur ce point ne vient pas de lui mais d'un niveau supérieur au bureau du Directeur. Connais- sant la situation au sujet de la santé de votre épouse et les circonstances particulières à votre cas quant au parachèvement de votre cours, et après avoir réexaminé tout cela, il a été décidé de ne pas considérer les motifs humanitaires et, comme ces aspects d'ordre humanitaire ne sont pas pertinents à l'objet de l'enquête elle-même, qui doit être tenue spécifiquement et directement en vertu de la Loi sur l'immigration, je dois rendre une décision d'après les circonstances particulières, à la lumière des exigences de la Loi sur l'immigration et de ses règlements.
Après avoir fait un résumé de la preuve, l'enquê- teur spécial a décidé que le requérant était une personne décrite à l'article 18(l)e)(viii) de la Loi en ce qu'il était demeuré au Canada par suite de renseignements faux qu'il avait donnés, et il a ordonné que le requérant soit expulsé.
Le requérant attaque l'ordonnance d'expulsion au motif qu'elle est devenue invalide par le refus de l'enquêteur spécial d'ajourner l'enquête afin de permettre que son cas soit reconsidéré en vue de l'obtention d'un permis du Ministre à la lumière des nouvelles circonstances créées par la naissance prématurée de l'enfant. Au soutien de cette préten- tion, le requérant invoque la décision de la Cour
suprême du Canada dans l'affaire Ramawad'. Avant d'examiner les faits de cette cause et les motifs de cette décision, il serait bon de parler de la nature d'un permis délivré par le Ministre.
L'article 8 de la Loi sur l'immigration 2 confère au ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigra- tion un pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis autorisant toute personne à entrer au Canada, ou, étant dans ce pays, à y demeurer pour une période déterminée d'au plus douze mois. Le pouvoir de délivrer ou d'annuler un permis du Ministre a été examiné par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hardayal 3 , l'on a décidé qu'il s'agissait d'un pouvoir administratif non soumis à un processus judiciaire ou quasi judi- ciaire. On avait produit à la Cour un affidavit du sous-ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, dans lequel on mentionnait que les permis délivrés par le Ministre assouplissaient et humani- saient la mise en application de la législation sur l'immigration, et le juge Spence, en rendant les motifs de la Cour, a parlé de ce pouvoir la page 478] comme étant «utilisé seulement dans des cir- constances exceptionnelles et principalement pour des raisons humanitaires» et comme un pouvoir qu'il était «nécessaire de créer ... afin d'assurer
Ramawad c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration [1978] 2 R.C.S. 375.
2 L'article 8 de la Loi sur l'immigration se lit comme suit:
8. (1) Le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant toute personne à entrer au Canada, ou, étant dans ce pays, à y demeurer, à l'exclusion
a) d'une personne visée par une ordonnance d'expulsion à qui un tel permis n'a pas été délivré avant le 13 novembre 1967, ou
b) d'une personne au sujet de laquelle a été interjeté, en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, un appel qui a été rejeté.
(2) Un permis doit porter qu'il est en vigueur pour une période déterminée d'au plus douze mois.
(3) Le Ministre peut toujours, par écrit, proroger la vali- dité d'un permis ou l'annuler.
(4) Le Ministre peut, lors de l'annulation ou l'expiration d'un permis, rendre une ordonnance d'expulsion concernant la personne en cause.
(5) Le Ministre doit soumettre au Parlement, dans les trente jours de l'ouverture de la première session parlemen- taire de chaque année, un rapport indiquant tous les permis délivrés au cours de l'année civile précédente, ainsi que les détails pertinents.
3 Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal [1978] 1 R.C.S. 470.
une application souple de la politique d'immigra- tion». En vertu d'une autorisation ou délégation stipulée à l'article 67 de la Loi 4 et de l'ancienne définition du mot «directeur» énoncée à l'article 2 de cette lois, les chefs de bureaux d'immigration des divers centres d'immigration, entre autres, étaient autorisés à exercer le pouvoir conféré au Ministre en vertu de l'article 8 6 . Cette délégation a eu comme effet pratique qu'il y avait des fonction- naires dans les divers centres d'immigration à qui l'on pouvait confier des demandes pour obtenir un permis du Ministre, au cours de l'enquête, sans que cette dernière soit indûment retardée ou inter- rompue. Nous avons remarqué qu'on a très sou- vent accordé un ajournement à cette fin. Le pré- sent cas en est un exemple. La question est de savoir s'il n'existe pas seulement un pouvoir discré- tionnaire mais bien une obligation d'ajourner, lors- que demande est faite au cours d'une enquête pour que le cas soit étudié en vue de l'obtention d'un permis du Ministre. Plus spécifiquement, la ques tion est de savoir s'il s'agit d'une conclusion implicite de la décision et du raisonnement de l'arrêt Ramawad.
Dans l'affaire Ramawad, le visa d'emploi de l'appelant avait cessé d'être valide parce que ce dernier avait changé d'employeur sans autorisa- tion; l'appelant avait donc demandé un nouveau visa d'emploi. Pour qu'un visa d'emploi soit accordé dans ces circonstances, il aurait fallu que le Ministre autorise, conformément à l'alinéa 3Gd)
4 67. Le Ministre peut autoriser le sous-ministre ou le direc- teur à remplir et exercer les devoirs, pouvoirs et fonctions qu'il est ou qu'il peut être tenu de remplir ou d'exercer aux termes de la présente loi ou des règlements et tout devoir, pouvoir ou fonction rempli ou exercé par le sous-ministre ou par le direc- teur sous l'autorité du Ministre est réputé l'avoir été par le Ministre.
5 «directeur» signifie le directeur de la division de l'immigra- tion, au ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, ou une personne autorisée par le Ministre à agir pour le directeur;
La nouvelle définition du mot «directeur», édictée par les S.C. 1976-77, c. 54, art. 74(2), numéro 5 de l'annexe, proclamé en vigueur à compter du 15 août 1977 (TR/77-186, 12 octobre 1977, Gazette du Canada, Partie II, p. 4433) se lit comme suit: «directeur» désigne toute personne autorisée par le Ministre à agir en qualité de directeur aux fins de la présente loi ou de certaines de ses dispositions;
6 Voir les documents officiels I-3 et I-7, Gazette du Canada, Partie I, 30 octobre 1976, pp. 5370 et 5372.
du Règlement sur l'immigration, Partie 1 7 , de déroger à l'interdiction prévue au paragraphe 3D(2)b) 8 du Règlement, de délivrer un visa à une personne qui a violé les conditions du visa qu'elle avait. L'enquêteur spécial a décidé que l'appelant n'avait pas droit à un visa d'emploi et qu'aucune circonstance particulière ne justifiait la levée de l'interdiction. La Cour suprême a décidé qu'en agissant ainsi, l'enquêteur spécial avait invalide- ment exercé les pouvoirs du Ministre et que la décision invalide qu'il a rendue a vicié l'ordon- nance d'expulsion. Le juge Pratte, qui rendait les motifs de la Cour, a décidé que l'appelant avait le droit d'obtenir une décision du Ministre quant à savoir si l'interdiction devrait être levée à cause de circonstances particulières et qu'en prétendant exercer le pouvoir conféré au Ministre, l'enquêteur spécial a privé l'appelant de ce droit. Il a de plus décidé qu'une fois que la demande avait été faite pour obtenir la décision du Ministre, en vertu de l'alinéa 3Gd), l'enquêteur spécial était obligé d'ajourner l'enquête jusqu'à ce que le Ministre se soit occupé de cette demande. Je cite les passages suivants des motifs du juge Pratte [aux pages 383 et 384] en ce qu'ils peuvent s'appliquer dans le cas d'un permis du Ministre:
Aux termes de l'al. 3Gd), l'appelant a droit à une décision du Ministre sur «l'existence de circonstances particulières». L'ap- pelant tire ce droit directement du Règlement et l'enquêteur spécial n'a aucun pouvoir de l'abroger directement ou indirectement.
En prétendant exercer le pouvoir conféré au Ministre par l'al. 3Gd) du Règlement et en rendant sur-le-champ une ordon- nance d'expulsion contre l'appelant, l'enquêteur spécial a en réalité privé l'appelant de son droit de faire trancher par le Ministre la question de l'existence de circonstances particuliè- res au sens de l'al. 3Gd).
' L'alinéa 3Gd) du Règlement prévoit que:
3G. Nonobstant les dispositions du sous-alinéa 3D(2)a)(i) et de l'alinéa 3D(2)b), un visa d'emploi peut être délivré .. .
d) à une personne à l'égard de laquelle les dispositions du sous-alinéa 3D(2)a)(i) et de l'alinéa 3D(2)b) ne devraient pas s'appliquer, de l'avis du Ministre, en raison de circons- tances particulières.
B L'alinéa 3D(2)b) du Règlement prévoit que:
3D....
(2) Lorsque le fonctionnaire compétent reçoit une demande de visa d'emploi, il doit délivrer ce visa d'emploi sauf...
b) si le candidat a enfreint les conditions d'un visa d'em- ploi qui lui a été délivré au cours des deux années précédentes.
Décider que l'invalidité de la décision de l'enquêteur spécial quant à l'absence de circonstances particulières au sens de l'al. 3Gd) n'a aucun effet sur la validité de l'ordonnance d'expulsion conduirait à une conclusion injustifiable, savoir, que l'enquêteur spécial pourrait, en exerçant abusivement le pouvoir conféré au Ministre par l'al. 3Gd), supprimer le droit du non-immigrant en vertu dudit alinéa en empêchant le Ministre d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui a été confié.
A mon avis, dès que l'on demande au Ministre son avis conformément à l'al. 3Gd) tout pouvoir de l'enquêteur spécial de rendre une ordonnance d'expulsion est alors suspendu et la seule chose que ce dernier peut faire dans ces circonstances est d'ajourner sa décision jusqu'à ce que le Ministre ait tranché la question.
En toute déférence, je ne peux voir pourquoi ce raisonnement ne pourrait s'appliquer lorsqu'une demande est présentée, au cours d'une enquête, pour que le cas soit étudié en vue d'obtenir un permis du Ministre. A mon avis, on peut parler d'un «droit» lorsqu'il s'agit d'obtenir une décision sur la question de savoir si un permis du Ministre sera accordé dans un cas particulier autant que lorsqu'il est question d'obtenir la décision du Ministre sur la question de savoir si l'on devrait passer outre au défaut de se conformer aux condi tions d'un visa d'emploi, à cause de circonstances particulières. Les deux décisions sont de nature discrétionnaire et, si elles sont favorables, elles peuvent être considérées comme un «privilège», mais, dans chaque cas, il existe un droit de voir sa demande étudiée quel qu'en soit le résultat. Il me semblerait que le pouvoir de délivrer un permis du Ministre a été conféré, au moins en partie, à l'avantage des personnes qui désirent entrer ou demeurer au pays et ce pouvoir peut être exercé autrement que de la propre initiative du Ministre. Je pense qu'on a voulu qu'il soit possible, pour une personne qui désire entrer ou demeurer au pays, de faire une demande en vue d'obtenir un permis du Ministre et de recevoir une décision de la part de ce dernier ou d'une personne autorisée à exercer son pouvoir. Selon moi, une personne ne devrait pas être empêchée en réalité, par le fait des autori- tés de l'immigration, de faire examiner sa demande d'obtention d'un permis du Ministre avant qu'il ne soit trop tard, c'est-à-dire avant qu'une ordonnance d'expulsion soit prononcée contre elle. Il est vrai que cette demande peut être faite à l'extérieur du pays, avant que l'intéressé demande son admission. La même demande peut
aussi être faite par une personne qui se trouve au pays et qui désire y demeurer, avant que des procédures d'expulsion soient entreprises contre elle. Mais il existe de nombreuses circonstances dans lesquelles une personne n'a eu aucune raison de se douter qu'elle aurait besoin d'un permis du Ministre et pour qui la première occasion de demander ce permis se présente au cours d'une enquête. Il peut arriver que la personne concernée ne se rende compte qu'à la fin de l'enquête qu'elle a besoin de demander un permis du Ministre. Il se peut qu'elle ne se rende compte que son cas peut donner lieu à une considération pour des motifs humanitaires permise par l'article 8 de la Loi qu'après avoir constaté la nature de la preuve fournie et entendu le résumé de l'enquêteur spécial.
A mon avis, lorsqu'il refuse d'ajourner une enquête pour permettre que le cas soit examiné en vue de l'obtention d'un permis du Ministre au motif que les circonstances ne justifieraient pas la délivrance d'un permis ou, erronément, au motif que les circonstances ont déjà été pleinement prises en considération par le Ministre ou une personne autorisée à exercer ses pouvoirs en vertu de l'arti- cle 8, l'enquêteur spécial usurpe en fait le pouvoir discrétionnaire du Ministre, comme on l'a décidé dans l'affaire Ramawad. Dans le présent cas, l'en- quêteur spécial n'avait pas raison d'affirmer que les circonstances qui pouvaient justifier une consi- dération pour des motifs humanitaires avaient été pleinement prises en considération. Il est évident que la naissance de l'enfant prématuré et son incidence sur la question de savoir si, pour des motifs humanitaires, le requérant devrait quand même être forcé de quitter le pays immédiatement ne peut pas avoir été prise en considération lorsque le requérant a été examiné par M. Therrien. Selon moi, le requérant avait droit que sa demande de permis soit considérée à la lumière de cette nou- velle circonstance. A mon humble avis, la décision dans l'affaire Ramawad implique clairement que lorsqu'une demande est faite, au cours d'une enquête, pour qu'un cas examiné sur un aspect humanitaire, en d'autres termes, pour obtenir un permis du Ministre, et que ce permis n'a pas été refusé auparavant, d'après les circonstances qui existaient au moment la demande a été faite, le pouvoir de l'enquêteur spécial de procéder à l'en-
quête est suspendu jusqu'à ce que la demande ait été étudiée.
Pour ces motifs, j'accueillerais la demande for- mulée en vertu de l'article 28 et j'annulerais l'or- donnance d'expulsion prononcée le 5 janvier 1978.
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