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T-2228-78
Bartholomew Green 1751 Association Incorporat ed, opérant sous la raison sociale The Canadian Periodical Publishers' Association, et The Surviv al Foundation, opérant sous la raison sociale The Canadian Forum (Demanderesses)
c.
Le procureur général du Canada (Défendeur)
Division de première instance, le juge Cattanach— Toronto, le 28 juin, les 6 et 7 juillet; Ottawa, le 2 août 1978.
Couronne Postes Tarifs postaux haussés par les règlements DORS/72-297 et DORS/72-298 établis en applica tion du décret C.P. 1978-883 en vertu de l'art. 13b) de la Loi sur l'administration financière Hausses antérieurement éta- blies par modifications à la Loi sur les postes Le décret C.P. 1978-883 déléguant au ministre des Postes le pouvoir d'établir des règlements haussant des tarifs est-il ultra vires du gouverneur en conseil? Les règlements sont-ils nuls parce que non autorisés par la Loi sur les postes? Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14, art. 6d), 10, 11 Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10, art. 13 Décret C.P. 1978-883 (TR/78-60) Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe, DORS/78-297 - Règlement sur les objets de la deuxième classe, DORS/78-298 Preuve Rapports d'un comité permanent déclarés inad- missibles parce qu'ils contiennent des énoncés d'opinion subséquents.
Autorisation a été accordée d'inscrire au rôle un mémoire spécial pour remplacer l'audition de l'action conformément à la Règle 475 de la Cour fédérale. Il s'agissait d'une action des demanderesses contre le défendeur, qui sollicitait a) une décla- ration portant que les modifications apportées au Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe, DORS/78-297 et les modifications apportées au Règlement sur les objets de la deuxième classe, DORS/78-298 sont nulles parce que non autorisées par la Loi sur les postes et b) une déclaration portant que le décret autorisant le ministre des Postes à prescrire des frais, TR/78-60, promulgué en vertu de l'alinéa 136) de la Loi sur l'administration financière est ultra vires du gouverneur en conseil. Les demanderesses ont fait valas (1) que l'article 13 de la Loi sur l'administration finan- cière ne s'applique pas aux tarifs postaux parce que le service fourni par les postes n'est pas un «service» au sens de ce mot employé à l'article 13 de la Loi en ce sens qu'il n'est pas mis à la disposition de personnes identifiables qui demandent ce service; (2) que l'article 13 se limite à un service que «Sa Majesté fournit» et que cette expression n'englobe pas l'expres- sion «ministre des Postes» et (3) que les tarifs expressément prescrits par les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes l'emportent sur les dispositions générales de l'article 13 de la Loi sur l'administration financière et les règlements que le ministre des Postes a subséquemment établis sous le régime de cet article. A l'appui de leur action, les demanderesses ont cherché à introduire en preuve certains rapports parlementaires d'un comité permanent.
Arrêt: les questions reçoivent une réponse négative et l'action des demanderesses est rejetée. (1) Suivant les définitions des dictionnaires et un examen de l'évolution législative, «service» désigne «le fait de répondre aux besoins de quelqu'un» et l'exercice des activités postales est englobé dans le mot «service» employé dans son sens ordinaire qui est celui de répondre aux besoins des personnes qui, au Canada, désirent faire livrer à l'adresse indiquée des lettres et d'autres objets transmissibles par la poste. (2) Après une revue de l'évolution législative et de la jurisprudence, la deuxième prétention des demanderesses n'est pas soutenable. Le ministre des Postes étant un ministre de la Couronne et un préposé de la Couronne, le service postal entre dans le cadre des premiers mots de l'article 13 comme étant un service fourni par Sa Majesté par l'intermédiaire de ses préposés. (3) Suivant une doctrine bien connue, les disposi tions générales n'abrogent pas les dispositions antérieures si on n'y retrouve pas une intention évidente de les abroger. En fait, le Parlement a prévu deux moyens de hausser les tarifs de port. L'article 6d) de la Loi sur les postes dans sa forme modifiée est d'application limitée. Il prévoit que le ministre des Postes peut établir le tarif de port sur toute classe d'objets transmissibles, y compris les lettres, pour laquelle un tarif n'est pas prévu dans la Loi sur les postes. L'article 11 épuise ce pouvoir concernant les journaux et périodiques canadiens et l'article 10 épuise ce pouvoir sauf en ce qui concerne les lettres de plus de 16 onces. Il existe deux moyens de hausser les tarifs de port: a) le Parlement pourrait modifier les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes et b) le Parlement a prévu à l'article 13 de la Loi sur l'administration financière que le gouverneur en conseil peut, par décret, autoriser le ministre des Postes à faire de même. Les deux moyens sont disponibles, le second étant sanctionné par le Parlement pour réaliser le même objectif. On a adopté le second moyen avec l'approbation du Parlement parce que c'est le Parlement qui l'a rendu accessible. Il est possible que les rapports du comité permanent aient condamné l'opportunité politique qui a présidé à l'abandon de la tradition de faire fixer par le Parlement les tarifs postaux et à la délégation de ce pouvoir. Le recours approprié se trouve auprès du Parlement et le rôle de la Cour consiste à se prononcer sur la validité du texte législatif adopté par voie de règlement. Les rapports qui peu- vent être admis doivent être antérieurs à l'adoption d'une loi et doivent avoir pour objet d'interpréter la loi. En l'espèce, les rapports sont postérieurs à l'adoption de la loi et contiennent des énoncés d'opinion. Ils ne peuvent être admis comme preuve.
Arrêt suivi: Renvoi relatif à l'application de la Minimum Wage Act (Sask.) à un employé d'un bureau de poste à commission [1948] R.C.S. 248. Arrêt appliqué: Fraser c. Balfour [1918] L.J.K.B. 1116. Arrêts suivis: Lane c. Cotton [1701] 91 E.R. 1332; Whitfield c. Lord le Despen- cer [1778] 98 E.R. 1344; Bainbridge c. Postmaster Gener al [1906] 1 K.B. 178; Postmaster General c. Robertson (1878) 41 U.C.Q.B. 375. Arrêt mentionné: Treifus & Co., Ltd. c. Post Office [ 1957] 2 All E.R. 387.
ACTION. AVOCATS:
Andrew Kerekes pour les demanderesses.
G. W. Ainslie, c.r., et Deen C. Olsen pour le
défendeur.
PROCUREURS:
Kerekes & Collins, Toronto, pour les deman- deresses.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Par avis de requête en date du 31 mai 1978, le défendeur, avec le consen- tement des demanderesses, a demandé l'autorisa- tion d'inscrire au rôle un mémoire spécial en la forme de celui annexé à l'avis de requête, pour remplacer l'audition de l'action conformément à la Règle 475 de la Cour fédérale.
Par ordonnance en date du 5 juin 1978, le juge en chef adjoint a accordé la permission d'inscrire au rôle le mémoire spécial annexé à l'avis de requête.
Le mémoire spécial inscrit au rôle se lit comme suit:
[TRADUCTION] MÉMOIRE SPECIAL
Mémoire spécial présenté à la Cour conformément à la Règle 475.
La présente action intentée par les demanderesses contre le procureur général du Canada demande
a) une déclaration portant que les modifications apportées au Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe, DORS/78-297, et les modifications apportées au Règlement sur les objets de la deuxième classe, DORS/78- 298, sont nulles parce que non autorisées par la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14, et ses modifications.
b) une déclaration portant que le décret autorisant le minis- tre des Postes à prescrire des frais, TR/78-60, promulgué en vertu de l'alinéa 13b) de la Loi sur l'administration finan- cière, est ultra vires du gouverneur général en conseil.
EXPOSE DES FAITS
1. Une copie conforme d'un décret promulgué par le gouver- neur en conseil le 23 mars 1978 (CP 1978-883, enregistrement TR/78-60, le 12 avril 1978, publié dans la Gazette du Canada, Partie II, vol. 112, la p. 1411), est annexée aux présentes.
2. Une copie du règlement établi par le ministre des Postes le 29 mars 1978 (enregistrement DORS/78-297, le 29 mars 1978, publié dans la Gazette du Canada, Partie II, vol. 112, la p. 1337), est annexée aux présentes.
3. Une copie du règlement établi par le ministre des Postes le 29 mars 1978 (enregistrement DORS/78-298, le 29 mars 1978, publié dans la Gazette du Canada, Partie II, vol. 112, la p.
1340), est annexée aux présentes.
4. La demanderesse se réserve le droit de renvoyer au Hansard et le défendeur se réserve le droit de s'y opposer.
QUESTIONS POSÉES À LA COUR
Les questions posées à la Cour sont celles de savoir si
i) les modifications apportées au Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe par DORS/78-297 et les modifications apportées au Règlement sur les objets de la deuxième classe par DORS/78-298 sont nulles parce que non autorisées par la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14; et
ii) le décret C.P. 1978-883, promulgué par le gouverneur en conseil le 23 mars 1978 et portant l'enregistrement TR/78-60 est ultra vires du gouverneur en conseil.
Si la Cour répond par l'affirmative à l'une ou l'autre des questions, elle rendra un jugement déclaratoire dans le sens de la(des) question(s) qui a(ont) reçu une réponse affirmative, avec dépens à la demanderesse.
Si la Cour répond par la négative à l'une ou l'autre des questions, ou aux deux, l'action sera alors rejetée avec dépens quant aux questions qui ont reçu une réponse négative.
En prévision de ce qui doit suivre il y a lieu, à ce stade-ci, de reproduire les articles 6, 10 et 11 de la Loi sur les postes présentement en vigueur, tels qu'ils ont été édictés par le c. 23, S.R.C. 1970 (2e Supp.), l'article 13 de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10, le décret C.P. 1978-883, en date du 23 mars 1978 promulgué en vertu de l'article 13b) de la Loi sur l'administra- tion financière et les modifications apportées par le ministre des Postes au Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe, DORS/78- 297, le 29 mars 1978 et au Règlement sur les objets de la deuxième classe, DORS/78-298, éga- lement en date du 29 mars 1978, ces deux modifi cations étant apportées en application du décret C.P. 1978-883.
Il y aura également lieu de retracer l'évolution législative des articles pertinents de la Loi sur les postes et de la Loi sur l'administration financière pour en arriver à leurs articles présentement en vigueur.
I. L'article 6 de la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14 se lit en partie comme suit:
6. Le ministre des Postes peut établir des règlements pour le fonctionnement efficace de la poste au Canada, ainsi que pour la réalisation des objets et l'application des dispositions de la présente loi, et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, édicter des règlements
d) établissant le tarif de port sur toute classe d'objets transmissibles pour laquelle un tarif n'est pas prévu par la présente loi;
L'article 2(1) du chapitre 23 des S.R.C. 1970 (2e Supp.) a abrogé l'article 6d) et l'a remplacé par ce qui suit:
d) établissant le tarif de port sur toute classe d'objets transmissibles, y compris les envois postaux de lettres, pour laquelle un tarif n'est pas prévu par la présente loi;
Cela a eu pour effet de modifier l'article 6d) en y insérant les mots «y compris les envois postaux de lettres» après les mots «objets transmissibles».
II. Voici, depuis les S.R.C. 1952, l'historique de l'article 10 de la Loi sur les postes qui traite du tarif de port des envois postaux de première classe:
a) l'article 10, chapitre 212, S.R.C. 1952, fixe le tarif de port des envois postaux de première classe à pour la première once;
b) l'article 1, chapitre 20, S.C. 1953-1954, Loi modifiant la Loi sur les postes, abroge l'article 10 et en adopte un nouveau fixant le tarif à la première once;
c) l'article 3, chapitre 5, S.C. 1968-1969, Loi modifiant la Loi sur les postes, abroge à nou- veau l'article 10 et adopte un nouvel article ainsi rédigé qui fixe le tarif à la première once:
10. Le tarif de port applicable à chaque lettre postée au Canada pour livraison au Canada est de six cents pour la première once ou fraction d'once, et de quatre cents pour chaque once ou fraction d'once supplémentaire.
Cette loi a reçu la sanction royale le 31 octobre 1968.
Je signale ce fait particulièrement parce qu'il constitue la base d'une partie importante de l'argu- mentation de l'avocat de la demanderesse.
d) l'article 3 de la Loi modifiant la Loi sur les postes, chapitre 53, S.C. 1970-71-72, abroge l'article 10 de la Loi sur les postes et en adopte un nouveau qui se lit comme suit:
10. (1) Le tarif de port applicable à chaque lettre postée au Canada pendant la période commençant le 1°r juillet 1971 et se terminant le 31 décembre 1971, pour livraison au Canada, est de
a) sept cents pour toute lettre ne pesant pas plus d'une once;
b) douze cents pour toute lettre pesant plus d'une once mais ne pesant pas plus de deux onces;
c) dix-huit cents pour toute lettre pesant plus de deux onces mais ne pesant pas plus de quatre onces;
d) vingt-huit cents pour toute lettre pesant plus de quatre onces mais ne pesant pas plus de huit onces;
e) trente-huit cents pour toute lettre pesant plus de huit onces mais ne pesant pas plus de douze onces; et
J) quarante-six cents pour toute lettre pesant plus de douze onces mais ne pesant pas plus de seize onces.
(2) Le tarif de port applicable à chaque lettre postée au Canada, à compter du 1" janvier 1972, pour livraison au Canada, est de
a) huit cents pour toute lettre ne pesant pas plus d'une once;
b) quatorze cents pour toute lettre pesant plus d'une once mais ne pesant pas plus de deux onces;
c) vingt cents pour toute lettre pesant plus de deux onces mais ne pesant pas plus de quatre onces;
d) trente-deux cents pour toute lettre pesant plus de quatre onces mais ne pesant pas plus de huit onces;
e) quarante-quatre cents pour toute lettre pesant plus de huit onces mais ne pesant pas plus de douze onces; et
J) cinquante-quatre cents pour toute lettre pesant plus de douze onces mais ne pesant pas plus de seize onces.
Ainsi, un tarif de était fixé pour la première once d'une pièce de courrier de première classe du ler juillet 1971 au 31 décembre 1971, et un tarif de la première once à compter du l er janvier 1972.
Cette loi a reçu la sanction royale le 30 juin 1971.
Cependant, l'article 8 de cette loi prévoit ce qui suit:
STATUTS REVISES DU CANADA DE 1970 8. (1) Au présent article,
a) «anciennes lois» désigne les lois en vigueur avant l'en- trée en vigueur des Statuts revisés du Canada de 1970 et qui sont abrogées et remplacées par ces derniers; et
b) «nouvelles lois» désigne les Statuts revisés du Canada de 1970.
(2) Les modifications apportées par la présente loi aux anciennes lois ou à leurs termes sont également censées avoir été apportées aux nouvelles lois ou à leurs nouvelles lois ou de celle de la présente loi si elle lui est postérieure; et la Commission de revision des Statuts, tout en conservant sans restriction les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de la Loi concernant les Statuts revisés du Canada, doit, en choisissant les lois à inclure dans le supplément de la codifi cation mentionné à l'article 3 de cette loi, y inclure les modifications ainsi apportées par la présente loi en la forme dans laquelle ces modifications sont, aux termes du présent article, censées y avoir été apportées.
e) concernant l'article 10 de la Loi sur les postes, l'«ancienne loi» suivant la définition de l'article 8, chapitre 53, S.C. 1970-71-72 est l'article 10 exposé au chapitre 5, S.C. 1968-69 et reproduit à l'alinéa c) précédent.
f) l'article 10 adopté par le chapitre 5, S.C. 1968-69, a été inclus textuellement au chapitre P-14 des Statuts revisés du Canada de 1970.
g) une proclamation en date du 24 juin 1971 a déclaré que les Statuts revisés du Canada de 1970 entreront en vigueur et auront force de loi le 15 juillet 1971. Les Statuts revisés du Canada comprennent la Loi sur les postes, chapitre P-14.
h) une proclamation en date du 14 juin 1972 a déclaré que le Deuxième Supplément des Sta- tuts revisés du Canada de 1970 entrera en vigueur et aura force de loi le 1" août 1972.
i) l'article 3 du chapitre 23 du Deuxième Sup- plément des Statuts revisés du Canada de 1970, a abrogé l'article 10 de la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, chapitre P-14, et en a adopté un nouveau fixant le tarif des envois postaux de première classe à jusqu'au 31 décembre et à après le lei janvier 1972.
Cela est conforme et constitue une suite à la modification apportée à l'article 10 de la Loi sur les postes par l'article 3, chapitre 53, S.C. 1970- 71-72, mentionné à l'alinéa d) précédent.
III. Voici, depuis les Statuts revisés de 1952, l'évo- lution législative de l'article 11 de la Loi sur les postes concernant le tarif de port applicable aux journaux:
a) l'article 11, chapitre 212, S.R.C. 1952, fixe un tarif de port pour les journaux;
b) l'article 1, chapitre 39, S.C. 1953-54, modifie la définition de «journaux», mais non le tarif de port;
c) l'article 4, chapitre 5, S.C. 1968-69, abroge l'article 11 de la Loi sur les postes, et en adopte un nouveau qui fixe des tarifs augmentés.
Il s'agit de la même loi modificatrice mention- née à l'alinéa c) de l'évolution législative de l'arti- cle 10 de la Loi sur les postes.
Cette loi a reçu la sanction royale le 31 octobre 1968.
Depuis, il n'y a plus eu de modifications appor- tées par une loi au tarif de port applicable aux journaux.
d) par la proclamation en date du 24 juin 1971, (c'est la même proclamation mentionnée à l'ali- néa g) de l'évolution législative concernant l'ar- ticle 10 de la Loi sur les postes), les Statuts
revisés du Canada de 1970 sont entrés en vigueur le 15 juillet 1971.
Aux fins des présentes, j'estime utile de repro- duire le paragraphe (2) de l'article 11 des S.R.C. 1970, chapitre P-14, puisque ce paragraphe pres- crit le tarif de port applicable aux journaux cana- diens et aux périodiques canadiens, puisque le paragraphe (1) décrit les catégories de journaux et périodiques et que le paragraphe (3) prescrit un tarif minimum et une zone libre et que le paragra- phe (4) définit «journal canadien» et «périodique
canadien».
L'article 11(2) se lit comme suit: 11. ...
(2) Les tarifs de port applicables aux journaux canadiens et aux périodiques canadiens qui peuvent être transmis par la poste au Canada selon les tarifs de port spécifiés au présent article sont les suivants:
a) pour un journal canadien quotidien,
(i) quant à la partie non consacrée à la publicité, quatre cents et demi la livre durant la période commen- çant le 1" octobre 1969 et se terminant le 31 mars 1970, et cinq cents la livre par la suite, et
(ii) quant à la partie consacrée à la publicité, douze cents la livre durant la période commençant le 1°r octobre 1969 et se terminant le 31 mars 1970, et quinze cents la livre par la suite;
b) pour un journal canadien hebdomadaire, quatre cents et demi la livre durant la période commençant le 1°" octobre 1969 et se terminant le 31 mars 1970, et cinq cents la livre par la suite; et
c) pour tous les autres journaux canadiens et périodiques canadiens, quatre cents et demi la livre durant la période commençant le le' octobre 1969 et se terminant le 31 mars 1970, et cinq cents la livre par la suite.
L'article 6d) de la Loi sur les postes, précité, autorise le ministre des Postes à établir des règle- ments établissant le tarif de port sur toute classe d'«objets transmissibles, y compris les envois pos- taux de lettres», pour laquelle un tarif n'est pas prévu par la Loi sur les postes.
Par conséquent, le ministre des Postes peut éta- blir des règlements en vertu de l'article 6d) pour les envois postaux excédant 16 onces parce que l'article 10 de la Loi sur les postes prévoit un tarif de port pour les lettres jusqu'à ce poids maximum.
De même, l'article 12 de la Loi sur les postes accorde au ministre des Postes le pouvoir d'établir par règlement le tarif de port auquel les journaux et périodiques pour lesquels un tarif de port n'est pas spécifié à l'article 11, peuvent être transmis par la poste.
Voilà donc les cas envisagés par les dispositions de la Loi sur les postes précitées, le ministre des Postes peut, par règlement, établir le tarif de port.
IV. L'article 13 de la Loi sur l'administration financière.
a) l'article 18, chapitre 116, S.R.C. 1952, se lit comme suit:
18. Lorsque Sa Majesté fournit un service à une personne et que le gouverneur en conseil estime que la totalité ou une partie du coût de ce service devrait être supportée par celui qui en est destinataire, le gouverneur en conseil peut, sous réserve des dispositions de toute loi concernant ledit service, prescrire par règlement le droit susceptible d'être imposé en l'occurrence.
b) L'article 6, chapitre 27, S.C. 1968-69, a abrogé l'article 18 et l'a remplacé par le suivant:
18. Lorsque Sa Majesté fournit un service ou procure l'utilisation d'une installation à une personne et que le gouverneur en conseil estime que la totalité ou une partie du coût de fourniture du service ou de l'utilisation de l'installa- tion devrait être supportée par celui qui en est destinataire, le gouverneur en conseil, sur la recommandation du conseil du Trésor, peut,
a) sous réserve des dispositions de toute loi concernant ce service ou l'utilisation de cette installation, prescrire par règlement le droit ou les frais devant être payés par la personne à laquelle est fourni le service ou procurée l'utilisation de l'installation, ou,
b) nonobstant les dispositions de toute loi concernant ce service ou l'utilisation de cette installation, mais sous réserve et en conformité des modalités que peut spécifier le gouverneur en conseil, autoriser le Ministre compétent à prescrire le droit ou les frais devant être payés par la personne à laquelle est fourni le service ou procurée l'utilisation de l'installation.
c) une proclamation en date du 24 juin 1971 a annoncé l'entrée en vigueur des Statuts revises du Canada le 15 juillet 1971.
d) la Loi sur l'administration financière fait partie des Statuts revisés du Canada de 1970 comme étant le chapitre F-10.
e) l'article 18 de la Loi sur l'administration financière adopté par l'article 6, chapitre 27, S.C. 1968-69 et cité à l'alinéa b) précédent, est reproduit textuellement dans les S.R.C. 1970, chapitre F-10, mais il y est devenu l'article 13.
Ainsi, lorsque je renvoie en l'espèce à l'article 13 de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chapitre F-10, je renvoie au texte de l'ancien article 18 reproduit à l'alinéa b) précédent que je n'ai pas besoin de citer à nouveau comme étant l'article 13.
V. Le décret C.P. 1978-883 en date du 23 mars 1978, se lit comme suit:
Enregistrement
TR/78-60 12 avril 1978
LOI SUR L'ADMINISTRATION FINANCIÈRE
Décret autorisant le ministre des Postes à prescrire des frais
C.P. 1978-883 23 mars 1978
Sur avis conforme du ministre des Postes et du conseil du Trésor et en vertu de l'alinéa 13b) de la Loi sur l'administra- tion financière, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil d'autoriser le ministre des Postes:
a) par dérogation à l'article 10 de la Loi sur les postes, à prescrire par règlement le tarif de port applicable à chaque lettre postée au Canada pour livraison au Canada pesant jusqu'à 16 onces à compter du premier avril 1978; et
b) par dérogation à l'article 11 de la Loi sur les postes, à prescrire par règlement le tarif de port applicable, à compter du premier avril 1978, aux journaux et périodi- ques canadiens qui peuvent être transmis par la poste du Canada pour livraison au Canada.
Le décret dit expressément qu'il est établi en vertu de l'article 13b) de la Loi sur l'administra- tion financière. Si on avait prétendu l'établir en vertu de l'article 13a) de cette loi, j'aurais conclu sans hésitation que le décret est ultra vires, pour des raisons qui sont évidentes.
VI. Les modifications en date du 29 mars 1978 que le ministre des Postes a apportées au Règle- ment sur les envois postaux intérieurs de première classe en vertu du décret C.P. 1978-883 (cité à la rubrique V précédente), se lisent comme suit:
Enregistrement
DORS/78-297 29 mars 1978
LOI SUR LES POSTES
Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe—Modification
En vertu du décret C.P. 1978-883 du 23 mars 1978, et de l'article 6 de la Loi sur les postes, il plaît au ministre des Postes d'apporter par les présentes, à compter du le' avril 1978, les nouvelles modifications ci-après au Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe établi le 27 août 1976, par DORS/76-552, dans sa forme modifiée.
Ottawa, le 29 mars 1978
Le ministre des Postes
J. GILLES LAMONTAGNE ANNEXE
1. L'article 6 du Règlement sur les envois postaux inté- rieurs de première classe est abrogé et remplacé par ce-qui suit:
«6. Nonobstant l'article 10 de la Loi sur les postes, le tarif de port applicable à chaque lettre postée au Canada pour livraison au Canada est de:
a) quatorze cents pour toute lettre ne pesant pas plus d'une once;
b) vingt-deux cents pour toute lettre pesant plus d'une once mais pas plus de deux onces;
c) trente-quatre cents pour toute lettre pesant plus de deux onces mais pas plus de quatre onces;
d) cinquante cents pour toute lettre pesant plus de quatre onces mais pas plus de six onces;
e) soixante-six cents pour toute lettre pesant plus de six onces mais pas plus de huit onces;
f) quatre-vingt-deux cents pour toute lettre pesant plus de huit onces mais pas plus de dix onces;
g) quatre-vingt-dix-huit cents pour toute lettre pesant plus de dix onces mais pas plus de douze onces;
h) un dollar et quatorze cents pour toute lettre pesant plus de douze onces mais pas plus de quatorze onces; et
i) un dollar et trente cents pour toute lettre pesant plus de quatorze onces mais pas plus de seize onces.»
Je n'ai pas reproduit l'annexe II substituée à l'annexe II qui a été abrogée. Il s'agit d'une aug mentation substantielle du tarif de port pour les envois de première classe de plus de seize onces.
Le ministre des Postes aurait pu prescrire le tarif prévu à l'annexe II en vertu de l'article 6 de la Loi sur les postes cité à la rubrique I parce que l'article 10 de la Loi (cité à l'alinéa d) de la rubrique II) ne prévoit pas de tarif de port pour les lettres de plus de seize onces, et il aurait pu le faire sans avoir recours au décret C.P. 1978-883 (cité à la rubrique V) qui a lui-même été établi conformé-
ment au pouvoir que confère l'article 13b) de la Loi sur l'administration financière.
J'ai déjà indiqué que si le décret avait été établi en vertu du pouvoir accordé par l'article 13a) de la Loi sur l'administration financière, je n'aurais pas hésité à conclure qu'il est ultra vires à cause des premiers mots de l'article 13a) qui se lisent comme suit: «sous réserve des dispositions de toute loi concernant ce service». La Loi sur les postes, dans son article 10, prévoit un tarif pour ce service. Cependant, des considérations tout à fait différen- tes s'appliquent à l'article 13b) de la Loi sur l'administration financière, dont les premiers mots sont les suivants: «nonobstant les dispositions de toute loi concernant ce service».
VTT. Voici le texte des modifications, également en date du 29 mars 1978, apportées au Règlement sur les objets de la deuxième classe:
Enregistrement
DORS/78-298 29 mars 1978
LOI SUR LES POSTES
Règlement sur les objets de la deuxième classe—Modification
En vertu du décret C.P. 1978-883 du 23 mars 1978, et de l'article 6 de la Loi sur les postes, il plaît au ministre des Postes d'apporter par les présentes, à compter du 1e' avril 1978, les nouvelles modifications ci-après au Règlement sur les objets de la deuxième classe établi le 26 novembre 1968, par DORS/68- 550, dans sa forme modifiée.
Ottawa, le 29 mars 1978
Le ministre des Postes
J. GILLES LAMONTAGNE
ANNEXE
1. L'annexe A du Règlement sur les objets de la deuxième classe est ainsi remplacée:
«ANNEXE A
Tarifs de port—Journaux et périodiques
1. Nonobstant l'article 11 de la Loi sur les postes, les tarifs de port applicables aux journaux et périodiques canadiens transmis- sibles par la poste au Canada sont les suivants:
a) pour un journal quotidien canadien,
(i) quant à la partie non consacrée à la
publicité 7.5e la livre et
(ii) quant à la partie consacrée à la
publicité 22.5e la livre
b) pour un journal hebdomadaire cana-
dien 7.5¢ la livre et
c) pour tous les autres journaux et pério-
diques canadiens 7.5¢ la livre
2. Nonobstant l'article 1,
a) le port minimal pour un objet trans missible par la poste comprenant un ou plusieurs journaux ou périodiques cana- diens visés aux alinéas l a), b) ou c) est de et
b) lorsqu'un journal hebdomadaire cana- dien est publié et posté au Canada dans une ville ou un village dont la population ne dépasse pas dix mille habitants, il est possible de transmettre en franchise par la poste deux mille cinq cents exemplaires de chaque édition du journal aux bureaux de poste n'offrant pas de service de fac- teurs et situés dans un rayon de quarante milles du lieu connu de publication de ce numéro dans cette ville ou ce village.
3. (1) Sauf pour un périodique canadien adressé à titre de distribution massive à des personnes qui n'en ont pas fait la demande, le tarif de port d'un journal ou périodique canadien
a) posté au Canada à des personnes qui en ont fait la demande et
b) transmissible par la poste au Canada à un tarif fixé aux articles 1 ou 2, sauf
(i) s'il n'est pas adressé à un véritable abonné ou à un marchand de journaux connu, au Canada,
(ii) si le prix indiqué de l'abonnement est ordinairement inférieur à cinquante cents par année ou
(iii) si le tirage payé est ordinairement inférieur à cinquante pour cent de son tirage global
est le suivant:
c) jusqu'à 2 oz 4.4¢
d) chaque 2 oz ou fraction en sus (2) Aux fins du paragraphe (1), on entend par «distribution massive» la livraison d'un périodique à des adresses particulières de façon qu'il soit distribué à toutes les person- nes ou à la plupart des personnes d'un secteur donné de livraison postale compre- nant un itinéraire de facteur, une route rurale, un service suburbain, la poste res- tante ou des cases postales à serrure d'une installation postale.
4. Le tarif de port d'un journal ou périodique transmissible par la poste au Canada au tarif visé à ce règlement, sauf s'il ne s'agit pas d'un journal canadien ou d'un périodi- que canadien parce qu'il ne répond pas aux
exigences des alinéas 11(4)a), e), d), e) et J) de la définition de «journal canadien» ou «périodique canadien» visée dans la loi est le suivant:
a) la livre 7.5e ou
b) chaque envoi portant une adresse dis-
tincte soit le plus élevé des deux.
5. Le tarif de port d'un journal ou périodique transmissible par la poste au Canada au tarif visé aux articles 1 ou 2, sauf
a) s'il ne s'agit pas d'un journal canadien ou d'un périodique canadien parce qu'il ne répond pas aux exigences des alinéas 11(4)a), e), d ) , e) et J) de la définition de «journal canadien» ou «périodique cana- dien» visée dans la loi, et
b) s'il ne répond pas aux exigences de
l'alinéa 11(1)J) de la loi,
est le suivant:
c) jusqu'à 2 oz 4.4¢
d) chaque 2 oz ou fraction en sus
6. Le tarif de port d'un journal ou périodique transmissible par la poste au Canada au tarif visé aux articles 1 et 2, sauf s'il ne s'agit pas d'un journal canadien ou d'un périodique canadien visé au paragraphe 11(4) de la loi, est le suivant:
a) jusqu'à 2 lb 4.4¢ pour les premières 2 oz et 30 par 2 oz ou fraction en sus
b) plus de 2 lb mais pas plus de 4 lb 72¢
e) plus de 4 lb le tarif visé à l'alinéa b) et 36¢ par 2 lb ou fraction en sus»
Traditionnellement, le Parlement s'est réservé exclusivement et s'est gardé la prérogative de fixer le tarif de port et a exercé ce pouvoir depuis 1655. Le service postal est un monopole de la Couronne depuis au moins 1660, sous le règne de Charles II.
Ce n'est qu'à l'arrivée des modifications au Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe, DORS/78-297, et au Règlement
sur les objets de la deuxième classe, DORS/78- 298, en date du 29 mars 1978, que l'on s'est écarté de cette tradition.
Cette déclaration n'est pas tout à fait exacte parce qu'en vertu de l'article 10 de la Loi sur les postes, le tarif de port pour une lettre pesant moins d'une once postée au Canada pour livraison au Canada, était de depuis le 1" janvier 1972. L'article 10 de la Loi n'a pas été modifié depuis cette date et pourtant le taux de port pour ces lettres a été successivement porté à 100 puis à 12¢ et le décret DORS/78-297, en date du 29 mars 1978, a porté ce tarif à 14¢. Il y a donc eu deux augmentations apportées au tarif de fixé en vertu de l'article 10 de la Loi sur les postes qui est entré en vigueur le 1" janvier 1972.
Il est donc logique de présumer que les augmen tations intervenues avant l'augmentation à 14¢ ont être établies par des modifications que le minis- tre des Postes a apportées aux règlements en vertu de décrets analogues au décret C.P. 1978-883 en date du 23 mars 1978.
Ces décrets et ses modifications que le ministre des Postes a apportés aux règlements ne sont pas en cause dans le mémoire spécial.
Il est certain que la validité du décret C.P. 1978-883 est mise en cause dans la seconde ques tion posée à la Cour, comme l'est, dans la première question du mémoire spécial, la validité des modi fications apportées aux règlements postaux sur l'initiative du ministre des Postes.
J'ai des réserves quant à la rectitude de la formulation des questions posées.
A la question (i) le point soulevé est celui de savoir si les modifications apportées aux règle- ments DORS/78-297 et DORS/78-298 sont nulles «parce que non autorisées par la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14».
Les modifications aux règlements postaux ont été apportées par l'enchaînement qu'offre l'article 13b) de la Loi sur l'administration financière, d'abord par la délégation du pouvoir législatif au gouverneur en conseil et ensuite par la sous-alléga- tion du pouvoir législatif par le décret au ministre des Postes.
A mon avis il ne fait aucun doute que la Loi sur les postes et la Loi sur l'administration financière relèvent du pouvoir législatif du Parlement du Canada et sont toutes deux finira vires du Parle- ment. De plus, je ne doute aucunement que l'arti- cle 13 de la Loi sur l'administration financière, est intra vires.
Si je saisis bien le problème, les réponses finales doivent reposer sur la question de savoir s'il y a conflit entre les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes adoptés par le chapitre 23, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), d'une part, et l'article 13 de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chapitre F-10 et le décret C.P. 1978-60, d'autre part, et s'il n'y a pas de conflit, alors, s'il y a conflit entre les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes d'une part, et les modifications apportées aux règlements DORS/78-297 et DORS/78-298, qui découlent de l'article 13 de la Loi sur l'administration finan- cière et du décret, d'autre part, et, si oui, comme il appert à première vue, lequel des deux groupes de textes législatifs doit prévaloir.
La réponse à la question de savoir lequel des deux doit prévaloir, repose, à mon avis, sur le sens, la signification et l'efficacité des premiers mots de l'article 13b) de la Loi sur l'administration finan- cière, «nonobstant les dispositions de toute loi con- cernant ce service ou l'utilisation de cette installation,,.
Voilà, à mon avis, à quoi se résume la question qu'il faut trancher.
Je suis donc disposé à fermer les yeux sur ce qui peut être inexact dans la formulation des questions du mémoire spécial parce que la fin qu'il recherche est celle que j'ai signalée et que cette fin ne doit pas être contrecarrée par aucune des inexactitudes mentionnées.
La façon de résoudre le problème signalée pré- cédemment est celle que j'adopterai, mais avant de m'y attaquer, d'autres sujets doivent d'abord être examinés.
L'avocat des demanderesses a cherché à intro- duire en preuve les documents parlementaires suivants:
(1) Le quatrième rapport du Comité mixte permanent sur les règlements et autres textes réglementaires;
(2) L'accord unanime de la Chambre des communes sur le quatrième rapport mentionné;
(3) Le troisième rapport du Comité mixte permanent sur les règlements et autres textes réglementaires; et
(4) La réponse donnée par le ministre des Postes à une ques tion posée par un député le 13 mars 1974, rapportée dans le Hansard.
Les avocats ont convenu que, si je concluais à l'admissibilité de ces documents, ils consentiraient à ce qu'ils soient reçus en preuve en la forme qu'ils revêtaient sans qu'il soit nécessaire de faire la preuve de leur conformité, mais l'avocat du défen- deur s'est réservé le droit de s'opposer à l'admissi- bilité des documents.
C'est ce qui s'est produit. L'avocat des deman- deresses a cherché à introduire les documents en preuve. L'avocat du défendeur s'est opposé à leur admissibilité. La question a été débattue.
J'ai immédiatement refusé d'admettre la réponse du ministre des Postes à une question posée en Chambre le 13 mars 1974. Je l'ai fait pour deux motifs:
(1) le principe bien établi que rien de ce qui est dit au Parlement ne peut servir devant une cour de justice à établir le sens d'une loi, et
(2) la réponse du Ministre à la question était l'expression de son opinion personnelle sur la question même que je suis appelé à trancher.
J'ai également refusé d'admettre en preuve les autres documents mais avec plus d'hésitation.
Je ne vois pas quel droit peut avoir une cour de justice d'entendre une opinion de droit positif sur un motif d'opportunité politique. Le législateur doit prendre des décisions fondées sur l'opportunité politique. Il était peut-être opportun du point de vue politique d'abandonner la tradition de faire fixer par le Parlement les tarifs postaux et de déléguer ce pouvoir. Je crois savoir que les rap ports du Comité permanent condamnent cette pra- tique. Si tel est le cas, le recours approprié se trouve auprès du Parlement. La décision d'un tri bunal ne peut y remédier et la fonction du tribunal consiste à se prononcer sur la validité du texte législatif adopté par voie de règlement, rien de plus.
En l'espèce, je suis appelé à me prononcer sur la validité des textes législatifs adoptés par voie de règlement; pour ce faire je dois étudier les textes
qui, prétend-on, sont incompatibles dans l'ensem- ble. A cet égard, les débats antérieurs et les énon- cés postérieurs d'opinion ne sont pas admissibles.
On m'a signalé que, pour les motifs exposés dans les rapports, le Comité est arrivé à la conclusion provisoire que l'article 13b) de la Loi sur l'admi- nistration financière n'autorise pas la fin atteinte ici.
Il est établi que, pour interpréter la loi, on ne peut avoir recours à ce qui s'est passé devant un comité avant que celui-ci ne tire sa conclusion. Cela présuppose que les arguments que les parties adverses ont présentés avant la conclusion finale du comité ne sont pas admissibles pour interpréter une loi, mais que la conclusion finale l'est.
On a parfois conclu que, pour découvrir l'inten- tion du législateur, il faut s'en remettre unique- ment au libellé de la loi elle-même et à rien d'autre, mais on a parfois eu recours au libellé d'un rapport de commission que l'on a comparé au texte adopté par le législateur et, en cas de diffé- rence marquée entre les deux, on a conclu qu'elle ne pouvait être accidentelle mais qu'elle était intentionnelle.
Suivant la tendance décelée dans des décisions récentes, on peut se référer aux rapports de com mission, mais pour des fins soigneusement exprimées.
En l'espèce, cette jurisprudence aide peu à solu- tionner la question de l'admissibilité des rapports du Comité permanent.
Les rapports qui peuvent être admis doivent être antérieurs à l'adoption d'une loi et on ne peut les invoquer que pour interpréter la loi, pour préciser l'intention du législateur ou pour d'autres fins de ce genre.
En l'espèce, les rapports du Comité ne sont pas antérieurs à l'adoption des lois en question ni aux textes réglementaires établis en application d'une de ces lois. Au contraire, les rapports leur sont de beaucoup postérieurs et, si je me base sur les renseignements que les avocats m'ont fournis pen dant les débats, ils contiennent des énoncés d'opi- nion subséquents, bien que ces énoncés soient
motivés. On m'a également signalé que les conclu sions suivant lesquelles les textes adoptés par voie de délégation et de sous-délégation de pouvoir législatif pouvaient être ultra vires, étaient tout au plus provisoires et sujettes à révision.
Sur ce fondement, j'ai conclu que les rapports sont des énoncés d'opinion subséquents qui, comme je l'ai déjà dit, ne sont pas admissibles.
En outre, les rapports paraissent être des énon- cés d'opinion provisoire sur la question même que je suis appelé à trancher, ce qui est un des motifs qui m'a amené à conclure que la réponse du ministre des Postes à une question en Chambre n'était pas admissible.
Le même raisonnement s'applique avec autant de force aux rapports du Comité permanent, ce qui m'a amené à conclure que les rapports étaient également inadmissibles en preuve.
J'ai toutefois laissé entendre à l'avocat des demanderesses que rien ne l'empêchait de faire sien le raisonnement du Comité qu'il connaissait bien et de faire valoir ces motifs à l'appui de sa prétention que les textes de loi en cause sont nuls.
C'est précisément ce qu'il a fait.
Il a soutenu que l'article 13 de la Loi sur l'administration financière ne s'applique pas aux tarifs postaux principalement parce que le service fourni par les postes n'est pas un «service» au sens de ce mot employé à l'article 13 et qu'il ne s'agit pas d'un service que «Sa Majesté fournit ... à une personne» comme l'exigent les premiers mots de l'article 13.
Si sa prétention est exacte, il s'ensuit que les textes réglementaires en cause sont nécessairement nuls.
Il a soutenu que le service postal n'est pas un «service» parce qu'il n'est pas mis à la disposition de personnes identifiables qui demandent ou reçoi- vent ce service. Au contraire, a-t-il soutenu, le service postal constitue une fonction première et inaliénable du gouvernement mise à la disposition des membres anonymes du grand public et, dans le cas des lettres, il constitue également un monopole en vertu de l'article 8 de la Loi sur les postes.
A partir de ces prémisses, c'est-à-dire que le mot «service» à l'article 13 de la Loi sur l'administra- tion financière est limité à des services précis fournis à des individus identifiables, il a conclu que l'article 13 ne peut s'appliquer au service postal.
Je ne peux m'empêcher de soupçonner qu'il s'agit d'une répétition du raisonnement contenu au rapport du Comité mixte permanent.
Le mot «service» n'est pas employé dans la Loi sur les postes ni à l'article 13 de la Loi sur l'administration financière comme se rapportant à un art ou une science ni dans un sens technique; aussi faut-il lui donner le sens qu'on lui donne dans le langage courant.
Ceci étant, il existe une règle bien établie dans les cours de justice suivant laquelle on peut avoir recours aux dictionnaires pour établir le sens d'un mot employé dans son sens ordinaire.
Dans The Shorter Oxford English Dictionary, 3 e éd., le sens de «service» comme il est employé dans le contexte de la Loi sur les postes, est [TRADUCTION] «... le fait de répondre aux besoins de quelqu'un». C'est la fourniture d'une aide, pro- fessionnelle ou autre, par opposition à la fourniture de biens, de marchandises ou d'effets matériels.
L'article 91(5) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 confère au Parlement la compé- tence législative exclusive sur le «service postal».
Le juge Estey, dans Renvoi relatif à l'applica- tion de la Minimum Wage Act de la Saskatche- wan à un employé d'un bureau de poste à com mission ([1948] R.C.S. 248) dit à la page 270:
[TRADUCTION] L'expression «service postal» ne paraît pas avoir été d'un usage répandu avant la Confédération, mais les opérations postales alors conduites et l'emploi de l'expression «affaires et conventions postales» dans l'Acte du Bureau des Postes (Can. 22 Vict., c. 31, art. 14(16)), indiquent que le Parlement impérial, en adoptant l'expression «service postal»,— une expression d'une signification des plus larges—dans l'arti- cle 91(5) de l'Acte de l'A.N.B., voulait qu'elle soit interprétée de manière suffisamment large pour englober toutes les com- modités et facilités offertes par la poste.
Ainsi, il est clair que le juge Estey a interprété les mots «service postal» comme exprimant leur sens évident et, à mon avis, ils sont suffisamment larges pour couvrir «le privilège exclusif de recueil-
lir, transporter et livrer les lettres dans les limites du Canada» (article 8(1) de la Loi sur les postes). L'exercice de ces activités est englobé dans le mot «service» employé dans son sens ordinaire qui est celui de répondre aux besoins des personnes qui, au Canada, désirent faire livrer des lettres et d'autres objets transmissibles par la poste à l'adresse indi- quée. Ce sont à mon avis des services et des commodités fournis par la poste canadienne sous la direction et le contrôle du ministre des Postes.
L'examen de l'évolution des lois concernant l'établissement et les opérations de la poste con- firme ma conclusion que le fait de fournir le service postal constitue bien un service et une commodité.
Pour interpréter une loi, surtout une loi comme la Loi sur les postes dont l'évolution s'échelonne sur plus de 325 ans, il faut tenir compte de l'histo- rique du texte législatif, de même que de l'inten- tion qui ressort de la loi elle-même, et des motifs qui ont amené son adoption. Il faut tenir compte de la situation à redresser et du redressement lui-même.
Quant à la Loi sur les postes présentement en vigueur, son article 3 prévoit l'établissement d'«un ministère du gouvernement du Canada, appelé ministère des Postes, ayant à sa tête le ministre des Postes».
Le ministre des Postes «a la gestion et la direc tion du ministère des Postes».
Dans une autre affaire, j'ai eu l'occasion de dire que les mots «direction et contrôle» confèrent tous les pouvoirs nécessaires au fonctionnement efficace du Ministère placé sous le contrôle du Ministre.
L'article 5 dispose que «le ministre des Postes doit administrer, surveiller et gérer la poste au Canada et, sans restreindre la généralité de ce qui précède» exercer différentes fonctions énumérées sous les lettres de l'alphabet allant de «a» jusqu'à
«t».
Les activités exercées sous son contrôle sont désignées collectivement par les mots «poste au Canada» (voir l'article 2).
L'article 6h) autorise le ministre des Postes à établir des règlements pour le fonctionnement effi- cace de la poste au Canada et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, à édicter des règle- ments concernant le fonctionnement des bureaux de poste, agences postales et routes postales.
L'article 2 définit un bureau de poste comme étant tout bâtiment, salle, véhicule, boîte aux let- tres ou autre récipient ou endroit autorisé par le ministre des Postes:
... pour le dépôt, la réception, le tri, la manutention ou l'expédition du courrier.
Comme je l'ai déjà mentionné, l'article 8 accorde au ministre des Postes:
... le privilège exclusif de recueillir, transporter et livrer les lettres dans les limites du Canada.
En vertu de l'article 2, «port» signifie la taxe exigible pour la manutention et la transmission du courrier et tous frais exigibles pour un service rendu par la poste au Canada.
Cela signifie évidemment une taxe payable par la personne qui a recours à la poste pour la manu- tention, la transmission et finalement la livraison du courrier et pour tout autre service fourni par la poste.
J'ai fait observer précédemment que les activités de la poste constituent un service et une commo- dité offerts par la poste pour répondre aux besoins des personnes qui, au Canada, désirent faire livrer des objets transmissibles à l'adresse indiquée; les dispositions de la Loi sur les postes auxquelles je viens de renvoyer confirment cette conclusion.
La poste fournit les services décrits dans la loi et il en est de même des installations nécessaires pour fournir ce service.
Compte tenu de ces dispositions, je ne vois pas comment ce service devrait se limiter à des person- nes identifiables qui demandent ou reçoivent ce service.
Ces services sont accessibles à toutes les person- nes qui, se trouvant au Canada, désirent utiliser le service offert et consentent à en acquitter les frais. La nature même de certains services offerts par la poste, comme la retenue de courrier pendant des absences, les cartes A.R. du courrier recommandé, et autres du même genre, exige que leurs usagers s'identifient, mais ce n'est certainement pas le cas
pour les personnes qui adressent correctement une lettre, l'affranchissent suffisamment et la déposent dans une boîte aux lettres.
A l'origine, au Royaume-Uni, la Couronne four- nissait des messagers pour transporter le courrier de Londres jusqu'à quelques villes principales.
Le texte de loi d'où origine le premier service postal a été établi par Oliver Cromwell, agissant à titre de lord-protecteur, par une ordonnance de 1654 qui accordait à John Manley:
[TRADUCTION] Le soin et le privilège exclusifs du port et du transport de toutes les lettres et de tous les paquets, internes et externes, quel qu'en soit l'expéditeur ou le destinataire
pendant deux ans.
Pour ce privilège, Manley payait au Common wealth la somme annuelle de 10,000 livres (voir Actes et Ordonnances de l'interrègne).
Manley était évidemment un entrepreneur indé- pendant. Le monopole a être profitable et nul doute que les droits annuels se sont ajoutés au revenu de Cromwell pour le soutien de l'armée dont il s'était servi pour licencier le Parlement qui ne s'était pas rendu à ses désirs. Malgré le fait que Cromwell ait été membre du Parlement et opposé à la théorie de Charles II suivant laquelle il tenait son pouvoir de Dieu, Cromwell n'adhérait pas à la doctrine de la suprématie du Parlement lorsqu'il ne servait pas ses propres fins. Dans l'Act for the Constitution of the Commonwealth, on offrit à Cromwell le titre de roi avec droit de nommer son successeur. Il refusa le titre de roi mais adopta celui de lord-protecteur. Même s'il avait participé à la signature du mandat d'exécution de Charles I, Cromwell n'était pas opposé à recevoir le titre de Son Altesse, amputé du mot «royale», et c'est ainsi qu'on le décrit dans cette ordonnance. A sa mort, son troisième fils, Richard, qui avait été formé à cette fin, lui a succédé comme lord-protecteur, mais Richard ne s'est pas maintenu longtemps au pouvoir parce qu'il ne pouvait, comme son père l'avait fait, contrôler un Parlement récalcitrant; aussi démissionna-t-il.
A la restauration, le monopole des postes a été rétabli.
Le préambule de 12 Car. II, c. 35 énonce que la poste privée a donné lieu à de nombreux inconvénients.
C'était la situation à redresser et cette loi a prévu le redressement.
L'article 1 a établi à Londres un Bureau général des lettres:
[TRADUCTION] ... d'où toutes les lettres et tous les paquets quels qu'ils soient peuvent être expédiés avec rapidité et dili gence dans toutes parties des royaumes d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, ou dans tout autre Dominion de Sa Majesté ou dans tout royaume ou pays au-delà des mers, auxquels bureaux tous les retours et réponses peuvent être de la même manière reçus, et qu'un maître dudit bureau général des lettres sera de temps à autre nommé par Sa Majesté le Roi, ses héritiers et successeurs pour devenir ou constituer, par lettres patentes émises sous le Grand Sceau de l'Angleterre le maître-général des Postes de Sa Majesté.....
Également en vertu de l'article 1, un des maîtres du Bureau général des lettres devait être nommé par lettres patentes et désigné comme [TRADUC- TION] «maître-général des Postes de Sa Majesté» et, en vertu de l'article 7, [TRADUCTION] «Nulle personne ... autre que le maître-général des Postes ... son suppléant et ses suppléants ou man- dataires ne doit prétendre transporter et livrer des lettres contre rémunération».
C'est encore une situation de monopole mais, cette fois, en faveur de la personne désignée par la Couronne.
L'article 15 exige que, dans l'exécution de ses fonctions, le maître-général des Postes observe les règles et directives établies par le Roi.
La fonction de maître-général des postes pouvait être transmise par voie d'héritage et la Couronne avait le pouvoir de concéder cette fonction ainsi que les profits en provenant moyennant les rede- vances qu'elle estimait appropriées pour [TRADUC- TION] «l'avantage et le bénéfice du Royaume».
La Loi 12 Car. II, c. 35 a été abrogée par 9 Anne c. 10 et pour la première fois le monopole a été étendu à toutes les colonies britanniques.
L'article 4 autorise le maître-général des Postes à tenir un bureau principal des lettres à New York et [TRADUCTION] «d'autres bureaux principaux à des endroits appropriés dans chacune des provinces de Sa Majesté ou de ses colonies en Amérique» et à nommer des suppléants en nombre suffisant pour assurer [TRADUCTION] «la gestion, l'ordre, le recouvrement et l'augmentation du revenu».
Cette loi adoptée sous Anne a établi des tarifs pour le transport du courrier, dont le paiement incombait à la personne qui recevait la lettre et celle-ci pouvait être poursuivie pour non-paiement du port. A cette époque, la correspondance revêtait une certaine importance et les destinataires ne subissaient pas la pollution postale que nous con- naissons aujourd'hui.
Le maître-général des Postes était tenu de verser à l'Échiquier la somme de 700 livres par semaine et de tenir des comptes appropriés. Un tiers de ce qui dépassait une somme désignée était réservé au Parlement pour l'usage du public.
Par cette loi, le maître-général des Postes était tenu d'obéir à- tous les ordres, décisions, directives et instructions concernant la poste qu'il recevait de la Couronne.
En 1839, par 2 & 3 Vict., c. 52, le Parlement du Royaume-Uni a autorisé les lords du Trésor à fixer les tarifs postaux jusqu'en octobre 1840.
C'est la première fois que les tarifs postaux pouvaient être fixés par une personne ou entité autre que le Parlement.
En 1840 était adoptée une loi établissant de nouveaux tarifs de port payables sur le courrier au Royaume-Uni. Cela marque un retour à la fixation des tarifs de port par le Parlement mais, du même coup, on prévoyait que le maître-général des Postes pouvait exiger pour le port de lettres à l'intérieur d'une colonie les frais que les commissaires du Trésor de Sa Majesté pouvaient fixer par ordonnance.
En 1844, l'Act for the Better Regulation of Colonial Posts, 7-8 Vict., c. 49, confirmait le pouvoir des commissaires du Trésor de fixer les tarifs de port à l'intérieur d'une colonie et leur donnait le pouvoir de modifier ces tarifs.
Par 12-13 Victoria c. 66, adopté en 1849, les législatures coloniales ont reçu le pouvoir d'adop- ter des lois pour établir un service postal à l'inté- rieur de la colonie en assumant le contrôle d'un service postal existant.
Ainsi les colonies pouvaient diriger leur propre service postal.
C'est ce que la province du Canada a rapide- ment fait par loi adoptée en 1850 [13-14 Vict. c. 17] qui prévoit:
... que les postes et communications postales intérieures dans cette province, en autant que cela ne répugnera pas aux actes du parlement du Royaume-Uni en force en icelle, seront exclu- sivement sous le contrôle et l'administration du gouvernement provincial;...
En vertu de cette loi de 1850, le port provincial sur les lettres ne pouvait excéder 3 «deniers» et, sur les journaux, le tarif devait demeurer tel qu'il était jusqu'à ce qu'il soit modifié par règlement établi en vertu de la Loi. En vertu du règlement, le port pouvait être diminué mais non augmenté.
Cette loi prévoyait la livraison à domicile; quant à ce service, le gouverneur en conseil était autorisé à promulguer des ordonnances et règlements con- cernant le tarif à payer par les personnes qui préféraient recevoir leurs lettres et colis à domicile plutôt qu'aller les réclamer au bureau de poste.
Il s'agissait à mon avis d'un service fourni par la poste à des personnes identifiables pour lequel des frais étaient réclamés.
L'article 9 de cette loi prévoit que le maître- général des postes provincial «aura seul et exclusi- vement le privilège de transporter, recevoir, recueillir, envoyer et remettre des lettres en cette province».
Cet article répète les dispositions antérieures en ce sens en des termes presque identiques sauf quelques variantes dictées par les circonstances et les termes de cet article ont été repris dans toutes les lois fédérales subséquentes sauf encore une fois les variantes que commandaient les circonstances.
L'effet et l'intention sont demeurés les mêmes.
A la Confédération, le Parlement du Canada a adopté en 1867 une loi intitulée: «Loi pour régler le Service Postal».
Cette loi a été modifiée et codifiée en 1875 par une loi intitulée: «Acte pour amender et refondre les statuts relatifs au Service Postal».
Dans les Statuts revisés de 1886, l'intitulé au complet a été modifié pour devenir: «Loi concer- nant le service des postes».
Les Statuts revisés de 1952 et de 1970 emploient le titre: «Loi concernant la poste au Canada».
A l'article 2, S.C. 1951 c. 57; à l'article 2, S.R.C. 1952 c. 212 et à l'article 2, S.R.C. 1970 c. P-14, les expressions «poste au Canada» ou «postes canadiennes» sont définies comme signifiant «l'ac- tivité exercée sous la direction et le contrôle du ministre des Postes». J'ai déjà renvoyé à l'article 2(1) S.R.C. 1970, c. P-14.
L'Acte du Bureau des Postes, 1867 a créé un ministère des Postes chargé «de la surveillance et de l'administration du service postal du Canada, sous la direction d'un maître-général des postes».
Les refontes de 1875, 1886, 1906 et 1927 reprennent les mêmes termes.
Dans la Loi sur les postes, 1951, une légère modification a été apportée. Le ministre des Postes a été autorisé à administrer, surveiller et gérer la poste au Canada.
L'esprit de la loi est le même dans les articles 3 et 4 de la Loi sur les postes, S.R.C. 1952, c. 212 et les articles 3 et 4 de la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14.
L'article 32 de la Loi de 1867 a prévu le mono- pole conféré au ministre des Postes.
Ce monopole a été conservé dans tous les autres textes de loi pour être repris finalement à l'article 8(1), S.R.C. 1970, c. P-14, que j'ai déjà cité.
A mon avis, ce que le ministre des Postes est autorisé à fournir en vertu de ce monopole conféré par la loi, c'est le service offert au public au Canada, et tout membre de ce public peut utiliser ce service. C'est une description du service.
L'article 28 de la Loi de 1867 prévoyait que le port de toute lettre devait être payé au maître- général des Postes par le destinataire s'il n'avait pas été acquitté à l'avance par l'expéditeur.
En vertu de la Loi de 1875 et dans la refonte de 1886, c. 7, art. 19, le tarif de pour les lettres de moins d'une demi-once a été établi et on y pré- voyait le paiement à l'avance par timbre-poste et, en cas d'insuffisance de ce paiement, le double de la différence devait être recouvré du destinataire.
L'article 33(2) de la refonte de 1875 fixait un droit de par lettre de pour chaque journal ou pamphlet livré à domicile.
Les mêmes dispositions ont été reprises dans les refontes de 1886 et de 1906.
Cependant, en vertu de 4 Ed. VII, c. 30, S.C. 1904, le ministre des Postes était autorisé à créer un système de livraison gratuite par facteur. Lors- que le système serait établi, aucun frais ne devait être exigé pour la livraison de lettre. Apparem- ment, il a fallu plus de deux ans pour mettre au point le système de livraison à domicile parce que la refonte de 1906 prévoyait encore des frais pour ce service.
Depuis l'Acte du Bureau des Postes, 1867, les lois fédérales concernant le recouvrement et la gestion du revenu public et la vérification des comptes publics ont été applicables à la poste et aux personnes employées dans sa gestion.
Cette revue de l'évolution législative de la poste confirme la conclusion que j'ai déjà tirée suivant laquelle la poste fournit un service au sens de ce mot employé à l'article 13 de la Loi sur l'adminis- tration financière et a toujours été considérée comme un service depuis 1645.
L'avocat des demanderesses a soutenu que l'arti- cle 13 de la Loi sur l'administration financière se limite à un service ou une installation que «Sa Majesté fournit ... ou procure». C'est bien le cas. Mais il poursuit en disant que l'expression «Sa Majesté» employée dans une loi canadienne, n'en- globe pas l'expression «ministre des Postes».
Me fondant sur la revue de l'évolution législative concernant la poste et sur un examen des disposi tions de la Loi sur les postes présentement en vigueur, j'estime que cette prétention n'est pas soutenable.
La Couronne fournit le service postal depuis 1645. J'assimile Oliver Cromwell, à titre de lord- protecteur, à la Couronne. Il a pris le titre de Son Altesse mais, dans ce cas précis, il a effectivement agi par l'intermédiaire du Parlement. Le contrat de transport de courrier accordé à John Manley par l'Ordinance of the Interregnum a pu être un contrat portant sur l'exécution d'un service plutôt
qu'un contrat de service parce que je ne peux y déceler aucun élément déterminant de contrôle, même s'il y est déclaré que la fonction de maître des postes internes et externes devait relever du pouvoir exclusif du Parlement et même si le Con- seil d'État a effectivement, par contrat spécial, cédé et donné à bail lesdites fonctions à John Manley.
12 Car. II, c. 35 dissipe tout doute possible.
Un des maîtres du Bureau général des lettres a été nommé par lettres patentes au poste de «Maî- tre-général des postes de Sa Majesté» et, dans l'exécution de ses fonctions, il était tenu de se conformer aux règles et directives que le Roi éta- blirait de temps à autre. Par conséquent, il était nettement un préposé de la Couronne et il en résulte que le service était fourni par la Couronne par l'intermédiaire de ses préposés.
A mon avis, il n'y a pas eu de changement depuis cette époque et la même situation prévaut aujourd'hui.
La prétention de l'avocat des demanderesses porte essentiellement que c'est le ministre des Postes et non Sa Majesté qui fournit le service postal.
L'article 3 de la Loi sur les postes, précité, établit un ministère du gouvernement du Canada, appelé ministère des Postes, ayant à sa tête le ministre des Postes. Le ministre des Communica tions est le ministre des Postes; il a la gestion et la direction du ministère des Postes.
L'article 5(1) accorde et confie au ministre des Postes l'administration et la surveillance de la poste au Canada. La poste au Canada est définie comme signifiant l'activité exercée sous la direc tion et le contrôle du ministre des Postes.
Le ministre des Communications (qui est égale- ment ministre des Postes) est un ministre de la Couronne nommé par lettres patentes émises sous le Grand Sceau.
Dans Jones & Maheux c. Gamache ([1969] R.C.S. 119) le juge Pigeon, rendant la décision de
la Cour, a conclu que le ministre des Transports était un «fonctionnaire» de la Couronne au sens de l'article 29c) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier. A mon avis, cette décision renversait des décisions antérieures de la Cour de l'Échiquier. On peut logiquement aller un peu plus loin et conclure que si un ministre est un fonctionnaire de la Couronne il en est également un préposé. Plusieurs décisions vont dans ce sens.
Dans Fraser c. Balfour ([1918] L.J.K.B. 1116) le lord Chancelier (lord Finlay) a rejeté en Cham- bre des Lords une action contre le Premier lord de l'Amirauté.
Il dit à la page 1118:
[TRADUCTION] En ce qui concerne le paragraphe de la déclaration concernant l'emprisonnement que l'on prétend injustifié, il est tout à fait clair et bien établi en droit qu'il n'y a pas de droit d'action contre le chef d'un ministère du gouverne- ment pour un acte préjudiciable accompli par un fonctionnaire subalterne. Le rapport de maître à serviteur n'existe pas entre eux. Tous deux sont au service de la Couronne.
Avant l'introduction de la Loi sur la responsa- bilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, la maxime que «le Roi ne peut mal faire» empêchait un sujet de poursuivre la Couronne lorsqu'il avait subi des dommages à la suite de la négligence d'un préposé de la Couronne.
Pour se soustraire à cette maxime, on a pour- suivi nombre de fois le ministre des Postes en se fondant sur la théorie que les employés de la poste étaient des employés du ministre des Postes, de sorte que la négligence d'un employé de la poste pouvait être imputée au ministre des Postes en sa qualité officielle. La ratio decidendi de ces déci- sions est qu'un employé de la poste est un préposé de la Couronne et non un préposé du ministre des Postes qui est lui-même un préposé de la Cou- ronne, et que tous deux sont des préposés de la Couronne.
Dans Lane c. Cotton ([1701] 91 E.R. 1332) on a jugé qu'un maître-général des Postes n'était pas responsable envers un sujet de la perte occasionnée par la faute d'un préposé. Le lord juge en chef Holt était dissident.
Whitfield c. Lord le Despencer ([1778] 98 E.R. 1344) fait jurisprudence en la matière et contient un examen revêtu d'autorité de toutes les lois concernant la poste à partir de l'ordonnance de
Cromwell, 12 Car. II, c. 35, jusqu'aux lois adop- tées sous le règne d'Anne (que j'ai toutes mention- nées précédemment).
On a jugé qu'il n'y a pas de droit d'action contre le maître-général des Postes pour un billet de banque volé par un des préposés au tri d'une lettre livrée au bureau de poste.
Lord Mansfield a examiné la question sous deux aspects: (1) de la façon dont elle se présentait en 1699 avant l'arrêt Lane c. Cotton (précité) et (2) de la façon dont elle se présentait après cet arrêt et ce qui a été fait par suite de cette décision.
Il rapporte la page 1349] que: [TRADUC- TION] «la poste a été mise sur pied pendant l'usur- pation, par une ordonnance de Cromwell, et par la suite elle a été réglementée plus à fond par la loi 12 Car. 2, c. 35». Lane c. Cotton fut la première action intentée en vertu de l'ordonnance ou de la loi. Cette action n'était pas une réclamation contre le «fonds» comme on l'a fait valoir dans Whitfield c. Lord le Despencer. (Par réclamation contre le «fonds» je comprends une réclamation contre le «revenu».) Lord Mansfield dit plutôt qu'il s'agissait d'une réclamation contre le maître de poste per- sonnellement, fondée sur une négligence résultant de ses propres actes, ou par interprétation, de la faute de son préposé. Si le fonds était de la nature d'une police d'assurance qui assurerait tout usager de la poste contre les pertes par vol ou négligence, les pertes que représente cet événement seraient prélevées sur le fonds et une action intentée contre les bonnes personnes serait accueillie, mais ici la Loi du Parlement a affecté la totalité du revenu. Donc, si une perte est payée, elle doit constituer un poste de dépense et ce poste doit figurer dans l'affectation.
Commentant l'opinion dissidente du lord juge en chef Holt, lord Mansfield, après avoir dit que l'action se fondait sur la prétention que le maître de poste, comme conséquence du salaire qu'il rece- vait, était responsable de tous les dommages qui peuvent survenir, qu'ils soient dus à la négligence ou à la malhonnêteté des personnes qu'il emploie pour faire fonctionner le bureau, a ajouté ceci la page 1349]:
[TRADUCTION] Mais le raisonnement du lord juge en chef Holt, qui a différé d'opinion dans Lane c. Cotton, ne va pas aussi loin; en effet, il voit une distinction entre le cas d'une lettre perdue dans le bureau par un préposé du maître de poste
et celui d'une perte survenue sur la route ou à l'occasion d'un vol de courrier après que la lettre est bien ressortie du bureau. L'opinion émise par le lord juge en chef Holt dans cette affaire se fonde sur la comparaison qu'il établit entre la situation du maître de poste et celle du voiturier public ou du capitaine d'un navire qui accepte des marchandises à bord en contrepartie d'un fret. Sauf le respect qui sied à une si belle opinion, la comparaison entre un maître de poste et un voiturier ou le capitaine d'un navire ne tient aucunement selon moi. Le maître de poste n'a aucun engagement, ne passe aucun contrat, ne transporte aucune marchandise et n'exploite aucun commerce. En revanche, la poste est une division du revenu et de la police, créée par une loi du Parlement. A titre de division du revenu, il lui échoit des recettes importantes; mais le public tire aussi de ce fonds beaucoup plus de bénéfices et d'avantages.—A titre de division de la police, elle place de rares exceptions près) toute la correspondance du Royaume sous la responsabilité du gouvernement et elle en confie la gestion et la direction à la Couronne et aux employés nommés par la Couronne. Il n'y a donc pas d'analogie entre un maître de poste et un voiturier.— La division du revenu et la division de la police doivent être dirigées par des employés différents. Le supérieur nomme les employés subalternes; mais ils fournissent caution à la Couronne.
Commentant ce passage, mon collègue le juge Mahoney dans La Fédération canadienne de l'en- treprise indépendante c. La Reine ([1974] 2 C.F. 443,à la page 450) dit, dans une note en bas de page:
Il est évident que le mot «police» est utilisé dans son sens le plus ancien englobant le concept de gouvernement organisé ou d'administration civile.
Plus loin, lord Mansfield dit la page 1350]:
[TRADUCTION] Quant à une action contre la partie qui a réellement causé le préjudice (en l'espèce le préposé au tri), il ne peut y avoir de doute; .... Il en est de même du maître de poste pour toute faute personnelle. Ici, aucune négligence per- sonnelle n'est imputée aux défendeurs et l'action n'est pas fondée sur ce motif; elle est uniquement fondée sur une négli- gence par interprétation de l'acte accompli par leurs préposés. Pour réussir, il faut donc démontrer qu'il s'agit d'une perte que doit supporter le maître de poste, ce qui n'est certainement pas le cas. Passons maintenant à l'argument fondé sur le salaire que touchent les défendeurs. En matière de revenu et de police relevant d'une loi du Parlement, le salaire attaché au poste vise uniquement à payer les efforts que comporte l'exécution du travail. Le cas d'un maître de poste n'est donc en aucune manière analogue à celui d'un voiturier; le maître de poste est comme tous les autres fonctionnaires publics, comme les lords commissaires du Trésor, les commissaires des Douanes et Acci- ses, les vérificateurs de l'Échiquier, etc. que l'on n'a jamais cru responsables de la négligence ou de l'inconduite des fonction- naires subalternes de leurs différents ministères.
Il ne fait aucun doute qu'en vertu de la Loi sur les postes actuelle, le revenu tiré de l'exploitation de la poste est un revenu de la Couronne. Cela ressort de façon évidente de la disposition de l'Acte
du Bureau des Postes, 1867 concernant l'obliga- tion de rendre compte qui a été reprise systémati- quement dans toutes les lois subséquentes y com- pris les Statuts revisés du Canada de 1970.
A la suite des commentaires de lord Mansfield concernant la responsabilité possible du fonds que l'on avait soulevée devant lui et portant qu'un préposé des postes est personnellement responsable de sa négligence (y compris le ministre des Postes), il est intéressant de noter que, sans doute à la suite de ces considérations, les alinéas 1) et s) de l'arti- cle 5 de la Loi sur les postes donnent au ministre des Postes le pouvoir de:
s. ...
1) établir et maintenir une caisse provenant de sommes reçues des employés de la poste et payer, sur la caisse, les pertes subies par suite du manquement ou de la négligence de tout employé de la poste, ou entrepreneur de transport postal, dans l'exécution de ses fonctions à l'égard de toute matière relative aux postes canadiennes;
s) payer, sur les recettes postales, les pertes résultant de l'incendie, du vol ou d'un faux; ...
L'alinéa 1) envisage un fonds d'assurance consti- tué des contributions des employés de la poste pour protéger un employé des effets d'une poursuite réussie contre lui pour une faute qu'il aurait commise.
Puisque le revenu de la poste est un revenu de la Couronne et a été ainsi affecté, l'alinéa s) consti- tue un poste exempté de cette affectation.
A mon avis, la décision rendue dans Whitfield c. Lord le Despencer est une source autorisée qui permet de dire que le ministre des Postes est un préposé de la Couronne et que les employés du ministère des Postes sont également des préposés de la Couronne et non du ministre des Postes et cette proposition a toujours été suivie dans les décisions subséquentes.
Dans Bainbridge c. Postmaster General ([1906] 1 K.B. 178) qui porte sur la situation du ministre des Postes agissant à ce titre, le Maître des rôles Collins, à la page 187, résume ainsi qu'il suit les jugements de la majorité dans Lane c. Cotton:
[TRADUCTION] Le juge Gould qui est le premier à exprimer son avis dit à la page 648 du recueil: «Si cette action se fonde sur quelque chose, ce doit être sur un contrat exprès ou tacite; mais ici on ne retrouve ni l'un ni l'autre, La sécurité du tri repose sur la réputation de solvabilité du bureau que l'on retrouve dans la Loi. Breese» (le délinquant) «est un employé au même titre que les défendeurs, mais ceux-ci sont des fonction-
naires supérieurs. Mais Breese est l'employé du Roi, et s'il existe un contrat c'est entre le demandeur et Breese; c'est ce qui ressort de la Loi qui assigne différentes fonctions à tous et fait confiance à tous. Ils se rapprochent donc d'un groupe d'em- ployés agissant à différents titres; et chacun ne répond que de lui-même, l'un ne répondant pas des actes de l'autre comme dans le cas du doyen d'un chapitre, 1 Edward V., 5a. Si les défendeurs étaient décédés, Breese serait demeuré un employé; son poste et ses fonctions sont donc attachés à sa personne et il n'est pas un fondé de pouvoirs des défendeurs.» Puis, à la p. 650 du recueil, le juge Powys dit: »Les défendeurs n'ont pas le pouvoir de diriger le bureau à leur discrétion; ils sont soumis au contrôle du Roi et du Trésor. Parce que les employés subalter- nes sont des serviteurs du Roi, et non des défendeurs, leur salaire leur étant versé par prélèvement sur le revenu des postes, et puisqu'ils fournissent caution au Roi, il n'est pas logique que les défendeurs doivent répondre des actes des employés subalternes.» Le juge Turton a formulé une opinion dans le même sens d'où il résulte que, puisqu'il n'y a pas de rapport de maître à serviteur, ou de mandant à mandataire, entre un employé subalterne de la Couronne et son supérieur, on a conclu que l'employé supérieur n'était pas responsable de l'acte qu'avait accompli l'employé subalterne dans cette affaire; et le même principe s'applique, que la réclamation ait un fondement délictuel ou contractuel. Étant tous également des serviteurs de la Couronne, ils ne sont pas serviteurs les uns les autres.
La dernière phrase est particulièrement impor- tante, savoir: [TRADUCTION] «Étant tous égale- ment des serviteurs de la Couronne, ils ne sont pas serviteurs les uns les autres.»
Dans Postmaster General c. Robertson ((1878) 41 U.C.Q.B. 375) le juge Morrison, dans ses motifs de jugement auxquels ont souscrit le juge en chef Harrison et le juge Wilson, dit à la page 377:
[TRADUCTION] de ne vois rien qui me permette de conclure, comme le soutiennent les défendeurs, que le maître-général des postes en sa qualité officielle ne peut devenir cessionnaire d'un droit d'action pour le bénéfice de la Couronne qu'il représente dans l'exercice des devoirs et fonctions de sa charge. [C'est moi qui souligne.]
Dans Treifus & Co., Ltd. c. Post Office ([1957] 2 All E.R. 387), le lord juge Parker dit à la page 394:
[TRADUCTION] Il est évident que le ministre des Postes est dans une situation tout à fait différente d'un simple particulier. Il est responsable envers la Couronne du fonctionnement d'un service public et, incidemment, d'un monopole. Les sommes que verse le public constituent un revenu.
Dans Renvoi relatif à l'application de la Mini mum Wage Act de la Saskatchewan â un employé d'un bureau de poste à commission ([1948] R.C.S. 248) le litige portait sur la question de savoir si les dispositions de la Minimum Wage Act de la Saskatchewan étaient applicables à une per-
sonne, Leo Fleming, qui avait été temporairement au service de Mme Graham, la maîtresse de poste à Maple Creek (Saskatchewan), et que la Commis sion du service civil avait nommé pour l'aider dans la manutention de l'abondant courrier de Noël. Si Leo Fleming était une personne «employée à des opérations de la poste au Canada» alors la loi de la Saskatchewan concernant le salaire minimum ne
lui était pas applicable.
Le juge Taschereau dit à la page 257:
[TRADUCTION] Il est reconnu que Fleming a été nommé adjoint et payé par M" 1 e Graham, mais je ne crois que cela puisse avoir une importance sur le litige. Bien qu'il ait été rémunéré de cette façon, il demeure que Fleming faisait partie du «service des Postes». Il faisait partie de l'organisme créé par le Parlement pour manutentionner le courrier et il était égale- ment, comme le dit l'article 2c) de la Loi «une personne employée à des opérations». ... Le fait qu'il ait été payé par Mme Graham ne change pas la nature des fonctions qu'il était appelé à exécuter. ... Le mode de paiement adopté en l'espèce est une question d'administration interne et le rapport contrac- tuel de l'emploi de Fleming ne signifie pas qu'il n'était pas un «employé des postes du Canada».
Le juge Rand (donnant son propre avis et celui du juge Locke) dit à la page 262:
[TRADUCTION] Si la maîtresse de poste n'avait pas fait partie du service civil mais avait conclu un contrat en vertu duquel on pourrait dire que le travail postal à Maple Creek lui avait été cédé à bail à titre d'entrepreneur indépendant, il se pourrait que toute personne appelée à l'aider ait été engagée à son service. Mais ici elle agit à titre d'employée du gouvernement; et comme elle ne s'est pas engagée à exécuter personnellement tout le travail postal à Maple Creek, on ne peut dire que l'adjoint l'aide à faire son propre travail. Quand l'adjoint est embauché, le rapport contractuel limité qui existe entre la maîtresse de poste et lui-même est complété par celui de son autorité dans le bureau de poste; il devient un employé de la Couronne à toutes fins, sauf pour ce qui est de la rémunération et du manquement à ses engagements. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Rand ajoute à la page 263:
[TRADUCTION] Dans la présente espèce, la maîtresse de poste ne dirige aucune entreprise ou service qui lui soit propre dont l'employé fait ou peut faire partie;
Le juge Kellock dit à la page 266:
[TRADUCTION] A mon avis, il est évident qu'en vertu de ces dispositions législatives, une personne embauchée comme l'a été Fleming, devient un préposé de la Couronne. Le fait qu'il ait été payé directement par la maîtresse de poste, bien que ce soit indirectement par la Couronne, ne change pas son statut de préposé direct de la Couronne soumis à son contrôle.
Lane c. Cotton date de 1701 et Whitfield c. Lord le Despençer de 1778. Ces décisions valent toujours et ont été suivies depuis. Elles portent
qu'un employé de la poste est un préposé de la Couronne et non du ministre des Postes qui lui- même est un préposé de la Couronne et, par conséquent, il n'y a pas de rapport entre le préposé et le ministre des Postes, le seul rapport existant étant avec la Couronne elle-même, tous deux étant des préposés de la Couronne.
Une jurisprudence ininterrompue de quelque 278 ans conforme à des principes bien établis ne peut être mise de côté, encore moins par moi qui suis lié par cette jurisprudence.
Je conclus donc, me fondant sur l'examen et l'analyse qui précède
(1) des dispositions de la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14;
(2) de l'évolution législative concernant la création et l'ex- ploitation de la poste; et
(3) des arrêts auxquels j'ai fait référence;
que le service postal a toujours été un service et un service fourni par la Couronne depuis l'époque de Charles II.
Ceci étant, il en résulte que le service postal entre dans le cadre des premiers mots de l'article 13 de la Loi sur l'administration financière à titre de service ou de commodité fournis par Sa Majesté à toute personne au Canada et que les demande- resses ne peuvent prétendre le contraire.
Cela ne clôt pas la question.
L'avocat des demanderesses a soutenu que les dispositions de la Loi sur les postes, particulière- ment ses articles 10 et 11 qui prescrivent expressé- ment des tarifs de port applicables aux lettres, journaux et périodiques, doivent l'emporter sur l'article 13 de la Loi sur l'administration finan- cière, sur le décret C.P. 1978-883 adopté par le gouverneur en conseil le 23 mars 1978 en vertu de l'article 13b) de la Loi sur l'administration finan- cière et sur les modifications DORS/78-297 et DORS/78-298 apportées au Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe et au Règlement sur les objets de la deuxième classe par le ministre des Postes le 29 mars 1978 en application du décret C.P. 1978-883.
Pour ce faire l'avocat des demanderesses men- tionne et invoque des principes bien connus appli-
cables à la validité des lois et à leur interprétation. J'accepte d'emblée ces principes.
Cependant, je dois résoudre le problème de l'ap- plication de ces principes à l'affaire dont je suis saisi.
Suivant le premier principe cité par l'avocat des demanderesses, le Parlement du Canada, dans le champ de sa compétence législative, constitue l'au- torité suprême. Le Parlement a le droit de chan- ger, modifier et abroger les lois existantes. Sous réserve des limites exposées à l'Acte de l'A.N.B., il n'y a pas de loi que le Parlement ne puisse adopter ou abroger.
Il découle de ce principe qu'un parlement anté- rieur ne peut lier un parlement subséquent. Ainsi, tout parlement subséquent peut abroger la Décla- ration canadienne des droits, qui n'est qu'une loi, la Loi sur les langues officielles, l'abolition de la peine capitale et d'autres lois du même genre de même que toute autre loi. Si par exemple une loi disposait qu'il sera illégal d'abroger cette loi ou de l'abroger avant un certain nombre d'années, cette disposition serait nulle et sans aucun effet.
Comme autre conséquence de cette prémisse incontestable, nous retrouvons la règle fondamen- tale suivant laquelle les lois subséquentes abrogent les lois antérieures qui leur sont incompatibles ou qui viennent en conflit avec elles. Les tribunaux se sont efforcés d'interpréter les textes émanant du Parlement de manière à éviter l'incompatibilité et à éviter ainsi l'abrogation implicite de la loi anté- rieure avec laquelle la loi subséquente vient en conflit.
L'avocat des demanderesses a signalé que l'arti- cle 13 de la Loi sur l'administration financière dans sa forme actuelle a été adopté par l'article 6, S.C. 1968-69, c. 27, qui a reçu la sanction royale le 28 mars 1969. Le 28 mars 1969 est donc la date réelle d'entrée en vigueur de l'article 13.
L'article 10 de la Loi sur les postes, S.R.C. 1952 a été abrogé et remplacé par l'article 10 actuel en vertu de l'article 3, S.C. 1970-71-72, c. 53. Cette loi a reçu la sanction royale le 30 juin 1971.
L'article 11, tel qu'il se lisait dans les S.R.C. 1952 a été abrogé et remplacé par l'article 4, S.C. 1968-69, c. 5, qui a reçu la sanction royale le 31 octobre 1968.
Par conséquent, l'avocat des demanderesses sou- tient que, puisque l'article 13 de la Loi sur l'admi- nistration financière est entré en vigueur le 28 mars 1969 et que l'article 10 de la Loi sur les postes est entré en vigueur le 30 juin 1971, cet article 10 de la Loi sur les postes étant postérieur, doit l'emporter sur l'article moins récent de la Loi sur l'administration financière, et ce en vertu de la maxime leges posteriores priores contrarias abro- gant, qui signifie simplement que les lois postérieu- res abrogent les lois antérieures qui sont en sens contraire.
Il ne fait pas valoir d'argument analogue concer- nant l'article 11 de la Loi sur les postes parce que l'article 11 est entré en vigueur le 31 octobre 1968 tandis que l'article 13 de la Loi sur l'administra- tion financière est entré en vigueur le 28 mars 1969. Ainsi, suivant la prétention de l'avocat quant à l'application de la maxime qu'il invoque, l'in- verse serait vrai quant à l'article 11 de la Loi sur les postes, et l'article 13 de la Loi sur l'adminis- tration financière devrait prévaloir, puisqu'il lui est postérieur.
Mais la prétention concernant l'article 10 de la Loi sur les postes, ainsi que la même application de la maxime à l'article 11 de la Loi qui n'a pas été invoquée, doit se fonder sur la proposition que, si l'article 10 de la Loi sur les postes constitue le droit plus récent et, réciproquement, si l'article 13 de la Loi sur l'administration financière est posté- rieur à l'article 11 de la Loi sur les postes, l'article 10 de la Loi sur les postes est contraire à l'article 13 de la Loi sur l'administration financière qui lui-même est contraire à l'article 11 de la Loi sur les postes.
L'avocat des demanderesses a fourni une solu tion qui, prétend-il, doit prévaloir. Elle est basée sur les efforts déployés par les tribunaux pour interpréter les lois de manière à éviter l'incompati- bilité et éviter ainsi l'abrogation implicite de la loi antérieure par la loi subséquente. Suivant sa solu tion, les mots «nonobstant les dispositions de toute loi» que l'on trouve à l'article 13b) de la Loi sur l'administration financière devraient se lire
«nonobstant les dispositions de toute loi en vigueur au moment de l'adoption de l'article 13b)», c'est-à- dire qu'il faudrait insérer les mots «en vigueur au moment de l'adoption de l'article 13b)».
Il ne faut jamais favoriser l'abrogation par inter- prétation et, lorsque l'abrogation n'est pas expresse, il incombe à celui qui prétend qu'il y a abrogation implicite de démontrer que les deux textes ne peuvent coexister.
Suivant la «Règle d'or» de lord Wensleydale, on ne peut modifier le sens grammatical et ordinaire si ce n'est pour éviter une absurdité, une contradic tion ou une incompatibilité, mais la grande règle souveraine consiste à s'attacher le plus possible au sens littéral des mots.
On peut suppléer aux omissions évidentes par interprétation, mais en aucun autre cas les tribu- naux ne peuvent suppléer aux déficiences du légis- lateur. Une cour de justice ne devrait pas suppléer à une omission car elle se ferait alors législateur. On ne devrait pas conclure, par interprétation, à une omission si ce n'est en cas d'absolue nécessité.
Pour ma part, j'estime nécessaire de ne pas insérer dans les textes de loi des mots qui n'y sont pas. En l'espèce, je ne vois aucune absolue néces- sité de ce faire et, par conséquent, je refuse la solution offerte par l'avocat des demanderesses et accepte l'article 13b) de la Loi tel qu'il est.
Commentant la façon dont la première question du mémoire spécial est formulée, j'ai indiqué qu'il n'y avait aucun doute que la Loi sur les postes et la Loi sur l'administration financière relèvent de la compétence législative du Parlement. Elles ne sont pas en conflit. Et il n'y a pas conflit entre la Loi sur les postes et le décret C.P. 1978-883. L'article 10 de la Loi sur les postes fixe un tarif pour le courrier de première classe tandis que l'article 13 de la Loi sur l'administration finan- cière permet au gouverneur en conseil d'autoriser un ministre à prescrire un droit pour un service fourni par la Couronne. L'article 11 de la Loi sur les postes fixe un tarif de port pour les journaux et périodiques canadiens.
L'article 13b) de la Loi sur l'administration financière autorise le gouverneur en conseil à fixer un tarif pour des services fournis par la Couronne
«nonobstant les dispositions de toute loi concernant ce service».
C'est à mon avis la loi habilitante sur laquelle est fondé le décret C.P. 1978-883. Je n'ai pas oublié la prétention des demanderesses suivant laquelle le décret est ultra vires; j'examinerai cette prétention un peu plus loin.
Si je comprends bien, il y a conflit entre les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes et les modifications apportées aux règlements postaux établis par le ministre des Postes en application du décret haussant les tarifs de port sur le courrier de première et de deuxième classe.
Le décret qui modifie le tarif du courrier de première classe mentionne expressément que le ministre des Postes agit en vertu du décret du conseil et, en ce qui concerne les lettres de plus de 16 onces, qu'il agit en vertu de l'article 6 de la Loi sur les postes. De même, la modification apportée au tarif de port des objets de deuxième classe se veut également faite en application du décret et de l'article 6 de la Loi sur les postes.
Les modifications aux règlements disposent:
6. Nonobstant l'article 10 de la Loi sur les postes, le tarif de port applicable à chaque lettre postée au Canada pour livraison au Canada ...
suivent les augmentations de tarifs, et
1. Nonobstant l'article 11 de la Loi sur les postes, les tarifs de port applicables aux journaux et périodiques canadiens trans- missibles par la poste au Canada...
suivent les tarifs.
On se rappellera que dans l'évolution législative de la Loi sur les postes et de la Loi sur l'adminis- tration financière, nous avons vu que l'article 13 de la Loi sur l'administration financière a été adopté par le chapitre F-10 des S.R.C. 1970 et que les Statuts revisés du Canada sont entrés en vigueur et ont eu force de loi le 15 juillet 1971 en vertu de la proclamation en date du 24 juin 1971.
L'article 10 de la Loi sur les postes a été modifié par le chapitre 53 des Statuts du Canada de 1970-71-72. Cette modification a été reprise dans l'article 3 de la Loi modifiant la Loi sur les postes, chapitre 23 du 2 e Supplément des S.R.C. 1970 qui, en vertu d'une proclamation en date du 14 juin 1972, sont entrés en vigueur et ont eu force
de loi le 1" août 1972, mais qu'en vertu de la disposition précise de l'article 8(2) du chapitre 53 des Statuts du Canada de 1970-71-72, il a pris effet le jour les Statuts revisés du Canada sont entrés en vigueur, c'est-à-dire le 15 juillet 1971.
Par conséquent, les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes et l'article 13 de la Loi sur l'admi- nistration financière sont tous entrés en vigueur le même jour, c'est-à-dire le 15 juillet 1971.
Les Statuts revisés ne doivent pas être tenus pour exécutoires à titre de lois nouvelles mais ils doivent être interprétés et avoir effet à titre de codification et comme texte énonciatif de la loi telle qu'elle se trouvait dans les lois abrogées (voir l'article 9, S.C. 1964-65, c. 48, appendice aux S.R.C. 1970, p. ix).
Ainsi, le Parlement a formulé le droit concer- nant la Loi sur les postes et la Loi sur l'adminis- tration financière, le même jour.
Par conséquent, la maxime leges posteriores priores contrarias abrogant n'est pas applicable aux articles 10 et 11 de la Loi sur les postes ni à l'article 13 de la Loi sur l'administration finan- cière et les demanderesses ne peuvent s'en préva- loir. Au contraire, la maxime semblerait bénéficier au défendeur parce que le décret et les modifica tions apportées par le ministre des Postes sont postérieurs aux articles 10 et 11 de la Loi sur les postes.
L'avocat des demanderesses a également sou- tenu que les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes sont des articles spéciaux traitant d'objets spéciaux contenus dans une loi particulière tandis que l'article 13 de la Loi sur l'administration financière est un article de portée générale. Il invoque la maxime «Generalia specialibus non derogantn qui signifie que les choses de portée générale ne s'écartent pas des choses de portée particulière.
Une règle fondamentale de l'interprétation des lois veut qu'une loi subséquente rédigée en des termes généraux ne doive pas être interprétée de manière à abroger une loi antérieure de portée particulière si elle ne renvoie pas expressément au texte antérieur sur le sujet ou s'il n'est pas néces- sairement impossible que les deux lois puissent coexister. La même règle s'applique à un article de
portée particulière et à un article de portée géné- rale d'une même loi et, à mon avis, elle s'applique également à des lois de la même époque.
L'application de la règle repose essentiellement sur l'impossibilité que les deux lois puissent coexis- ter. Dans les circonstances du présent mémoire spécial, je suis d'avis que la règle doit être étendue pour comprendre les textes réglementaires établis par délégation et sous-délégation de pouvoir légis- latif en application de l'article 13 de la Loi sur l'administration financière parce que c'est dans les règlements modifiés établis par le ministre des Postes que réside l'incompatibilité avec les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes.
Cela étant, la maxime generalia specialibus non derogant ne s'applique pas parce que les règle- ments postaux modifiés et les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes ont des degrés identiques de spécificité. Ces deux groupes de textes législatifs visent des objets identiques et établissent un tarif de port pour le courrier de première et de deuxième classe.
Ces dispositions ne peuvent certainement pas coexister. Elles sont mutuellement incompatibles et l'une doit laisser la place à l'autre.
Le problème est de savoir laquelle doit prévaloir et, comme je l'ai dit au début en examinant la méthode à adopter pour résoudre ce problème, il s'agit d'une question d'interprétation des lois et particulièrement du sens évident à attribuer aux mots employés à l'article 13 de la Loi sur l'admi- nistration financière. Pour ce faire, les deux maxi- mes invoquées par l'avocat des demanderesses ne sont d'aucune aide pour les motifs que j'ai exprimés.
L'avocat des demanderesses a également sou- tenu que l'article 13 de la Loi sur l'administration financière n'est pas applicable parce qu'il dispose: lorsqu'un service est fourni et que le gouverneur en conseil estime que la totalité ou une partie du coût devrait être supportée par celui qui en est le desti- nataire, et qu'en vertu de la Loi sur les postes, la totalité ou une partie de ce coût est recouvrée. Suivant sa prétention, l'article 13 ne serait applica ble que si le service avait été gratuit ou en l'ab- sence de quelque droit imposé par ailleurs. Compte tenu du fait que les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes imposent déjà un droit, on ne peut pas
dire que la poste ne recouvre pas une partie du coût ou même peut-être la totalité du coût. L'er- reur dans ce raisonnement est que le mot «ou», entre les mots «la totalité» et une «partie du coût», est employé dans son sens disjonctif. Cela signifie que lorsque le gouverneur en conseil arrive à sa conclusion, alors, soit la «totalité» soit une «partie du coût» peut être recouvrée. A cela s'ajoute égale- ment une règle d'interprétation suivant laquelle le plus grand inclut le plus petit. Par conséquent, le gouverneur en conseil peut conclure qu'une partie encore plus grande du coût devrait être recouvrée jusqu'à concurrence de la totalité du coût. On n'a pas fourni de preuve quant au coût du service fourni. Il se peut fort bien que la totalité du coût ait pu être recouvrée en vertu de l'ancien taux moins élevé mais qu'il y ait eu une escalade des coûts dans l'intervalle. C'est ce qu'envisage et permet le libellé de l'article 13 et le même raison- nement est applicable à une partie du coût. Une loi parle toujours au présent et est par conséquent applicable aux faits tels qu'ils sont actuellement.
Je ne pense pas non plus, vu le sens évident des mots de l'article 13, que l'article doive se limiter au cas la loi en vertu de laquelle ce service est fourni ne prescrit aucun droit.
Pour ces motifs je n'accepte pas cette prétention.
Comme je l'ai dit précédemment dans un autre contexte, la clé de la solution d'un conflit entre deux lois ou dispositions de ces lois, dont une est de portée particulière et l'autre de portée générale, repose sur la doctrine bien connue suivant laquelle la disposition générale n'abroge pas la disposition antérieure si on n'y retrouve pas une intention évidente de l'abroger.
C'est la règle exprimée par le lord Chancelier Selborne dans l'arrêt Seward c. «Vera Cruz» ([1884] 10 A.C. 59) auquel se sont référés les avocats des deux parties.
Les règles générales applicables aux dispositions législatives de portée particulière et de portée générale sont très claires, la seule difficulté réside dans leur application.
En de nombreux cas, lorsqu'il y a contradiction entre des dispositions législatives qu'il faut réconci-
lier si possible, on a souvent recours au procédé qui consiste à modifier le sens grammatical et ordi- naire en réduisant le champ ou la portée des mots de sens général, en choisissant entre des significa tions subsidiaires, en ignorant des mots et(ou) en introduisant des mots.
Un exemple de ce procédé mentionné en dernier lieu est celui qu'a formulé l'avocat des demande- resses lorsqu'il a prétendu que l'article 13b) de la Loi sur l'administration financière pouvait trouver son sens si on y ajoutait les mots pour indiquer que les mots «nonobstant les dispositions de toute loi» devraient s'appliquer seulement aux lois existant à l'époque de l'adoption de l'article 13b). Je m'y suis refusé pour les motifs déjà exprimés et, plus parti- culièrement, l'article 10 de la Loi de l'interpréta- tion, S.R.C. 1970, c. I-23, dispose que la loi parle toujours et que lorsqu'une chose est exprimée au présent, il faut l'appliquer aux circonstances au fur et à mesure qu'elles surgissent.
Ainsi, dans le présent mémoire spécial, l'article 13b) de la Loi sur l'administration financière, emploie le présent et est par conséquent applicable au moment le gouverneur en conseil autorise le ministre des Postes à prescrire des tarifs postaux par règlement et au moment le ministre des Postes prescrit en fait le tarif de port.
Revenant au redressement de la contradiction entre les dispositions législatives, l'introduction des mots «sous réserve des dispositions de toute loi concernant ce service» au début de l'article 13a) de la Loi sur l'administration financière et des mots «nonobstant les dispositions de toute loi concernant ce service» à l'article 13b) de cette loi, est une indication claire que le Parlement voulait que le pouvoir ainsi conféré soit exercé de manière à supplanter et rendre inopérants les mots précis d'une autre loi, en l'espèce les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes.
Voilà le sens évident de ces mots. Ce n'est que lorsque des mots employés dans une loi sont ambi- gus qu'il faut avoir recours aux règles fondamenta- les d'interprétation des lois. Elles ne sont que des auxiliaires à l'interprétation et on ne doit y avoir recours qu'en cas d'ambiguïté.
Par l'emploi des mots «nonobstant les disposi tions de toute autre loi» à l'article 136) de la Loi sur l'administration financière, le Parlement a
supprimé tout conflit parce que, vu le sens évident et non ambigu de ces mots utilisés pour la concor dance, l'article 13b) de la Loi sur l'administration financière doit avoir préséance sur les articles 10 et 11 de la Loi sur les postes.
En fait, le Parlement a prévu deux moyens de hausser les tarifs de port. L'article 6d) de la Loi sur les postes dans sa forme modifiée est d'appli- cation limitée. Il prévoit que le ministre des Postes peut établir le tarif de port sur toute classe d'objets transmissibles, y compris les lettres, pour laquelle un tarif n'est pas prévu dans la Loi sur les postes. L'article 11 épuise ce pouvoir concernant les jour- naux et périodiques canadiens et l'article 10 épuise ce pouvoir sauf en ce qui concerne les lettres de plus de 16 onces.
Il existe deux moyens de hausser les tarifs de port: (1) le Parlement pourrait modifier les articles 1D et 11 de la Loi sur les postes de manière à établir des tarifs plus élevés, et (2) le Parlement a prévu à l'article 13 de la Loi sur l'administration financière que le gouverneur en conseil peut, par décret, autoriser le ministre des Postes à faire de même.
Les deux moyens sont disponibles, le second étant sanctionné par le Parlement pour réaliser le même objectif. On a adopté le second moyen et il a été adopté avec l'approbation du Parlement parce que c'est le Parlement qui l'a rendu accessible.
L'avocat des demanderesses a soutenu qu'une interprétation de l'article 13 de la Loi sur l'admi- nistration financière qui en ferait le fondement de l'établissement de tarifs postaux est déraisonnable, absurde ou illogique.
Une abondante jurisprudence établit que lorsque les termes d'une loi sont clairs et non ambigus il faut les interpréter dans leur sens ordinaire, même si cela peut conduire à une absurdité, à une contra diction ou à une injustice manifestes.
Dans les Commentaires de Blackstone, on dit à la page 91, [TRADUCTION] «Si le Parlement adopte effectivement une loi en vue de faire une chose qui n'est pas raisonnable, je ne connais aucune autorité, dans les formes ordinaires de la constitution, qui soit revêtue du pouvoir de le contrôler.»
Il n'appartient certainement pas à la division judiciaire du gouvernement d'exercer ce contrôle.
Blackstone continue comme suit à la page 91:
[TRADUCTION] ... lorsque l'objet principal d'une loi est dérai- sonnable, il [n']est [pas] loisible au juge de le rejeter, car ce serait placer le pouvoir judiciaire au-dessus du pouvoir législa- tif, ce qui, dans tout gouvernement, serait de la subversion.
L'argument avancé à l'appui de la prétention que cette interprétation est déraisonnable et illogi- que est que si en conformité d'une loi un droit doit être fixé, le gouverneur en conseil doit alors s'atta- quer à la tâche en vertu de l'article 13a) de la Loi sur l'administration financière, mais s'il faut fixer un droit qui abroge une échelle tarifaire établie par la loi, on peut alors, en vertu de l'article 13b), confier la tâche à un ministre seul.
Que cela soit contraire à la raison ou à la logique ou que cela ne le soit pas, c'est précisément ce que le Parlement a autorisé à l'article 13 de la Loi sur l'administration financière en des termes clairs et non équivoques.
On a aussi laissé entendre que la sous-délégation de pouvoir législatif du gouverneur en conseil au ministre des Postes en vertu de l'article 13b) de la Loi sur l'administration financière prévoyant que «... mais sous réserve et en conformité des modali- tés que peut spécifier le gouverneur en conseil», est mauvaise parce qu'aucune modalité n'a été spécifiée.
La réponse complète à cette objection se situe dans l'emploi du mot «peut». Son emploi implique un pouvoir discrétionnaire. Le gouverneur en con- seil pouvait, s'il l'avait jugé nécessaire, imposer des modalités, mais il ne l'a pas fait. Au contraire, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'article, aucune modalité n'a été imposée et le gouverneur en conseil a délégué au ministre des Postes, comme il était autorisé à le faire, un pouvoir discrétionnaire complet.
Ces derniers arguments sont, à mon avis, une répétition de ceux avancés contre l'empiétement de la législation par voie de règlement sur la supréma- tie du Parlement et contre l'érosion de cette supré- matie par des invasions bureaucratiques, des mani festations du «nouveau despotisme» qu'a décrié feu lord Hewart, juge en chef de l'Angleterre, dans son essai intitulé «The New Despotism» publié en 1929.
Lord Hewart a bien dit que la méthode par laquelle le Parlement délègue ses pouvoirs de légi- férer était nécessaire dans certaines limites, au moins en ce qui concerne des matières de détails, parce qu'il est impossible, ne fût-ce que par manque de temps, au Parlement d'examiner de manière adéquate et détailler toutes les affaires qui demandent, ou sont censées demander, une intervention législative.
Lord Hewart n'avait aucune objection aux règlements qui ne doivent avoir d'effet que s'ils sont approuvés par le Parlement, mais il n'en a pas moins déploré catégoriquement et condamné éner- giquement le pouvoir d'établir, à l'insu du Parle- ment, des pouvoirs qui ont l'effet de lois qui entrent en vigueur sans la sanction, ni même la connaissance du Parlement, et il s'est également opposé à ce que ce pouvoir soit attribué à un ministre seul.
En substance, voilà comment j'interprète cette objection fondamentale aux modifications présen- tement en cause apportées par le ministre des Postes aux règlements postaux haussant les tarifs de port. On y est arrivé dans le passé par la voie de modifications apportées aux articles appropriés de la Loi sur les postes qui fixent les tarifs de port, lesquelles modifications ont été présentées au Par- lement et, suivant le présent argument, il devrait continuer à en être de même.
Les juges de Sa Majesté n'ont pas le pouvoir de donner un avis ou de critiquer les mesures du Parlement, mais l'on peut dire que si le Parlement, dans sa sagesse, estime que des mesures législati- ves touchant les tarifs de port devraient relever exclusivement du Parlement lui-même et ne pas faire l'objet d'un règlement, le recours se trouve alors auprès du Parlement, par le truchement de ses différentes institutions comme les réunions pré- liminaires, les comités permanents, la période des questions et ainsi de suite.
A des fins de commodité, je répète les deux questions posées dans le mémoire spécial. Elles demandent si:
(1) les modifications apportées au Règlement sur les envois postaux intérieurs de première classe par DORS/78-297 et les modifications apportées au Règlement sur les objets de la deuxième classe par DORS/78-298 sont nulles parce que non autorisées par la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14; et
(2) le décret C.P. 1978-883, promulgué par le gouverneur en conseil le 23 mars 1978 et portant l'enregistrement TR/78-60 est ultra vires du gouverneur en conseil.
Pour les motifs exprimés, ces deux questions reçoivent une réponse négative. L'action des demanderesses est donc rejetée avec dépens.
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