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A-305-77
In re la Loi sur l'extradition et in re Michael John McMahon
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge suppléant Maguire—Vancouver, le 16 février et le 7 mars 1978.
Examen judiciaire Extradition Le juge de l'extradi- tion libère un fugitif des États-Unis Le fugitif plaide coupable au chef d'accusation entraînant l'extradition devant une cour américaine mais n'y retourne pas pour le prononcé de la sentence Conséquences différentes en vertu de la Loi sur l'extradition pour ce qui est des personnes présumément décla- rées coupables de ce crime et celles qui sont seulement accu sées du mime crime La situation dans laquelle se trouve le fugitif équivaut-elle à une condamnation? Loi sur l'extra- dition, S.R.C. 1970, c. E-21, art. 18(1)a) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28.
Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 28 par le procureur général du Canada, au nom du procureur général des États-Unis, visant une ordonnance d'examen et d'annula- tion de la décision- ou de l'ordonnance d'élargissement de McMahon rendue par un juge en vertu de la Loi sur l'extradi- tion. McMahon a plaidé coupable devant une cour américaine d'une infraction entraînant l'extradition (et cette cour a accepté ce plaidoyer de culpabilité), mais cependant, il ne s'est pas présenté au jour fixé pour le prononcé de sa sentence. Le requérant prétend que le juge de l'extradition a commis une erreur en concluant qu'un plaidoyer de culpabilité que la Cour a accepté n'équivalait pas à sa déclaration de culpabilité. La question en litige se limite à la signification à donner à l'expres- sion «déclaration de culpabilité» selon la Loi sur l'extradition.
Arrêt: (Le juge Pratte dissident) la demande est accueillie. Interpréter l'article 18(1)a) de cette manière aurait pour résul- tat que tout prisonnier déclaré coupable ou qui plaide coupable à un crime entraînant l'extradition, et dont la sentence doit être prononcée à une date ultérieure, peut échapper à l'extradition en quittant le pays le crime a été commis et en n'y retournant pas pour le prononcé de la sentence. Un tel résultat serait contraire au concept selon lequel les traités d'extradition doivent recevoir une interprétation large dans le sens d'une «interprétation équitable» selon l'intention des parties contrac- tantes, de façon à permettre la réalisation de leur but évident.
Le juge Pratte dissident: Les règles régissant l'extradition diffèrent à l'égard de deux catégories de fugitifs—ceux qui sont prétendument accusés d'un crime entraînant l'extradition et ceux qui ont prétendument été convaincus d'un crime sembla- ble. En vertu des lois des États-Unis et du Canada, un plaidoyer de culpabilité peut dans plusieurs circonstances être retiré avant la condamnation. Donc, un plaidoyer de culpabilité avant la condamnation n'a pas la même finalité qu'une déclaration de culpabilité. Si on a l'intention de l'incarcérer en vue de son extradition, on doit exiger plus que la simple preuve de son plaidoyer de culpabilité; il faut le considérer comme un accusé et non comme un fugitif déclaré coupable.
Arrêt approuvé: Re Whipple [1972] 2 W.W.R. 613. Arrêts mentionnés: R. c. Graves, C.S.C.-B., Dossier Kamloops 142-76, jugement en date du 19 juillet 1976; R. c. Cole
[1965] 2 All E.R. 29. Arrêt appliqué: Industrial Accep tance Corp. Ltd. c. La Reine [1953] 2 R.C.S. 273. Arrêt examiné: R. c. McInnis (1974) 13 C.C.C. (2') 471.
DEMANDE. AVOCATS:
W. B. Scarth pour le procureur général du
Canada.
J. B. Clarke pour Michael John McMahon.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Deverell, Harrop & Company, Vancouver, pour Michael John McMahon.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Cette demande présentée en vertu de l'article 28 attaque la déci- sion d'un juge qui a refusé d'incarcérer un pré- tendu fugitif en vertu de la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, c. E-21. Elle soulève une question très précise: quelle signification faut-il donner au mot «convaincu» de cette loi?
La Loi sur l'extradition prévoit l'extradition de deux sortes de fugitifs: ceux qui sont accusés d'un crime entraînant l'extradition commis dans la juri- diction d'un État étranger et ceux qui sont con- vaincus d'un tel crime. On prétend que l'intimé McMahon était un criminel de la deuxième caté- gorie et pour cette raison la requérante demande son extradition. Après son arrestation effectuée en vertu de la Loi sur l'extradition, McMahon a été amené devant un juge qui, en vertu de l'article 18(1)a), devait décider si le prétendu fugitif avait été convaincu d'un crime entraînant l'extradition. On a prouvé que McMahon avait été accusé en Californie d'un crime entraînant l'extradition, qu'il avait plaidé coupable et qu'il s'était enfui au Canada avant d'être condamné. Sur cette preuve, le juge a ordonné l'élargissement de l'intimé au motif que la seule preuve qu'il avait plaidé coupa- ble n'établissait pas qu'il avait été «convaincu> au sens de la Loi sur l'extradition. Le requérant attaque le bien-fondé de cette décision et prétend qu'en vertu de la Loi sur l'extradition, une per- sonne qui a plaidé coupable mais qui n'a pas été
condamnée, doit être considérée comme ayant été déclarée coupable.
Le mot «déclaration de culpabilité» est ambigu. Sa signification varie selon le contexte on l'uti- lise. Il a parfois une signification très large pou- vant inclure un plaidoyer de culpabilité (voir La Reine c. Blaby [ 1894] 2 Q.B. 170). Cependant, on l'emploie souvent dans un sens étroit, lequel, bien que vague, implique toujours une déclaration de culpabilité émise par le tribunal compétent; dans ce sens étroit, un plaidoyer de culpabilité non suivi d'une condamnation n'équivaut pas à une déclara- tion de culpabilité (voir Regina c. Cole [1965] 2 Q.B. 388).
La Loi sur l'extradition ne contient aucune indication expresse de la signification du mot «con- vaincu» y employé. En l'espèce, il faut, à mon avis, adopter l'interprétation qui entraînera les résultats les plus raisonnables et les plus équitables.
Les règles régissant l'extradition des deux caté- gories de fugitifs—ceux qui sont prétendument accusés d'un crime entraînant l'extradition et ceux qui ont prétendument été convaincus d'un crime semblable,—diffèrent sur un point important. Le fugitif convaincu doit être incarcéré pour extradi tion «lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, ... établirait qu'il a été convaincu de ce crime». Le fugitif accusé, par ailleurs, peut être incarcéré seulement «lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, ... justifie- rait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada.»'
' L'article 18 de la Loi se lit comme suit:
18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcé- rer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée, afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État étranger ou élargi conformément à la loi,
a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été convaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été con- vaincu de ce crime, et
b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada.
(2) Lorsque cette preuve n'est pas produite, le juge ordonne qu'il soit élargi.
Gardant cette distinction à l'esprit, il faut main- tenant répondre à la question suivante: est-il plus raisonnable que l'extradition d'une personne qui, comme l'intimé, a plaidé coupable mais n'a pas encore été condamnée, soit régie par les règles applicables aux fugitifs convaincus ou par celles applicables aux fugitifs accusés? Il m'est facile de répondre à cette question. En vertu des lois des États-Unis et du Canada, un plaidoyer de culpabi- lité peut dans plusieurs circonstances être retiré avant la condamnation. Donc, avant la condamna- tion, un plaidoyer de culpabilité n'a pas la même finalité et le même caractère concluant qu'une déclaration de culpabilité. L'accusé qui a plaidé coupable peut, aussi longtemps qu'il n'a pas été condamné, devoir subir un procès. Pour cette raison, je crois que pour l'incarcérer en vue de son extradition, on doit exiger plus que la simple preuve de son plaidoyer de culpabilité; en d'autres termes, il faut le considérer comme un accusé et non comme un fugitif déclaré coupable.
Pour ces raisons, je suis d'avis que le juge de l'extradition a eu raison de conclure à l'absence de preuves établissant que l'intimé, McMahon, avait été convaincu au sens de l'article 18 de la Loi sur l'extradition. Je rejette donc la demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande pré- sentée en vertu de l'article 28 par le procureur général du Canada, au nom des États-Unis d'Amé- rique, visant une ordonnance d'examen et d'annu- lation de la décision ou de l'ordonnance d'élargis- sement de Michael John McMahon, rendue par le juge Graham B. Ladner, de la Cour de comté de Vancouver, agissant ès qualités en vertu de la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, c. E-21, le 28 avril 1977.
Selon la preuve et la conclusion du juge qui a prononcé l'extradition, McMahon a plaidé coupa- ble le 23 octobre 1973, devant la cour américaine du district nord de Californie, de l'infraction d'avoir sciemment et illégalement possédé environ 698 grammes d'une substance contenant un narco- tique, à savoir: la cocaïne, avec l'intention de la distribuer à une autre personne. Le prononcé de sa
sentence a été reporté mais il ne s'est pas présenté au jour fixé.
Le seul argument soulevé par le requérant à l'encontre de la décision du juge de l'extradition est que ce dernier a commis une erreur de droit en concluant que le plaidoyer de culpabilité de McMahon sur le chef d'accusation (considéré comme un crime entraînant l'extradition), que la Cour fédérale des États-Unis avait accepté, n'équi- valait pas à sa «déclaration de culpabilité» par ladite cour pour un crime entraînant l'extradition.
En soumettant que la décision du juge de l'ex- tradition devrait être maintenue, l'avocat de McMahon a allégué que la «déclaration de culpa- bilité» évoquée à l'article 18(1)a) de la Loi sur l'extradition envisageait la condamnation par la Cour en plus de la déclaration de culpabilité émise par elle et que, McMahon n'ayant jamais été condamné, il n'était pas «convaincu» au sens dudit article 18(1)a).
Voici le libellé de cet article:
18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcérer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée, afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État étranger ou élargi conformément à la loi,
a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été con- vaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est pro- duit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été convaincu de ce crime, et
En concluant que le plaidoyer de culpabilité de McMahon n'équivalait pas à une «déclaration de culpabilité», le savant juge de l'extradition semble s'être appuyé sur le jugement du juge Fulton dans l'affaire Regina c. Graves 2 , où, s'appuyant sur l'arrêt Regina c. Cole' on a jugé que [TRADUC- TION] «lorsqu'il est enregistré, un plaidoyer de culpabilité ne se classe pas parmi les déclarations de culpabilité, il n'est classé comme déclaration de culpabilité que lorsque le coupable reçoit sa sentence.»
A mon avis, cependant, malgré ces deux arrêts la majorité des décisions jurisprudentielles applica- bles indiquent qu'une déclaration ou un plaidoyer de culpabilité de l'accusé relativement à l'infrac-
t C.S. de la C.-B.—Dossier Kamloops 142-76 jugement en date du 19 juillet 1976.
3 [1965] 2 All E.R. 29, aux pp. 30 et 31 (Cour d'appel de l'Angleterre).
tion imputée dans les circonstances ordinaires équivaut habituellement à une déclaration de cul- pabilité relative à l'infraction, même si aucune sentence n'est infligée 4 .
Les commentaires du juge Kellock dans l'arrêt Industrial Acceptance Corporation Limited c. La Reines, appuient à mon avis cette conclusion. Dans cette affaire, selon le juge Kellock, l'expression «déclaration de culpabilité» au sens de l'article 21 de la Loi sur l'opium et les drogues narcotiques, signifiait verdict seulement, et non verdict et juge- ment y relatif 6 .
A mon avis, la signification à donner à «déclara- tion de culpabilité» à l'article 18(1)a) précité, dépend du contexte de la loi se trouve cette expression. Cela est encore plus vrai dans l'optique de l'article 3 de la Loi sur l'extradition dont voici le libellé:
3. Dans le cas de tout État étranger avec lequel il existe une convention d'extradition, la présente Partie s'applique durant l'existence de cette convention; mais nulle disposition de la présente Partie incompatible avec quelqu'une des conditions de la convention n'a d'effet à l'encontre de la convention; et la présente Partie doit se lire et s'interpréter de façon à faciliter l'exécution de la convention.
L'article 3 requiert que l'interprétation de l'article 18(1)a) concorde avec les dispositions du Traité sur l'extradition applicable en l'espèce, soit la Sup plementary Convention of 1889 intervenue entre Sa Majesté et les États-Unis d'Amérique (pages 55 60 du dossier).
Voici le libellé de l'article VII du Traité:
[TRADUCTION] ARTICLE VII
Les dispositions dudit article X et de cette Convention s'ap- pliqueront aux personnes déclarées coupables des crimes res- pectivement énumérés et précisés aux présentes et dont la sentence n'aura pas été exécutée.
Lorsqu'il s'agit d'un criminel fugitif supposément condamné pour le crime relativement auquel on demande son élargisse- ment, copies du dossier de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par le tribunal compétent, dûment certifiées,
4 Voir: Regina c. McInnis (1974) 13 C.C.C. (2') 471, la p. 473 par le juge d'appel Martin (C.A. Ont.). Voir également: Regina c. Blaby [1894] 2 Q.B. 170; Rex c. Sheridan [1937] 1 K.B. 223; Regina c. Grant (1936) 26 Cr. App. R. 8; Ex p. Johnston [1953] O.R. 207.
5 [1953] 2 R.C.S. 273, aux pp. 279 et 280.
6 Le juge Cartwright a exprimé une opinion semblable à la p. 291.
doivent être produites avec la preuve établissant que le prison- nier est la personne visée par la condamnation.
Il faut souligner que l'article VII parle de per- sonnes déclarées coupables de crime dont la con- damnation n'a pas été exécutée.
L'article VII dit également «copies du dossier de la déclaration de culpabilité» et «la condamnation par le tribunal compétent».
Ainsi, je suis d'avis que le Traité sur l'extradi- tion distingue clairement entre «déclaration de cul- pabilité» et «condamnation> et les traite comme des réalités distinctes. Aussi, à la lumière de l'article 3 de la Loi sur l'extradition lequel exige que l'inter- prétation de l'article 18(1)a), précité, concorde avec les dispositions du Traité sur l'extradition, je crois qu'il ne faut pas interpréter le mot «con- vaincu» employé à l'article 18(1)a) comme signi- fiant que la déclaration de culpabilité comporte nécessairement et obligatoirement la condamna- tion par la Cour.
A l'appui de cette opinion, je trouve convain- cante la décision du juge Rae de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Re Whipple'. La seule différence entre l'arrêt Whipple, précité, et la présente affaire, est que dans Whipple le jury a reconnu l'accusé coupable alors qu'en l'espèce, l'accusé a plaidé coupable et que son plaidoyer a été accepté par la Cour fédérale des Etats-Unis (page 96 du dossier). Cette différence de fait ne me semble pas significative compte tenu de la jurisprudence citée plus tôt à la note 4.
Interpréter l'article 18(1)a) selon les prétentions de l'avocat de McMahon aurait pour résultat que tout prisonnier déclaré coupable d'un crime entraî- nant l'extradition, ou qui plaide coupable à un crime entraînant l'extradition, et dont la sentence doit être prononcée à une date ultérieure, peut échapper à l'extradition en quittant le pays le crime a été commis et en n'y retournant pas pour le prononcé de la sentence. Un tel résultat serait contraire au concept selon lequel les traités d'ex- tradition doivent recevoir une interprétation large dans le sens d'une «interprétation équitable» selon l'intention des parties contractantes, de façon à
7 [19721 2 W.W.R. 613, aux pp. 615 à 617.
permettre la réalisation de leur but évidents.
Pour les raisons susmentionnées, je conlus que la demande présentée en vertu de l'article 28 doit être accueillie, la décision du juge de l'extradition annulée et l'affaire lui être renvoyée pour qu'il en décide sur le fondement qu'une personne qui a plaidé la culpabilité à un crime entraînant l'extra- dition est une personne qui a été déclarée coupable de ce crime au sens de l'article 18(1)a) de la Loi sur l'extradition.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MAGUIRE: J'y souscris.
B Voir: Re Whipple (précité) le juge Rae à la p. 617. Voir également: In re Collins (1905) 11 B.C.R. 436, à la p. 443; LaForest, Extradition To and From Canada 1961, à la p. 35.
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