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A-516-76
Hawker Industries Limited (Appelante) (Défen- deresse)
c.
Santa Maria Shipowning and Trading Company, S.A. (Intimée) (Demanderesse)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Pratte et Urie—Montréal, le 18 mai; Ottawa, le 5 juin 1978.
Compétence Droit maritime Contrat Inexécution d'un contrat visant à remplacer un gouvernail Un contrat pour la réparation d'un navire qui arrive avarié au port fait-il partie des matières qui relèvent du droit maritime canadien? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 » Supp.), c. 10, art. 2, 42.
Il s'agit d'un appel formé contre une décision de la Division de première instance donnant à l'intimée le droit de recouvrer de l'appelante «les dommages-intérêts» découlant de «l'inexécu- tion ...», par l'appelante, «... de son contrat ..., dommages- intérêts à fixer au cours d'une audition subséquente». Le juge- ment de première instance est fondé sur la conclusion que l'intimée, d'une part, a conclu un contrat oral avec l'appelante pour l'installation d'un nouveau gouvernail et que, d'autre part, elle a subi des dommages par suite de l'inexécution, par l'appe- lante, de ce contrat. La question à trancher par cette cour est de savoir si un contrat pour la réparation d'un navire qui arrive avarié au port fait partie des matières qui relèvent du droit maritime canadien.
Arrêt: la Division de première instance est compétente pour connaître du litige qui a donné lieu au jugement en appel et la présente cour, par conséquent, ne doit pas statuer à ce stade-ci. Les tribunaux maritimes ont, au cours des siècles, exercé leur compétence notamment en matière de litiges portant sur des contrats d'approvisionnement des navires (bien qu'une telle compétence ait pu, en certains cas, avoir été limitée par des dispositions légales ou des injonctions décernées par les tribu- naux du pays) et, ce faisant, ont appliqué un ensemble de droit différent du «droit terrestre» qui traite des contrats et des délits. Le droit maritime, libre d'entraves arbitraires posées en matière de compétence, est partie du droit maritime canadien. Un contrat pour la réparation d'un navire avarié est, et a toujours été, réputé être un contrat qui doit permettre au navire de continuer à naviguer, à l'instar du contrat qui vise à fournir au navire les «choses nécessaires». Dire que les opérations visant à permettre à un navire de continuer à naviguer sont du domaine du droit maritime, ce n'est pas trop généraliser.
Arrêt mentionné: Associated Metals & Minerals Corp. c. L'«Evie [1978] 2 C.F. 710.
APPEL.
AVOCATS:
Stewart Mclnnes, c.r., et Wylie Spicer pour
l'appelante (défenderesse).
Donald A. Kerr, c.r., pour l'intimée (deman-
deresse).
PROCUREURS:
Mclnnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour
l'appelante (défenderesse).
Stewart, MacKeen & Covert, Halifax, pour
l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est formé contre une décision de la Division de première instance [T-486-75] confirmant le droit de l'inti- mée de recouvrer de l'appelante «les dommages- intérêts» découlant de «l'inexécution ...», par
l'appelante, «... de son contrat ... , dommages- intérêts à fixer au cours d'une audition subsé-
quente», et les dépens.'
Le contrat en cause a trait à un navire apparte-
nant à l'intimée et dont le gouvernail s'est perdu en mer. Le navire a été remorqué jusqu'à Halifax l'appelante dirige une entreprise dont les activités englobent la «réparation de navires». Le jugement de première instance est fondé sur la conclusion que l'intimée, d'une part, a conclu un contrat oral avec l'appelante pour l'installation d'un nouveau gouvernail et que, d'autre part, elle a subi des dommages par suite de l'inexécution, par l'appe-
lante, de ce contrat.
J'estime opportun d'évoquer certains événe- ments qui se sont produits depuis le début des
premières procédures bien, qu'à mon avis, ces évé- nements n'aient aucun rapport avec la décision qui
sera rendue.
1. Le 6 février 1976, la présente cour a rejeté un appel formé contre un jugement de la Division
La question de savoir si un appel peut être formé contre la décision de l'article 27 de la Loi sur la Cour fédérale n'a pas été soulevée. Bien que cette décision ne soit pas libellée de façon aussi judicieuse qu'elle devrait l'être, je l'interprète, aux fins des présents motifs, comme étant «un jugement qui statue sur le fond au sujet d'un droit, à l'exception d'un point litigieux laissé à la décision ultérieure d'un arbitre» et comme étant, par conséquent, un «jugement final» conformément à l'article 27(4) de la Loi sur la Cour fédérale. (Cet «arbitre» pourrait être un juge. Voir la Règle 500(1).)
de première instance qui rejetait une demande orale présentée par un codéfendeur visant la radiation de la déclaration adverse au motif que ladite déclaration ne révélait à l'encontre dudit défendeur aucune cause d'action relevant de la Division de première instance. La question que devait trancher la présente cour était de savoir si la Division de première instance avait exercé, de façon erronée, son pouvoir discrétionnaire en se prononçant sur la radiation de la déclaration; 2 selon la seule allégation sérieuse, les matières relevant de la compétence de la Cour étaient implicitement limitées à celles ayant pris nais- sance dans le ressort de ladite cour.
2. Le présent appel a été interjeté le 23 juillet 1976.
3. En 1977, certaines décisions rendues par la Cour suprême du Canada ont soulevé des ques tions constitutionnelles auxquelles ni les avocats ni la Cour n'avaient auparavant songé, concer- nant l'étendue de la compétence de la Division de première instance en matière de droit maritime.
En conséquence, à la suite d'une demande présen- tée par l'appelante, la présente cour a rendu, le 7 novembre 1977, une ordonnance selon laquelle l'audition du présent appel devait «se limiter à la question de savoir si la Division de première ins tance avait compétence pour rendre le jugement dont appel est interjeté». Cette question a été débattue à ce stade-ci. Il est évident que
a) si la Cour décide que la Division de première instance n'était pas compétente, alors l'appel doit être accueilli et le jugement de la Division de première instance annulé;
b) si la Cour décide que la Division de première instance était compétente, alors l'appel devra être entendu sur le fond, probablement par une autre division de la Cour.
Il est clair que la question relève de la compé- tence que le Parlement est censé avoir conférée à la Division de première instance aux termes de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale. La question constitutionnelle à étudier comme suite aux décisions rendues en 1977 par la Cour suprême du Canada, si je la comprends bien, est
2 Comparer La Reine c. Wilfrid Nadeau Inc. [1973] C.F. 1045.
celle de savoir si le jugement de la Division de première instance relativement à cette question est fondé sur
a) une loi provinciale, et en ce cas il ne découle pas des «lois du Canada» à l'égard desquelles le Parlement peut conférer compétence à la Divi sion de première instance, ou
b) une loi fédérale, et en ce cas il découle desdites «lois du Canada».
Depuis le 20 décembre 1977, date de l'ordon- nance autorisant un débat préliminaire sur la ques tion de compétence, la présente cour a conclu, dans Associated Metals & Minerals Corporation c. L'«Evie [1978] 2 C.F. 710, que la Division de première instance était en effet compétente pour connaître d'un litige relatif à un contrat de trans port de marchandises par eau au motif qu'il existe un ensemble de droit maritime canadien régissant notamment de telles questions, constitué de lois fédérales et non provinciales, et que ledit litige, par conséquent, relevait bien de la Division de pre- mière instance en vertu de l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. J'ai alors expliqué les motifs de ma décision; je n'ai pas l'intention de les répéter ici. 3
Donc la seule question qui, à mon avis, doit être étudiée par la présente cour, à ce stade-ci, est de savoir si un contrat pour la réparation d'un navire qui arrive avarié au port, est une question qui relève de ce même ensemble du droit maritime canadien.
A mon avis, il ne servirait à rien de revoir de façon détaillée les textes législatifs concernant la compétence des tribunaux maritimes, les arrêts étudiés par ces mêmes tribunaux ou la doctrine et les articles traitant de l'histoire du droit mariti me. 4 Ces lectures m'ont convaincu que les tribu-
3 Cette décision est, je crois, en appel devant la Cour suprême du Canada. En attendant la décision de la Cour suprême du Canada ou toute autre décision pertinente, j'estime qu'il faut suivre la décision de la présente cour.
4 Je dois dire, toutefois, que je sais gré à Me Kerr, avocat de l'intimée, de nous avoir présenté des extraits de l'ouvrage The Black Book of the Admiralty édité par Sir Travers Twiss (1874) et d'avoir ainsi jeté un peu de lumière sur la juridiction de première instance des tribunaux maritimes. Pour un exposé historique bref sur la compétence desdits tribunaux en Angle- terre, voir MacMillan Bloedel Limited c. Canadian Stevedor- ing Co. Ltd. [1969] 2 R.C.É. 375.
naux maritimes ont, au cours des siècles, exercé leur compétence notamment en matière de litiges portant sur des contrats d'approvisionnement des navires, soit avant leur départ, soit en cours d'es- cale (bien qu'une telle compétence ait pu, en cer- tains cas, avoir été limitée par des dispositions légales ou des injonctions décernées par les tribu- naux du pays) et, ce faisant, ont appliqué un ensemble de droit appelé, à l'origine, «droit de la mer» par opposition au «droit terrestre» et couram- ment appelé «droit d'amirauté», différent du «droit terrestre» qui traite des contrats et des délits. Je suis convaincu que les tribunaux maritimes ont appliqué, dans le règlement de ces litiges, le droit «maritime» et non le droit canadien ordinaire appliqué lorsque de tels litiges étaient soumis à des tribunaux ordinaires; et ce droit, libre d'entraves arbitraires posées en matière de compétence, est partie du «droit maritime canadien» défini à l'arti- cle 2 de la Loi sur la Cour fédérale et continué à l'article 42 en tant qu'élément du droit canadien.' (Il est à noter que l'article 42 fait partie d'un ensemble d'articles groupés sous le titre «Disposi- tions concernant le fond».)
Par souci de clarté, j'expose la situation telle que je la conçois:
a) il existait, au début, un ensemble de droit maritime ou «droit de la mer» qui régissait les questions de navigation, de marine marchande et de commerce international, et qui faisait partie du droit en vigueur dans la plupart des nations maritimes, dont l'Angleterre,
5 2. Dans la présente loi
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifications apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada;
42. Le droit maritime canadien existant immédiatement avant le 1 » ' juin 1971 reste en vigueur sous réserve des modifi cations qui peuvent y être apportées par la présente loi ou toute autre loi.
b) les premiers textes législatifs qui interdi- saient à la Court of Admiralty d'Angleterre d'exercer sa compétence en certaines matières n'abolissaient aucune partie de ce droit, bien que, pendant l'application de ces interdictions, certaines parties dudit droit n'aient pas eu l'oc- casion d'être appliquées,
c) au fur et à mesure que les interdictions étaient levées, et dans la mesure elles l'étaient, ces parties du droit d'amirauté, dans leur forme modifiée par une législation de fond, sont de nouveau entrées en vigueur,
d) ce droit d'amirauté a été introduit au Canada en tant qu'élément du droit anglais et de fait, on y a eu recours, dans sa forme modi- fiée par une législation de fond, dans la mesure les tribunaux maritimes canadiens étaient compétents en la matière, au cours des différen- tes périodes de l'histoire du Canada,
e) ce droit maritime ou droit de la mer ressortit d'une loi «fédérale» et non provinciale et le Par- lement, en vertu de l'article 101, peut donner à une cour compétence relativement à ce droit,
f) ce droit maritime, 6 dans sa forme modifiée par une législation de fond, fait partie du droit que l'article 42 de la Loi sur la Cour fédérale a maintenu en vigueur (édicté) en 1971.
Il me reste à dire qu'à mon avis, un contrat pour la réparation d'un navire avarié est, et a toujours été, réputé être un contrat qui doit permettre au navire de continuer à naviguer, à l'instar du con- trat qui vise à fournir au navire les «choses néces- saires» et, à mon avis, dire que les opérations visant à permettre à un navire de continuer à naviguer sont du domaine du droit maritime, ce n'est pas trop généraliser.
Pour ces motifs, j'estime que la Division de première instance est compétente pour connaître du litige qui a donné lieu au jugement en appel et que la présente cour, par conséquent, ne doit pas statuer à ce stade. Le moment venu, on pourra demander une ordonnance fixant la date, l'heure et le lieu de l'audition sur le fond de l'appel, à la
6 Je ne veux pas laisser entendre qu'indépendamment des modifications de fond apportées par des textes de loi, le droit maritime n'a pas évolué au rythme des événements et du temps, à l'instar de la common law anglaise.
condition qu'il s'agisse d'une nouvelle audition (et non de la continuation de l'audition sur la question de compétence). L'appel pourra être entendu par une autre division de la Cour.
* * *
LE JUGE PRATTE: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
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