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A-828-76
William (Billy) Solosky (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 23 mars et le 10 avril 1978.
Brefs de prérogative Demande visant l'obtention d'un jugement qui déclarerait privilégiée la correspondance entre un avocat et son client La correspondance entre le détenu et son avocat ouverte et lue par les autorités de la prison La Cour doit-elle rendre un jugement qui déclarerait privilégiée toute la correspondance valablement identifiée comme échangée entre l'avocat et son client ou un jugement qui, au moins, déclarerait privilégiée toute la correspondance valablement identifiée comme étant de la nature d'une communication entre un avocat et son client.
L'appelant interjette appel du rejet, par la Division de pre- mière instance, de son action qui avait pour objet de faire déclarer que la correspondance valablement identifiée comme adressée à son avocat et reçue de ce dernier soit considérée comme communication privilégiée et soit transmise sans être ouverte. La demande visant l'obtention d'un jugement déclaratoire a été modifiée devant la présente cour de façon à s'appliquer seulement à la correspondance valablement iden- tifiée comme échangée entre l'avocat et son client. L'intimée fait valoir que l'appelant, compte tenu des faits, n'a pas droit au jugement déclaratoire tel que sollicité dans la déclaration ini- tiale, ou dans la déclaration modifiée, et allègue que l'appelant, en commettant un crime, a lui-même restreint les droits dont jouissent habituellement les citoyens.
Arrêt: l'appel est rejeté. Un tel jugement élargirait de façon considérable la portée du privilège existant entre un avocat et son client tel qu'on le connaît et le comprend. Les motifs de jugement du juge de première instance sont bien fondés. Indé- pendamment de la question de savoir si le droit de l'appelant d'invoquer le privilège existant entre un avocat et son client a été limité ou lui a été enlevé par le fait de son incarcération dans un pénitencier fédéral, le fait d'accorder le jugement déclaratoire sollicité équivaudrait à étendre, à l'appelant, le privilège accordé au citoyen ordinaire. Il n'est pas nécessaire de traiter du second argument de l'intimée.
Arrêt approuvé: R. c. Bencardino (1974) 2 O.R. (2e) 351. Arrêt suivi: O'Shea c. Wood [1891] L.R. (P.D.) 286.
APPEL. AVOCATS:
D. Cole et A. S. Manson pour l'appelant.
E. A. Bowie et J. P. Malette pour l'intimée.
PROCUREURS:
D. Cole, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: L'appelant est un détenu du pénitencier de Millhaven. Parce que le directeur de l'établissement de Millhaven était d'avis que la conduite, les activités et l'attitude de l'appelant justifiaient une surveillance de son courrier d'arri- vée et de départ, il a ordonné que son courrier soit ouvert et lu. Cette ordonnance s'étendait au cour- rier expédié par l'appelant à son avocat ou reçu de ce dernier. Les lettres qui ont été et qui sont réputées présenter un intérêt pour ce qui est de la sécurité de l'établissement ont été et sont actuelle- ment portées à l'attention du directeur de l'établissement.
L'appelant a engagé des procédures en Division de première instance de cette cour pour obtenir un jugement qui déclarerait «... que la correspon- dance valablement identifiée comme adressée à son avocat et reçue de ce dernier soit désormais considérée comme communication privilégiée et soit remise aux destinataires concernés sans être ouverte; ...». La Division de première instance a rejeté cette action [[1977] 1 C.F. 663]. En appel, les procureurs de l'appelant ont modifié leurs argu ments oraux et leur mémoire afin d'obtenir un jugement qui déclarerait que «... désormais, toute la correspondance valablement identifiée comme échangée entre l'avocat et son client soit remise aux destinataires concernés sans être ouverte.»
A l'appui de la décision du savant juge de première instance, l'avocat de l'intimée a fait valoir deux arguments fondamentaux. Le premier porte que l'appelant, compte tenu des faits en l'espèce, n'a pas droit au jugement déclaratoire tel que sollicité dans la déclaration ou, en termes plus restreints, dans le mémoire déposé devant la pré- sente cour, auquel j'ai fait référence ci-haut. Le second argument fait valoir, d'une part, que l'ap- pelant, en commettant un crime, a lui-même, par ses propres actes, restreint les droits dont jouit habituellement la majorité des citoyens de ce pays à l'exception de ceux laissés aux détenus de péni- tenciers en vertu du Règlement sur le service des pénitenciers et de la Déclaration canadienne des droits et, d'autre part, que ni le Règlement sur le
service des pénitenciers ni la Déclaration cana- dienne des droits n'ont d'effet de manière à donner à l'appelant droit au jugement déclaratoire sollicité.
Je suis d'avis de rejeter l'appel pour les motifs invoqués dans le premier argument de l'intimée puisque j'estime cet argument bien fondé. Vu cette conclusion, il ne sera pas nécessaire de traiter du second argument.
Pour ce qui est du premier argument, l'appelant demande un jugement qui déclarerait que toute la correspondance échangée entre lui-même et son avocat soit déclarée privilégiée et soit expédiée à son destinataire sans être ouverte. A mon avis, un jugement semblable élargirait de façon considéra- ble la portée du privilège existant entre un avocat et son client tel qu'on le connaît et le comprend. Le savant juge de première instance a traité de cette question de façon juste et décisive dans ses motifs aux pages 668 et 669:
Dans le cas d'un citoyen ordinaire, le privilège n'existe pas simplement parce que la communication est entre un avocat et son client. La recherche d'un avis juridique ou son octroi doit faire l'objet de la communication et n'est privilégié que dans cette mesure. Voir La Reine c. Bencardino ((1974) 2 O.R. (2') 351), la page 358:
[TRADUCTION] Toute communication d'un client à son avocat n'est pas privilégiée. Pour l'être, la communication doit intervenir au cours de la recherche d'un avis juridique et avec l'intention d'en conserver le caractère confidentiel. Comme le dit Wigmore dans On Evidence 3' éd., vol. 8, art. 2311:
Une demande expresse de secret n'est certainement pas nécessaire. Mais la simple relation d'avocat à client ne permet pas de présumer le caractère confidentiel de la communication et les circonstances indiqueront implicite- ment si celle-ci était de nature confidentielle. Évidemment, ces circonstances varieront selon les individus et la décision doit donc dépendre du cas sous examen.
A mon avis, le nouveau juge du fond devrait procéder à un interrogatoire préliminaire pour se rendre compte de ce que Quaranta a dit à M` Greenspan. S'il en découle que Qua- ranta ne cherchait pas un avis juridique, mais plutôt une assistance contre l'intimidation qu'il subissait en prison, ou s'il apparaît que Quaranta a expressément ou implicitement autorisé Me Greenspan à divulguer sa condition aux autori- tés, je crois qu'on peut demander à Me Greenspan de témoi- gner devant le jury de ce que Quaranta lui a dit à ce sujet.
Voir également O'Shea c. Wood ([1891] L.R. (P.D.) 286) la page 289:
[TRADUCTION] Les lettres ne sont pas nécessairement privi- légiées parce qu'elles passent de l'avocat à son client: un élément professionnel doit exister dans la correspondance pour qu'elle soit privilégiée.
Et aussi à la page 290:
[TRADUCTION] Des lettres contenant de simples exposés de faits ne sont pas privilégiées: elles doivent revêtir un carac- tère professionnel et confidentiel. En l'espèce, l'affidavit ne prouve pas suffisamment que la correspondance est privilégiée.
Voir aussi Clergue c. McKay ((1902) 3 O.L.R. 478) la page 480:
[TRADUCTION] Il est donc nécessaire que l'affidavit pro- duit ne déclare pas simplement que la correspondance est confidentielle et de caractère professionnel, il doit montrer, sans aucune ambiguïté, que la nature de cette correspon- dance est, sans aucun doute, privilégiée.
Il semble évident que le privilège ne peut être invoqué que pour chaque document pris individuellement et que chaque document peut être considéré privilégié uniquement dans la mesure il répond au critère qui permettra d'y rattacher le privilège. Il a été aussi fréquemment jugé, à cet égard, que bien qu'une partie d'un document puisse être privilégiée, une autre partie du même document peut ne pas l'être.
Quand une lettre est adressée par le demandeur à un avocat ou reçue par lui de ce dernier, il est évident que la question de savoir si la lettre contient effectivement une communication privilégiée ne peut pas être solutionnée avant que la lettre ait été ouverte et lue.
Je suis d'accord avec ce raisonnement. Indépen- damment de la question de savoir si le droit de l'appelant d'invoquer le privilège existant entre un avocat et son client a été limité ou lui a été enlevé par le fait de son incarcération dans un pénitencier fédéral à la suite d'une condamnation légalement prononcée contre lui, le fait d'accorder le jugement déclaratoire sollicité en l'espèce équivaudrait à étendre, à l'appelant en cause, le privilège accordé au citoyen ordinaire.
En outre, l'appelant demande que le jugement déclaratoire constate le principe du privilège exis- tant entre un avocat et son client pour ce qui est de la correspondance non encore écrite. Les tribunaux ont déclaré qu'ils n'ont pas compétence pour pro- noncer des jugements déclaratoires sur des ques tions purement hypothétiques'. De même, un tri bunal n'accordera que très rarement un jugement déclaratoire sur une question concernant l'avenir 2 . Je suis d'avis qu'en l'espèce, même en prenant pour acquis que la Cour a compétence, elle ne doit pas la faire valoir.
A comparer avec la décision Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223, la p. 1228.
2 Voir: Mellstrom c. Garner [1970] 2 All E.R. 9, le lord juge Karminski, à la p. 12.
Par conséquent, et pour les motifs précités, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens en appel et en première instance.
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LE JUGE URIE y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
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