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A-384-77
Gouvernement de Hong Kong (Appelant) (Intimé)
c.
Hon Kwing Shum (Intimé) (Requérant)
Cour d'appel, les juges Pratte et Urie et le juge suppléant MacKay—Vancouver, les 20 et 24 jan- vier 1978.
Brefs de prérogative Prohibition Demande d'extradi- tion conformément à la Loi sur les criminels fugitifs Intimé accusé d'avoir commis une infraction à Hong Kong Peine non assimilée à des «travaux forcés» mais les Prison Rules imposent aux détenus un travail utile La décision de la Division de première instance selon laquelle le «travail. (work) exigé aux termes des Prison Rules ne peut être assimilé à des «travaux forcés. est-elle bien fondée? Loi sur les criminels fugitifs, S.R.C. 1970, c. F-32, art. 3, 12 Prevention of Bribery Ordinance (Hong Kong), art. 12 Prison Rules (Hong Kong), art. 38.
Appel est formé contre un jugement de la Division de première instance qui a accueilli une demande de bref de prohibition à l'encontre d'un magistrat siégeant aux termes de l'article 12 de la Loi sur les criminels fugitifs. De l'avis de la Division de première instance, le magistrat n'était pas compé- tent pour décider si l'intimé devait être envoyé en prison pour qu'il y attende son renvoi à Hong Kong parce que l'infraction commise par ce dernier dans ce pays n'est pas une infraction à laquelle s'applique la Loi. Le point en litige est la rectitude de la décision de la Division de première instance qui a jugé que, malgré la disposition des Prison Rules qui exige que chaque prisonnier fasse un travail utile, l'infraction dont est accusé l'intimé à Hong Kong n'est pas punissable de «l'emprisonne- ment avec travaux forcés» au sens élargi donné à cette expres sion à l'article 3 de la Loi sur les criminels fugitifs.
Arrêt: l'appel est accueilli. Le mot «travail» (au sens de l'anglais «labour») est suffisamment large pour s'appliquer au travail (au sens de l'anglais «work») obligatoire prévu aux Prison Rules. Aux termes de l'article 3 de la Loi, est réputé emprisonnement avec travaux forcés «toute détention en prison à laquelle est joint le travail, sous quelque nom que ce soit». Ce qui importe, c'est de savoir si la peine implique, en droit, la «détention en prison à laquelle est joint le travail». S'il ne faut pas, pour déterminer si c'est le cas, tenir compte du nom sous lequel la peine est désignée dans la loi qui crée l'infraction, il faut, par la force des choses, examiner quels sont, en vertu de la loi du pays en question, les effets légaux de l'imposition de la peine prévue. Les Prison Rules font clairement partie de la législation qui définit le régime auquel sont soumises les person- nes qui ont été condamnées à l'emprisonnement.
Arrêt approuvé: Bailey c. Kelsey (1959) 100 C.L.R. 352.
APPEL.
AVOCATS:
M. M. de Weerdt, c.r., pour l'appelant.
H. A. D. Oliver pour l'intimé. PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Oliver, Waldock & Richardson, Vancouver, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Le présent appel porte sur un jugement de la Division de première instance [voir à la page 785, précitée] qui a accueilli une demande de bref de prohibition à l'encontre d'un magistrat siégeant en vertu de l'article 12 de la Loi sur les criminels fugitifs, S.R.C. 1970, c. F-32. De l'avis de la Division de première instance, le magis- trat n'était pas compétent pour décider si l'intimé devait être envoyé en prison pour qu'il y attende son renvoi à Hong Kong parce que l'infraction présumément commise par l'intimé dans ce pays n'est pas une infraction à laquelle s'applique la Loi sur les criminels fugitifs.
La Loi sur les criminels fugitifs prévoit qu'une personne qui est accusée d'avoir commis une infraction à laquelle s'applique la Loi «dans quel- que partie des royaumes et territoires de Sa Majesté, autre que le Canada» peut, si elle est «trouvée au Canada, ... être arrêtée et renvoyée, de la manière prescrite par la présente loi, dans la partie des royaumes et territoires de Sa Majesté dont il s'est enfui». La Loi s'applique aux infrac tions énumérées à l'article 3:
3. La présente loi s'applique à la trahison et à la piraterie, et à toute infraction qualifiée félonie, délit, crime ou autrement, qui pour lors est punissable, dans la partie des royaumes et territoires de Sa Majesté elle a été commise, soit par voie de mise en accusation, soit sur dénonciation, de l'emprisonnement, pendant douze mois ou plus avec travaux forcés, ou de toute peine plus forte; et pour les fins du présent article, l'emprison- nement rigoureux, et toute détention en prison à laquelle est joint le travail, sous quelque nom que ce soit, sont réputés emprisonnement avec travaux forcés.
L'infraction pour laquelle l'appelant cherche à obtenir que l'intimé soit renvoyé à Hong Kong est la violation de l'article 10 de la Prevention of Bribery Ordinance de cette colonie de la Cou- ronne. En vertu de l'article 12 de cette ordonnance, cette infraction est punissable d'un emprisonne-
ment d'une durée de plus de douze mois. L'ordon- nance ne parle pas de travaux forcés. Cependant, il est reconnu
a) qu'en vertu de l'article 25(1)h) de la Prisons Ordinance de Hong Kong [TRADUCTION] «Le gouverneur en conseil peut édicter des règles portant sur ... la classification, l'habillement, l'entretien, l'emploi, la discipline, l'instruction et la punition des détenus;» et
b) qu'en vertu du pouvoir accordé par cette disposition, le gouverneur en conseil a adopté un règlement, connu comme l'article 38 des Prison Rules qui se lit ainsi:
[TRADUCTION] 38. Tout prisonnier est tenu de faire un travail utile durant dix heures par jour au maximum dont, autant que possible, huit heures au moins sont consacrées à du travail en commun ou autre, hors cellule.
Le seul point en litige soulevé par cet appel est la rectitude de la décision de la Division de pre- mière instance qui a jugé que, malgré l'article 38 des Prison Rules qui exige que chaque prisonnier fasse un travail utile, l'infraction dont est accusé l'intimé à Hong Kong n'est pas punissable de «l'emprisonnement avec travaux forcés» au sens élargi donné à cette expression à l'article 3 de la Loi sur les criminels fugitifs.
Le principal argument de l'avocat de l'appelant était fondé sur le jugement unanime de la Haute Cour d'Australie rendu dans Bailey c. Kelsey (1959) 100 C.L.R. 352, une décision qui, je dois le dire, n'a pas été portée à l'attention du savant juge d'instance inférieure. Dans cet arrêt, la Cour devait se prononcer sur la question de savoir si une infraction commise en Angleterre était [TRADUC- TION] «punissable de travaux forcés» au sens de l'article 9 du Fugitive Offenders Act, 1881, 44 & 45 Vict., c. 69 (Imp.), une disposition en tout point semblable à l'article 3 de notre loi; elle a jugé que l'infraction en cause, qui était punissable en Angleterre de l'emprisonnement, était quand même une infraction punissable de l'emprisonne- ment avec travaux forcés au sens du Fugitive Offenders Act parce que l'Angleterre comptait des Prison Rules, semblables à celles en vigueur à Hong Kong, qui prévoyaient que les prisonniers étaient tenus de faire un travail utile.
L'avocat de l'intimé était d'avis que l'arrêt Bailey était mal fondé.
En premier lieu, il a soutenu qu'on ne pouvait tenir compte des exigences des Prison Rules pour déterminer la nature de la peine prévue pour l'in- fraction en cause en l'espèce. Il a dit que ces règles étaient purement administratives et que la Division de première instance avait correctement jugé que la disposition prévoyant que les détenus doivent faire un travail utile «ne fait pas partie de la peine d'emprisonnement». Selon l'avocat, pour connaître la peine prévue pour une infraction, il faut tenir compte, non des nombreuses règles administratives qui peuvent régir la vie quotidienne des détenus des institutions pénales, mais simplement de la peine prévue par la loi qui crée l'infraction.
L'avocat de l'intimé soutient également que, même si on tenait compte des Prison Rules pour déterminer la peine prévue pour l'infraction, l'ap- pel devrait quand même être rejeté parce que, à son avis, les Prison Rules imposent l'obligation de faire un «travail» (au sens de l'anglais «work»), non un «travail» (au sens de l'anglais «labour»). En conséquence, on ne peut dire, à son avis, que l'infraction en l'espèce est punissable de «détention en prison à laquelle est joint le travail».
Je peux dire immédiatement que ce dernier argument m'apparaît dénué de fondement. Le sens du mot «travail» (au sens de l'anglais «labour») est, à mon avis, suffisamment large pour s'appliquer au travail (au sens de l'anglais «work») obligatoire prévu aux Prison Rules.
Le premier argument de l'intimé doit également être rejeté. Aux termes de l'article 3, est réputé emprisonnement avec travaux forcés «toute déten- tion en prison à laquelle est joint le travail, sous quelque nom que ce soit». Le nom sous lequel une peine est désignée dans la loi qui crée une infrac tion n'a donc pas d'importance. Ce qui importe, c'est de savoir si la peine implique, en droit, la «détention en prison à laquelle est joint le travail». S'il ne faut pas, pour déterminer si c'est le cas, tenir compte du nom sous lequel la peine est désignée dans la loi qui crée l'infraction—et cela, l'article 3 le dit clairement—il faut, par la force des choses, examiner quels sont, en vertu de la loi du pays en question, les effets légaux de l'imposi- tion de la peine prévue. En l'espèce, pour savoir quels sont les effets légaux d'une sentence d'empri- sonnement prononcée à Hong Kong, on doit exa miner la législation de cette colonie qui définit le régime auquel sont soumises les personnes qui ont été condamnées à l'emprisonnement. Les Prison
Rules font clairement partie de cette législation et je ne vois aucune raison pour laquelle on ne devait pas en tenir compte.
Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens, d'annuler la décision de la Division de première instance et de rejeter avec dépens la demande de bref de prohibition de l'intimé.
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LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'occasion de lire les motifs de jugement de mon collègue le juge Pratte. J'estime, tout comme lui, que l'appel doit être accueilli et je désire seulement ajouter quelques mots pour expliquer ma décision.
Je dois dire d'abord que je me suis rallié à son avis après mûre réflexion et beaucoup d'hésitation. Le juge Pratte a résumé avec justesse et précision les prétentions de l'avocat de l'intimé. Celles-ci, conjuguées au raisonnement soigné du juge de première instance, m'ont semblé très persuasives et conformes à l'opinion que je m'étais d'abord faite de la question. Cependant, avant de rédiger ses motifs, le savant juge n'a pas, comme nous, pris connaissance de l'arrêt Bailey c. Kelsey (1959) 100 C.L.R. 352 de la Haute Cour d'Australie qui ne lui avait pas été cité.
Toute décision de ce distingué tribunal doit tou- jours faire partie de celles auxquelles toute autre cour doit accorder beaucoup d'importance. Ceci est particulièrement vrai lorsque le jugement porte sur une loi et des règlements qui, comme en l'es- pèce, sont en tout point identiques à ceux sur lesquels l'autre cour doit se pencher. En outre, lorsque les lois et les règlements étudiés par chaque cour ont été adoptés pour faciliter les relations entre membres du Commonwealth, il est à mon avis dans l'intérêt de l'uniformité de l'inter- prétation à travers le Commonwealth que le pre mier jugement de la cour australienne soit suivi. C'est pour cette raison que j'ai conclu que l'arrêt Bailey c. Kelsey devait s'appliquer et en consé- quence je suis d'avis d'accueillir l'appel et de réser- ver au jugement d'instance inférieure le sort envi- sagé par le juge Pratte.
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