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T-2836-78
Luis Ayala (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier— Edmonton, le 2 février; Ottawa, le 14 février 1979.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Frais de garde d'enfants réclamés par le mari Épouse fréquentant l'université Rejet de déduction, les conditions nécessaires pour déduire ces dépenses n'étant pas remplies L'art. 63 crée-t-il de la discrimination en raison du sexe de manière à produire une inégalité devant la loi contrairement à la Déclaration canadienne des droits? Les parties de l'art. 63 qui sont incompatibles devraient-elles être déclarées inopé- rantes? Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 63.
Il s'agit d'un appel d'une décision de la Commission de révision de l'impôt qui a rejeté l'appel que le demandeur avait formé contre la cotisation établie par le Ministre rejetant la déduction réclamée pour des frais de garde d'enfants. Le demandeur, dont l'épouse était une étudiante en droit à plein temps, a cherché à déduire une somme qu'il avait payée au titre de frais de garde d'enfants même s'il n'entrait dans aucune des catégories énumérées à l'alinéa 63(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. On allègue que l'article 63 crée de la discrimination en raison du sexe, ce qui, dans le cas du demandeur, le prive du droit à l'égalité devant la loi, que la Déclaration canadienne des droits est applicable et que les parties de l'article 63 qui sont incompatibles devraient être déclarées inopérantes.
Arrêt: l'appel est rejeté. En ce qui concerne l'article 63, le législateur a cherché à accorder un certain allégement à un parent qui travaille, qui a la garde d'enfants et qui paie des frais de garde d'enfants. C'est un objectif fédéral régulier. Il ne devient pas irrégulier parce qu'une catégorie de parents contribuables (hommes ou femmes) bénéficie d'un allégement et que d'autres catégories de pères contribuables n'en bénéfi- cient pas. Il n'y a pas, dans l'article 63, discrimination en raison du sexe, inégalité devant la loi, ou les deux, ou une combinaison des deux. Les conditions que doit remplir une mère pour bénéficier des déductions sont moins restrictives que celles imposées à un père, mais ces différences, quels qu'en puissent être les motifs législatifs, n'entrent pas en conflit avec la Déclaration canadienne des droits.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Susan J. Ayala pour le demandeur. W. A. Ruskin pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Macdonald & Ayala, Edmonton, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Il s'agit d'un appel d'une décision de la Commission de révision de l'impôt.
En 1974, le demandeur a cherché à déduire aux fins de l'impôt sur le revenu une somme de $984 qu'il avait payée au titre de frais de garde pour ses deux enfants d'âge préscolaire.
Le demandeur était employé comme travailleur social. Son revenu brut pour 1974 était de $10,611.87. Il était marié. Cette année-là, son épouse suivait des cours à plein temps à l'université de l'Alberta. Lui et son épouse n'étaient pas sépa- rés «en vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement d'un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit».
De toute évidence, la garde des enfants était requise pour permettre à ces deux parents de poursuivre, en même temps, leurs occupations.
Je constate d'après l'exposé conjoint des faits que le demandeur a réclamé, à l'égard de son épouse, une exemption de personne mariée. Le revenu net de son épouse en 1974 était de $685.64. Il a également réclamé une déduction de $400 au titre des frais d'éducation de son épouse.
Le fondement à la déduction de frais de garde d'enfants (jusqu'à certains maximums) se trouve à l'article 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu.' Voici les parties pertinentes de l'article 63:
63. (1) Peuvent être déduites lors du calcul du revenu tiré dans une année d'imposition par un contribuable qui est
a) une femme, ou
b) un homme,
(i) qui, à une date quelconque dans l'année, n'était pas marié,
(ii) qui, à une date quelconque dans l'année, a été séparé de sa femme en vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement d'un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit,
(iii) dont la femme a été déclarée, par un médecin qualifié, être une personne qui,
(A) en raison d'une infirmité mentale ou physique et de l'obligation, pendant au moins 2 semaines dans l'année de garder le lit, de demeurer dans un fauteuil roulant ou
' S.C. 1970-71-72, c. 63, et ses modifications.
d'effectuer un séjour dans un hôpital, un asile ou tout autre établissement semblable, a été dans l'incapacité de s'occuper de ses enfants, ou qui
(B) en raison d'une infirmité mentale ou physique, a été dans l'année et sera vraisemblablement, pendant une longue période indéfinie, dans l'incapacité de s'occuper de ses enfants, ou
(iv) dont la femme a effectué dans l'année, un séjour d'au moins 2 semaines en prison,
les sommes payées dans l'année par le contribuable à titre ou au titre de frais de garde pour ses enfants, dans la mesure ... .
Il a été reconnu devant la Commission de révi- sion de l'impôt et devant cette cour que le deman- deur n'entrait dans aucune des catégories énumé- rées à l'alinéa 63(1)b). Il semble clair que si l'épouse du demandeur avait eu en 1974 un revenu imposable et avait payé les frais de garde des enfants, elle aurait eu droit de les déduire.
Les arguments du demandeur sont les suivants. L'article 63 crée de la discrimination en raison du sexe, ce qui, dans le cas du demandeur, le prive du droit à l'égalité devant la loi. La Déclaration canadienne des droits 2 est applicable, dit-il; les parties de l'article 63 qui sont incompatibles devraient être déclarées inopérantes.
Le président adjoint de la Commission de révi- sion de l'impôt a rejeté l'appela que le demandeur avait formé contre la cotisation du ministre du Revenu national qui rejetait la déduction récla- mée. D'où appel devant cette cour.
A ce stade-ci, je cite les extraits bien connus mais néanmoins pertinents de la Déclaration cana- dienne des droits:
PARTIE I
DECLARATION DES DROITS
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
c) la liberté de religion;
d) la liberté de parole;
2 S.R.C. 1970, Appendice III.
3 [1978] C.T.C. 2299.
e) la liberté de réunion et d'association, et J) la liberté de la presse.
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme ... .
Le demandeur fonde ses arguments sur R. c. Drybones. 4 Dans R. c. Burnshine 5 le juge Mart - land a résumé la portée de l'arrêt Drybones:
L'opinion de la majorité dans cette affaire a été que cet article créait délibérément une infraction spécifique, punissable en justice, qui ne pouvait être commise que par des Indiens et que, par conséquent, une inégalité devant la loi, basée sur des motifs raciaux, avait été créée. La portée de ce jugement a été énoncée par le Juge Ritchie, exposant les motifs de la majorité, à la p. 298, de la façon suivante:
Je crois utile d'affirmer clairement que ces motifs s'appli- quent seulement à un cas où, en vertu des lois du Canada, est réputé infraction punissable en droit, pour une personne, à cause de sa race, un acte que ses concitoyens canadiens qui ne sont pas de cette race peuvent poser sans encourir aucune sanction. A mon avis, cela est bien loin d'être applicable à toutes les dispositions de la Loi sur les Indiens.
Voici comment le demandeur applique l'arrêt Drybones à sa situation: l'article 63 permet la déduction de certains frais de garde d'enfants (sous réserve de certaines conditions); toutes les mères contribuables peuvent réclamer ces déduc- tions; seulement quelques pères contribuables ont le même droit; une grande partie des pères contri- buables, comme lui-même, est exclue; [TRADUC- TION] «par conséquent, il y a inégalité devant la loi, fondée sur ...» la discrimination en raison du sexe.
Il n'est pas nécessaire que les lois fédérales s'appliquent de la même manière à tous les indivi- dus. Ce principe a été répété dans Prata c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion. 6 Prata avait fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion. Il en a appelé devant la Commission d'appel de l'immigration, lui demandant d'exercer son pouvoir discrétionnaire fondé sur l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre huma- nitaire. Mais deux ministres de la Couronne
4 [1970] R.C.S. 282.
5 [1975] 1 R.C.S. 693, la p. 706.
6 [1976] 1 R.C.S. 376, la p. 382.
avaient déposé un certificat conformément à l'arti- cle 21 de la loi pertinente. L'article 21 retire à la Commission d'appel de l'immigration son pouvoir discrétionnaire lorsque le certificat, «fondé sur les rapports de sécurité ou de police», énonce qu'il serait contraire à l'intérêt national que la Commis sion intervienne en exerçant son pouvoir discré- tionnaire. Prata a essayé d'invoquer la Déclaration canadienne des droits. Le juge Martland dit:
Le second motif d'appel porte que l'application de l'art. 21 vient à l'encontre des dispositions de la Déclaration canadienne des droits dans les circonstances en l'espèce.
On a prétendu que l'application de l'art. 21 avait privé l'appelant du droit à l'«égalité devant la loi» reconnu par l'al. b) de l'art. 1 de la Déclaration canadienne des droits. Il résulterait de cette proposition que le Parlement ne pourrait empêcher que l'art. 15 vise des personnes qui, selon la Couronne, ne devraient pas avoir la permission, compte tenu de l'intérêt national, de demeurer au Canada parce qu'elles seraient alors traitées diffé- remment de celles qui sont autorisées à demander le bénéfice du privilège de l'art. 15. Le but recherché par l'art. 21 est évident et il vise un objectif fédéral régulier. Cette Cour a décidé que l'al. b) du par. (1) de la Déclaration canadienne des droits n'exige pas que toutes les lois fédérales doivent s'appli- quer de la même manière à tous les individus. Une loi qui vise une catégorie particulière de personnes est valide si elle est adoptée en cherchant l'accomplissement d'un objectif fédéral régulier (R. v. Burnshine) ((1974), 44 D.L.R. (3d) 584).
Le demandeur dit qu'il y avait un objectif fédé- ral régulier dans l'article 21 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, mais que ce n'est pas le cas dans l'article 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Je ne suis pas d'accord.
La Loi de l'impôt sur le revenu comporte plu- sieurs dispositions dans lesquelles certains contri- buables reçoivent des avantages sous forme de déductions ou d'autres concessions, tandis que d'autres en sont privés. En ce qui concerne l'article 63, le législateur a cherché, à mon avis, à accorder un certain allégement à un parent qui travaille, qui a la garde d'enfants et qui paie des frais de garde d'enfants.' A mon avis, c'est un objectif fédéral régulier. Il ne devient pas irrégulier parce qu'une catégorie de parents contribuables (hommes ou femmes) bénéficie d'un allégement et que d'autres catégories de pères contribuables n'en bénéficient pas.
Pour le sens de «frais de garde d'enfants» voir le paragraphe 63(3).
A mon avis, il n'y a pas, dans l'article 63, discrimination en raison du sexe, inégalité devant la loi, ou les deux, ou une combinaison des deux. La disposition touche la situation de certains parents qui paient des frais de garde d'enfants. Les conditions que doit remplir une mère pour bénéfi- cier des déductions sont moins restrictives que celles imposées à un père. On peut se demander pourquoi cette différence: est-ce le rôle prépondé- rant, au moins du point de vue historique, que joue la femme dans la garde des enfants pendant leur jeune âge? ou peut-être est-ce, encore du point de vue historique, la capacité de gain de la femme comparée à celle de l'homme?
Quoi qu'il en soit, les différences, quels qu'en puissent être les motifs législatifs, à mon avis, n'entrent pas en conflit avec la Déclaration cana- dienne des droits.
Ma conclusion reçoit l'appui je pense, de la décision la plus récente de la Cour suprême du Canada portant sur la Déclaration canadienne des droits et l'inégalité devant la loi: Bliss c. Le procu- reur général du Canada.' L'appelante était deve- nue en chômage par suite d'une grossesse. Elle ne remplissait pas les conditions nécessaires pour bénéficier des prestations de grossesse prévues à l'article 30 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô- mage. Quelques jours après son accouchement elle est devenue capable de travailler et disponible à cette fin. Elle n'a pas pu trouver d'emploi. Sa demande de prestations «ordinaires» par opposition aux prestations de grossesse, a été rejetée. L'article 46 de la Loi retirait aux prestataires enceintes, sous réserve de l'article 30, l'admissibilité aux prestations durant une période de huit semaines avant l'accouchement et de six semaines après l'accouchement. L'appelante a invoqué la Déclara- tion canadienne des droits, alléguant qu'elle était victime de discrimination en raison du sexe (les hommes n'étant pas assujettis aux interdictions de l'article 46), ce qui la privait du droit à l'égalité devant la loi. A titre subsidiaire, l'appelante a soutenu que l'article 46, toute discrimination mise à part, créait une inégalité devant la loi.
L'appelante a été déboutée.
8 [1979] 1 R.C.S. 183, confirmant Le procureur général du Canada c. Bliss [1978] 1 C.F. 208.
Concernant la fixation des conditions d'admissi- bilité aux prestations d'assurance-chômage, le juge Ritchie, parlant au nom de la Cour, dit: 9
A mon avis, pour assurer l'application efficace du pouvoir conféré par le par. 91(2A) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le Parlement devait fixer les conditions requises pour recevoir les prestations prévues par la Loi. La fixation de telles conditions fait partie intégrante de la législation valide- ment adoptée par le Parlement fédéral dans l'exercice de la compétence constitutionnelle conférée par le par. 91(2A). Le fait que cette législation traite différemment les prestataires qui remplissent ces conditions et les personnes qui ne les remplis- sent pas, ne peut, à mon avis, suffire pour la rendre invalide.
A mon avis, ces mots renferment l'économie de la Loi de l'impôt sur le revenu et des conditions, prévues à l'article 63, qui donnent droit aux déductions.
Le juge Ritchie poursuit:
Comme je l'ai déjà dit, l'art. 46 limite le droit aux prestations pour un groupe particulier d'individus et il fait partie d'une législation fédérale valide. Il faut distinguer nettement une législation qui traite une partie de la population plus durement qu'une autre, en raison de la race, comme c'était le cas dans l'affaire Regina c. Drybones (précitée), et une législation qui accorde des avantages supplémentaires à une catégorie de femmes, en spécifiant les conditions auxquelles une prestataire y aura droit et la période pendant laquelle ils lui seront accordés. Le premier cas impose un désavantage à un groupe racial par rapport aux autres citoyens, quand le second ne fait que définir les conditions à remplir pour bénéficier de presta- tions. En outre, l'application des restrictions imposées par l'art. 46 n'entraîne pas, à mon avis, la négation du principe d'égalité de traitement dans l'administration et l'application de la loi devant les tribunaux ordinaires du pays, comme c'était le cas dans l'affaire Drybones.
Dans la présente affaire, le demandeur éprouve d'autres difficultés. Prenons pour hypothèse que l'article 63 contrevient bien aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits: que peut alors faire cette cour pour ordonner au ministre du Revenu national d'autoriser la déduction que réclame le demandeur? Manifestement, elle ne peut déclarer inopérante ou rendre stérile la tota- lité du paragraphe 63(1). Le demandeur suggère que les mots du paragraphe commençant au sous- alinéa 63(1)b)(1) et se terminant au sous-alinéa 63(1)b)(ii) soient déclarés inopérants. Le paragra- phe permettrait alors à tous les parents contribua- bles, hommes ou femmes, de déduire des frais de garde d'enfants.
9 Ibid., page 186.
10 Ibid., pages 191 et 192.
Je ne peux accepter cette suggestion. Il serait, à mon avis, tout aussi logique de déclarer inopérant le droit illimité de toute mère aux déductions. Une déclaration en ce sens ne serait évidemment d'au- cun secours au demandeur.
Dans une autre affaire, au sujet d'une difficulté quelque peu semblable, j'ai dit:"
J'y vois une autre difficulté (en supposant toujours qu'il s'agisse d'un cas de discrimination): quelle partie de l'article 10 faudrait-il déclarer discriminatoire; la clause de résidence d'un an pour l'épouse ou la clause de résidence de cinq ans pour la plupart des autres personnes? Dans un cas comme dans l'autre, cela revient selon moi à amender la loi, ce qui n'est pas conforme aux fins de la Déclaration des droits.
L'action du demandeur est rejetée. La décision de la Commission de révision de l'impôt est confir- mée. La défenderesse a droit aux dépens.
" Re Schmitz [19721 C.F. 1351, la p. 1353.
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