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T-4530-75
Santa Marina Shipping Co. S.A. (Demanderesse)
c.
Lunham & Moore Ltd. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, le 30 janvier; Ottawa, le 10 février 1978.
Compétence Droit maritime Demande en vertu de la Règle 474 visant à faire déterminer si la Cour a compétence à l'égard de réclamations fondées sur une charte-partie lors- qu'on allègue que la charte-partie est régie par le droit anglais Existe-t-ii une «loi au Canada.. sur laquelle fonder la compétence? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, art. 22(2)i) Règle 474 de la Cour fédérale.
La demanderesse veut obtenir avant l'instruction, en applica tion de la Règle 474, une décision sur la question de savoir si la Cour peut juger sa réclamation pour une somme due conformé- ment aux termes d'une charte-partie. L'avocat de la défende- resse soutient que selon des arrêts récents de la Cour suprême et de la Cour fédérale, cette cour ne peut être saisie de l'action. Il allègue que l'action ne peut être jugée par cette cour car elle se fonde sur une charte-partie régie par le droit anglais et ne s'appuie sur aucune loi fédérale canadienne applicable: il n'exis- te pas de «loi au Canada» sur laquelle fonder la compétence.
Arrêt: la Cour a compétence. L'ensemble du droit maritime canadien traite des chartes-parties, sujet qui a depuis toujours été rapproché de la navigation et de la marine marchande et est maintenant intégré au droit statutaire canadien à l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale. La compétence de cette cour pour juger une demande relative au louage d'un navire par charte-partie étant établie, la Cour est compétente pour ce faire quelle que soit la loi qui régit le contrat lui-même. Si le contrat doit être interprété conformément au droit anglais, la Cour appliquera alors le droit anglais au contrat.
Arrêts mentionnés: Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Liée [1977] 2 R.C.S. 1054; McNama- ra Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; La Reine c. Canadian Vickers Ltd. [1978] 2 C.F. 675; Sivaco Wire & Nail Co. c. Atlantic Lines & Navigation Co., Inc. [1978] 2 C.F. 720; Associated Metals & Minerals Corp. c. L'«Evie W. [1978] 2 C.F. 710. Arrêts examinés: Intermunicipal Realty & Development Corp. c. Gore Mutual Insurance Co. [1978] 2 C.F. 691; De Lovio c. Boit (1817) 2 Gall. 398 (Gallison's Reports).
DEMANDE. AVOCATS:
Gerald P. Barry pour la demanderesse. W. David Angus pour la défenderesse.
PROCUREURS:
McMaster, Minnion, Patch, Hyndman, Legge, Camp & Paterson, Montréal, pour la demanderesse.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DUBÉ: La demanderesse veut obtenir avant l'instruction, en application de la Règle 474, une décision sur la question de savoir si la Cour peut juger sa réclamation s'élevant à $96,730.13 conformément aux termes d'une charte-partie.
Les avocats des deux parties conviennent que la question doit être jugée d'après les plaidoiries déjà déposées et l'affrètement à temps. Les parties étant d'accord, il m'a semblé opportun d'entendre immédiatement les plaidoyers, en omettant le pre mier stade des procédures visées à la Règle 474, qui devrait être une demande visant à obtenir des instructions et une décision sur l'opportunité d'une telle audition.
Dans la déclaration, la demanderesse affirme être une société panamienne, propriétaire du navire Marina, et ajoute que la défenderesse est une société canadienne ayant un bureau à Mont- réal (Québec) et exerçant l'entreprise d'affréteur et d'exploitant de navire.
Par affrètement au voyage rédigé selon la for- mule modifiée du New York Produce Exchange datée à Londres (Angleterre) le 28 octobre 1970, la demanderesse a loué le Marina à la défende- resse en qualité d'affréteur pour un voyage via Belize et l'Est du Canada à destination du Royaume-Uni et du Continent ou des ports des États-Unis. On allègue que, conformément aux termes de la charte-partie, il est la somme de $210,551.89, moins les sommes versées à compte et les débours qu'a faits la défenderesse.
Dans sa défense, la défenderesse allègue qu'elle ne doit plus rien, invoque la doctrine non adem- pleti contractus, affirme que la demanderesse a indiqué faussement la capacité du navire et a par ailleurs enfreint la charte-partie, et elle fait une demande reconventionnelle s'élevant à 58,685.44 $ÉU.
La charte-partie s'intitule [TRADUCTION] «Affrètement à temps, Formule du Gouvernement, approuvée par le New York Produce Exchange». Elle comporte une clause d'arbitrage qui prévoit que les différends découlant de la charte-partie, lorsque le montant en jeu ne dépasse pas 25,000 $EU, seront soumis à trois personnes à Londres (Angleterre). Si les sommes réclamées dépassent $25,000, la clause arbitrale ne s'applique pas.
La charte-partie comprend une «Clause Para mount générale» qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le présent connaissement s'appliquera sous réserve des dispositions de la Loi du transport des marchandises par eau du Dominion du Canada, de 1936 y compris l'Annexe de ladite loi, pourvu toutefois que si à l'endroit du chargement des marchandises est en vigueur un autre texte législatif (expression comprenant une ordonnance, un ordre en conseil ou un règlement du roi) donnant force de loi aux Règles de la Haye, mentionnées dans la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, cet autre texte législatif s'appliquera alors, et le présent connaissement sera assujetti à ses dispositions....
Les deux clauses suivantes figurent sur la for- mule américaine:
[TRADUCTION] I. CLAUSE D'ABORDAGE EN CAS DE FAUTE PARTAGÉE
Si la responsabilité d'un abordage dans lequel est impliqué le navire pendant l'exécution de la présente charte-partie ne peut être tranchée suivant les lois des États-Unis d'Amérique, la clause suivante s'appliquera:—
II. AVARIES COMMUNES ET CLAUSE NEW JASON
Les avaries communes seront payables conformément aux Règles d'York et d'Anvers de 1950, mais lorsque la répartition se fait selon le droit et la pratique des États-Unis d'Amérique, la clause suivante s'appliquera:—
Dans sa réponse à la défense et dans sa défense contre la demande reconventionnelle, la demande- resse avance que le droit applicable à la charte- partie est le droit anglais. Le paragraphe 7 dit:
[TRADUCTION] 7. Elle nie le paragraphe 21, ajoutant que le droit applicable à la charte-partie est le droit anglais, que la défenderesse, comme elle l'admet, a pris livraison dudit navire, s'en est servi d'abord pour un voyage au cours duquel quelque 6,400 tonnes de sucre ont été chargées à Belize et déchargées à Toronto, puis pour un voyage subséquent au cours duquel quelque 7,353.821 tonnes métriques de grain et de fariné ont été chargées à Duluth et déchargées à Rotterdam, qu'en vertu du droit anglais, si la défenderesse est en droit de faire une demande (ce qui n'est pas admis mais nié formellement) il semble qu'elle ne puisse réclamer que des dommages-intérêts;
SUBSIDIAIREMENT ET SANS PRÉJUDICE DE CE QUI PRÉCÉDE,
la doctrine non adempleti contractus est aussi inapplicable aux circonstances de ladite charte-partie et desdits voyages.
L'avocat de la défenderesse soutient que selon deux arrêts récents de la Cour suprême et quatre décisions de la Cour fédérale 2 sur la question de compétence de la présente cour, cette dernière ne peut être saisie de l'action. Si je comprends bien, son argument serait le suivant: l'action de la demanderesse ne peut être jugée par la présente cour car elle se fonde sur une charte-partie régie par le droit anglais et ne s'appuie sur aucune loi fédérale canadienne applicable, comme ce doit être le cas.
Il est nécessaire de résumer brièvement les six décisions afin de bien situer l'argument.
Dans les affaires Quebec North Shore Paper et McNamara, la demanderesse invoquait devant la Cour fédérale le droit applicable aux contrats, alléguant que pro tanto ce droit pouvait être modi- fié par une loi fédérale en ce qui concerne les transports interprovinciaux ou les entreprises du gouvernement fédéral, bien que cette prétention ne s'appuyait sur aucune loi fédérale existante. Dans Canadian Vickers, le juge en chef adjoint de la présente cour a statué qu'il n'existe aucune loi fédérale à l'appui de la compétence de la présente cour pour entendre une demande présentée par un armateur contre un constructeur maritime pour inexécution de contrat relativement à la construc tion d'un navire. Dans Sivaco Wire & Nail Co., le juge Walsh a statué que la présente cour peut juger une action découlant d'un contrat ou une action en responsabilité délictuelle pour dommages subis par la cargaison. Dans Gore Mutual Insur ance Co., le juge Gibson a statué que la présente cour est compétente pour entendre une action por- tant sur des contrats d'assurance maritime. Enfin, la Cour d'appel fédérale a statué dans Associated Metals & Minerals Corp. qu'il existe au Canada un code de droit positif appelé droit d'amirauté qui s'intéresse clairement aux contrats relatifs au transport des marchandises par mer.
' Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054. McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
2 La Reine c. Canadian Vickers Ltd. [1978] 2 C.F. 675. Sivaco Wire & Nail Co. c. Atlantic Lines & Navigation Co., Inc. [1978] 2 C.F. 720. Intermunicipal Realty & Development Corp. c. Gore Mutual Insurance Co. [1978] 2 C.F. 691. Associated Metals & Minerals Corp. c. L'aEvie W. [1978] 2 C.F. 710.
L'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale accorde à la Division de première instance une compétence concurrente en première instance en matière de navigation et de marine marchande. L'alinéa 22(2)i) précise que la présente cour a compétence en matière de louage d'un navire par charte-partie ou autrement:
22. (1) La Division de première instance a compétence con- currente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
i) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
On se souviendra que la décision rendue dans Canadian Vickers, après avoir fait un résumé savant et approfondi du droit d'amirauté au Canada, a statué que l'alinéa 22(2)n), à savoir:
22. (2) ...
n) toute demande née d'un contrat relatif à la construction, à la réparation ou à l'équipement d'un navire;
ne comprenait pas une demande faite par le pro- priétaire d'un navire contre son constructeur parce que le code du droit d'amirauté, qui est devenu le droit du Canada, n'offrait pas un tel recours au propriétaire et que l'alinéa 22(2)n) ne changeait rien à cette situation.
Dans Gore Mutual Insurance Co., le juge Gibson a statué que les polices d'assurance mari time sont des «contrats maritimes». Il a renvoyé à De Lovio c. Boit', une décision de la Cour de circuit du Massachusetts datant de 1815 et décrite comme étant [TRADUCTION] «la clef de voûte de la jurisprudence relative à l'amirauté en Amérique». La décision du juge Story est un essai approfondi sur l'histoire de l'amirauté, remontant jusqu'au règne de Richard premier et aux Lois d'Oleron que ce dernier a compilées à son retour de la Terre Sainte.
3 (1817) 2 Gall. 398 (Gallison's Reports).
Le juge Story établit trois principes fondamen- taux: (1) La Cour d'amirauté a compétence sur tous les contrats maritimes, qu'ils soient rédigés ou signés, et quelque forme que revêtent les stipu lations. (2) Une police d'assurance maritime est un contrat maritime et par conséquent relève de la Cour d'amirauté. (3) Les cours de common law ont une compétence concurrente avec la Cour d'amirauté en matière de contrats maritimes. La définition des «contrats maritimes» du juge Story comprend les chartes-parties aussi bien que les contrats d'assurance maritime. Il dit à la page 475.
[TRADUCTION] La question qui se pose ensuite est la sui- vante: que sont exactement les «contrats maritimes»? Heureuse- ment, sur ce point particulier, il y a peu de place pour la controverse. Tous les juristes, civilistes et autres, s'accordent à dire que cette appellation comprend entre autres: les chartes- parties, les affrètements, les inscriptions hypothécaires mariti- mes, les contrats pour les services maritimes afférents à la construction, à la réparation, à la fourniture et à la navigation des navires, les contrats entre les copropriétaires des navires, les contrats et les quasi-contrats relatifs aux avaries, aux contribu tions et aux jets à la mer; et, ce qui est plus important en l'espèce, les polices d'assurance.
En conséquence, je juge que les polices d'assurance relèvent de la compétence (quoique non exclusive) de l'amirauté et des tribunaux maritimes des Etats-Unis. [C'est moi qui souligne.]
Plus loin, à la page 695 de ses motifs de juge- ment, le juge Gibson remarque qu'«aucune loi ni aucune décision d'un tribunal de common law en Angleterre n'a jamais prétendu suggérer qu'une police d'assurance maritime ne serait pas une matière d'amirauté ou une matière maritime.» Il étudie les limites du droit maritime au Canada et conclut aux pages 704 et 705:
Certainement, dans le domaine ainsi décrit: (1) s'applique le code du droit de l'amirauté, à titre de droit maritime canadien, rendu loi fédérale par l'Acte de l'Amirauté, 1891 et la Loi d'amirauté, 1934; et (2) est introduite, à titre de droit maritime canadien, toute loi sur l'Amirauté et loi maritime appliquées par les cours d'Amirauté en Angleterre «sous le règne d'Edward III et avant les lois promulguées par Richard II et Henry IV, qui ont été ensuite interprétées et exécutées par les cours de common law, appliquant les principes de common law de manière à restreindre sévèrement la compétence de la Cour d'Amirauté».
Le domaine précité est, cependant, suffisamment large pour permettre de déterminer les points litigieux soulevés dans la présente requête, relativement aux polices d'assurance maritime en question.
Pour les mêmes raisons, l'ensemble du droit maritime canadien traite des chartes-parties, sujet qui a depuis toujours été rapproché de la naviga-
tion et de la marine marchande et est maintenant intégré au droit statutaire canadien par le biais des dispositions de l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale.
Cependant l'avocat de la défenderesse, si je ne me trompe, ne dit pas que l'alinéa 22(2)i) n'ac- corde pas à la présente cour la compétence néces- saire pour entendre une action relative au louage d'un navire par charte-partie. Il allègue que la charte-partie en cause étant régie par le droit anglais, il n'existe pas de < span> au Canada» sur laquelle fonder la compétence de la Cour en l'espèce.
La compétence de la présente cour pour juger une demande relative au louage d'un navire par charte-partie étant établie, la Cour est compétente pour ce faire quelle que soit la loi qui régit le contrat lui-même. (On se souviendra que la défen- deresse est une société canadienne ayant un bureau à Montréal (Québec)) Si le contrat doit être interprété conformément au droit anglais, ce dont je suis loin d'être convaincu, la Cour appliquera alors le droit anglais au contrat. Le droit étranger devant être appliqué devient alors une question de fait.
La clause d'arbitrage de la charte-partie n'est pas un accord exprès en vertu duquel le droit approprié régissant la charte-partie doit être le droit anglais. Cette clause n'est rien de plus qu'un indice pouvant céder le pas à d'autres éléments de preuve produits à l'audience. Le fait que le contrat a été signé en Angleterre n'est pas strictement concluant: comme l'a dit lord Wright, la lex loci contractus ou la lex loci solutionis ne sont pas les seuls critères, il faut envisager la question [TRA- DUCTION] «comme dépendant de l'intention des parties, laquelle doit être établie dans chaque cas par l'examen des termes du contrat, de la situation des parties, et de façon générale, de tous les faits en cause.» 4 Conformément à la règle générale, en l'absence de choix évident, le droit applicable au contrat est celui de l'endroit ou du système avec lequel il est le plus intimement associé (voir Com- pagnie d'Armement Maritime S.A. c. Compagnie Tunisienne de Navigation S.A. 5 ). Et, en l'absence
4 Mount Albert Borough Council c. Australasian Temper ance Assurance [1938] A.C. 224, p. 240 (C.P.).
5 [1971] A.C. 572.
de preuve contraire, il y a présomption que le droit étranger est le même que le droit du Canada (voir Ertel Bieber & Co. c. Rio Tinto Co. Ltd. 6 ).
Si le juge de première instance statue que la demanderesse est liée par ses allégations contenues au paragraphe 7 de la réponse, ou pour d'autres raisons déclare que le droit en fonction duquel il faut interpréter la charte-partie est le droit anglais, ce dernier est alors présumé être le même que le droit canadien. S'il est prouvé qu'il en diffère sur un point essentiel, alors la situation du droit étran- ger ne sera qu'un fait et ce n'est pas le droit étranger, mais le nôtre, qui s'applique.
Je suis par conséquent d'avis que la présente cour est compétente pour entendre l'action de la demanderesse. Les deux parties ayant consenti à ce que cette demande soit présentée, les dépens suivront l'issue de la cause.
6 [1918] A.C. 260.
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