Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-16-77
Sarco Canada Limited (Requérante) c.
Le Tribunal antidumping (Intimé) et
Sarco Company Inc. et Escodyne Limited (Intervenantes)
Cour d'appel, les juges Heald et Le Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, les 16 et 17 mai; Ottawa, le 9 juin 1978.
Examen judiciaire Décision du Tribunal antidumping sur le préjudice causé à la production au Canada de «marchandi- ses semblables» Pièces reçues et prises en compte d'une manière non prévue par la Loi Requérante incapable de vérifier les renseignements obtenus et invoqués Le Tribunal a-t-il correctement interprété l'expression «marchandises semblables»? L'intimé a-t-il conduit l'enquête d'une manière inappropriée, non prévue par la Loi? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 » Supp.), c. 10, art. 28 Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15, art. 2(1), 13(1), 14(1) et 16(1).
Il s'agit d'une demande, introduite sur le fondement de l'article 28, d'examen et d'annulation d'une décision du Tribu nal antidumping statuant que le dumping au Canada de cer- tains produits n'avait pas causé, ne causait pas, ni n'était susceptible de causer, un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables. La requérante allègue que l'intimé a commis une erreur de droit et outrepassé sa compétence en interprétant incorrectement l'expression (mar- chandises semblables» de la Loi antidumping. En second lieu, selon la requérante, il y a eu erreur quant au pouvoir juridic- tionnel, l'intimé n'ayant pas conduit d'une manière appropriée l'enquête, condition préalablement requise pour lui permettre de statuer. Le Tribunal a reçu et étudié des pièces obtenues d'une manière que ne prévoit pas la Loi, privant ainsi la requérante à la fois du droit de se faire entendre comme le prévoit la Loi et de celui de vérifier les renseignements ainsi obtenus et invoqués.
Arrêt: il est fait droit à la demande. Bien que manifestement le Tribunal ait accordé plus de poids à la similitude fonction- nelle qu'aux autres caractéristiques lorsqu'il a défini l'expres- sion .marchandises semblables», la Cour ne peut dire qu'il n'a pas tenu compte de ces autres caractéristiques. La Cour n'inter- vient pas pour modifier une conclusion de fait formulée par un organisme créé par la loi, doté des pouvoirs légaux et des connaissances spécialisées nécessaires pour évaluer les preuves dont il est saisi, à moins qu'aucune preuve n'appuie la conclu sion ou qu'un principe erroné ne la fonde. La Cour ne peut dire qu'elle trouve ici l'une ou l'autre de ces circonstances. Il est clair que le Tribunal s'est servi de renseignements confidentiels et que certains des renseignements obtenus, et sur lesquels il s'est appuyé, étaient erronés et qu'ils n'ont pas été corrigés. La requérante n'a pu remédier à cette erreur qui apparaissait seulement à la lecture des pièces confidentielles non communi-
quées à son procureur. Manifestement il s'agit d'un déni de justice. Le Tribunal n'a pas tenu l'enquête requise par la loi vu qu'il a agi sur la foi de renseignements non révélés aux parties, d'où il suit que la requérante n'a pu y répondre. Le refus du Tribunal d'accorder à la requérante l'ajournement demandé a constitué un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaire à lui dévolu.
Arrêt appliqué: Magnasonic Canada Ltd. c. Le Tribunal antidumping [1972] C.F. 1239.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
D. J. M. Brown et D. L. Rogers pour la
requérante.
J. L. Shields pour l'intimé.
M. Kaylor pour les intervenantes.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour la requérante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady & Morin, Ottawa, pour l'intimé.
Gottlieb, Agard, Reinblatt, Dupras & Kaylor, Montréal, pour les intervenantes.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit en l'espèce d'une demande, introduite sur le fondement de l'article 28, d'examen et d'annulation de la décision rendue par l'intimé le 31 décembre 1976 et statuant que le dumping au Canada des purgeurs automatiques, filtres de pipeline, siphons automatiques pour le service d'air comprimé, aspiraux thermostatiques et appareils thermostatiques éliminateurs d'air, y compris leurs pièces, filtres et trousses de répara- tion, produit par Sarco Company Inc., Allentown, Pennsylvanie (l'une des intervenantes en l'espèce), ou pour le compte de cette entreprise, n'avait pas causé, ne causait pas ni n'était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables.
La requérante allègue en premier lieu que l'in- timé a commis une erreur de droit et outrepassé sa compétence en interprétant incorrectement le terme «marchandises semblables» de la Loi anti-
dumping, S.R.C. 1970, c. A-15'. Le sens qu'il faut donner à cette expression est fondamental en l'es- pèce vu son utilisation à l'article 16(1) de la Loi antidumping, paragraphe qui, en l'espèce, permet et même impose à l'intimé de prendre une déci- sion 2 . La requérante appelle l'attention sur le pas sage suivant des motifs de la décision de l'intimé 3 :
' 2. (1) Dans la présente loi
«marchandises semblables», par rapport à toutes marchandi- ses, désigne
a) des marchandises qui sont identiques à tous égards auxdites marchandises, ou
b) en l'absence de toutes marchandises décrites au sous- alinéa a), des marchandises dont les caractéristiques res- semblent étroitement à celles desdites marchandises; 2 16. (1) Le Tribunal, dès réception par le secrétaire, en vertu du paragraphe 14(2), d'un avis d'une détermination préliminaire du dumping, doit, relativement aux marchandises auxquelles s'applique la détermination préliminaire du dum ping, faire enquête pour savoir
a) si le dumping des marchandises qui font l'objet de l'enquête
(i) a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables,
(ii) a retardé ou retarde sensiblement la mise en produc tion au Canada de marchandises semblables, ou
(iii) eût causé un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables n'eût été le fait qu'un droit temporaire a été appliqué aux marchandises; ou
b) dans le cas de marchandises auxquelles s'applique la détermination préliminaire du dumping,
(i) si
(A) il y a eu une importation considérable de marchan- dises semblables sous-évaluées, et si ce dumping a causé un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables, ou eût causé un préjudice sensible à cette production n'eût été l'application de mesures antidumping, ou
(B) l'importateur des marchandises était ou eût être au courant du fait que l'exportateur pratiquait le dum ping et que ce dumping causerait un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables, et
(ii) si un préjudice sensible a été causé à la production au Canada de marchandises semblables du fait que les mar- chandises entrées constituent une importation massive ou font partie d'une série d'importations de marchandises sous-évaluées. au Canada lorsque ces importations sont massives dans l'ensemble et se sont produites au cours d'une période relativement courte, et si, en vue d'empêcher qu'un tel préjudice sensible ne se répète, l'imposition d'un droit sur les marchandises entrées parait nécessaire au Tribunal.
3 Dossier conjoint, vol. 3A, page 34.
Il lui semble que la question de savoir si des marchandises sont »semblables» doit être établie par des études de marché. Ces marchandises se font-elles directement concurrence? Visent- elles les mêmes consommateurs? Ont-elles, du point de vue fonctionnel, le même usage final? Répondent-elles aux mêmes besoins? Peut-on les substituer l'une à l'autre?
Elle fait valoir que dans ce passage le Tribunal définit l'expression «marchandises semblables». Elle dit que parmi les «marchandises» en cause, seules celles produites par elle-même sont identi- ques à celles de Sarco Company Inc. Quant à la plupart des autres marchandises, elle prétend que seuls ses produits sont identiques à ceux qui font l'objet du dumping de la Sarco Company Inc. ou ont en commun avec eux les caractéristiques suivantes:
(i) la marque de commerce «Sarco»;
(ii) la forme de leurs parties composantes;
(iii) l'apparence extérieure;
(iv) un haut degré de correspondance dans le catalogue d'identification.
La requérante fait valoir en outre qu'aucune des marchandises produites au Canada par les autres fabricants identifiés par l'intimé n'ont en commun avec les marchandises sous-évaluées les caractéris- tiques signalées ci-dessus, leur seul point commun étant qu'elles leur font concurrence ou peuvent leur être substituées, aucune, si ce n'est celles de la requérante, n'étant «identique» ou n'ayant des caractéristiques «ressemblant étroitement» à celles des marchandises sous-évaluées au sens de l'article 2(1) de la Loi antidumping. Ainsi, d'après la requérante, l'intimé, parce qu'il a mal interprété l'expression «marchandises semblables>» (supra) ne s'est pas enquis du préjudice sensible causé à la production canadienne de «marchandises sembla- bles» mais s'est attardé à enquêter sur toutes les marchandises «substituées» à celles sous-évaluées. En conséquence, cette erreur fondamentale, du moins c'est ce que fait valoir la requérante, a fait perdre à l'intimé sa compétence en la matière, ou la lui a fait outrepasser.
Voici les motifs de l'intimé en rapport avec ce point litigieux (dossier conjoint, vol. 3A, page 32):
Il ne fait aucun doute que les marchandises fabriquées par le plaignant, Sarco Canada, ressemblent très étroitement, en apparence, aux marchandises produites par ou pour le compte de Sarco E.-U. Ce fait s'explique par l'association antérieure
des deux sociétés et leur utilisation commune du nom commer cial «Sarco», qui figure sur leurs marchandises jusqu'à ce jour.
et, à nouveau, aux pages 33 et 34:
Les faits sont donc les suivants: une plainte de dumping a été déposée par un fabricant canadien qui fabrique des marchandi- ses ressemblant étroitement en apparence aux marchandises produites par ou pour le compte de Sarco E.-U.
Dans ce contexte, les marchandises semblables produites au Canada doivent-elles être limitées à celles que produit Sarco Canada? La réponse à cette question est décisive. Si tel est le cas, il faudra indubitablement, afin de déterminer si le préju- dice sensible a été, est ou est susceptible d'être causé à la production de marchandises semblables, que l'on considère Sarco Canada comme l'entreprise représentant la «production», sans tenir compte ni de l'existence d'autres fabricants canadiens des marchandises qui figurent dans la détermination prélimi- naire ni de la présence, sur le marché canadien, de produits non sous-évalués provenant des Etats-Unis et correspondant à la même description.
Sarco Canada a reconnu tout au long des délibérations qu'il y a sur le marché d'autres produits provenant d'autres sources canadiennes, ainsi que des produits importés provenant d'autres fabricants américains, produits qui sont fonctionnellement sem- blables aux produits de Sarco E.-U. Ainsi, en ce qui concerne les purgeurs thermostatiques, le principal témoin de la société a déclaré: «D'autres fabricants fabriquent des purgeurs thermos- tatiques de leur propre conception, lesquels sont vendus sur certains des mêmes marchés à qui s'adressent Sarco E.-U. et Sarco Canada, mais ceux-ci ne ressemblent pas étroitement aux purgeurs thermostatiques «Sarco». En ce qui concerne les pur- geurs à clapets à inversion, il a ajouté: «Le second plus impor tant fabricant de purgeurs à clapet à inversion est Armstrong. Cette société fabrique une variété de purgeurs à clapet qui sont fonctionnellement semblables à ceux que produit Sarco E.-U., mais aussi un certain nombre de ces appareils qui ne le sont pas. Toutefois, le purgeur à clapet produit par Armstrong ne ressemble pas étroitement aux purgeurs à clapet fabriqués par Sarco E.-U. et Sarco Canada.» Et pour ce qui est des purgeurs à flotteur et des purgeurs thermostatiques, le témoin a fait la déclaration suivante: «Ces appareils produits par Trane (au Canada) et par Hoffman, Dunham, Armstrong, etc. aux Etats- Unis, bien que fonctionnellement semblables, ne ressemblent pas étroitement aux purgeurs thermostatiques à flotteur de Sarco.» Il a fait la même déclaration pour chaque article, sauf pour les filtres.
Le procureur de Sarco Canada a soutenu qu'il faut faire abstraction des ressemblances fonctionnelles dans le cas actuel et que le Tribunal doit chercher à déterminer quelle est la catégorie de marchandises qui présente les ressemblances les plus étroites, c'est-à-dire celles qui ressemblent le plus étroite- ment aux importations sous-évaluées, à savoir les marchandises produites par Sarco Canada.
Le problème n'est pas sans difficulté mais, après en avoir fait l'étude, le Tribunal en est venu à la conclusion qu'il doit rejeter la façon étroite d'interpréter l'article de la Loi à l'étude. Il lui semble que la question de savoir si des marchandises sont «semblables» doit être établie par des études de marché. Ces marchandises se font-elles directement concurrence? Visent- elles les mêmes consommateurs? Ont-elles, du point de vue
fonctionnel, le même usage final? Répondent-elles aux mêmes besoins? Peut-on les substituer l'une à l'autre? Il arrive que la dissemblance d'aspect physique des marchandises à fonction semblable est à ce point marquée qu'elle peut créer des marchés entièrement différents; toutefois, ce n'est pas le cas dans la présente enquête. Il faut également se rappeler que tous ces produits concurrentiels doivent être conformes à certaines normes précises.
Le Tribunal conclut que les «marchandises semblables», fabriquées au Canada (par rapport au préjudice sensible qui doit être étudié), doivent comprendre la production collective de tous les fabricants canadiens des marchandises énumérées dans la détermination préliminaire du sous-ministre.
Conformément à l'article 14(1) de la Loi anti- dumping, le sous-ministre a conclu au dumping présumé dans le cas d'une catégorie de produits connue dans le commerce sous le vocable «articles de production d'énergie thermique» dont les «pur- geurs» forment l'une des sous-catégories. La pré- sente cour a déjà statué que le sous-ministre est autorisé à créer des catégories (et à en préciser le contenu) aux fins d'enquêtes ouvertes sur le fonde- ment de l'article 13 (1) de la Loi 4 , et à conclure, d'une manière préliminaire, au dumping en vertu de l'article 14(1) de la Loi 5 .
° Les articles 13(1) et 14(1) de la Loi antidumping se lisent comme suit:
13. (1) Le sous-ministre fait ouvrir immédiatement une enquête concernant le dumping de marchandises, de sa propre initiative ou sur réception d'une plainte écrite portée par des producteurs de marchandises semblables au Canada ou en leur nom,
a) s'il est d'avis qu'il y a des éléments de preuve indiquant que les marchandises ont été ou sont sous-évaluées; et
b) si
(i) il est d'avis qu'il y a des éléments de preuve, ou
(ii) le Tribunal fait savoir qu'il est d'avis qu'il y a des éléments de preuve
indiquant que le dumping mentionné à l'alinéa a) a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables ou a retardé ou retarde sensiblement la mise en production au Canada de marchandises semblables.
14. (1) Lorsqu'on n'a pas, en vertu du paragraphe 13(6), mis fin à une enquête concernant le dumping de marchandises et que le sous-ministre, par suite de l'enquête, est convaincu,
a) que les marchandises ont été ou sont sous-évaluées, et
b) que la marge de dumping des marchandises sous-évaluées et le volume réel ou éventuel du dumping ne sont pas négligeables,
il fait une détermination préliminaire du dumping spécifiant les marchandises ou la sorte de marchandises auxquelles cette déclaration s'applique.
5 Comparer: Mitsui and Co. Limited c. Buchanan [1972] C.F. 944.
Ainsi lorsqu'on lit l'article 16(1) à la lumière des articles 13 et 14 (supra), la référence qui y est faite «aux marchandises auxquelles s'applique la détermination préliminaire du dumping» et «à la production au Canada de marchandises sembla- bles», montre clairement, à mon avis, que l'intimé était compétent pour décider de la nature de la relation existant entre les marchandises que, d'une manière préliminaire, on a jugé être sous-évaluées et le préjudice sensible causé le cas échéant aux producteurs au Canada de «marchandises sembla- bles». Se référant alors à la définition de «mar- chandises semblables» figurant à l'article 2(1) de la Loi, l'intimé a conclu que les marchandises de la requérante n'étaient pas «identiques à tous égards» à celles de l'exportateur et cette conclusion de fait appuyée par les preuves produites n'est pas contes- tée par la requérante. Ainsi, vu qu'on ne trouve pas en l'espèce, dans les faits, les éléments prévus à l'article 2(1)a), est-il nécessaire de se reporter à l'article 2(1)b) pour voir si l'on produit au Canada des «marchandises dont les caractéristiques res- semblent étroitement» aux marchandises sous-éva- luées.
A mon avis, pour définir l'expression «marchan- dises semblables», l'intimé devait considérer toutes les caractéristiques ou qualités des marchandises et non quelques-unes seulement. En conséquence, si le dossier révélait que le Tribunal s'en était tenu uniquement à des «considérations de marché» pour définir l'expression «marchandises semblables», je serais d'accord avec le procureur de la requérante pour dire que c'était juridiquement à tort de la part du Tribunal. Toutefois la lecture du dossier ne me mène pas à telle conclusion. Au départ il doit être noté qu'à la page 34 de ses motifs (supra), le Tribunal ne dit pas que la question des «marchan- dises semblables» doive être résolue uniquement en fonction de considérations de marché. En outre, il a été, semble-t-il, prouvé devant le Tribunal qu'il existait, d'une part, des ressemblances physiques entre les marchandises sous-évaluées et celles de certains fabricants canadiens (voir notes sténogra- phiques de l'audience publique, vol. 1, pages 219, 229, 230, 200 et 29) et, d'autre part, des dissem- blances physiques entre les marchandises sous-éva- luées et celles de la requérante (voir notes sténo- graphiques, vol. 1, pages 229, 199 et 200, 201). La page 33 des motifs précités montre bien que le Tribunal a prêté au moins quelque attention aux
dissemblances physiques existant entre les mar- chandises sous-évaluées et celles des fabricants canadiens. Il appert aussi que le Tribunal a tenu compte des caractéristiques physiques des mar- chandises. Je dis cela à cause du passage suivant des motifs à la page 32:
Il ne fait aucun doute que les marchandises fabriquées par le plaignant, Sarco Canada, ressemblent très étroitement, en apparence, aux marchandises produites par ou pour le compte de Sarco E.-U. [C'est moi qui souligne.]
Ainsi, bien que manifestement le Tribunal ait accordé plus de poids à la similitude fonctionnelle qu'aux autres caractéristiques lorsqu'il a défini l'expression «marchandises semblables», je ne puis dire qu'il n'a pas tenu compte de ces autres caractéristiques.
Il s'agit ici d'une conclusion de fait formulée par un organisme créé par la loi, doté des pouvoirs légaux et des connaissances spécialisées nécessaires pour évaluer les preuves dont il est saisi et en arriver à cette conclusion. Dans un tel cas, la Cour n'intervient pas, à moins qu'aucune preuve n'ap- puie la conclusion ou qu'un principe erroné ne la fonde 6 . Je ne puis dire que nous trouvions ici l'une ou l'autre de ces circonstances.
Donc, sur la première allégation et pour les raisons qui précèdent, je conclus que la requérante n'a établi ni l'erreur de droit, ni l'incompétence.
En second lieu, selon la requérante, il y a eu erreur quant au pouvoir juridictionnel, l'intimé n'ayant pas conduit d'une manière appropriée l'en- quête, condition préalable requise pour lui permet- tre de statuer. Il aurait aussi outrepassé sa compé- tence en recevant et en étudiant des pièces obtenues d'une manière que ne prévoit pas la Loi antidumping; ces pièces auraient été versées au dossier selon un procédé qui privait la requérante du droit de se faire entendre comme le prévoit la loi, ainsi que de son droit de vérifier les renseigne- ments ainsi obtenus, et invoqués par l'intimé—et ce à cause du refus de celui-ci de faire droit à la demande d'ajournement présentée à cette fin par la requérante. Cette dernière fait valoir en outre
6 Comparer: In re Y.K.K. Zipper Co. of Canada Ltd. [ 1975] C.F. 68, la page 75, par le juge Urie.
qu'en ne lui communiquant pas une partie des pièces sur lesquelles il s'est appuyé, l'intimé a violé le principe audi alteram partem.
Il est nécessaire, pour bien étudier ces alléga- tions, de se reporter aux faits entourant la tenue de l'enquête que le Tribunal a mené du 15 au 19 novembre 1976 inclus. Auparavant, le 10 novem- bre 1976, il avait tenu une audience (qualifiée au dossier de séance préalable) étaient présents les trois membres du Tribunal, de même que les pro- cureurs et les autres représentants des parties inté- ressées. Les buts de cette séance préalable, selon le président, étaient les suivants:
[TRADUCTION] ... mettre certaines informations à la disposi tion des parties, décider de la question du caractère confiden- tiel, circonscrire certains des points litigieux majeurs, identifier certaines des zones problèmes et aussi vous informer de la procédure qui sera suivie en audience publique'.
Ensuite le président a demandé au secrétaire du Tribunal de verser au dossier un certain nombre de pièces, douze en tout, dont les pièces ADT -2, ADT -4, ADT -6, ADT -8 et ADT -10, qui ont été cotées confidentielles, les autres étant cotées pièces publiques. La pièce confidentielle ADT -2 conte- nait certaines annexes à une lettre du 5 octobre 1976 envoyée par le sous-ministre au secrétaire du Tribunal. Il s'agissait d'un résumé se rapportant aux marchandises sous-évaluées. Quant aux autres pièces, le président a déclaré ceci:
[TRADUCTION] Maintenant, à ce jour, le Tribunal a envoyé des questionnaires aux fabricants canadiens, aux importateurs des marchandises sous-évaluées et à ceux de régulateurs de canalisations de vapeur provenant d'autres exportateurs améri- cains. M. Mahli, de notre personnel de recherche, a rendu visite à un certain nombre de fabricants canadiens et d'importateurs de régulateurs de canalisations de vapeur à propos du question naire du Tribunal. Les fabricants canadiens concernés sont: Yarway Canada Limited de Guelph (Ontario), Sarco Canada Limited d'Agincourt (Ontario), Atlas Engineering and Machine Company Limited de Toronto (Ontario), Trane Com pany of Canada Limited de Toronto (Ontario), Dunham -Bush Canada Limited, Western, Ontario de Weston (Ontario) et Braukmann Controls Company Ltd., aussi de Weston (Onta- rio). La firme Mackinson Winchester Ltd. de Montréal est l'importatrice canadienne concernée. En sus, le Tribunal s'est aperçu, après avoir envoyé les questionnaires, que d'autres firmes étaient intervenues soit dans la fabrication des régula- teurs de canalisations de vapeur, soit dans leur vente. Le
Notes sténographiques de l'audience publique, vol. 1, page 1.
personnel de recherche du Tribunal a communiqué avec un certain nombre de firmes, comme on le verra plus loin, afin d'obtenir des précisions sur les ventes de ces marchandises provenant soit de la production canadienne, soit des importa tions, au cours des années 1975 et 1976.
Sur la foi des renseignements obtenus en réponse à ces questionnaires et à un sondage par téléphone, le Tribunal a été à même de préparer deux pièces publiques: l'une énumère les fabricants canadiens des marchandises visées par la détermina- tion préliminaire, l'autre est un tableau du marché canadien global apparent existant en matière de régulateurs de canalisa- tions de vapeur.
M. le secrétaire voulez-vous produire les autres pièces ADT, qu'elles soient publiques ou confidentielles, les réponses aux mémoires et distribuer les mémoires et pièces publiques? 8
La pièce confidentielle ADT -4 est d'origine collec tive et contient les réponses des fabricants au questionnaire du Tribunal. La pièce ADT -4.1, con- tenue dans la pièce précédente, est la réponse de Sarco Canada Limited; la pièce 4.2 celle de Yarway Canada Limited; la pièce 4.3 celle de la John W. Tucker Ltd.; la pièce 4.4 celle de Trame Company of Canada Limited et dans la pièce 4.5 figurent les [TRADUCTION] «réponses reçues d'au- tres manufacturiers qui ne fabriquent pas les mar- chandises en question, n'en fabriquent qu'une très petite quantité ou se sont avérés incapables de fournir quelque renseignement que ce soit.» 9
La pièce confidentielle ADT -6 est d'origine col lective elle aussi et contient les réponses des impor- tateurs au questionnaire que le Tribunal leur a envoyé. La pièce ADT -6.1, contenue dans la précé- dente, est la réponse d'Escodyne Limited; la pièce 6.2 celle de la Makinson Winchester; la pièce 6.3 celle de la J.R. Stevenson Limited et la pièce 6.4 celle de Warco Specialties Inc.
La pièce confidentielle ADT -8 consiste en un résumé des renseignements reçus de cinq fabri- cants canadiens qui ont été rejoints par le person nel de recherche du Tribunal, soit par téléphone, soit par lettre, pour obtenir d'eux des renseigne- ments en matière de production et de vente. Outre ces données, cette pièce contient aussi certains renseignements fournis par Velan Engineering Company. Les documents eux-mêmes et les lettres reçues sont annexés à la pièce ADT -8.
La pièce confidentielle ADT -10 consiste en un résumé des renseignements obtenus de quelque
8 Notes sténographiques, vol. 1, pages 2 et 3.
9 Notes sténographiques, vol. 1, page 4.
vingt et un importateurs canadiens; les pièces justi- ficatives y sont annexées.
Le procureur s'étant engagé à respecter le carac- tère confidentiel, l'avocat de la requérante lui avait communiqué certaines des pièces confidentielles. Toutes n'ont cependant pas été divulguées. Voici la décision du président du Tribunal à ce propos:
[TRADUCTION] Maintenant, le reste des renseignements confi- dentiels fournis au Tribunal demeurera confidentiel et à la disposition du Tribunal seulement. Ce sont les réponses d'autres compagnies .... 10
Voici les documents qui n'ont pas été rendus publics:
a) La pièce ADT -2;
b) Les pièces ADT -4.2, 4.4 et 4.5;
c) La pièce ADT -8 ainsi que les documents et lettres justifi- catifs y annexés; et
d) La pièce ADT -10 ainsi que ses pièces justificatives.
Pour refuser de rendre publiques ces pièces, le Tribunal s'est appuyé sur l'article 29(3) de la Loi antidumping, que voici:
29. ...
(3) Lorsque des témoignages ou des renseignements qui sont d'une nature confidentielle, relativement aux travaux ou aux affaires d'une personne, d'une firme ou d'une corporation, sont fournis ou obtenus au cours d'une enquête tenue en vertu de l'article 16, les témoignages ou renseignements ne seront pas rendus publics de manière à pouvoir être utilisés par un concur rent ou par un rival commercial de la personne, de la firme ou de la corporation.
Les comptes rendus de la séance préalable révèlent qu'alors le procureur de Sarco Company Inc., l'une des intervenantes en cause, a demandé la commu nication des questionnaires envoyés aux autres compagnies, de même que de la pièce ADT -2. C'est à ce moment que Me Brown, procureur de la requérante, s'est adressé en ces termes au Tribunal ":
[TRADUCTION] Me BROWN: Oui, monsieur le président, nous avons certaines questions à poser portant sur les renseignements rendus publics et ... et d'après nos propres renseignements nous en sommes venus à la conclusion que les fabricants cana ... les autres fabricants canadiens n'avaient pas l'importance qu'ils paraissent avoir d'après la pièce publique schématisant le ... le ... marché canadien. Ce ne sont pas les importations qui ... qui nous surprennent particulièrement, ce sont les fabri- cants canadiens et nous avons quelques questions en tête, comme par exemple, si certains produits auraient pu valable-
10 Notes sténographiques, vol. 1, pages 6 et 7.
11 Notes sténographiques, vol. 1, pages 8 à 12.
ment ... vous comprenez, le genre qui aurait pu valablement être inclus, et encore, si le marché, comme tout est présenté en un bloc, peut-être que ... qu'il faudrait sélectionner un peu les produits, séparer les purgeurs des filtres par exemple, etc. et aussi de ... nous avons parlé à l'occasion avec deux ou trois fabricants canadiens avant que l'affaire ne soit engagée et hum! ... ils ne voulaient pas être mêlés à cela. Mais nous pensons que peut-être nous devrions tenter de parler à quelques-uns d'entre eux nous-mêmes, au moins pour nous convaincre qu'ils veulent ... pardon qu'ils ne veulent pas collaborer ou, peut- être, pour décider si oui ou non, nous les citons comme témoins. Et ceci m'amène à me demander si, d'ici à lundi, nous pourrions ... nous ne pouvons vraiment pas faire face à cela ... à ce problème. Nous avons remarqué que l'un des fabricants était ... nous n'en avions jamais entendu parler et ... ce qui me paraît un peu étrange maintenant ... et ils sont au Québec et je pense que nous sommes ... nous nous trouvons en situation de demander un ajournement, presque ... uniquement pour voir si nous pouvons rejoindre nous-même, ce fabricant canadien et savoir ce qu'il en est.
De toute évidence, Sarco Canada est le ... le principal fabricant en cause mais ... certains ont peut-être plus d'impor- tance que nous ne l'avions originairement estimé dans le cas de certains produits, et si nous ne pouvons les persuader de participer de leur ... propre gré nous devrons peut-être les assigner et ... mais auparavant je pense que nous devrions avoir une chance de leur parler.
LE PRESIDENT: Et vous pensez qu'il n'est pas possible de le faire avant lundi?
M` BROWN: Demain ou vendredi? C'est ce dont je doute.
LE PRÉSIDENT: Mais le Tribunal a lui aussi ses problèmes; son rôle n'a probablement jamais été aussi chargé et je ne pense pas que nous puissions songer à ajourner. Nous ... nous devons prendre une décision ....
M` BROWN: Dans les 90 jours.
LE PRESIDENT:... dans les 90 jours et la semaine prochaine nous commençons ... la semaine suivante nous commençons autre chose.
M` BROWN: Oui, je comprends très bien, monsieur le président.
LE PRÉSIDENT: Quant aux renseignements mis à votre dispo sition, notre personnel de recherche a, je pense, pris beaucoup de peine pour ... pour essayer d'établir qu'il s'agissait de marchandises semblables. Peut-être M. Armstrong pourrait-il discuter avec M. Mahli des articles inclus ultérieurement?
M` BROWN: Eh bien, je pense que ... que ... oui, mais je pense vraiment que nous devrions ... que nous devrions avoir la possibilité de parler aux autres manufacturiers et de connaître leur point de vue. Je crois comprendre que les 90 jours courent à compter du 4 octobre?
LE PRÉSIDENT: Oui.
M` BROWN: Cela veut dire: octobre, novembre, décembre, en somme le dernier délai, ce serait le premier de l'an?
LE PRESIDENT: Oui.
M` BROWN: Ne pourriez-vous disposer d'un peu de temps au début de décembre?
LE PRÉSIDENT: Non. M e BROWN: Non.
LE PRÉSIDENT: Ce n'est pas possible au début de décembre; il y a ... il ne reste plus de temps disponible d'ici la fin de l'année. Monsieur le secrétaire, pensez-vous qu'il y ait ... qu'il y ait une possibilité?
LE SECRÉTAIRE: Non monsieur le président; après la semaine prochaine ... après la semaine prochaine, des audiences sont prévues jusqu'à la mi-décembre.
Me BROWN: De sorte que la dernière ... la seule possibilité, ce serait la troisième semaine de décembre?
LE PRÉSIDENT: Oh! et ... et ... et ce n'est pas possible. Nous ne pourrions rendre une décision avant ... dans les délais prévus.
M' BROWN: Eh bien! ...
LE PRÉSIDENT: Il reste ... il vous reste deux jours et demi.
M' BROWN: Eh bien! ...
LE PRÉSIDENT: Je comprends que ce n'est pas long, et ....
M e BROWN: ... vous savez j'ai aussi une autre affaire ven- dredi. Vous comprenez: deux jours et demi en réalité ... je suppose que tous ceux qui pratiquent le droit ont le même problème. Mon agenda est lui aussi comble.
M. LAVIGNE: Mais pourquoi votre client n'a-t-il pas enquêté chez les autres fabricants canadiens auparavant?
M' BROWN: Eh bien! nous l'avons fait. Nous l'avons fait; il y a un certain nombre de fabricants dont nous n'avions pas entendu parler.
M. LAVIGNE: Eh bien! ce n'est pas inhabituel. Nous nous apercevons que dans chaque affaire les deux parties en appren- nent beaucoup sur le marché et sur les autres fabricants. Vous savez que ....
M' BROWN: Oui ... .
M. LAVIGNE: ... vous avez eu tout le temps de faire ... d'établir des contrats, d'obtenir des appuis, etc.
Me BROWN: Eh bien! c'est vrai, quoique les propos qui nous ont été tenus par les fabricants que nous avons rejoints étaient: ... Nous ne sommes rien, nous ne sommes pas réellement ... vous comprenez ce que je veux dire! nous sommes si peu importants que nous nous désintéressons de la chose. Et deux ou trois compagnies québécoises révélées par les renseigne- ments, nous en entendons parler pour la première fois, c'est une surprise et je devine que la première question que nous leur poserions serait: Quelle est votre importance et, si vous en avez une, est-ce que vous accepteriez de témoigner? Et vraiment ... deux jours! ce n'est vraiment pas assez pour organiser ce genre de rencontre.
LE PRÉSIDENT: C'est malencontreux en l'espèce, mais nous, nous ne pouvons vraiment pas retarder cette ... cette audience.
Maintenant, Me Brown, le Directeur de la recherche m'in- forme que nous avons essayé sans succès d'obtenir la participa tion d'un grand nombre de gens. Il a même été difficile d'obtenir d'eux des renseignements statistiques.
M e BROWN: Hum! j'ai ... je suppose que j'ai un ... un léger avantage c'est que s'ils refusent de me parler, je peux les assigner.
LE PRESIDENT: Oui.
M` BROWN: Le seul fait de procéder aux assignations d'ici ... d'ici à vendredi, pour lundi prochain, c'est presque trop espérer. Vous comprendrez cela. Je ne crois pas que le Tribunal ... je devine, techniquement, vous devriez avoir le pouvoir d'agir ....
LE PRESIDENT: Nous l'avons.
M` BROWN:... de votre propre initiative.
LE PRESIDENT: Nous le pouvons.
M` BROWN: Par voie d'assignation mais, ... somme toute, vous avez laissé cela aux parties dans le passé.
LE PRESIDENT: En ce qui concerne le Tribunal, nous n'avons pas cru cela nécessaire. Nous avons obtenu d'eux des renseigne- ments qui, bien entendu, ne sont pas à votre disposition. C'est ... c'est regrettable mais nous allons nous en servir ... de ces renseignements pour rendre notre décision. [C'est moi qui souligne.]
L'avocat de la requérante précise comme suit dans son mémoire le préjudice subi par sa cliente suite à ce refus de lui fournir les autres pièces confidentielles 12 :
['TRADUCTION] 36. En l'espèce, le Tribunal a reçu les données suivantes et s'est appuyé sur elles: certaines réponses confiden- tielles à certains questionnaires, certains renseignements confi- dentiels fournis par le sous-ministre et certaines données ras- semblées par son personnel de recherche suite à des conversations, tenues par téléphone ou autrement, avec les représentants de firmes identifiées comme fabricants ou impor- tateurs de marchandises soi-disant semblables à celles visées par la détermination préliminaire de dumping. On n'a pas donné à l'avocat de la requérante la possibilité d'examiner toutes les pièces étudiées par le Tribunal ou d'interroger le membre de son personnel qui a obtenu par téléphone certains renseignements puis en a présenté le résumé au Tribunal.
37. La requérante fait valoir que le Tribunal a conclu à tort qu'il y avait, outre elle-même, huit autres producteurs cana- diens de marchandises semblables, au sens donné par le tribu nal à cette expression dans ses motifs. Les pièces produites révèlent que John Wood Co. Limited ne fabriquait pas de marchandises du type en question, qu'Atlas Engineering and Machine Company Limited et Braukmann Controls Company Ltd. étaient incapables de fournir quelque renseignement que ce soit, que Dunham Bush Canada Limited ne produisait qu'une quantité négligeable des marchandises en question et que John W. Tucker Limited ne produisait plus de marchandi- ses semblables à celles produites par la Sarco Co. Inc. ou pour son compte et visées par la détermination préliminaire de dumping.
Pièce ADT-3—Dossier, vol. 3A, page 57,
Notes sténographiques de l'audience—vol. 1, pages 156 à
158.
38. Elle fait valoir que certaines preuves soumises au Tribunal indiquaient que la définition quantitative du marché canadien schématisée par la pièce ADT -12 était inexacte et donc que la décision du Tribunal s'appuyait sur des faits erronés ou qui
12 Mémoire de la requérante, pages 14 et 15.
n'avaient pas fait l'objet d'une preuve appropriée. La pièce ADT -12 n'a pas été modifiée en conséquence du changement effectué dans les pièces soumises au Tribunal, concernant les ventes faites au Canada par Velan Engineering Company, l'une des entreprises identifiées comme producteurs canadiens de marchandises semblables, ni à la suite de la correction de la pièce ADT -8. Le dossier de l'affaire montre que la pièce ADT -12 a été rédigée, en partie, sur la foi des renseignements apparaissant aux pièces ADT -8 et ADT -11 qui identifient comme producteurs canadiens de marchandises semblables des entreprises autres que celles jugées par le Tribunal faire partie de l'industrie du pays. Si on s'en tient à la pièce ADT -12, il n'y a aucune preuve au dossier des débats du Tribunal qui établisse les ventes au Canada des marchandises importées en question.
A mon avis, cet argument du procureur de la requérante n'est pas dénué de fondement, vu que la page 12 des notes sténographiques de la séance préalable (supra) montre clairement que le Tribu nal avait l'intention de se servir de ces renseigne- ments confidentiels et que l'exposé des motifs montre clairement qu'il s'en est en fait servi (voir l'exposé des motifs du Tribunal, vol. 3A, pages 11 et 12). Il est clair aussi que certains des renseigne- ments obtenus par le Tribunal et sur lesquels il s'est appuyé étaient erronés et que pourtant ils n'ont pas été corrigés. La requérante n'a pu remé- dier à cette erreur qui apparaissait seulement à la lecture des pièces confidentielles non communi quées à son procureur. Manifestement, il s'agit d'un déni de justice.
La procédure qu'aurait suivre le Tribunal dans un tel cas a été décrite ainsi par le juge en chef Jackett dans l'affaire Magnasonic 13 :
Lors de la présente «enquête», il y a eu d'une part une audience publique devant laquelle la Magnasonic et les autres parties, toutes représentées par des avocats, ont apporté des éléments de preuve et ont eu la possibilité de faire valoir leurs prétentions à l'égard des preuves présentées. Toutefois il était entendu que, lors de cette audience, nul ne serait tenu de témoigner contre sa volonté s'il estimait qu'il devait divulguer des éléments «confidentiels». D'autre part, durant l'enquête un ou plusieurs membres du Tribunal ou le personnel du Tribunal, en dehors des séances, ont reçu la preuve confidentielle exigée par le Tribunal ou envoyée volontairement par le sous-ministre ou d'autres personnes. Enfin, durant l'enquête, un ou plusieurs membres de la Commission ou de son personnel se sont rendus dans les locaux des fabricants canadiens. Ils ont également fait une ou plusieurs entrevues au cours desquelles ils ont obtenu des éléments de preuve et des renseignements.
Il faut remarquer que le trait caractéristique de ce genre d'«enquête» est que, bien que les «parties» aient eu une connais- sance complète de la preuve apportée lors de l'audience publi-
13 Magnasonic Canada Limited c. Le Tribunal antidumping [1972] C.F. 1239, aux pages 1244à 1249 inclusivement.
que, elles n'avaient pas la possibilité de connaître quelles autres preuves ou renseignements le Tribunal avait acceptés et n'avaient pas la possibilité d'y répondre ou de faire valoir leurs prétentions à cet égard.
A notre avis, laissant de côté l'article 29(3) pour le moment, il ressort manifestement de toutes les dispositions applicables de la Loi antidumping que, pendant une enquête sur une question précise, ce Tribunal devait fonctionner selon le système d'un quorum de membres, siégeant ensemble, soit à huis-clos, soit en public, en présence de toutes les «parties» qui désiraient compa- raître, soit en personne soit par l'entremise de leurs avocats ou mandataires. A notre avis, cette exigence expresse de la loi est soumise à une seule exception, rapportée à l'article 28, en vertu duquel, si le président du Tribunal l'ordonne, un membre du Tribunal seul peut recevoir les témoignages. Mais dans un tel cas, il semble évident, et l'avocat du procureur général du Canada l'admet, que les parties sont fondées à se faire repré- senter de la même façon que si un quorum de membres siégeait. Le plus important, c'est que, lorsque la preuve est apportée de cette façon, il doit en être fait rapport au Tribunal et une copie dudit rapport doit être fournie à «chacune des parties» et on doit tenir en outre, une nouvelle audience pour que les parties puissent discuter la preuve supplémentaire «si, à sa discrétion, le Tribunal estime qu'il est souhaitable de le faire»; on doit supposer que, dans l'exercice approprié de sa discrétion, le Tribunal trouvera souhaitable de le faire en tous les cas la preuve supplémentaire ainsi reçue peut avoir des conséquences. L'autorisation qu'un membre siège seul, prévue à l'article 28, souligne, à notre avis, la règle générale qu'on peut déduire des dispositions susmentionnées, règle selon laquelle une enquête doit être menée par un quorum de membres siégeant à huis-clos ou en public, de façon à permettre aux «parties» qui le désirent de comparaître ou d'être représentées.
Envisageons maintenant l'article 29(3) pour déterminer s'il entraîne une conclusion différente de celle qui découle des autres dispositions de la loi lorsqu'on exclut ce texte.
On doit lire l'article 29(3) dans le contexte. Il vient après une disposition prévoyant que «Toutes les parties» ont le droit de comparaître en personne ou d'être représentées «lors de l'audi- tion» et une autre disposition prévoyant qu'une audience peut, à la discrétion du Tribunal ou du président «être tenue à huis-clos ou en public». L'article 29(3) prévoit en fait que «lorsque des témoignages ou des renseignements qui sont d'une nature confi- dentielle, relativement aux travaux ou aux affaires d'une per- sonne, d'une firme ou d'une corporation, sont fournis ou obte- nus au cours d'une audition ... , les témoignages ne seront pas rendus publics de manière à pouvoir être utilisés par un concur rent ou par un rival commercial ...». Il semble bien établi que ceci signifie que lorsque le Tribunal accepte des témoignages confidentiels, on doit prendre des mesures pour qu'ils ne puis- sent pas être utilisés par un concurrent ou un rival commercial même si ce rival ou ce concurrent est partie à l'enquête. En admettant que tel est l'effet de l'article 29(3), et sans exprimer d'opinion à cet égard, nous ne pensons pas que l'article 29(3) exige que l'on s'écarte du système des audiences prescrit par les autres dispositions de la loi. Étant donné cette définition, il exige simplement que lorsque des renseignements de nature confidentielle sont soumis à l'audience, on doit prendre une décision pour déterminer la marche à suivre pour se conformer à l'article 29(3). Il semble que dans un cas ordinaire, la première démarche qui vient à l'esprit serait de recevoir les
témoignages à huis-clos. Quant au reste de la procédure, elle peut varier selon les circonstances. A l'extrême, il pourrait être nécessaire, à notre avis, d'exclure tous les concurrents ou rivaux pendant la déposition des témoignages et, après coup, de four- nir à ces parties le même genre de rapport de la preuve reçue en leur absence que celui prévu à l'article 28 pour ces parties lorsqu'il s'agit de preuve confidentielle.
Selon notre analyse du problème soulevé par cette demande, il ne s'agit pas d'un cas il faut examiner si la décision d'un tribunal affectera les droits ou intérêts d'une personne de telle façon qu'elle aurait droit à une audition impartiale ou équitable avant que la décision ne puisse être prise. A notre avis, la question en l'espèce est de savoir si on a omis de se conformer aux conditions statutaires fixées pour prendre la décision. Com- parer avec l'arrêt Franklin c. Minister of Town and Country Planning [1948] A.C. 87, rendu par Lord Thankerton à la page 102.
Le Tribunal a pour seule fonction de mener des enquêtes en vertu de l'article 16 relativement aux marchandises auxquelles s'appliquent des déterminations préliminaires du dumping et de rendre ensuite l'ordonnance ou de prendre les conclusions qui s'imposent (article 16(3)).
Quant à la conduite de ces enquêtes, la loi a prévu le système des audiences que j'ai mentionné et a conféré aux «parties» (qui, à notre avis, doivent inclure l'importateur» et les autres person- nes précisées dans la loi et qui ont droit à l'avis de détermina- tion préliminaire) le droit de comparaître à ces audiences ou d'y être représentées. En l'absence de toute indication claire à l'effet contraire dans la loi, nous n'avons aucun doute qu'un tel droit implique que la partie a droit à une audition qui com- prend à tout le moins une possibilité équitable de répondre à tout ce qui va à l'encontre de son intérêt et un droit de présenter ses prétentions relativement aux preuves sur lesquel- les le Tribunal se propose de fonder sa décision. Le droit d'une partie de «comparaître» à une «audience» n'aurait pas de portée réelle si la décision ne devait pas être fondée sur ladite «audience» ou si la partie n'avait pas le droit fondamental d'y être entendue.
A l'encontre de ce point de vue, on a dit que le but de la Loi antidumping est [TRADUCTION] «de protéger l'intérêt du public canadien des marchandises sous-évaluées qui peuvent causer un préjudice sensible ou retarder sensiblement la mise en produc tion de marchandises semblables au Canada» et, en consé- quence, que l'enquête est [TRADUCTION] «essentiellement une recherche des faits et n'implique pas de confrontation entre des parties opposées».
Nous admettons que le but de la loi est de protéger l'intérêt du public canadien des marchandises sous-évaluées qui peuvent causer un préjudice sensible ou retarder sensiblement la pro duction au Canada et que l'enquête n'est pas, en tant que telle, une confrontation entre des parties opposées. Toutefois, il semble manifeste que la raison d'être du Tribunal est que le Parlement a non seulement cherché un moyen de prémunir le pays contre les marchandises sous-évaluées lorsque leur impor tation risque de causer un préjudice à la production ou un retard dans celle-ci, mais aussi un moyen de ne pas empêcher l'importation des marchandises sous-évaluées lorsqu'elle ne risque pas de causer un tel préjudice ou retard (et, en consé- quence apporterait probablement aux consommateurs cana-
diens des marchandises moins chères sans causer aucun préju- dice). En d'autres termes, si le Parlement ne se préoccupait pas du danger qu'il y a à se prémunir sans nécessité contre les marchandises sous-évaluées, la loi aurait simplement interdit toute importation de telles marchandises.
L'une des méthodes que le Parlement aurait pu adopter pour déterminer si on devait interdire le dumping d'une catégorie précise de marchandises aurait pu être d'en charger un minis- tère, en lui accordant les pouvoirs nécessaires pour obtenir les renseignements requis et présenter ses conclusions. Aucune n'aurait alors eu droit à une audience. Au lieu de cela, le Parlement a choisi de créer une cour d'archives pour faire les enquêtes en question et a prévu qu'elles seraient menées au moyen d'audiences auxquelles ceux dont les intérêts économi- ques sont le plus nettement en cause des deux côtés auraient le droit de comparaître. Il est évident qu'on a pensé que le moyen le plus efficace d'atteindre une conclusion juste était de permet- tre aux parties opposées dont les intérêts économiques étaient en jeu d'exprimer leur point de vue, de sorte qu'ils puissent s'assurer, en apportant des éléments de preuve et en présentant leurs prétentions, que la Commission prenait connaissance de tous les aspects de la question. Nous ne trouvons pas de méthode garantissant plus sûrement que la Commission n'erre- rait pas par manque de renseignements ou défaut d'un exposé approprié du problème. Sans aucun doute, l'expérience des pays de common law prouve qu'une telle méthode d'enquête a des avantages substantiels par rapport au genre de résultats que l'on peut obtenir quand une personne désignée va recueillir des renseignements au moyen d'entrevues et d'inspections.
En outre, on ne peut omettre le fait que le Parlement a estimé approprié d'aviser le gouvernement du pays de l'exporta- teur dès le tout début de l'affaire. Bien que nous ne le sachions pas, il se peut qu'en vertu de la convention internationale mentionnée à l'article 16(4) de la Loi antidumping, il soit opportun d'accorder à un tel gouvernement la possibilité de prendre part à une enquête de ce genre, du moins en qualité d'observateur.
On a aussi ajouté à l'encontre du point de vue que nous avons adopté, à savoir le droit de chaque partie à la possibilité équitable de présenter son point de vue sur l'affaire, qu'il est manifeste dans la loi que le Tribunal doit poursuivre sa propre enquête avec son propre personnel et avec l'aide des ministères ou des organismes gouvernementaux. Nous sommes tout à fait d'accord avec le fait que le Tribunal peut par différents moyens rassembler les renseignements relatifs à l'affaire qui lui est soumise. Il nous semble que la loi prévoit inclure ces éléments de preuve dans le dossier de l'affaire, dans la mesure ils semblent utiles. Ceci doit se faire au cours des auditions, de la façon que le Tribunal choisit, à condition que la procédure adoptée soit compatible avec le fait d'accorder aux «parties» la possibilité d'être entendues (l'une des façons évidentes consiste à inviter les avocats de la commission à soumettre leur preuve et à faire valoir leurs prétentions de la même façon que les avocats d'une partie).
Un autre argument avancé à l'encontre de la conclusion voulant que le Parlement ait donné aux parties le droit d'être entendues de la façon ordinaire est que, si elles avaient ce droit, il serait impossible, soutient-on, que le Tribunal se conforme aux exigences de l'article 16(3) de la loi selon lequel il doit statuer dans les 90 jours. Nous ne voyons pas d'incompatibilité entre ces deux exigences. Le Parlement a imposé une limite de
temps au Tribunal ce qui implique une limite au temps qu'il peut accorder à chaque partie pour présenter son cas. Cela n'annule toutefois pas l'exigence selon laquelle elles doivent avoir la possibilité d'être entendues, exigence qui découle néces- sairement des autres dispositions de la loi.
En conséquence, nous sommes d'avis que le Tribunal a pris la décision attaquée sans avoir mené l'enquête exigée par la loi, dans la mesure il a agi sur des renseignements qui ne lui avaient pas été communiqués au cours des audiences du Tribu nal ou par un seul membre du Tribunal ainsi que le prévoit la loi; il s'ensuit que les parties n'ont pas eu la possibilité de répondre à ces renseignements (soit tels qu'ils avaient été obtenus ou, lorsqu'ils étaient fondés sur des communications confidentielles, tels que communiqués conformément à l'article 29(3)) ni de faire valoir leurs prétentions à cet égard.
De même, en l'espèce, je conclus que le Tribunal n'a pas tenu l'enquête requise par la loi vu qu'il a agi sur la foi de renseignements non révélés aux parties, d'où il suit que la requérante n'a pu y répondre. De même je suis d'avis qu'en l'espèce, le refus du Tribunal d'accorder l'ajournement demandé par la requérante a constitué un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaire à lui dévolu.
Je n'oublie pas les difficultés imposées au Tribu nal dans des affaires comme celle-ci où, d'une part, certaines des pièces produites sont confidentielles et où, d'autre part, la loi l'oblige à tenir une «audition» à huis clos ou en public, en présence des parties intéressées qui désirent y assister. Toute- fois, le fait que le rôle du Tribunal soit rendu difficile en certains cas par la loi ne le dispense pas d'équilibrer dans ces affaires le principe du carac- tère confidentiel et celui d'instruction impartiale et complète fondé sur la révélation de toutes les preuves en cause. Dans l'affaire Magnasonic (supra), le juge en chef a fourni au moins deux exemples de moyens que le Tribunal pourrait pren- dre pour résoudre ce conflit apparent. Le premier donne probablement une garantie minimale du caractère confidentiel et l'autre une garantie maxi- male, avec un minimum absolu quant à la divulga- tion complète des preuves et une instruction impar- tiale. La garantie minimale de «divulgation complète des preuves et d'instruction impartiale» évoquée plus haut par le juge en chef implique l'exclusion de tous les concurrents au moment la preuve confidentielle est reçue, mais oblige à remettre à toutes les parties un résumé ou un rapport portant sur cette preuve. Et pourtant, en
l'espèce, un tel minimum n'a pas été assuré par le Tribunal. Ce dernier s'est fondé du moins dans une certaine mesure sur des renseignements confiden- tiels dont la requérante ne disposait pas, sans lui remettre quelque rapport ou résumé portant sur cette preuve. Je reconnais de même que l'article 16(3) de la Loi impose des inconvénients au Tribu nal lorsqu'il l'oblige à statuer dans les 90 jours. Cette exigence toutefois n'annule pas les autres dispositions de la loi, laquelle accorde aux parties intéressées le droit plein et entier de se faire enten- dre. Elle ne justifie pas non plus le refus d'accorder à l'une des parties un ajournement en des circons- tances qui, n'était le délai à lui imparti, auraient justifié l'octroi par le Tribunal de l'ajournement demandé.
Un coup d'oeil aux notes sténographiques suffit à me convaincre que cette demande d'ajournement de la requérante était entièrement justifiée, compte tenu de la nature substantielle des preuves qui lui ont été divulguées pour la première fois le 10 novembre et compte tenu aussi du fait qu'un nombre important de preuves ne devait pas lui être divulgué. Je suis aussi convaincu, à la lecture des notes sténographiques, que le Tribunal a reçu la requête avec sympathie, la considérant raisonnable dans les circonstances et que, en l'absence des contraintes de temps signalées, il aurait accordé l'ajournement.
En conséquence je suis d'avis que le deuxième motif invoqué par la requérante pour contester la décision du Tribunal est bien fondé. Je ferais donc droit à la requête présentée sur le fondement de l'article 28, réformerais la décision rendue par l'intimé en date du 31 décembre 1976 et renverrais la cause au Tribunal pour qu'il procède à une nouvelle instruction compatible avec les présents motifs.
* * *
LE JUGE LE DAIN: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'y souscris aussi.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.