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A-199-77
CSP Foods Ltd. et Canbra Foods Ltd. (Appelan- tes)
c.
La Commission canadienne des transports, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, le Canadien Pacifique Limitée, la North ern Alberta Railways et l'Association canadienne du trafic marchandises (Intimés)
et
Les gouvernements des provinces de l'Alberta, du Manitoba, de l'Ontario, du Québec et de la Sas- katchewan, Canlin Ltd., Maple Leaf Mills Ltd., Canada Packers Ltd. et Victory Soya Mills Ltd. (Intervenants)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan, et le juge suppléant Kerr—Ottawa, le 12 décembre 1977 et le 30 janvier 1978.
Chemins de fer Appel contre deux ordonnances de la Commission canadienne des transports, en vertu de la Loi nationale sur les transports Ordonnances pour donner suite à l'arrêté en conseil La Commission a interprété l'expres- sion «niveaux compensatoires minimaux., employée dans l'ar- rêté en conseil comme visant des barèmes de tarifs considérés globalement et non des tarifs s'appliquant isolément La Commission a-t-elle commis une erreur de droit ou a-t-elle outrepassé sa compétence? Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, art. 3, 23(1),(3),(4), 64(1),(2) —'Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 276 Arrêté en conseil, C.P. 1976-894 Ordonnances de la Commission canadienne des transports, R-23976, R-24045.
Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 64(2) de la Loi nationale sur les transports, contre deux ordonnances rendues par la Commission canadienne des transports comme suite à un arrêté en conseil émis en vertu de l'article 64(1) de cette loi. L'une des ordonnances donne suite à l'arrêté en conseil alors que l'autre énonce les motifs de la Commission. Le présent appel soulève la question de savoir si, en interprétant comme elle l'a fait l'expression »niveaux compensatoires mini- maux» employée dans l'arrêté en conseil comme visant des barèmes de tarifs considérés globalement et non des tarifs s'appliquant isolément, la Commission a commis une erreur de droit ou a outrepassé sa compétence de façon à permettre un recours en appel devant cette cour.
Arrêt: l'appel est rejeté. L'exercice par le gouverneur en conseil des pouvoirs conférés par l'article 64(1) n'est pas dans la nature d'un appel judiciaire; il s'agit plutôt d'un rôle de surveillance. Quoiqu'il soit certain que le gouverneur en conseil peut formuler son décret de façon à enlever à la Commission tout pouvoir discrétionnaire, il n'a pas jugé bon d'agir ainsi dans son décret et, en utilisant l'expression .niveaux compensa- toires minimaux», il a manifestement confié à la Commission la tâche de déterminer ces niveaux. En utilisant le mot «compen-
satoires» dans son décret, le gouverneur en conseil doit avoir donné à ce mot le sens que lui prête la Loi sur les chemins de fer, en particulier l'article 276(2), puisque c'est la seule disposi tion l'on utilise ce mot et elle doit donc servir d'indice à sa signification en l'espèce. Puisque l'ordonnance originale a été rendue suite à une enquête menée en vertu de l'article 23 de la Loi nationale sur les transports il s'ensuit logiquement que les facteurs dont doit tenir compte la Commission en raison de cet article et de l'article 276(2), doivent être pertinents pour déter- miner les «niveaux compensatoires minimaux» des tarifs. Ainsi la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en tenant compte de ces facteurs pour adopter une échelle de tarifs plutôt que de fixer les tarifs individuels pour chaque mouvement. En agissant autrement, elle aurait contrevenu à son obligation légale laquelle existait toujours, même après la promulgation de l'arrêté en conseil. En établissant les niveaux selon des échelles, elle peut vraiment déterminer quels sont les niveaux compensa- toires mi&maux qu'exige l'intérêt public. Compte tenu des preuves dont elle dispose, la Cour ne peut pas dire que la décision est inéquitable.
APPEL. AVOCATS:
J. E. Foran et M. E. Rothstein pour les appelantes.
G. W. Nadeau pour la Commission cana- dienne des transports.
H. J. Pye, c.r., pour la Compagnie des che- mins de fer nationaux du Canada.
T. Maloney et S. Dubinsky pour le Canadien Pacifique Limitée.
F. Lemieux pour les gouvernements des pro vinces de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba.
T. Heintzman et L. West pour Canada Pack ers Ltd., Maple Leaf Mills Ltd. et Victory Soya Mills Ltd.
J. Scollin, c.r., pour la Reine du chef du Canada.
PROCUREURS:
Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winni- peg, pour les appelantes.
L'avocat général, Commission canadienne des transports, Ottawa, pour la Commission canadienne des transports.
Procureur général, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Montréal, pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
Service du contentieux, Canadien Pacifique Limitée, Montréal, pour le Canadien Pacifi- que Limitée.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour les gouverne- ments des provinces de l'Alberta, de la Sas- katchewan et du Manitoba.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour Canada Packers Ltd., Maple Leaf Mills Ltd. et Victory Soya Mills Ltd.
Le sous-procureur général du Canada pour la Reine du chef du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel interjeté, avec permission de cette cour, en vertu de l'article 64(2) de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, contre deux ordonnances rendues par la Commission canadienne des trans ports (ci-après appelée la Commission) sous les numéros respectifs R-23976 pour l'ordonnance du 26 novembre 1976 et R-24045 pour celle du 16 décembre 1976. En vertu de l'article 64(2) il peut être interjeté appel sur une question de droit ou une question de compétence.
Les ordonnances susmentionnées ont été rendues par la Commission suite à l'arrêté en conseil C.P. 1976-894 en date du 13 avril 1976, lequel a été émis suite à une requête déposée par les appelantes aux présentes, ou par les compagnies auxquelles elles ont succédé, auprès du gouverneur en conseil aux termes de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les transports.' La requête visait à modifier le tarif de taxes déposé par les compagnies de chemin
' 64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa- gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission, que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les parties.
(2) Les décisions de la Commission sont susceptibles d'appel à la Cour d'appel fédérale sur une question de droit ou une question de compétence, quand une autorisation à cet effet a été obtenue de ladite Cour sur demande faite dans le délai d'un mois après que l'ordonnance, l'arrêt ou le règlement dont on veut appeler a été établi, ou dans telle autre limite de temps que le juge permet dans des circonstances spéciales, après avis aux parties et à la Commission, et après audition de ceux des intéressés qui comparaissent et désirent être entendus; et les frais de cette demande sont à la discrétion de ladite Cour.
de fer conformément à l'ordonnance R-16824 de la Commission en date du 27 juillet 1973, et approuvé par l'ordonnance R-17016 de la Com mission en date du 2 août 1973.
Voici le libellé de l'arrêté en conseil C.P. 1976-894:
C.P. 1976-894 13 avril 1976
Sur avis conforme du ministre des Transports et en vertu de l'article 64 de la Loi nationale sur les transports, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil de modifier par les présentes les ordonnances et décisions suivantes de la Commis sion canadienne des transports:
a) Ordonnance R-16824 du 27 juin 1973;
b) Ordonnance R-17016 du 2 août 1973; et
c) toute autre ordonnance ou décision de la Commission canadienne des transports incompatible avec le paragraphe
d) ci-après
pour disposer
d) que les tarifs ou tranches tarifaires suivants applicables au transport intérieur et vers les points d'exportation de la farine et de l'huile de colza provenant des quatre moulins situés à Altona, Nipawin, Saskatoon et Lethbridge seront fixés annuellement à des niveaux compensatoires minimums:
(i) tarif pour la farine et l'huile de colza à destination de l'Ouest;
(ii) tarif pour l'huile de colza à destination de l'Est; et
(iii) tranches tarifaires applicables au transport de la farine de colza à l'est de Thunder Bay ou d'Armstrong (Ontario).
C'est pour donner suite à l'arrêté en conseil que la Commission a émis l'ordonnance R-23976 (modifiée par la suite par l'ordonnance R-24045) enjoignant aux compagnies de chemin de fer de produire les tarifs de taxes prévus à l'annexe «A» de l'ordonnance. A l'annexe «A» la Commission donne les motifs de son ordonnance R-23976. Pour plus de clarté, toutes les parties importantes de l'annexe «A» sont énoncées ci-après:
Le décret prescrit que ces tarifs «soient fixés annuellement à_ des niveaux compensatoires minimaux». Le Comité estime que l'expression «niveaux compensatoires minimaux» vise des barè- mes de tarifs considérés globalement et non des tarifs s'appli- quant isolément. Cette dernière interprétation donnerait des barèmes de tarifs comportant des anomalies qui ne seraient pas dans le meilleur intérêt de l'industrie meunière.
L'expression «compensatoire» est définie au paragraphe 276(2) de la Loi sur les chemins de fer qui se lit ainsi:
«(2) Un taux de transport des marchandises est réputé compensatoire quand il dépasse le coût variable du mouve- ment du trafic en cause tel que l'a déterminé la Commission.»
Les coûts variables ne correspondent pas uniformément à la distance. Ils peuvent varier selon nombre de facteurs, notam- ment les diverses longueurs de trajets entre des points concur- rentiels, les variations dans les coûts de manoeuvre d'aiguille de certains mouvements et la différence dans le type de wagons à marchandises utilisé.
Si le tarif applicable à chaque mouvement était basé unique- ment sur le coût variable qui s'y rattache, il pourrait y avoir distortion des rapports sur le plan de la commercialisation, de la concurrence et des ports d'expédition. Les barèmes de tarifs qui en résulteraient ne seraient pas aussi équitables, c.-à-d. que certains tarifs seraient plus élevés que d'autres pour des distan ces plus courtes et ceux fixés pour le même port d'expédition différeraient selon la société ferroviaire et le quai d'arrivée. Il y aurait également une détérioration des relations actuelles du marché.
Par conséquent, comme on l'a déjà dit, le Comité interprète le décret comme s'appliquant à des «niveaux» de tarifs, de façon que les barèmes prescrits à l'annexe «A» ci-après traduisent la notion de tarifs compensatoires minimaux dans son sens global. Ce qui revient à dire que certains tarifs représentent une contribution maximale d'environ 10p. 100 au-dessus des coûts variables alors que d'autres correspondent à un écart beaucoup plus faible. Ainsi, dans l'ensemble et selon le volume et la composition du trafic en vertu de ces tarifs prescrits, les barèmes de tarifs représentent une marge sensiblement infé- rieure à 10 p. 100 au-dessus des coûts variables. A cet égard, il est à noter que, compte tenu de la nécessité d'éviter les anoma lies en matière de tarifs et de maintenir la parité entre les ports d'expédition et les rapports de commercialisation, une moyenne de 10 p. 100 au-dessus des coûts variables est, en pratique, le minimum absolu qui peut servir à établir les barèmes de tarifs. Bien que le décret emploie le terme «tarifs», le Comité est d'avis qu'il traite principalement des «mouvements». Par conséquent, à l'exception des tarifs touchant le transport à partir de Sexsmith (Alberta), ceux de l'annexe «A» ci-après s'appliquent aux mou- vements actuels. Le Comité n'a pas prescrit de tarifs pour d'autres mouvements éventuels; il le fera cependant sur demande expresse.
On a prescrit des tarifs pour les mouvements à partir de Sexsmith (Alberta) une usine est sur le point de commencer sa production. En outre, puisque l'itinéraire reliant Sexsmith (Alberta) et Vancouver (C.-B.) en passant par Edmonton (Alberta) est indirect, deux niveaux de taux ont été prescrits: l'un pour le parcours par Edmonton (Alberta) et l'autre, par Grande-Prairie (Alberta).
Les appelantes prétendent qu'il appert manifes- tement des motifs de la Commission que celle-ci ne s'est pas conformée aux directives de l'arrêté en conseil pour établir les tarifs ou tranches tarifaires applicables au transport intérieur et vers les points d'exportation de la farine et de l'huile de colza à des niveaux compensatoires minimaux. Ils préten- dent que la Commission ne pouvait interpréter, comme elle l'a fait, «des niveaux compensatoires minimaux» comme s'appliquant aux échelles de tarifs dans leur ensemble et non aux tarifs indivi- duels. A l'appui de cette proposition, ils invoquent
l'article 276 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2 édictée en 1966 (S.C. 1966-67, c. 69, art. 53) et dont voici le libellé:
276. (1) Sauf dispositions différentes de la présente loi, tous les taux de transport de marchandises doivent être compensa- toires; et la Commission peut sommer la compagnie qui émet un tarif-marchandises de lui communiquer, lors du dépôt du tarif ou à toute autre époque, tous renseignements exigés par la Commission pour établir que les taux figurant dans ce tarif sont compensatoires.
(2) Un taux de transport des marchandises est réputé com- pensatoire quand il dépasse le coût variable du mouvement du tarif en cause tel que l'a déterminé la Commission.
(3) En déterminant, aux fins du présent article et de l'article 277, le coût variable de tout mouvement de trafic, la Commis sion canadienne des transports doit
a) tenir compte de tous les articles et facteurs prescrits par les règlements de la Commission comme étant pertinents à la détermination des coûts variables; et
b) calculer les frais d'immobilisations dans tous les cas en utilisant les frais d'immobilisations approuvés par la Com mission comme convenables pour la compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique.
S'appuyant sur le paragraphe (2) de l'article 276, l'avocat des appelantes prétend qu'afin d'éta- blir le taux de transport compensatoire, la Com mission doit d'abord déterminer le coût variable du mouvement du trafic en cause, c'est-à-dire à partir des quatre points d'origine indiqués dans l'arrêté en conseil vers les diverses destinations de l'ouest et de l'est du Canada.
Après avoir déterminé ces chiffres, la Commis sion doit s'assurer que chaque taux de transport prévoit une ristourne ou une contribution au-delà du coût variable. Compte tenu de la signification littérale du mot «minimaux» utilisé par l'arrêté en conseil, la ristourne ou la contribution au-delà du coût variable doit être «le montant le moins acces sible» de sorte que le taux résultant soit au niveau compensatoire minimum. De l'avis de l'avocat, les motifs de la décision de la Commission établissent que certains taux comportent une ristourne ou contribution, au-delà du coût variable, supérieure à la moins accessible et donc ne sont pas établis conformément aux directives du gouverneur en conseil dans l'arrêté C.P. 1976-894.
Les appelantes soutiennent en outre que lorsque le gouverneur en conseil modifie ou annule une de ses ordonnances, la Commission ne peut plus agir à sa discrétion. Elle doit respecter à la lettre toute
modification ou directive donnée. Selon l'avocat, puisque le gouverneur en conseil joue le rôle de tribunal d'appel lors d'une requête présentée en vertu de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les transports, la Commission doit faire exactement ce que le tribunal d'appel lui ordonne de faire—rien de plus et rien de moins. De l'avis de l'avocat, après la promulgation de l'arrêté en conseil, elle ne peut plus recourir au pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les articles 3 et 23(1) et (3) de la Loi nationale sur les transports.
Les gouvernements des provinces de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba partageaient en substance l'opinion des appelantes. Le procu- reur général du Canada, les intimés et les interve- nantes Maple Leaf Mills Ltd., Canada Packers Ltd. et Victory Soya Mills Ltd. ont tous contesté les prétentions des appelantes.
Le présent appel soulève aussi la question de savoir si, en interprétant comme elle l'a fait l'ex- pression «niveaux compensatoires minimaux», la Commission a commis une erreur de droit ou a outrepassé sa compétence de façon à permettre un recours en appel devant cette cour en vertu de l'article 64(2) de la Loi nationale sur les transports.
Avant de disposer de la question principale, il faut traiter de l'allégation des appelantes voulant que le gouverneur en conseil agisse comme tribu nal d'appel et que son décret ne laisse à la Com mission aucun pouvoir discrétionnaire d'applica- tion. Avec égards, je ne considère pas que l'exercice, par le gouverneur en conseil, des pou- voirs conférés par l'article 64(1) soit de la nature d'un appel judiciaire. C'est un moyen permettant à l'Exécutif d'exercer un certain contrôle sur la Commission canadienne des transports pour s'as- surer que les vues du gouvernement concernant l'intérêt public dans une situation donnée, fondées sur les faits établis par ce tribunal, peuvent être exprimées par l'Exécutif et qu'elles sont appliquées par des directives que ce dernier peut juger à propos de donner au tribunal par l'intermédiaire du gouverneur en conseil. Si je comprends bien, il s'agit d'un rôle de surveillance et non de tribunal d'appel. Le gouverneur en conseil ne s'occupe pas des questions de droit ou de compétence, lesquelles incombent aux tribunaux. Toutefois, contraire-
ment à ceux-ci, il peut substituer ses vues concer- nant l'intérêt public à celles de la Commission. 2
Quant à la restriction du pouvoir discrétionnaire de la Commission, il est certain que le gouverneur en conseil peut formuler son décret de façon à enlever à celle-ci tout pouvoir discrétionnaire. Par exemple, s'il avait ordonné que les coûts variables des transporteurs soient augmentés d'un certain nombre de sous ou d'un pourcentage donné pour établir les tarifs compensatoires, il ne resterait peut-être aucun pouvoir discrétionnaire à la Com mission. Cependant, il n'a pas jugé bon d'agir ainsi dans son décret C.P. 1976-894 et, à mon avis, en utilisant l'expression «niveaux compensatoires minimaux» il a manifestement confié à la Commis sion la tâche de déterminer ces niveaux.
Il reste donc à savoir si l'ensemble des facteurs dont doit tenir compte la Commission en faisant enquête et en établissant les tarifs, en vertu des directives que lui imposent l'article 23(3) et (4) 3 de la Loi, dans le cadre de la politique nationale globale sur les transports, énoncée à l'article 3, s'appliquent après la promulgation de l'arrêté en conseil. Comme on l'a dit, les appelantes répondent négativement à cette question en s'appuyant sur l'utilisation du mot «minimaux» dans l'expression
2 Voir Re Davisville Investment Co. Ltd. c. La ville de Toronto (1977) 15 O.R. (2e) 553, aux pp. 555 et 556.
3 23....
(3) Lorsqu'elle fait une enquête en vertu du présent article, la Commission doit tenir compte de tous les facteurs qui lui semblent pertinents et notamment, sans limiter la portée géné- rale de ce qui précède, voir
a) si les taxes ou conditions spécifiées pour le transport de marchandises au taux ainsi établi sont telles qu'elles entraînent
(i) un désavantage injuste excédant celui qui peut être considéré comme inhérent au lieu ou au volume du trafic, à l'échelle des opérations y afférentes ou au genre de trafic ou de service en question, ou
(ii) un obstacle excessif à l'échange des denrées entre des points au Canada ou un découragement déraisonnable du développement des industries primaires ou secondaires ou du commerce d'exportation dans toute région du Canada ou en provenant, ou du mouvement de denrées passant par des ports canadiens;
b) si le contrôle par un autre genre de service de transport, ou si les intérêts détenus par un transporteur dans un autre genre de service de transport, ou si le contrôle d'un transpor- teur par une compagnie ou une personne qui exploite un autre genre de service de transport ou si les intérêts détenus par ces dernières dans l'entreprise d'un transporteur, peuvent être en cause.
«niveaux compensatoires minimaux». Avec égards, je dirai que je crois qu'elles ont tort.
L'arrêté en conseil enjoint à la Commission de modifier des ordonnances qu'elle a émises confor- mément à la Loi nationale sur les transports et à la Loi sur les chemins de fer. A mon avis, en utilisant le mot «compensatoires» dans son décret, le gouverneur en conseil doit avoir donné à ce mot le sens que lui prête la Loi sur les chemins de fer, en particulier l'article 276(2), puisque c'est la seule disposition l'on utilise ce mot et elle doit donc servir d'indice à sa signification en l'espèce. Puisque l'ordonnance originale R-16824 en date du 27 juillet 1973, a été rendue suite à une enquête menée en vertu de l'article 23 de la Loi nationale sur les transports, il s'ensuit logiquement, semble- t-il, que les facteurs dont doit tenir compte la Commission en raison de cet article et de l'article 276(2), doivent être pertinents pour déterminer les «niveaux compensatoires minimaux» des tarifs. S'il en est ainsi, il était tout à fait approprié pour la Commission de prendre en considération que:
Si le tarif applicable à chaque mouvement était basé unique- ment sur le coût variable qui s'y rattache, il pourrait y avoir distortion des rapports sur le plan de la commercialisation, de la concurrence et des ports d'expédition. Les barèmes de tarifs qui en résulteraient ne seraient pas aussi équitables, c.-à-d. que certains tarifs seraient plus élevés que d'autres pour des distan ces plus courtes et ceux fixés pour le même port d'expédition différeraient selon la société ferroviaire et le quai d'arrivée. Il y aurait également une détérioration des relations actuelles du marché.
Ainsi, à mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en tenant compte de ces facteurs pour adopter une échelle de tarifs plutôt que de fixer les tarifs individuels pour chaque mouvement. En agissant autrement, elle aurait contrevenu à son obligation légale laquelle existait toujours, pour les raisons susmentionnées, même après la promulgation de l'arrêté en conseil.
(4) Si la Commission, après une audition, conclut que l'ac- tion, l'omission ou le taux qui fait l'objet de l'appel nuit à l'intérêt public, elle peut, nonobstant la fixation d'un taux en conformité de l'article 278 de la Loi sur les chemins de fer mais en tenant compte des articles 276 et 277 de ladite loi, rendre une ordonnance sommant le transporteur de supprimer la cause du préjudice dans les taxes ou conditions pertinentes spécifiées pour le transport ou telle autre ordonnance qu'elle considère convenir aux circonstances ou elle peut faire un rapport à ce sujet au gouverneur en conseil aux fins de faire prendre toute mesure jugée appropriée. [C'est moi qui souligne.]
Ayant ainsi conclu, il est facile de dire si l'utili- sation du mot «minimaux» dans l'expression exige l'établissement des tarifs au niveau le «moins accessible». La Commission est l'organisme qui décide quels sont les niveaux compensatoires mini- maux. Si, comme j'ai conclu, elle a le droit d'éta- blir les niveaux selon des échelles, plutôt que selon des tarifs individuels, alors elle peut vraiment déterminer quels sont les niveaux compensatoires minimaux qu'exige l'intérêt public. La Cour ne peut substituer ses vues sur ce que ces niveaux devraient être à celles de la Commission. Lors de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un tribunal, la Cour n'a le droit d'intervenir que si la décision de ce dernier est inéquitable. 4 En l'espèce, nous n'avons pas les notes sténographiques prises lors de la longue audience tenue devant la Commission et qui a entraîné la promulgation des ordonnances R-16824 et R-17016 qui, à leur tour, ont donné lieu à la requête présentée devant le gouverneur en conseil. Nous savons qu'une des raisons de l'exis- tence du Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports est sa connaissance approfondie des tarifs de transport par chemin de fer, entre autres. Il serait présomp- tueux aussi bien que contraire à la jurisprudence applicable, de la part de la Cour ou d'un autre tribunal, de dire, compte tenu du peu de preuves dont on dispose, que les experts de la Commission canadienne des transports n'ont pas respecté leurs obligations légales en décidant que l'échelle des tarifs établis par eux était au niveau minimum compensatoire. Nous ne pouvons pas dire que leur décision est inéquitable. Compte tenu de cette conclusion, nous ne pouvons substituer notre opi nion à la leur.
En conséquence, je rejette l'appel.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: J'y souscris.
4 Voir par exemple: Union Gas Company of Canada Limited c. Sydenham Gas and Petroleum Co. Ltd. [1957] R.C.S. 185, à la p. 189; Le ministre du Revenu national c. Wright's Canadian Ropes, Limited [1947] A.C. 109, la p. 123 et Esso Petroleum Co. Ltd. c. Ministry of Labour [1969] 1 Q.B. 98, aux pp. 108 et 109.
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