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T-1303-77
Holbrook R. Davis (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Décary— Montréal, le 21 mars; Ottawa, le 17 juillet 1978.
Impôt sur le revenu Gains en capital Disposition présumée de biens en immobilisations lors de l'abandon par le demandeur de sa résidence, le 30 décembre 1972 La modi fication à l'art. 48(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu appliquée rétroactivement à l'année d'imposition 1972 est-elle applicable? La Loi sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique s'applique- t-elle? Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art.
48(1), et modifications S.C. 1973-74, c. 14, art. 9 Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, S.C. 1943-44, c. 21, Article VIII.
Le demandeur interjette appel après avoir été débouté par la Commission de révision de l'impôt. Il avait travaillé au Canada pendant toute l'année d'imposition, et le 30 décembre 1972 ii est devenu résident des États-Unis cessant ainsi de résider au Canada pour le restant de l'année. Après cette date, le deman- deur n'a eu aucune activité professionnelle ou commerciale au Canada. Également, il n'a ni acquis ni entretenu un établisse- ment permanent dans ce pays. Juste avant de cesser de résider au Canada, le demandeur était le propriétaire de certains biens en immobilisations; biens qui n'étaient pas des biens canadiens imposables et dont la valeur marchande était supérieure au prix de base rajusté. La question est de savoir si le demandeur est assujetti à l'imposition sur les gains en capital à l'égard de la disposition présumée des biens en immobilisations; le deman- deur met en doute l'applicabilité de la modification apportée à l'article 48(1), dont l'application est rétroactive à l'année 1972, et il prétend que la Loi sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique s'applique.
Arrêt: l'action est rejetée. Les dispositions qui s'appliquent en l'espèce sont celles de l'article 48(1) nouveau dont l'application est rétroactive à l'année 1972, au cours de laquelle le deman- deur a quitté le Canada. La disposition présumée de biens est réputée avoir lieu «immédiatement avant la date donnée», c'est-à-dire avant la date il cesse de résider au Canada. Le fait qu'une personne abandonne sa résidence n'implique pas qu'elle est d'abord devenue résidente d'un autre pays. La disposition présumée n'est pas une vente ou un échange au sens de l'Article VIII de la Loi sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique. Une disposition présumée est une fiction créée par la loi dans un but spécifique, à savoir en l'espèce un impôt de départ. La vente ou l'échange visés à l'Article VIII de la Convention désignent une vente ou un échange réels et non pas fictifs.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Samuel Minzberg pour le demandeur.
Alban Garon, c.r. et Guy Dupont pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Phillips & Vineberg, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY: Le contribuable s'est pourvu devant la Cour après avoir été débouté par la Commission de révision de l'impôt.
Les dispositions en cause de la Loi de l'impôt sur le revenu sont l'article 48(1), c. 148, tel qu'il était en 1972, et l'article 48(1) modifié par S.C. 1973-74, c. 14, article 9 et appliqué rétroactive- ment à l'année d'imposition 1972 par l'article 9(2). L'article 48 ancien porte notamment:
48. (1) Aux fins de la présente sous-section, lorsqu'à une date quelconque dans une année d'imposition un contribuable cesse de résider au Canada, il est réputé avoir disposé de chaque bien ... .
Après modification applicable rétroactivement à 1972, l'article 48 porte notamment:
9. ...
«48. (1) Aux fins de la présente sous-section, lorsqu'un contribuable a cessé de résider au Canada à une date donnée dans une année d'imposition, après 1971, il est réputé avoir disposé, immédiatement avant la date donnée, de chaque bien
(2) Le présent article s'applique aux années d'imposition 1972 et suivantes.
Les parties ont versé au dossier un exposé modi- fié et convenu des faits, lesquels sont énoncés exhaustivement aux paragraphes 1 à 8 comme suit:
[TRADUCTION] 1. Avant 1956, le demandeur habitait aux États-Unis d'Amérique.
2. De 1956 jusqu'à un moment donné du 30 décembre 1972, le demandeur résidait au Canada.
3. A un moment donné du 30 décembre 1972, le demandeur est devenu résident des États-Unis d'Amérique, cessant ainsi de résider au Canada pour le restant de l'année.
4. Le demandeur n'a eu aucune activité professionnelle ou commerciale au Canada depuis qu'il a cessé d'y résider.
5. Le demandeur était employé au Canada pendant toute l'année d'imposition 1972.
6. Juste avant de cesser, le 30 décembre 1972, de résider au Canada et de devenir un résident des États-Unis d'Amérique, le demandeur était le propriétaire de certains biens en immobilisa-
tions dont la juste valeur marchande était supérieure au prix de base rajusté. Ces biens en immobilisations n'étaient pas des biens canadiens imposables au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. (Ces biens en immobilisations sont énumérés à l'annexe 1 des présentes).
7. Une fois devenu résident des États-Unis d'Amérique en 1972, le demandeur n'a ni acquis ni entretenu un établissement permanent au Canada.
8. Si la Cour conclut qu'il y a eu disposition présumée de biens en immobilisations autres que des biens canadiens imposables au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (dont les détails figurent à l'annexe I des présentes) au moment le deman- deur résidait au Canada, les gains en capital imposables s'élè-
vent, par application du paragraphe 48(1), $72,085.45 et doivent être déclarés à titre de revenu du demandeur pour l'année d'imposition 1972.
A mon avis, la disposition applicable en l'espèce est l'article 48(1) nouveau dont l'application est rétroactive à l'année 1972, au cours de laquelle le demandeur a quitté le Canada.
L'article 48 modifié vise le contribuable qui a cessé de résider au Canada «à une date donnée» et la disposition présumée de biens y est réputée avoir lieu «immédiatement avant la date donnée», c'est-à-dire avant la date il cesse de résider au Canada.
Je ne saurais souscrire au raisonnement de l'avo- cat du demandeur voulant que son client devînt d'abord résident des États-Unis avant de cesser de résider au Canada. On doit quitter une chambre avant d'entrer dans une autre, on n'entre pas dans une chambre avant de quitter la première. En effet, si par exemple le demandeur partait pour le Japon à bord d'un avion de ligne japonais, je pense qu'il aurait cessé de résider au Canada dès que l'avion ne serait plus au-dessus du territoire cana- dien ou des eaux canadiennes, sans que le deman- deur fût pour autant devenu résident du Japon. Le même raisonnement s'applique aux voyages par mer, dès que le navire a quitté les eaux canadiennes.
Le savant avocat du demandeur a cité le juge Rand, dans Thomson c. M.R.N.', à la page 224:
[TRADUCTION] Aux fins de la loi de l'impôt sur le revenu, chacun est réputé avoir en tout temps une résidence.
' [1946] R.C.S. 209.
Les observations suivantes font suite au passage ci-dessus, dans le même paragraphe, à la page 225:
[TRADUCTION] A cet égard, il n'est pas nécessaire qu'il ait une maison ou un logement particulier ou même un abri. Il peut coucher à la belle étoile. Ce qui importe, c'est d'identifier l'espace à l'intérieur duquel il passe sa vie ou qui a un rapport avec sa vie organisée et habituelle.
J'estime que le demandeur, en quittant le Canada, a commencé sa «vie organisée et habi- tuelle» aux États-Unis.
L'avocat du demandeur a attiré l'attention de la Cour sur l'Article VIII de la Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, S.C. 1943-44, c. 21, qui porte ce qui suit:
Les bénéfices tirés, dans l'un des États contractants, de la vente ou de l'échange de biens capital par une personne physi que qui réside dans l'autre État contractant, ou par une société ou une autre personne morale de ce dernier État, seront exempts de l'impôt dans le premier État, à condition que ladite personne physique, ou ladite société ou autre personne morale n'ait pas d'établissement stable dans le premier État.
Je ne saurais convenir avec le savant avocat du demandeur que la disposition présumée est une vente ou un échange. Une disposition présumée est une fiction créée par la loi dans un but spécifique, à savoir en l'espèce un impôt de départ, alors qu'à mon avis, la vente ou l'échange visés à l'Article VIII de la Convention désignent une vente ou un échange réels et non pas fictifs. Par ailleurs, une disposition présumée ne donne lieu à aucun bénéfice.
L'avocat du demandeur, en faisant valoir que l'application rétroactive de l'article 48 nouveau porterait préjudice aux droits acquis de ce dernier, a cité les conclusions suivantes du juge Dickson dans Gustavson Drilling (1964) Limited c. M.R.N. 2 à la page 282:
La présomption selon laquelle une loi ne porte pas atteinte aux droits acquis à moins que la législature ait clairement manifesté l'intention contraire, s'applique sans discrimination, que la loi ait une portée rétroactive ou qu'elle produise son effet dans l'avenir.
A mon avis, les droits acquis ne sont pas en cause. Le résultat eût été le même que l'article 48 ancien ou nouveau soit invoqué, attendu qu'aux
2 [1977] 1 R.C.S. 271.
fins de l'un et de l'autre, le demandeur a cessé de résider au Canada avant de devenir un résident des États-Unis d'Amérique.
La demande est rejetée avec dépens.
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