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A-133-78
Elizabeth Lodge, Carmen Hyde, Eliza Cox, Elaine Peart, Rubena Whyte, Gloria Lawrence, Lola Anderson (Appelantes)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (Intimé)
Cour d'appel, les juges Ryan et Le Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 29 septembre 1978; Ottawa, le 17 janvier 1979.
Brefs de prérogative Injonction Immigration Expulsion Demande d'injonction visant à interdire l'exécu- tion d'ordonnances d'expulsion en attendant le règlement d'une plainte présentée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et alléguant acte discriminatoire Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en rejetant la demande au motif que l'objet de la plainte des appelantes n'équivalait pas à un acte discriminatoire? Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33, art. 3, 5, 33 Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 18(1)e)(viii) Loi de 1976 sur l'immigration, S.C. 1976-77, c. 52, art. 50, 51.
Il s'agit d'un appel formé contre un jugement de la Division de première instance qui a rejeté une demande d'injonction visant à interdire à l'intimé d'exécuter les ordonnances d'expul- sion rendues contre les appelantes tant que n'aura pas été réglée une plainte présentée par ces dernières en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, plainte portant que les procédures d'expulsion engagées contre elles équivalent à un acte discriminatoire selon la définition de cette expression à l'article 5 de cette loi. Les appelantes font valoir que le juge de première instance a commis une erreur en fondant son refus d'accorder une injonction sur la conclusion que l'objet de leur plainte n'équivalait pas à un acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Division de première instance a rejeté la demande au motif que, même en supposant que tout ce qui est allégué dans la plainte soit véridique, rien n'y équivaudrait à un acte discriminatoire au sens de l'article 5 de la Loi. De fait, la Division de première instance a conclu que la Commission n'était pas compétente pour connaître de la plainte des appelantes.
Arrêt: l'appel est rejeté. La demande vise l'obtention d'une injonction qui a le caractère d'une injonction permanente, bien qu'on puisse présumer que cette injonction soit limitée dans le temps. Il serait erroné d'assimiler l'injonction recherchée en l'espèce à une injonction interlocutoire uniquement à cause de son objectif particulier, et d'appliquer les principes qui régissent l'exercice du pouvoir discrétionnaire de décider si on doit ou non accorder une injonction interlocutoire. Les principes à appliquer sont ceux qui déterminent si une injonction perma- nente doit être accordée pour interdire à un ministre de la Couronne d'exécuter une fonction prévue par la loi. Une auto- rité publique se verra décerner une injonction afin de l'empê- cher d'accomplir un acte ultra vires ou autrement illégal. Tant que la validité des ordonnances d'expulsion concernant les appelantes n'a pas été contestée avec succès, on ne peut dire
que le Ministre, en les exécutant, excède le pouvoir qui lui est conféré par la loi ou agit par ailleurs contrairement à la loi. La Cour ne peut conclure qu'il y a eu acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, car la compétence nécessaire pour émettre une telle conclusion revient à l'organisme spécialisé et aux tribunaux créés par la Loi.
APPEL. AVOCATS:
C. Roach et J. Lockyer pour les appelantes Elizabeth Lodge et Carmen Hyde.
T. Herman pour les appelantes Eliza Cox et Elaine Peart.
M. Omatsu pour l'appelante Rubena Whyte. M. Smith pour l'appelante Gloria Lawrence. J. L. Pinkofsky pour l'appelante Lola Anderson.
G. W. Ainslie, c.r. et G. R. Carton pour l'intimé.
G. F. Henderson, c.r., E. Binavince et R. Juriansz pour l'intervenante la Commission canadienne des droits de la personne.
PROCUREURS:
Étude de Charles C. Roach, Toronto, pour les appelantes.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'inter- venante la Commission canadienne des droits de la personne.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'un appel formé contre un jugement de la Division de première instance [[1978] 2 C.F. 458] qui a rejeté une demande d'injonction visant à interdire à l'intimé d'exécuter les ordonnances d'expulsion rendues contre les appelantes tant que n'aura pas été réglée une plainte présentée par ces dernières en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33. Selon la plainte, les procédu- res d'expulsion engagées contre elles équivalent à un acte discriminatoire selon la définition de cette expression à l'article 5 de la Loi.
Les appelantes ont obtenu le statut d'immigran- tes reçues au début des années 70. Quelques-unes d'entre elles, sinon toutes, ont été admises confor- mément à une disposition administrative conclue
entre le ministère du Travail de la Jamaïque et le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration du Canada en vue de recruter des Jamaïquaines comme domestiques au Canada. Une circulaire du ministère de la Main-d'oeuvre stipulait, entre autres, que ces femmes devaient avoir entre 18 et 40 ans, être célibataires, veuves, ou divorcées, [TRADUCTION] «ne pas avoir d'enfant mineur et ne pas vivre en concubinage».
Quelque trois ou quatre ans après leur admission au Canada, des procédures d'expulsion ont été engagées contre les appelantes en vertu de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, au motif qu'elles avaient omis de déclarer qu'elles avaient à leur charge des enfants mineurs. A l'issue d'une enquête, on a conclu qu'elles faisaient partie de la catégorie de personnes décrites à l'article 18(1)e)(viii) de la Loi, savoir des personnes entrées au Canada et y demeurant par suite de quelque renseignement faux ou trompeur fourni par elles; leur expulsion a donc été ordonnée. Les ordonnances d'expulsion ont été maintenues en appel devant la Commission d'appel de l'immigra- tion et devant la présente cour.
Le ler mars 1978 une plainte était déposée au nom des appelantes devant la Commission cana- dienne des droits de la personne. La conclusion de cette plainte se lit comme suit:
[TRADUCTION] Les plaignantes croient que le véritable motif de leur expulsion tient au fait qu'elles sont noires et que leur pays d'origine est la Jamaïque. Les plaignantes ont des raisons de croire que depuis 1975, circulent au ministère de l'Emploi et de l'Immigration des directives internes ou des normes tacites de distinction illicite, spécialement et particulièrement dirigées contre les femmes jamaïquaines comme groupe. Et que l'appli- cation de ces directives internes et de ces normes tacites leur a été préjudiciable.
La Loi canadienne sur les droits de la personne crée un dispositif spécial pour enquêter et statuer sur des plaintes ayant rapport à des actes discrimi- natoires commis dans des domaines définis rele vant de la compétence législative du Parlement fédéral. La Commission canadienne des droits de la personne est chargée de l'administration de ladite loi; elle détermine, conformément aux critè- res établis, si la plainte relève de sa compétence (article 33), et désigne un enquêteur chargé d'en- quêter sur la plainte (article 35). Au reçu du rapport de l'enquêteur, elle peut renvoyer la plainte à l'autorité compétente, accepter le rapport
de l'enquêteur ou rejeter la plainte (article 36). Elle peut nommer un conciliateur qui essaiera de régler la plainte (article 37). La Commission doit donner son approbation au règlement d'une plainte (article 38). Elle peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, constituer un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner la plainte (article 39). Le tribunal tient une audience au cours de laquelle les parties ont «la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et des arguments, même par l'intermédiaire d'un avocat» (article 40). Le tribu nal qui juge la plainte fondée peut ordonner diver- ses formes de redressement, dont une indemnité, ou ordonner à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire «d'accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privé» (article 41). Le tribunal d'appel peut enten- dre l'appel interjeté de la décision d'un tribunal de moins de trois membres sur des questions de droit ou de fait, ou des questions mixtes de droit et de fait (article 42.1).
Les articles 5 à 13 définissent les actes discrimi- natoires. Il s'agit, entre autres, d'actes accomplis par «le fournisseur de biens, de services, d'installa- tions ou de moyens d'hébergement destinés au public» (article 5), et par «le fournisseur de locaux commerciaux ou de logements» (article 6), d'actes concernant l'emploi et les associations d'employés (articles 7, 8, 9, 10, 11), et d'actes touchant la publication, la divulgation et la communication de faits discriminatoires (articles 12 et 13). L'article 5 qui semble être la disposition sur laquelle la plainte des appelantes est fondée, se lit comme suit:
5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournis- seur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'héber- gement destinés au public
a) d'en priver, ou
b) de défavoriser, à l'occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite.
L'article 3 énonce les motifs de distinction illi- cite aux fins d'application de la Loi:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
Aux termes du paragraphe 32(5) de la Loi, la compétence de la Commission pour statuer sur une plainte est tributaire, compte tenu de l'endroit a eu lieu l'acte discriminatoire, de la situation de la victime au moment de l'acte discriminatoire. Le paragraphe 32(6) exige qu'une question relative à la situation d'un individu soit renvoyée au ministre compétent. En voici le libellé:
32. ...
(6) En cas de doute sur la situation d'un individu par rapport à une plainte dans les cas prévus au paragraphe (5), la Com mission doit renvoyer la question au ministre compétent du gouvernement du Canada et elle ne peut procéder à l'instruc- tion de la plainte que si la question est tranchée en faveur du plaignant.
Des lettres échangées entre le président de la Commission et le ministre de l'Emploi et de l'Im- migration et déposées sur demande de la Commis sion devant la présente cour, indiquent que la question de la situation des appelantes au moment du prétendu acte discriminatoire a été renvoyée au Ministre et que ce dernier a exprimé l'opinion que les appelantes avaient le statut nécessaire. Notons-le, toutefois, le Ministre a fait valoir que la Commission n'avait pas compétence pour connaî- tre de la plainte au motif que les procédures en expulsion engagées contre les appelantes en vertu de la Loi sur l'immigration ne les privent pas «de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public» au sens de l'ar- ticle 5 de la Loi.
En vertu de l'article 33, la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie sauf dans certains cas, dont celui elle juge que la plainte n'est pas de sa compétence. L'article 33 se lit comme suit:
33. Sous réserve de l'article 32, la Commission doit statuer
sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime la
plainte irrecevable dans les cas il apparaît à la Commission a) qu'il est préférable que la victime présumée de l'acte discriminatoire épuise d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts; ou
8) que la plainte
(i) pourrait avantageusement être instruite, dans un pre mier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement,
(ii) n'est pas de sa compétence,
(iii) est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mau- vaise foi, ou
(iv) a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an à compter de la dernière des actions ou abstentions sur
lesquelles elle est fondée, ou de tout délai plus long que la Commission estime indiqué dans les circonstances.
Le jour même elles déposaient leur plainte devant la Commission, les appelantes présentaient, devant la Division de première instance de la Cour, une demande d'injonction en vue d'empêcher l'exé- cution des ordonnances d'expulsion tant que la Commission n'aurait pas statué sur la plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les appelantes font valoir que si elles sont expulsées avant le règlement de leur plainte, elles seront effectivement privées des droits que leur reconnaît la Loi. L'affidavit déposé à l'appui de la demande d'injonction et émanant de Charles Roach, avocat de deux des appelantes renferme le paragraphe suivant:
[TRADUCTION] 8. Je crois véritablement que les requérantes ne pourront pleinement jouir des recours disponibles en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, notamment, du recours prévu à l'article 42(2)b) si elles sont expulsées du Canada avant que la Commission canadienne des droits de la personne ait pu statuer sur la plainte; de plus, je crois véritable- ment qu'une telle expulsion gênerait ou ferait échouer l'enquête menée par suite de cette plainte.
Les paragraphes suivants, tirés du même affida vit, donnent une idée des raisons qui font croire
que les appelantes ont été victimes d'un acte discriminatoire:
[TRADUCTION] 11. Entre 1955 et 1975, l'intimé et ses manda- taires n'ont jamais engagé de procédures en expulsion contre les personnes de cette catégorie au motif qu'elles auraient omis de déclarer qu'elles avaient des enfants. Au cours de l'année 1975 et suivantes, certaines personnes de cette catégorie, dont les requérantes, ont fait l'objet d'ordonnances d'expulsion pour ce motif et un fonctionnaire à l'immigration m'a informé, et je le crois véritablement, qu'au cours de la dernière année, la Com mission d'appel de l'immigration a entendu 52 de ces cas et que durant les derniers six mois, 98 rapports ont été préparés conformément à l'article 18 de la Loi sur l'immigration.
12. Je crois véritablement que les récentes expulsions dont ont fait l'objet ces personnes font suite à une directive interne qui existe depuis 1974 au Ministère de l'intimé. D'ailleurs, mon expérience et celle de mes six associés qui s'occupent des dossiers d'immigration, en plus de celle de certains autres avocats qui s'occupent également de causes en matière d'immi- gration, à la fois au point de vue du droit et de la pratique, confirment que les résidents permanents appartenant à cette catégorie et originaires des Antilles, font l'objet de rapports rédigés en vertu de l'article 18. Or, de tels rapports n'étaient pas préparés dans ces circonstances.
13. La «pièce ci-jointe concerne une norme tacite ou direc tive interne désignée sous le nom de «Programme Rastafarien» et la «pièce vise une autre norme tacite ou directive interne appelée «Programme de contrôle des immigrants de l'Inde orientale», programmes qui sont ou ont été administrés par le
Ministère de l'intimé. Ces pièces me sont parvenues sous le couvert de l'anonymat et des porte-parole du Ministère de l'intimé m'ont confirmé qu'elles étaient authentiques. Je crois véritablement qu'il existe une telle directive concernant la catégorie d'immigrants à laquelle les requérantes appartien- nent, et que les normes tacites ou directives internes mention- nées dans la plainte («pièce A») sont des directives à l'instar des pièces «C» et «D».
La Couronne a déposé un affidavit de Michael Rafferty, fonctionnaire de la Commission cana- dienne de l'emploi et de l'immigration. Il y déclare ce qui suit concernant des procédures d'expulsion engagées en vertu de l'article 18(1)e)(viii) contre des personnes appartenant à la «catégorie» à laquelle appartiennent les appelantes:
[TRADUCTION] 3. Au cours de la conversation téléphonique mentionnée au paragraphe 2, j'ai donné aux personnes concer- nées des renseignements inexacts: en effet, j'ai déclaré que d'après les dossiers de la Commission canadienne de l'emploi et de l'immigration, 98 rapports auraient été présentés au cours des six mois précédant le 22 février 1978. Ces rapports auraient été préparés en vertu de l'article 18 de la Loi sur l'immigration et concerneraient des personnes tombant dans la «catégorie» mentionnée au paragraphe 9 de l'affidavit de Charles Roach. De fait, un total de 98 rapports ont été présentés au cours de cette période, mais ils visaient toutes les personnes qui tom- baient dans le cadre de l'article 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration, et non seulement les personnes de la «catégorie» mentionnée.
4. J'ai depuis vérifié personnellement les dossiers de la Com mission canadienne de l'emploi et de l'immigration que je conserve à mon bureau et j'ai constaté que pour l'année se terminant le 22 février 1978, 80 rapports ont été préparés en vertu de l'article 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration sur des personnes de la «catégorie» mentionnée dans l'affidavit de Charles Roach. J'ai de plus constaté que sur un total de 80 cas, 26 seulement ont fait l'objet d'instructions pour la tenue d'une enquête conformément à l'article 25 de la Loi sur l'immigra- tion. Pour ce qui est des 54 autres cas, le directeur de l'immi- gration a exercé son pouvoir discrétionnaire et aucune enquête n'a été tenue.
5. J'ai été informé par Mohammed Bhabba, fonctionnaire à la section des appels de la Commission canadienne de l'emploi et de l'immigration, et je crois véritablement, que sur les 52 cas concernant des personnes appartenant à la susdite «catégorie» et dont les causes ont été entendues par la Commission d'appel de l'immigration, cas mentionnés au paragraphe 11 de l'affidavit de Charles Roach, la Commission a annulé l'ordonnance d'ex- pulsion dans 21 cas, ordonné une suspension de l'ordonnance d'expulsion dans 3 cas et rejeté l'appel dans les 28 autres cas.
La Division de première instance a rejeté la demande d'injonction au motif que, même en sup- posant que tout ce qui est allégué dans la plainte soit véridique, rien n'y équivaudrait à un acte discriminatoire au sens de l'article 5 de la Loi. De fait, la Division de première instance a conclu que la Commission n'était pas compétente pour connaî-
tre de la plainte des appelantes. Les conclusions formulées dans ses motifs [aux pages 460 462] par le savant juge de première instance sont les suivantes:
En l'espèce, je me sens obligé de dire expressément que les documents qui m'ont été soumis n'étayent pas la proposition qu'on a ordonné l'expulsion des requérantes à cause de leur race, de leur couleur, de leur origine nationale ou ethnique ou de leur sexe, mais parce qu'elles avaient menti afin d'être reçues comme immigrantes ....
Ceci dit, supposons, pour les besoins de la présente demande, que tout ce qui est allégué dans la plainte soit véridique. Dans cette hypothèse, plusieurs des motifs de distinction illicite défi- nis à l'article 3 de la Loi sont établis ....
L'article 5 est le seul article invoqué par les requérantes qui définit un acte discriminatoire et si je suppose encore une fois que tout ce qui est allégué dans la plainte est véridique, je ne constate l'existence d'aucun acte discriminatoire défini à l'arti- cle 5. Si j'avais eu quelque doute à ce sujet, j'aurais été entièrement prêt à chercher en vertu de quel pouvoir j'aurais pu émettre une ordonnance ayant l'effet désiré. Cependant, le fait pour l'intimé de faire observer les dispositions de la Loi sur l'immigration ne signifie pas qu'il prive les requérantes «de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public». Cela ne constitue pas un acte discrimina- toire et le motif d'application, même s'il est établi qu'il est répréhensible, comme le prétendent les requérantes, ne peut en faire ce qu'il n'est pas.
Les appelantes font valoir que le juge de pre- mière instance a commis une erreur en fondant son refus d'accorder une injonction sur la conclusion que l'objet de la plainte des appelantes ne constitue pas un acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Com mission, en qualité d'intervenante, appuie cette position et plaide qu'elle est compétente pour con- naître de la plainte.
Les appelantes prétendent essentiellement que l'injonction sollicitée a le caractère d'une injonc- tion interlocutoire et partant, ils ont plaidé que le critère qu'aurait appliquer le juge de première instance est celui établi par l'arrêt American Cya- namid Co. c. Ethicon Ltd. [1975] A.C. 396 en matière d'injonction interlocutoire, savoir: la ques tion en jeu est-elle sérieuse? A mon avis, c'est mal comprendre la nature des procédures en cause. Même si le but de l'injonction sollicitée est dans un sens analogue à celui visé par une injonction inter- locutoire, c'est-à-dire le maintien du statu quo jusqu'à ce qu'une décision sur le fond soit rendue, la demande en l'espèce ne vise pas l'obtention d'une injonction interlocutoire. Il s'agit d'une demande par avis introductif de requête invoquant
la compétence de la Division de première instance en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10. Elle n'est pas présentée dans le cadre d'une action pendante en Cour fédérale. Elle emporte jugement définitif et non interlocutoire à l'issue de la demande d'in- jonction. La demande vise l'obtention d'une injonc- tion qui a le caractère d'une injonction perma- nente, bien qu'on puisse présumer que cette injonction soit limitée dans le temps. Il serait erroné, à mon avis, d'assimiler l'injonction recher- chée en l'espèce à une injonction interlocutoire uniquement à cause de son objectif particulier, et d'appliquer les principes qui régissent l'exercice du pouvoir discrétionnaire de décider si on doit ou non accorder une injonction interlocutoire.
Les principes à appliquer sont ceux qui détermi- nent si une injonction permanente doit être accor- dée pour interdire à un ministre de la Couronne d'exécuter une fonction prévue par la loi. L'article 30(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration prévoit qu'une ordonnance d'expulsion doit être exécutée «le plus tôt possible». L'article 50 de la Loi de 1976 sur l'immigration, S.C. 1976-77, c. 52, prévoit de même qu'une ordonnance de renvoi (qui com- prend, par définition, une ordonnance d'expulsion rendue en vertu de l'ancienne Loi) doit être exécu- tée «dès que les circonstances le permettent». Ces dispositions créent un devoir que le Ministre res- ponsable de l'administration de la Loi doit, en dernière analyse, accomplir.
Une autorité publique se verra décerner une injonction afin de l'empêcher d'accomplir un acte ultra vires ou autrement illégal. Voir, par exemple, Rattenbury c. Land Settlement Board [1929] R.C.S. 52, le juge Newcombe à la p. 63: [TRADUC- TION] «... le tribunal interviendra pour empêcher un organisme créé par la loi d'accomplir des actes ultra vires ou illégaux»; voir également Le Conseil des ports nationaux c. Langelier [1969] R.C.S. 60, à la p. 75, le juge Martland parle du pouvoir d'empêcher la commission d'un acte [TRADUC- TION] «sans justification légale». A partir de ces décisions et d'autres semblables, on peut selon moi tenir pour acquis, aux fins de l'espèce, qu'un minis- tre de la Couronne, censé agir en vertu d'un pou- voir à lui conféré par la loi, peut, si le cas l'exige, se voir décerner une injonction. C'est la conclusion -expresse du juge d'appel Freedman dans Carlic c.
La Reine et le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration (1968) 65 D.L.R. (2 e ) 633, affaire portant sur l'exécution d'ordonnances d'expulsion par le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration. Le juge d'appel Freedman (alors juge puîné), qui a prononcé le jugement au nom de la Cour d'appel du Manitoba, déclare à la p. 637 du recueil: [TRADUCTION] «Il peut être opportun de souligner que les tribunaux ont plus d'une fois confirmé leur droit d'empêcher un ministre de la Couronne d'accomplir des actes illégaux ou des actes qui outrepasseraient le pouvoir que la loi lui confère». \
r.
Tant que la validité des ordonnances d'expulsion concernant les appelantes n'aura pas été contestée avec succès, on ne pourra dire que le Ministre, en les exécutant, excède le pouvoir qui lui est conféré par la loi ou agit par ailleurs contrairement à la loi. La Cour ne peut conclure qu'il y a eu acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'organisme spécialisé et les tribunaux créés par la Loi sont investis de la compétence nécessaire pour émettre une telle con clusion. Celle-ci met en cause une question de fait qui doit être déterminée au terme d'une enquête menée par la Commission et d'une audience tenue par un tribunal des droits de la personne. La question de savoir si une telle conclusion pourrait porter atteinte, en principe, à la validité des ordon- nances d'expulsion, ou pourrait entraîner tout sim- plement les redressements prévus à l'article 41, est une toute autre affaire. Essentiellement, la Cour doit considérer les ordonnances d'expulsion comme actuellement valides et le Ministre doit les exécu- ter en vertu du devoir qui lui est assigné par la loi.
L'avocat de la Commission a reconnu que la demande ne visait pas l'obtention d'une injonction interlocutoire, mais il a plaidé qu'elle devait être considérée comme une demande en vue d'empê- cher les appelantes d'être effectivement privées du droit que leur reconnaît la Loi canadienne sur les droits de la personne de faire entendre leur plainte. Les avocats n'ont pu nous citer de juris prudence et je n'en ai trouvé aucune qui puisse justifier l'emploi d'une injonction pour interdire l'exécution d'un devoir imposé par la loi, au motif qu'une telle exécution peut nuire à un droit que le requérant cherche à faire valoir devant un autre tribunal. Je ne crois pas qu'un tel emploi de l'in-
jonction puisse être reconnu comme un principe. Cela équivaudrait à donner un pouvoir général de suspendre l'exécution de décisions administratives dans des causes reconnues justifiées. La Cour n'a pas ce pouvoir, même relativement à des décisions qui font l'objet d'examen devant elle. L'article 51 de la Loi de 1976 sur l'immigration énumère les cas il est sursis à l'exécution d'une ordonnance de renvoi. Par inférence, est donc exclu tout autre sursis d'exécution y compris le sursis que peut prononcer un tribunal dans l'exercice de son pou- voir discrétionnaire. Lorsqu'on étudie la question de savoir si une injonction doit avoir un tel but, il suffit d'examiner ses conséquences par rapport à la procédure administrative. Il suffirait, pour pouvoir faire suspendre indéfiniment l'exécution d'une ordonnance d'expulsion, de déposer une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. A mon avis, un tel résultat doit être expressément prévu par la loi. Il faut noter que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne prévoit pas la suspension de procédures adminis- tratives qu'une plainte qualifie de discriminatoires. Je ne crois pas que l'on puisse suppléer à cette lacune par une injonction dans un cas l'on n'a pas fourni et l'on ne peut fournir la preuve, normalement exigée, que la procédure que le requérant cherche à empêcher est ultra vires ou autrement contraire à la loi.
Cela dit, je ne comprends pas pourquoi l'exécu- tion des ordonnances d'expulsion rendrait impossi ble la tenue d'une enquête relative à la plainte des appelantes, ou empêcherait ces dernières d'obtenir les redressements prévus à l'article 41 de la Loi. Selon l'affidavit déposé à l'appui de leur demande d'injonction, la plainte des appelantes ne semble pas dépendre de leurs connaissances personnelles.
Ayant conclu pour ces motifs que la Cour ne peut accorder d'injonction dans un dessein tel que celui invoqué en l'espèce, je n'estime pas nécessaire de déterminer si l'application des dispositions de la Loi sur l'immigration concernant l'enquête et l'ex- pulsion constitue un service destiné au public au sens l'entend l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La question de savoir dans quelle mesure, le cas échéant, l'application de textes législatifs fédéraux, édictés dans un but réglementaire ou non, tombent sous le coup de la Loi canadienne sur les droits de la personne est, il
va sans dire, importante. On pourrait, à partir des faits établis dans chacun des cas, établir des dis tinctions importantes entre les différents aspects de la fonction publique. Il est préférable, je crois, que ces questions soient tranchées en premier lieu par la Commission, comme le stipule l'article 33, avant qu'un tribunal soit appelé à statuer. En l'espèce, la Commission a indiqué qu'elle était prête à connaî- tre de la plainte. Elle a fait valoir devant la Cour qu'elle avait compétence et que le juge de première instance, en renvoyant spécifiquement à l'alinéa 5a) de la Loi, n'avait pas tenu compte de l'alinéa b) lequel prévoit que constitue un acte discrimina- toire le fait pour le fournisseur de services destinés au public «de défavoriser, à l'occasion de leur fourniture, un individu» pour un motif de distinc tion illicite. Il est possible que cette allégation soit fondée. Pour les motifs déjà énoncés, il suffit de conclure que ne constituait pas une erreur le refus d'accorder en l'espèce une injonction. Par consé- quent, l'appel doit être rejeté avec dépens.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE MACKAY: Je suis d'accord.
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