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A-91-78
In re une décision de Kenneth E. Norman, membre de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique et arbitre et in re Melvin Grant et Gerald Stoykewich
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Urie et Le Dain—Ottawa, les 13 et 16 février 1979.
Examen judiciaire Fonction publique Report de congé annuel Convention collective stipulant que tout effort rai- sonnable devait être fait pour accorder le congé demandé et prévoyant le report automatique de la fraction inutilisée du congé annuel Refus d'accorder le report de congé pour cause de nécessités du service Grief rejeté par l'arbitre L'arbitre ne s'est pas prononcé dans ses motifs sur la question de l'effort raisonnable pour accorder le congé pendant la période demandée Il s'agit de savoir si l'arbitre s'est mépris sur le point litigieux Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Les demandes des requérants tendant au report du congé annuel à l'année financière suivante ont été rejetées pour cause de nécessités du service, déterminées par une étude effectuée par la direction. Les requérants étaient requis de prendre leurs vacances au cours de cette année financière à une période qui n'était pas celle visée par leur demande. La convention collec tive stipulait que l'employeur devait faire tout effort raisonna- ble pour accorder à l'employé le congé qu'il demandait et prévoyait le report automatique des congés inutilisés à l'année financière suivante. Les griefs tendant à la confiscation par la direction des sommes qui ont été versées au titre des congés annuels prévus au calendrier et au report de quinze jours de congé annuel ont été rejetés par l'arbitre; dans ses motifs, celui-ci ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si la direction avait fait tout effort raisonnable pour accéder à la demande des employés. Cette demande fondée sur l'article 28 vise à l'annulation de la décision de l'arbitre au motif qu'il s'est mépris sur le point litigieux.
Arrêt (le juge en chef Jackett dissident): la demande est accueillie.
Le juge Urie: L'arbitre a mal interprété la nature du litige dont il avait à connaître. En l'absence de toute référence de sa part aux arguments de l'avocat de l'employeur, lequel préten- dait que toute mesure raisonnable avait été prise pour faire droit aux demandes des requérants, et vu que manifestement l'arbitre s'est attardé sur un faux problème, il est impossible de présupposer qu'il avait vraiment à l'esprit le véritable point en litige lorsqu'il a pris sa décision. Si tel était le cas, il n'a pas jugé nécessaire de le traiter, compte tenu de sa décision sur le point principal en litige d'après lui. La question de l'effort raisonnable a été traitée comme un argument supplétif auquel il n'était pas nécessaire de répondre vu la façon dont il disposait de ce qu'il considérait comme le véritable point en litige.
Le juge Le Dain: En ce qui concerne la question de l'.effort raisonnable», a) ou bien l'arbitre ne l'a tout simplement pas considérée comme un point litigieux dont il avait à connaître, b) ou bien il a considéré que l'obligation prévue à l'article
17.03(1)c) devait céder le pas devant le pouvoir de la direction d'exiger d'un employé qu'il prenne ses congés annuels dans l'année y ouvrant droit. L'obligation prévue à l'article 17.03(1)c) de faire tout effort raisonnable, compte tenu des nécessités du service, pour accorder un report de congé sur demande est une obligation séparée et distincte et, en tant que telle, une restriction au pouvoir général de la direction d'exiger d'un employé qu'il prenne ses vacances annuelles à une époque spécifiée au cours de l'année financière pendant laquelle elles ont été acquises. Dans les deux cas, l'arbitre, à tort, n'a pas traité du litige dont il avait à connaître.
Le juge en chef Jackett dissident: Ou l'arbitre a oublié de traiter du premier moyen, ou il n'a pas jugé nécessaire ou a pris pour acquis qu'il n'était pas nécessaire de mentionner expressé- ment l'évidence, soit que le premier moyen n'avait pas été prouvé, mais, en raison de l'incertitude qui selon lui entourait le deuxième moyen, a consacré presque exclusivement ses motifs à celui-ci. Compte tenu des renvois faits par l'arbitre dans ses motifs à la preuve produite et au débat qui a eu lieu sur le premier moyen, on ne peut présumer qu'il l'a oublié. Lorsqu'on doit connaître d'une affaire et qu'on réserve son jugement quant à certains arguments, alors que d'autres ont été plaidés et rejetés au cours du débat, il n'est pas inhabituel d'oublier de mentionner ceux qui ont déjà été rejetés lors de la rédaction des motifs concernant les arguments pris en délibéré. Il n'y a pas de raison de présumer que l'arbitre, qui est expérimenté et qui a reçu une formation professionnelle, aurait commis une erreur aussi élémentaire que celle de ne pas traiter d'une portion primordiale de l'argumentation d'une des parties, portion par ailleurs manifestement présente à son esprit.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
M. Wright, c.r. et A. Raven pour Melvin
Grant et Gerald Stoykewich.
Robert W. Côté pour le Conseil du Trésor.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour Melvin Grant et Gerald Stoykewich.
Le sous-procureur général du Canada pour le Conseil du Trésor.
La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, Ottawa, pour la Com mission des relations de travail dans la Fonc- tion publique.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT (dissident): L'es- pèce présente est une demande, fondée sur l'article 28, d'annulation d'une décision arbitrale rendue selon l'article 91 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35.
La décision porte sur certains griefs découlant de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe chauffage, force motrice et opération de machines fixes. Les stipulations qui nous importent dans la convention sont les suivantes:
1. l'article 7, qui se lit ainsi:
7.01 Sauf dans les limites précisées dans le texte, la présente convention ne restreint aucunement l'autorité des personnes chargées de responsabilités de direction dans la Fonction publique.
Ci-après l'article sera appelé: [TRADUCTION] «clause sur les droits de la direction»;
2. l'article 17.03 (1), que voici en partie:
(1) Lorsqu'il accorde un congé annuel payé à un employé, l'employeur doit, sous réserve des nécessités du service, faire tout effort raisonnable
b) pour accorder le congé annuel d'un employé au cours de l'année financière ouvrant droit à ce congé si l'employé en fait la demande au plus tard le 1" avril;
c) pour accorder à tout employé qui en fait la demande avant le 31 janvier la permission d'utiliser dans l'année financière qui suit toute période de congé annuel de quatre (4) jours ou plus acquise par lui dans l'année courante;
e) pour accorder les congés annuels d'un employé de toute autre façon qu'il les demande s'il en fait la demande au plus tard le 1" avril;
Cette clause est ci-après appelée: [TRADUC- TION] «clause d'attribution des congés annuels»;
3. l'article 17.07:
Lorsque dans une année financière un employé n'a pas bénéficié de tous les congés annuels qui ont été portés à son crédit, la fraction inutilisée de son congé annuel est reportée à l'année financière suivante.
Cet article est ci-après appelé: [TRADUCTION] «clause de report automatique».
Comme il ne paraît pas y avoir de différence notable entre les faits de chacune des espèces, je me bornerai à résumer ceux concernant le requé- rant Grant.
Le 21 février 1976, le requérant a demandé qu'on lui accorde 15 jours de congé annuel en juin
et juillet 1976. Le 20 mai 1976, la direction lui a
répondu par la lettre suivante:
[TRADUCTION] Objet: notre conversation d'hier soir.
Comme vous le saviez très bien, les congés annuels se pren- nent ici par roulement d'une année à l'autre et les dates que vous avez indiquées sont réservées cette année à d'autres HP3.
Comme ils ne m'ont nullement fait savoir, ni par écrit ni verbalement, qu'ils avaient renoncé à prendre leurs vacances à ces dates, je ne peux, en toute justice, les retenir pour vous. Je ne peux leur enlever la période qui leur est réservée, pas plus que je ne pourrais leur accorder leurs vacances à des dates que je vous aurais réservées.
Celui pour qui une période de vacances a été prévue peut, le premier, s'en prévaloir. S'il décide de ne pas l'utiliser à ce moment-là, d'autres employés de la centrale (de catégorie HP3 ou HP4 selon le cas) peuvent alors prendre leurs congés à ces dates.
Les nécessités du service sont telles en ce moment que nous ne pouvons laisser plus d'un HP3 et d'un HP4 prendre leurs congés annuels en même temps.
Pour les raisons données ci-dessus, je ne peux donc vous accorder vos jours de congé à l'époque demandée.
Le calendrier des vacances pour 1976-77 a été affiché; celles du requérant y étaient prévues pour mai et juin et, dans l'espace réservé a cette fin, il semble qu'il ait réitéré sa demande en écrivant [TRADUCTION] «Comme sur la formule de congé du 21 février 1976». Après certains échanges de lettres il a demandé par écrit le 31 janvier 1977 le «report» de ses 15 jours de congé annuel. Le 14 février 1977, la direction a affiché la note suivante:
A tout le personnel de la centrale électrique:
En raison des nécessités du service de la centrale électrique et du plus grand nombre de congés supplémentaires requis pour l'année financière 1977-1978, il a été jugé nécessaire de ne pas permettre le report des congés annuels non utilisés.
Par conséquent, tous les jours de congé non utilisés devront être pris au cours des six prochaines semaines.
Le requérant a pris ses vacances en mars 1977 et a présenté un grief pour [TRADUCTION] «refus [de la direction] d'accorder et/ou de reporter certains congés annuels conformément aux stipulations de la convention collective C.F.M. et O.M.F.» Dans son grief, le requérant s'exprime ainsi: [TRADUC- TION] «Je demande (1) LA CONFISCATION PAR LA DIRECTION DES SOMMES QUI M'ONT ÉTÉ VER SÉES AU TITRE DES CONGÉS ANNUELS PRÉVUS AU CALENDRIER; (2) LA PERMISSION DE REPOR TER QUINZE JOURS DE CONGÉ ANNUEL.» La direction a rejeté le grief à tous les niveaux et celui-ci a alors été renvoyé à l'arbitrage.
L'arbitre a rejeté les griefs, et l'actuelle demande présentée selon l'article 28 vise l'annula- tion de cette décision.
L'arbitre, dans ladite décision, énonce briève- ment les faits comme suit:
Les employés s'estimant lésés travaillent à la centrale électri- que située sur les terrains de l'aéroport de Winnipeg. M. Grant est HP-3, et M. Stoykewich HP-4. Le personnel de la centrale électrique se compose d'un chef, M. Hamilton, de son adjoint, M. Wilson, et de neuf opérateurs dont cinq font partie de la même classe d'emplois que M. Stoykewich, les quatre autres étant classés au même niveau que M. Grant. La centrale électrique fonctionne sans arrêt, et les employés travaillent par quarts rotatifs répartis sur un cycle de 28 jours. Pour attribuer les congés annuels, on «jumelle» habituellement un HP-4 et un HP-3 et on fait alterner chaque paire ainsi formée pendant les périodes de vacances «préférées» de l'été. Prenons par exemple le cas de deux opérateurs qui prendraient leur congé annuel au cours de la plus grande partie du mois de juillet en 1976, en 1977 ces deux employés seraient en congé pendant presque tout le mois d'août, et ainsi de suite.
Je n'ai pas l'intention de récapituler ici les conversations et les lettres qui ont précédé ce qui a constitué le point tournant dans la présente affaire, car je ne considère pas comme perti- nentes les circonstances particulières qui ont fait que ni l'un ni l'autre des employés s'estimant lésés n'a été satisfait de la date qui lui a été attribuée en 1976 pour prendre son congé annuel. Tout ce qui compte, c'est que ni l'un ni l'autre n'était content de la solution proposée par le chef du personnel, M. Hamilton. Cet état d'esprit commun les a finalement tous deux amenés à demander officiellement que leurs jours de congé annuel de 1976 soient reportés à l'année financière 1977. Ces demandes ont été faites par suite de la note de service suivante que M. Hamilton a adressée à «tous les employés de la centrale électrique»:
Le 26 janvier 1977 Report du congé annuel de 1976-1977
Toute demande de report du congé annuel de 1976-1977 à l'année financière 1977-1978 doit être faite par écrit et doit indiquer le nombre de jours que l'employé veut faire reporter, les motifs de la demande et les dates approximatives auxquel- les il veut prendre son congé.
Cette mesure est nécessaire pour nous permettre de répondre aux besoins du service.
Toutes les demandes doivent être présentées à l'opérateur de machines fixes en chef au plus tard le 31 janvier 1977.
Ayant reçu plusieurs demandes de report de congé, M. Hamil- ton a demandé à M. Wilson, son adjoint, de faire une étude des nécessités du service. Dans une note de service datée du 31 janvier, M. Wilson a expliqué les problèmes que l'établissement du calendrier des congés poserait au cours de l'année financière suivante. Il a conclu ainsi:
Si l'on fait la somme des semaines de congé requises dans le cas des exemples mentionnés ci-dessus, nous pouvons voir qu'il serait extrêmement difficile d'intégrer à notre calendrier les jours que les employés veulent faire reporter.
M. Hamilton a ensuite étudié les nécessités du service de la centrale électrique pour l'année à venir, a pris en considération
la note de service de M. Wilson et a communiqué l'avis suivant le 14 février 1977:
A tout le personnel de la centrale électrique:
En raison des nécessités du service de la centrale électrique et du plus grand nombre de congés supplémentaires requis pour l'année financière 1977-1978, il a été jugé nécessaire de ne pas permettre le report des congés annuels non utilisés.
Par conséquent, tous les jours de congé non utilisés devront être pris au cours des six prochaines semaines.
Par la suite, les employés s'estimant lésés ont tous deux reçu une formule qu'on leur demandait de signer et qui précisait certains jours de congé à prendre en mars de l'année financière en cours. A contre-cceur, chacun a signé la formule et a pris son congé.
Avant de chercher à énoncer la question à tran- cher ici, j'estime souhaitable de faire certains com- mentaires en toile de fond:
1. Si je comprends bien la situation que crée la convention collective,
a) la direction avait l'obligation de dresser un calendrier des congés annuels prévoyant la période chaque employé pourrait bénéfi- cier de ses vacances (présumément prévues ailleurs) et, ce faisant, elle devait se confor- mer à la clause d'attribution des congés en faisant, notamment, tout effort raisonnable, sous réserve des nécessités du service,
(i) pour accorder le congé annuel de l'em- ployé au cours de l'année financière ouvrant droit à ce congé, si l'employé en fait la demande au plus tard le 1 °r avril;
(ii) pour accorder à l'employé qui en fait la demande avant le 31 janvier, de reporter toute période de congé d'au moins 4 jours à l'année financière suivante;
b) tout congé annuel qui n'a pas été accordé à l'employé dans l'année financière au cours de laquelle il a été acquis est reporté à l'année suivante en vertu de la clause de report auto- matique des congés.
2. Dans le cas de conventions des clauses similaires avaient été stipulées, la question s'était posée de savoir, lorsque la direction avait conclu qu'elle ne pouvait satisfaire la demande présentée par un employé en vertu de la clause d'attribution des congés, si elle pouvait lui assi- gner son congé annuel dans l'année financière que ne visait pas sa demande, avec pour résultat que la clause de report automatique ne pouvait
jouer. Cette question s'est certainement posée dans l'affaire Low et Duggan, l'arbitre Abbott a rendu une décision défavorable à la direction et, apparemment, tel a été le cas dans les affaires Schandlen, Gray, Lee et Coulter, et d'autres encore.
3. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique a réformé la décision arbi- trale Low et Duggan, statuant qu'une attribu tion valide de congé annuel ne dépendait pas d'une demande présentée à cette fin par l'em- ployé (la présente demande ne met pas en cause la justesse de la décision de la Commission sur ce point et, en toute déférence pour l'opinion contraire, c'est à juste titre à mon avis).
4. Deux motifs peuvent soutenir le grief du requérant contre le «refus [de la direction] d'ac- corder et/ou de reporter certains congés annuels» et les «mesures requises» par lui, v.g. la confiscation par la direction des sommes payées à titre de congé annuel et le «report de ... quinze jours de congé annuel»:
a) la direction n'aurait pas fait d'effort rai- sonnable pour accorder le report demandé «sous réserve des nécessités du service», ou
b) les congés annuels qu'il a pris n'ayant fait l'objet d'aucune demande de sa part doivent, conformément à certaines sentences arbitrales antérieures, être reportés automatiquement.
Dans ce contexte, j'examine la décision de l'arbi- tre, contestée par la présente demande.
Dans ses motifs, l'arbitre commence par dire que le litige en cause n'est pas «nouveau», qu'il a fait l'objet précédemment de l'attention d'un cer tain nombre d'arbitres, mais qu'il ne ressort aucune analyse concluante de leurs décisions. Il caractérise le litige comme «le droit [pour un employé] de reporter des jours de congé annuel à l'année financière suivante compte tenu d'une directive de l'employeur voulant que les jours de congés accumulés soient utilisés par l'employé avant la fin de l'année financière en cours». Après avoir revu les faits énoncés ci-dessus et cité les dispositions pertinentes de la convention collective, il résume comme suit le plaidoyer des employés s'estimant lésés:
M. Tarte, pour les employés s'estimant lésés, a cité sept affaires à l'appui de sa thèse: Schandlen (166-2-146) (Jolliffe); Gray (166-2-457) (Martin); Lee et Coulter (166-2-741 et 742) (Moir); Low et Duggan (166-2-855, 56) (Abbott); Stewart (166-2-2001) (Simmons); Leswick (166-2-2035) (DesCôteaux); et Lang (166-2-2430) (Mitchell). Il a admis que la décision de M. Abbott dans l'affaire Low et Duggan avait été infirmée par la Commission des relations de travail dans la Fonction publi- que (168-2-56) (Brown), mais il a soutenu que le point sur lequel la décision avait été contestée avait trait à la nécessité de se conformer à un article qui stipulait que la demande de report de congés devait être présentée avant le 31 janvier de l'année financière en cours.
Et celui de l'employeur comme suit:
M. Henderson, pour l'employeur, a affirmé que les griefs devaient être rejetés parce qu'il n'avait pas été prouvé que les mesures prises par la direction dans cette affaire ne faisaient pas partie de ses droits résiduaires aux termes de l'article 7. Pour ce qui est de l'effort raisonnable que l'employeur doit faire, il a cité les affaires Wessel (166-2-676) (Moir) et Laberge (166-2-99) (Jolliffe) qui portent sur l'établissement du calendrier des congés. Finalement, il a mis en doute mon pouvoir d'ordonner un redressement même si j'étais persuadé que l'employeur avait violé la convention collective. Pour les raisons que je vais maintenant mentionner, il n'est pas néces- saire de s'arrêter sur cette allégation.
L'arbitre analyse ensuite brièvement les décisions sur lesquelles l'employé s'estimant lésé s'appuyait pour montrer que, relativement à la nécessité d'une demande de l'employé avant que la direction fixe les dates des congés annuels, ces décisions ont été écartées par la décision de la Commission dans Low et Duggan, ou il n'en a pas été tenu compte. Il conclut comme suit:
En conséquence, je rejette les griefs. En me fondant sur l'analyse de l'affaire Low et Duggan (168-2-56), je ne trouve rien dans l'article 17 de la convention collective qui restreigne le pouvoir de l'employeur d'exiger unilatéralement que les employés s'estimant lésés liquident les portions inutilisées de leurs crédits de congé annuel dans l'année financière en cours. Si ce n'était de ce pouvoir exercé par l'employeur, j'aurais fait droit aux griefs comme l'ont fait mes collègues par le passé dans les sept affaires d'arbitrage auxquelles je me suis reportées.
Lorsque la présente demande, présentée selon l'article 28, a été entendue pour la première fois, il a été convenu qu'il y aurait une nouvelle instruc tion et les parties ont été autorisées à produire des affidavits sur la nature du litige soumis à l'arbitre. Chaque partie était représentée devant l'arbitre par un avocat qui a produit un affidavit. Voici les dispositions pertinentes de celui des requérants:
[TRADUCTION] 3. Dans les griefs qu'ils ont produits, les susdits employés s'estimant lésés se plaignent que l'employeur a
enfreint les stipulations applicables de la convention collective lorsqu'il a refusé de leur laisser exercer certains privilèges de report de congés annuels. Plus précisément, ils avaient demandé que leurs congés annuels non utilisés de l'année financière se terminant le 31 mars 1977 soient reportés à celle se terminant le 31 mars 1978. C'est le refus de l'employeur de permettre ce report qui a suscité les griefs en cause et leur renvoi à l'arbitrage.
4. En tant qu'avocat des employés s'estimant lésés, il m'appar- tenait de me préparer à l'arbitrage et d'y assister. Ce faisant, j'ai pris des notes manuscrites complètes sur le fond du litige et, plus précisément, sur ce qui s'était passé à l'audience devant l'arbitre Kenneth E. Norman.
5. Devant l'arbitre j'ai fait simplement valoir que les employés s'estimant lésés, MM. Grant et Stoykewich, reprochaient à l'employeur son refus déraisonnable d'autoriser le report des congés annuels non utilisés, et donc encore à leur crédit. Mes notes indiquent que j'ai commencé ma plaidoirie en disant:
«Les faits sont simples de même que le litige. Dans les deux cas, les employés avaient à leur crédit des congés annuels non utilisés et, avant le 31 janvier, ils ont demandé leur report à l'année financière suivante. Leur demande a été rejetée sans raison valable.»
6. J'ai prétendu devant l'arbitre Norman qu'en l'espèce, l'em- ployeur avait contrevenu à l'article 17.03 de la convention collective, cité au début de l'instruction et servant de fondement à l'argumentation des employés.
7. J'ai fait valoir qu'en vertu d'une interprétation raisonnable dudit article 17.03 de la convention collective, sous réserve de certaines conditions de délais et de durée, ainsi que des nécessi- tés du service, l'employeur avait l'obligation de faire tout effort raisonnable pour accorder le report demandé. J'ai signalé, avec insistance, que dans le cas de MM. Grant et Stoykewich, l'employeur n'avait pas démontré avoir fait tout effort raison- nable pour accueillir la demande des employés. De plus, il a été allégué qu'en l'espèce les nécessités du service ne pouvaient être invoquées pour justifier le rejet de la demande des employés s'estimant lésés.
8. Sur la question plus générale de la mesure dans laquelle un employé pouvait contester l'invocation par l'employeur des nécessités du service, ont été citées et débattues un certain nombre de décisions arbitrales portant sur la même question. Mentionnant l'affaire Stewart, dossier 166-2-2001 de la Com mission j'ai fait remarquer que les «nécessités du service» ne sauraient être établies postérieurement. On cita l'affaire Gray, dossier 166-2-45 de la Commission, à l'appui de la proposition voulant que les considérations financières ne jouent qu'un rôle mineur lorsqu'il s'agit d'établir les nécessités du service.
9. J'ai alors plaidé, après avoir mentionné les décisions arbitra- les pertinentes, qu'il appartenait à l'employeur de démontrer pourquoi les nécessités du service empêchaient le report. J'ai insisté pour dire que seul l'employeur pouvait expliquer ces nécessités. J'ai passé alors en revue les éléments de preuve afin de démontrer que l'employeur avait en fait agi arbitrairement sans faire un effort quelconque, encore moins un effort raison- nable, pour accorder le report.
10. Enfin, traitant de la décision de la Commission des rela tions de travail dans la Fonction publique dans l'affaire Low et Duggan, j'ai distingué cette affaire de l'espèce en cause, en montrant que, malgré le libellé analogue des deux conventions collectives, la décision de la Commission dans Low et Duggan ne pouvait et ne devait pas être suivie dans le cas de MM. Grant et Stoykewich car dans l'affaire première nommée les employés n'avaient pas présenté leur demande dans les délais (c.-à-d. avant le 31 janvier), au contraire de MM. Grant et Stoykewich. Ceux-ci ayant produit leur demande dans les délais stipulés à l'article 17.03, la décision de la Commission dans Low et Duggan ne fait pas jurisprudence à leur égard.
11. Quant aux prétentions de l'employeur, W Henderson a plaidé que les employés n'avaient pas été très coopératifs et qu'accorder le report aurait sans aucun doute provoqué une demande de temps supplémentaire supérieure. Cela, a-t-il dit, n'allait pas sans embarrasser l'employeur et constituait une raison valable de rejeter les demandes, puisque c'était un facteur à considérer dans l'analyse des nécessités du service.
12. Je n'hésite pas à dire que l'article sur lequel les employés s'estimant lésés ont fondé leurs griefs devant l'arbitre était expressément l'article 17.03 de la Convention collective appli cable. L'article 17.07 a été mentionné aussi, mais seulement pour soutenir l'interprétation à donner audit article 17.03.
13. A la lecture de la sentence arbitrale de M. Norman, au souvenir de la nature de la preuve présentée et des prétentions soutenues à l'audience, je ne peux que conclure que l'arbitre Norman n'a pas saisi la véritable nature du litige.
Voici les dispositions pertinentes de l'affidavit déposé au nom de l'employeur:
[TRADUCTION] 3. Les griefs de MM. Melvin Grant et Gerald Stoykewich étant identiques, ils ont été instruits conjointement; ils s'intitulaient tous deux:
reproche à la direction (coe) son refus d'accorder et/ou de reporter certains congés annuels conformément aux stipula tions de la convention collective C.F.M. et O.M.F.
Les mesures que les employés s'estimant lésés voulaient voir prendre étaient les suivantes:
M. Gerald Stoykewich
Confiscation par la direction des sommes qui m'ont été versées au titre des congés annuels prévus au calendrier. Report de 7 jours de congé annuel;
M. Melvin Grant
Confiscation par la direction des sommes qui m'ont été versées pour les congés annuels prévus au calendrier. Report de 15 jours de congé annuel.
4. A titre d'avocat du Conseil du Trésor, il m'appartenait de me préparer à l'instruction de l'arbitrage et d'y assister. Ce faisant, j'ai pris certaines notes qui résument l'affaire ainsi que les preuves présentées devant l'arbitre par les deux parties au grief.
5. Il a été établi devant l'arbitre que le directeur de l'unité en cause avait reçu des demandes de la part des deux employés s'estimant lésés pour le report de leurs congés annuels et
qu'après étude des nécessités du service, ces demandes avaient été rejetées et on avait demandé aux deux employés d'épuiser les congés annuels respectivement à leur crédit avant la fin de l'année financière en cours. Les deux employés ont produit et signé une demande de congé et un rapport de présence; les deux ont épuisé leurs congés annuels avant la fin de l'année finan- cière 1976-77.
6. Tant en interrogatoire principal qu'en contre-interrogatoire, le directeur de l'unité en cause, M. Cory Hamilton, a exposé les considérations qui avaient retenu son attention lorsqu'il s'est agi d'établir les nécessités du service de son unité pour l'année financière 1977-78, avant de rejeter les demandes de report de congé des deux employés. Voici ces considérations:
(i) le calendrier habituel des congés en usage dans la cen- trale lequel comporte l'attribution des congés par roulement;
(ii) la nécessité de demander à d'autres employés de faire du temps supplémentaire, alourdissant déraisonnablement par leur tâche, compte tenu de l'âge de certains d'entre eux;
(iii) l'obligation d'avoir toujours une équipe composée d'un H.P. 4 et d'un H.P. 3;
(iv) les congés paralégaux qu'accordait une nouvelle conven tion collective signée auparavant et qui ajoutaient à la com- plexité du calendrier à établir;
(v) les 5 semaines de congé d'ancienneté auxquelles avaient droit M. Wilson, autre employé de l'unité;
(vi) l'absentéisme pour cause de maladie au cours des années passées;
(vii) les plaintes des employés, y compris de l'un de ceux s'estimant lésés, M. Grant, d'avoir à faire du temps supplé- mentaire de travail;
(viii) la recherche du maintien de l'harmonie entre tous les employés de l'unité;
(ix) les faits qu'énonçaient le rapport sur les nécessités du service pour l'année financière 1977-78, préparé à sa demande par son assistant, M. Wilson.
7. J'ai prétendu devant l'arbitre qu'en cette espèce particulière, le directeur avait pris soin scrupuleusement de se demander si les nécessités du service lui permettaient d'accorder le report demandé et que, selon sa conclusion, après étude des faits dont il avait connaissance, les nécessités du service de cette unité ne lui permettaient pas d'accorder les demandes de report. J'ai fait valoir qu'une simple lecture des articles 17.01 et 17.03 de la convention collective montrait que la direction était autorisée à ordonner à un employé d'épuiser ses jours de congé annuel inutilisé si les nécessités du service ne permettaient pas le report prévu à l'article 17.03.
8. Manifestement donc le point en litige devant l'arbitre Norman était celui de savoir si oui ou non la direction avait agi d'une manière raisonnable en rejetant la demande de report des congés annuels, compte tenu des articles 7.01 et 17 de la convention collective.
Devant nous, si je comprends bien, ce qui est contesté dans la décision de l'arbitre, c'est qu'il se serait posé la mauvaise question. Au lieu de se demander:
a) si l'employeur, avant de rejeter les demandes fondées sur l'article 17.03(1)c), avait fait tout effort raisonnable, sous réserve des nécessités du service, pour s'y conformer,
il se serait contenté de se demander:
b) si, ayant rejeté les demandes, l'employeur pouvait exiger des employés qu'ils prennent leur congé annuel dans l'année financière ils l'avaient acquis, avec pour conséquence que la clause de report automatique ne pouvait jouer.
Il est manifeste que tout doute aurait été écarté si l'arbitre dans sa décision avait répondu dans un sens ou dans l'autre à la question: les requérants ont-ils réussi à montrer que l'employeur n'avait pas fait tout effort raisonnable pour faire droit à leur demande de report de certains jours de congé annuel à l'année financière suivante? Toutefois, pour accueillir la présente demande, la Cour doit être persuadée qu'il a omis d'examiner cette ques tion et d'y répondre.
Selon mon interprétation de l'évaluation des griefs par l'arbitre, ceux-ci auraient être accueillis s'il avait conclu que:
a) l'employeur n'avait pas fait tout effort rai- sonnable pour faire droit aux demandes de report des jours de congé annuel des employés; ou que
b) les requérants avaient droit au report de leurs jours de congé annuel en tout état de cause, en vertu de la clause de report automati- que, vu qu'ils ne les avaient pas demandés au cours de l'année financière y ouvrant droit.
Or il est arrivé à une conclusion défavorable aux employés sur les deux questions.
En premier lieu, il faut noter que les deux griefs reposent sur le refus de la direction:
a) «d'accorder ... certains congés annuels», et/ou
b) «de reporter certains congés annuels».
Quant à la première de ces questions, pour autant que le révèle le dossier produit, toute la preuve de l'employeur a été présentée et, dans la
mesure nous pouvons en juger, elle tendait à démontrer que tout effort raisonnable avait été fait.
Voici comment je comprends la décision arbi- trale: bien qu'il ne statue pas expressément sur la question, l'arbitre ne semble pas avoir pensé que les requérants aient réussi à présenter une argu mentation vraisemblable là-dessus. Il résume som- mairement la preuve présentée sur ce point au nom de l'employeur et renvoie à la jurisprudence, citée, concernant «l'effort raisonnable». Après avoir ana- lysé à fond la deuxième question, il dit n'avoir trouvé aucune limitation au pouvoir de l'em- ployeur de requérir unilatéralement que les «employés s'estimant lésés» épuisent les jours de congé à leur crédit (bien qu'il ne le dise pas, il me semble clair qu'il se réfère alors à ces «employés s'estimant lésés» comme à des gens auxquels on a à bon droit refusé le report des jours de congé à leur crédit).
En outre, quoique l'affidavit de l'avocat qui a occupé pour les requérants devant l'arbitre ait dit, en termes généraux, qu'il ne s'était appuyé que sur cette question en présentant l'affaire à l'arbitre, il faut noter:
a) qu'il ne dit pas expressément que les motifs de l'arbitre, remis peu de temps après l'au- dience, étaient erronés lorsque ce dernier résume sa plaidoirie en disant qu'elle a trait à l'autre question; et,
b) qu'il dit expressément (au paragraphe 10 de son affidavit), avoir fait une distinction d'avec Low et Duggan, décision qui ne porte que sur la deuxième question et nullement sur celle de «l'effort raisonnable».
En sus, l'affidavit de l'avocat de l'employeur (que le requérant n'a pas cherché à éclaircir en contre-interrogatoire) montre manifestement que, d'après ses souvenirs et ses notes, il a en fait présenté une preuve sur la question de «l'effort raisonnable» et qu'il a plaidé ce point.
En résumé, en ce qui concerne les attaques portées contre la décision arbitrale, il semble clair:
a) que des preuves ont été produites sur la question de l'effort raisonnable de l'employeur;
b) que les deux parties ont débattu la deuxième question, soit le «droit» de l'employeur d'exiger qu'un employé épuise ses jours de congé annuel dans l'année financière après qu'une demande de report ait été rejetée;
c) que, sans rejeter expressément le premier moyen, l'arbitre a consacré la partie de ses motifs il exprime son propre raisonnement, au second moyen.
En l'espèce, je vois deux possibilités:
(i) ou l'arbitre a oublié de traiter du premier moyen;
(ii) ou l'arbitre, en raison du cours suivi par le débat et de ce qu'il a dit à ce moment-là, n'a pas jugé nécessaire, ou a pris pour acquis qu'il n'était pas nécessaire, de mentionner expressé- ment l'évidence, soit que le premier moyen n'avait pas été prouvé mais, en raison de l'incer- titude qui selon lui entourait le deuxième moyen, a consacré presque exclusivement ses motifs à celui-ci.
A mon avis, compte tenu des renvois faits par l'arbitre dans ses motifs à la preuve produite et au débat qui a eu lieu sur le premier moyen, on ne peut présumer qu'il l'a oublié. D'après mon expé- rience, lorsqu'on doit connaître d'une affaire et qu'on réserve son jugement quant à certains argu ments, alors que d'autres ont été plaidés et rejetés au cours du débat, il n'est pas inhabituel d'oublier de mentionner ceux qui ont déjà été rejetés lors de la rédaction des motifs concernant les arguments pris en délibéré. Je ne vois pas pourquoi il faudrait présumer que l'arbitre, lequel, aux dires Ses avo- cats des deux parties, a reçu une formation spé- ciale en ce sens et est expérimenté aurait commis une erreur aussi élémentaire en matière arbitrale que celle de ne pas traiter d'une portion primor- diale de l'argumentation d'une des parties, portion par ailleurs manifestement présente à son esprit.
A mon avis la demande présentée selon l'article 28 doit être rejetée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu le privilège de lire l'opi- nion dissidente du juge en chef et l'opinion indivi- duelle de mon collègue Le Dain. En toute défé- rence, j'estime la dernière plus persuasive et conforme à mes vues sur l'affaire.
Il ne suffit pas je pense que l'arbitre ait devant lui les preuves produites par l'avocat de l'em- ployeur relativement aux mesures prises par le supérieur immédiat des requérants pour établir les nécessités du service à l'égard du personnel de la centrale, ni peut-être qu'il ait entendu la plaidoirie de l'avocat sur ce point. Comme l'énonce dans ses motifs le juge Le Dain, l'arbitre n'a manifestement pas perçu, comme on le voit par sa définition du litige au début de sa décision, que la seule question à régler était celle de savoir si l'employeur avait ou non fait tout effort raisonnable pour faire droit aux demandes des requérants. S'il fallait justifier que c'est ainsi qu'il percevait le litige, on en trouverait confirmation dans son rappel de l'affaire Low et Duggan (168-2-56) et dans le commentaire suivant qu'il fait sur cette affaire:
... je ne trouve rien dans l'article 17 de la convention collective qui restreigne le pouvoir de l'employeur d'exiger unilatérale- ment que les employés s'estimant lésés liquident les portions inutilisées de leurs crédits de congé annuel dans l'année finan- cière en cours. Si ce n'était de ce pouvoir exercé par l'em- ployeur, j'aurais fait droit aux griefs comme l'on fait mes collègues par le passé . ... [C'est moi qui souligne.]
Cette citation, rapprochée de son commentaire antérieur selon lequel Low et Duggan constitue une affaire «semblable», me démontre que l'arbitre a mal interprété la nature du litige dont il avait à connaître. En l'absence de toute référence de sa part aux arguments de l'avocat de l'employeur, lequel prétendait que toute mesure raisonnable avait été prise pour faire droit aux demandes des requérants, et vu que manifestement l'arbitre s'est attardé sur un faux problème, je ne puis présuppo- ser qu'il avait vraiment à l'esprit le véritable point en litige lorsqu'il a pris sa décision. Si tel était le cas, je ne pense pas qu'il ait trouvé nécessaire de le traiter, compte tenu de sa décision sur le point principal en litige d'après lui. Le véritable point litigieux ne venait qu'ensuite à son avis, comme le montre son résumé des prétentions de l'avocat de l'employeur:
M. Henderson, pour l'employeur, a affirmé que les griefs devaient être rejetés parce qu'il n'avait pas été prouvé que les mesures prises par la direction dans cette affaire ne faisaient pas partie de ses droits résiduaires aux termes de l'article 7. Pour ce qui est de l'effort raisonnable que l'employeur doit faire, il a cité les affaires Wessel (166-2-676) (Moir) et Laberge (166-2-99) (Jolliffe) qui portent sur l'établissement du calendrier des congés.
J'en déduis qu'il a traité la question de l'effort raisonnable comme un argument supplétif auquel il n'était pas nécessaire de répondre vu la façon dont il disposait de ce qu'il considérait comme le véritable point en litige.
Il s'ensuit que j'accueillerais la demande présen- tée selon l'article 28, comme le propose mon collè- gue Le Dain.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: J'ai eu le privilège de lire les motifs du juge en chef, mais je suis d'avis que l'arbitre n'a pas examiné et réglé le véritable litige que lui soumettaient les griefs.
A mon avis la question litigieuse était celle-ci: l'employeur, en refusant le report demandé par les employés de leurs crédits de congé annuel de l'an- née financière 1976-77 l'année 1977-78, s'est-il conformé à l'article 17.03(1)c) de la convention collective applicable? Voici cet article:
17.03 Attribution des congés annuels
(1) Lorsqu'il accorde un congé annuel payé à un employé, l'employeur doit, sous réserve des nécessités du service, faire tout effort raisonnable
c) pour accorder à tout employé qui en fait la demande avant le 31 janvier la permission d'utiliser dans l'année financière qui suit toute période de congé annuel de quatre (4) jours ou plus acquise par lui dans l'année courante;
Que ce soit le litige soulevé par les griefs, les réponses données par l'employeur aux différents paliers du processus de règlement desdits griefs l'indiquent bien. Les réponses données aux premier et deuxième paliers énoncent au long les motifs pour lesquels l'employeur ne peut accorder la demande de report des jours de congé. La réponse donnée au dernier palier dit: [TRADUCTION] «les nécessités du service ne permettent pas le report à
l'année financière suivante des crédits de congé et en conséquence vous devez les prendre dans l'an- née pendant laquelle ils ont été acquis». Nulle part il n'est question d'y joindre la question de l'appli- cation de la clause de report automatique objet de l'article 17.07 à un cas l'employeur, ayant refusé une demande de report, a demandé à l'em- ployé de «liquider» les jours de congé à son crédit pendant l'année financière en cours.
Les parties s'accordent pour dire que l'unique litige soumis à l'arbitre était la question de savoir si l'employeur avait fait un effort raisonnable pour faire droit à la demande de report de congé, au sens de l'article 17.03(1)c) de la convention collec tive; c'est ce que montrent clairement les affidavits produits par les parties et reproduits in extenso dans les motifs du juge en chef, notamment le paragraphe 5 que voici de l'affidavit produit au nom des requérants:
[TRADUCTION] 5. Devant l'arbitre j'ai fait simplement valoir que les employés s'estimant lésés, MM. Grant et Stoykewich, reprochaient à l'employeur son refus déraisonnable d'autoriser le report des congés annuels non utilisés et donc encore à leur crédit. Mes notes indiquent que j'ai commencé ma plaidoirie en disant:
Les faits sont simples de même que le litige. Dans les deux cas, les employés avaient à leur crédit des congés annuels non utilisés et, avant le 31 janvier, ils ont demandé leur report à l'année financière suivante. Leur demande a été rejetée sans raison valable.
et ce que montre aussi le paragraphe 8 que voici de l'affidavit produit au nom de la Couronne:
[TRADUCTION] 8. Manifestement donc le point en litige devant l'arbitre Norman était celui de savoir si oui ou non la direction avait agi d'une manière raisonnable en rejetant la demande de report des congés annuels, compte tenu des articles 7.01 et 17 de la convention collective.
Au commencement des motifs de sa décision, l'arbitre définit comme suit le litige dont il a à connaître:
Il s'agit ici de déterminer si un employé a le droit de reporter des jours de congé annuel à l'année financière suivante compte tenu d'une directive de l'employeur voulant que les jours de congé accumulés soient utilisés par l'employé avant la fin de l'année financière en cours.
Ce qui confirme que c'est le point auquel l'arbitre a accordé toute son attention, point fort différent de celui dont il était saisi, c'est, je pense, qu'il se soit essentiellement appuyé pour rejeter les griefs sur la décision Low et Duggan de la Com mission des relations de travail dans la Fonction
publique. En citant plusieurs décisions arbitrales, l'arbitre semble avoir divisé les affaires en deux grandes catégories: celles l'employeur avait demandé à l'employé de «liquider» ses congés annuels pendant l'année en cours et celles il ne l'avait pas fait. L'arbitre s'est alors concentré sur une analyse de la décision Low et Duggan le litige ne portait pas sur les efforts raisonnables de l'employeur pour faire droit à une demande de report de congé. Dans cette affaire, l'un des employés s'estimant lésés avait effectivement demandé un report de congé, mais non dans les délais prévus par la convention collective, et l'autre n'avait fait aucune demande de ce genre. Le litige portait sur le droit de l'employeur d'exiger d'un employé qu'il «liquide» les congés à son crédit pendant l'année financière en cours et sur le point de savoir si ces congés pris obligatoirement, quand l'employé ne les avait pas demandés, pouvaient être réputés avoir été «accordés» ou utilisés au sens de la clause de report automatique correspondant à l'article 17.07 que voici:
17.07 Report des congés annuels
Lorsque dans une année financière un employé n'a pas bénéficié de tous les congés annuels qui ont été portés à son crédit, la fraction inutilisée de son congé annuel est reportée à l'année financière suivante.
Dans les motifs de la décision de la Commission dans l'affaire Low et Duggan, on trouve les réfé- rences suivantes au litige tel que le concevaient l'arbitre et la Commission:
9. La question soulevée dans les griefs, telle que l'entendait l'arbitre, était celle de savoir si les jours de congé annuel non utilisés doivent être reportés automatiquement, conformément à la clause 19.07 de la convention collective conclue à l'égard du groupe des commis aux écritures et aux règlements [qui corres pond à la clause 17.07 en l'espèce] et à la clause 20.06 de la convention collective du groupe de la gestion de l'exécution (administration des programmes), ou bien si de tels crédits peuvent être liquidés obligatoirement à des dates précisées par l'employeur en vertu des dispositions de la clause 19.02 de la première convention collective [qui correspond à la clause 17.03 en l'espèce] et de la clause 20.02 de la seconde.
29. Si nous examinons maintenant le fond de l'affaire, la question fondamentale soulevée dans le présent renvoi est celle de savoir si l'employeur a ou non l'autorité unilatérale néces- saire pour exiger qu'un employé utilise pendant l'année finan- cière les crédits de congé annuel accumulés au cours de ladite année ces congés ont été acquis et à des dates déterminées par l'employeur.
33. Les termes de l'article 19 de la convention des CR et de l'article 20 de celle des PM ne nous donnent aucune raison
valable de conclure qu'un employé, pour être considéré comme ayant «utilisé» ses crédits de congé annuel dans l'année finan- cière courante, doit avoir obtenu lesdits congés de l'employeur après les lui avoir demandés. La lecture simultanée des clauses 19.02 d) et 20.02 c) concernant «l'attribution des congés annuels» et des dispositions de «report» contenues dans les clauses 19.07 et 20.06 des deux conventions collectives nous amènent à la conclusion que les crédits de congé annuel sont «utilisés» par un employé qu'ils soient accordés unilatéralement par l'employeur ou qu'ils soient pris à la demande de l'employé. Si la mention de «la fraction inutilisée de son congé annuel» dans les clauses 19.07 et 20.06 a seulement le sens de crédits de congé annuel que l'employé n'a pas demandé d'utiliser au cours de l'année, les clauses 19.02 d) et 20.02 c) ne servent aucune fin utile.
36. En conséquence, nous ne trouvons dans la convention col lective aucune restriction à l'autorité que l'employeur détient pour exiger unilatéralement que les employés s'estimant lésés liquident les portions inutilisées de leurs crédits de congé annuel aux dates déterminées dans l'année financière alors en cours.
Après avoir cité le dernier passage ci-dessus et observé que les sept membres de la Commission en étaient arrivés à une décision unanime dans Low et Duggan, l'arbitre en l'espèce présente dit:
Compte tenu de cette unanimité, de l'analyse longue et claire de M. Brown et du fait que selon ma conclusion je suis saisi d'une affaire «semblable», je dois rejeter les griefs. [C'est moi qui souligne.]
L'arbitre évoque ensuite d'autres affaires, notant chaque fois si l'employeur a exigé la liqui dation des congés annuels pendant l'année finan- cière en cours, puis conclut comme suit:
En conséquence, je rejette les griefs. En me fondant sur l'analyse de l'affaire Low et Duggan (168-2-56), je ne trouve rien dans l'article 17 de la convention collective qui restreigne le pouvoir de l'employeur d'exiger unilatéralement que les employés s'estimant lésés liquident les portions inutilisées de leurs crédits de congé annuel dans l'année financière en cours. Si ce n'était de ce pouvoir exercé par l'employeur, j'aurais fait droit aux griefs comme l'ont fait mes collègues par le passé dans les sept affaires d'arbitrage auxquelles je me suis repor- tées. Ni l'affaire Stewart (166-2-2001) ni l'affaire Lang (166-2- 2430) ne pèsent dans la balance, car celles-ci ont été tranchées sans que l'arbitre se reporte à l'affaire Low et Duggan.
Le fait que l'arbitre ait considéré que l'espèce dont il était saisi était semblable à Low et Duggan montre clairement, je pense, qu'il s'est trompé sur la nature du litige dont il avait à connaître. A mon avis, cela interdit de déduire qu'il a considéré et résolu ce point litigieux de l'effort raisonnable qu'aurait ou non fait l'employeur pour accorder la demande de report de congé, point dont n'avait pas à connaître la Commission dans Low et Duggan pour les raisons déjà indiquées. L'arbitre évoque ce
qui a été fait et dit par l'employeur suite à la demande présentée par les requérants pour le report des congés à leur crédit; il fait état aussi de la jurisprudence citée par l'employeur et ayant trait à «l'effort raisonnable». Mais il est significa- tif, je pense, que l'arbitre ne mentionne pas les prétentions des employés s'estimant lésés sur la question de l'effort raisonnable de l'employeur pour accorder le report demandé, alors qu'il avait à connaître d'allégations des employés sur ce point, comme le montre l'affidavit produit en leur nom. C'est incompatible avec la conclusion voulant qu'il considérait ces allégations comme reflétant le litige dont il avait à connaître, particulièrement si l'on songe à la pratique bien établie chez les arbitres d'énoncer in extenso les prétentions des parties dans les motifs de leurs décisions. Je préfère ne pas supposer que l'arbitre ait pu statuer la question de «l'effort raisonnable» sans examen approprié des prétentions des employés sur ce point.
Les seules conclusions possibles que je puis tirer des motifs de la décision de l'arbitre quant à la position qu'il a prise sur la question de «l'effort raisonnable» sont les suivantes: a) il ne l'a tout simplement pas considérée comme un des points litigieux dont il avait à connaître, ce que suggèrent son exposé du litige au début des motifs et son recours à l'affaire Low et Duggan ou b)—ce qui revient peut-être au même—il a considéré que l'obligation prévue à l'article 17.03(1)c) devait céder le pas devant le pouvoir de la direction d'exiger d'un employé qu'il prenne ses congés annuels dans l'année y ouvrant droit. Cette der- nière conclusion est suggérée par les mots: «je ne trouve rien dans l'article 17 de la convention col lective qui restreigne le pouvoir de l'employeur d'exiger unilatéralement que les employés s'esti- mant lésés liquident les portions inutilisées de leurs crédits de congé annuel dans l'année financière en cours» figurant à la fin des motifs. Si c'est la position qu'il a prise, elle est également erronée à mon avis. L'obligation prévue par l'article 17.03(1)c) de faire tout effort raisonnable, compte tenu des nécessités du service, pour accorder un report de congé sur demande est, à mon avis, une obligation séparée et distincte et, en tant que telle, une restriction au pouvoir général de la direction d'exiger d'un employé qu'il prenne ses vacances annuelles à une époque spécifiée au cours de l'an- née financière pendant laquelle elles ont été acqui-
ses. Dans les deux cas l'arbitre, à tort, n'a pas traité du litige dont il avait à connaître.
Pour ces motifs, j'annulerais la décision arbi- trale et renverrais l'affaire pour règlement fondé sur le fait que le litige porte sur la question de savoir si l'employeur, compte tenu des nécessités du service, a fait tout effort raisonnable pour permettre aux employés s'estimant lésés de pren- dre au cours de l'année financière 1977-78 les congés annuels, encore à leur crédit, acquis au cours de l'année 1976-77.
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