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T-4230-77
La Reine (Demanderesse)
c.
George R. McLaughlin (Défendeur)
Division de première instance, le juge Marceau— Toronto, le 27 juin; Ottawa, le 16 août 1978.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Prime accordée au défendeur pour ses réalisations dans le domaine de l'agri- culture Le défendeur ignorait que son nom avait été proposé jusqu'au moment il apprit qu'il avait été choisi lauréat
La prime est-elle imposable au titre de récompense au sens de l'art. 56(1)n)? Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970- 71-72, c. 63, art. 56(1)n).
Au cours de son année d'imposition 1974, le défendeur, agriculteur et président d'une régie de mise en marché agricole, a reçu la somme de $10,000 pour ses réalisations dans le domaine de l'agriculture. Il a su que son nom avait été proposé au moment seulement il a été informé du fait qu'il était le nouveau lauréat. La question litigieuse est de savoir si cette somme correspond à «une somme qu'il a reçue à titre ou au titre ... de récompense couronnant une oeuvre remarquable réalisée dans son domaine d'activité habituel» au sens de l'alinéa 56(1)n) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans l'affirmative, elle doit être incluse dans le revenu du défendeur pour l'année d'imposition en cause.
Arrêt: l'action est rejetée. Le terme «prix» donne l'idée de quelque chose remporté par une personne à l'issue d'une com- pétition et on ne peut vraiment pas parler d'une compétition lorsque les personnes intéressées ne savent même pas qu'elles sont impliquées. De plus, l'ceuvre visée dans la disposition doit être spécifique; il ne doit pas s'agir de réalisations rattachées à des mérites personnels d'ordre général, à l'instar de celles réalisées par le défendeur. La somme reçue par ce dernier correspond à un don, un transfert de biens d'une personne à une autre à titre gratuit, sans aucune contrepartie. Une telle somme ne tombe pas dans le cadre de l'alinéa 56(1)n).
Arrêts mentionnés: Canadian Eagle Oil Co. c. Le Roi [1946] A.C. 119; Le ministre du Revenu national c. Watts [1966] R.C.É. 1043; Rother c. Le ministre du Revenu national (1955) 12 Tax A.B.C. 379; Federal Farms Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1959] R.C.É. 91.
ACTION. AVOCATS:
Wilfrid Lefebvre pour la demanderesse. Richard G. Pyne pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Pyne & Rovet, Toronto, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Au cours de son année d'imposition 1974, le défendeur a reçu la somme de $10,000 de la fiducie MacMillan pour ses réali- sations dans le domaine de l'agriculture. La ques tion litigieuse est de savoir si cette somme corres pond à «une somme qu'il a reçue à titre ou au titre ... de récompense couronnant une œuvre remar- quable réalisée dans son domaine d'activité habi- tuel» au sens l'entend l'alinéa 56(1)n) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en quel cas elle aurait être incluse dans son revenu pour l'année en cause.
La fiducie MacMillan a été créée en 1966 par H. R. MacMillan, de Vancouver (C.-B.), en vue d'établir un fonds [TRADUCTION] «dont le but serait d'octroyer, à l'occasion, des primes couron- nant des réalisations exceptionnelles dans le domaine de l'agriculture à l'université de Guelph». Une somme de $10,000 devait être décernée le 1" mai 1969 et à tous les 1" mai de chaque période quinquennale.
Le [TRADUCTION] «lauréat H. R. MacMillan en agriculture» est choisi par un comité dont les mem- bres sont nommés par le recteur de l'université de Guelph. Le comité est composé de doyens des diverses écoles d'agriculture et d'autres agronomes choisis à travers le Canada. L'unique mandat de ce comité est de choisir [TRADUCTION] «la personne qui a le plus contribué, par son activité créatrice, à l'essor de l'agriculture, au Canada, au cours des cinq années précédentes». Le comité demande aux doyens des écoles d'agriculture et aux présidents des instituts d'agrologie à travers le Canada de nommer des candidats dans chacune de leur pro vince. On doit, à des fins d'étude par le comité, fournir une biographie et un résumé des travaux de chaque candidat recommandé. Les noms des can- didats pris en considération ne sont jamais publiés; seule la personne choisie est, en temps opportun, avisée de ce fait.
En 1974, le défendeur est devenu le deuxième lauréat MacMillan. Ce n'est qu'au moment cette nouvelle lui est parvenue qu'il a su que son nom avait été proposé; de fait, il n'était que vague- ment au courant de l'existence même de cette distinction. Il était alors encore président du Milk
Marketing Board (Régie de mise en marché du lait) de l'Ontario. Nommé à ce poste de 1965 à 1968, il y avait, par la suite, été élu par ses confrères de la Régie qui étaient eux-mêmes élus, dans leurs régions respectives, par des producteurs laitiers. Il va sans dire que la manière dont il avait accompli ses fonctions de directeur de la Régie a joué un rôle important, mais ce n'était pas l'unique facteur de sa nomination. Aux yeux du comité de sélection, il avait toujours exercé une influence dominante lorsqu'il avait été question de mettre en oeuvre de solides programmes touchant l'industrie et la vente laitière à l'échelon national. Il avait lui-même connu beaucoup du succès en tant qu'agriculteur.
La Commission d'appel de l'impôt a conclu que le montant en cause ne tombait pas dans le cadre de l'alinéa 56(1)n) de la Loi, puisqu'il ne corres- pondait pas [TRADUCTION] «à un prix décerné à la suite d"un travail effectué [par le contribuable] dans le cadre de son domaine d'activité habituel'». De l'avis de la Commission, un «prix» [TRADUC- TION] «symbolise une victoire à l'issue d'une com- pétition; il couronne la supériorité d'un candidat». Or, en l'espèce, il n'était nullement question de compétition; de plus, la somme a été accordée [TRADUCTION] «pour la conduite méritoire [du défendeur] dans le domaine d'activité auquel il a consacré sa vie, [et] non ... pour une oeuvre spécifique, au sens lexicologique du terme, réalisée dans le cadre de sa profession ou de son entreprise».
Je souscris entièrement à la décision de la Com mission. A mon avis, le terme «prix» donne l'idée de quelque chose remporté par une personne à l'issue d'une compétition et je ne pense pas que l'on puisse vraiment parler d'une compétition lors- que les personnes intéressées ne savent même pas qu'elles sont impliquées. De plus, si telle est la signification du mot «prix» (et j'estime que c'est la signification juste), l'oeuvre visée par l'alinéa 56(1)n) doit être spécifique; il ne doit pas s'agir de réalisations rattachées à des mérites personnels d'ordre général, comme c'est le cas en l'espèce.
L'avocat de la demanderesse a présenté deux arguments à l'encontre de cette interprétation.
a) Aux termes du premier argument, une telle interprétation rigoureuse ne peut se fonder sur la
version française de l'alinéa 56(1)n) dans sa forme actuelle. Lorsque cette disposition a été initiale- ment adoptée en 1972, le texte français utilisait le terme «prix» mais le législateur, en 1973 (S.C. 1973-74, c. 14, article 15) a remplacé ce mot par le terme «récompense». L'avocat plaide que le terme «récompense» a une signification très large et ne se rapporte pas nécessairement à quelque chose donné comme symbole d'une victoire à l'is- sue d'une compétition. Je suis prêt à reconnaître que le terme «récompense» est plus large que le terme «prix» et n'emporte pas nécessairement l'idée d'une compétition au sens rigoureux du terme. Mais on ne peut certes pas affirmer que le Parle- ment, en adoptant simplement une nouvelle version rédigée dans l'une des deux langues officielles, avait l'intention d'étendre le sens de l'alinéa lui- même. Quoi qu'il en soit, l'interprétation de cette disposition exige que l'on tienne compte des deux versions et que la préférence soit donnée à la version qui correspond le mieux à l'esprit, l'inten- tion et le sens véritables de la disposition (Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. O-2, art. 8). A mon avis, le sens de la version anglaise est beaucoup plus conforme à ce qui semble être le but et la philosophie à la base de l'article considéré dans son ensemble, nonobstant la grande portée que le législateur avait l'intention de lui attribuer. De plus, il s'agit d'une disposition fiscale qui, cela est bien connu, exige une interprétation stricte (voir Canadian Eagle Oil Company c. Le Roi [1946] A.C. 119). S'il existe une différence entre les deux versions, c'est la plus restreinte qui doit prévaloir.
b) L'avocat de la demanderesse allègue, aux termes de son second argument, qu'en n'interpré- tant pas l'alinéa 56(1)n) comme s'appliquant à des sommes de la nature, par exemple, de celle en l'espèce, nous rendons inutile et dénuée de sens l'adoption, en 1972, de cette disposition, puisque la jurisprudence avait déjà consacré le principe que le montant reçu à la suite d'une compétition dans le domaine d'activité du contribuable doit être inclus dans son revenu; il a cité, à l'appui de cette affirmation, la décision M.R.N. c. Watts [1966] R.C.É. 1043. La réponse à cet argument comporte deux volets. En premier lieu, on peut facilement concevoir que le but d'un texte législatif nouveau soit simplement de confirmer, d'une façon plus précise, une situation déjà tranchée par la jurispru-
dence, et de toute façon, il ne revient pas à la Cour de donner à une disposition législative une inter- prétation qui aille au-delà de la signification cou- rante et générale du texte adopté en vue de lui faire réaliser un résultat prétendument envisagé par ses rédacteurs. Deuxièmement, je ne suis pas d'accord avec l'affirmation qu'en vertu de l'an- cienne Loi, une somme reçue à l'issue d'une com- pétition était toujours imposable: au contraire, les tribunaux avaient constamment décidé que (et je cite le juge Gibson dans cette décision susmention- née sur laquelle l'avocat justement s'appuyait): [TRADUCTION] «Puisqu'il est impossible d'arrêter une définition large du terme `don' ou `revenu' en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, chaque cause doit être étudiée à partir de ses faits lorsque des questions, comme celles qui nous occupent en l'espèce, sont en jeu.» (Voir: Rother c. M.R.N (1955) 12 Tax A.B.C. 379; Federal Farms Lim ited c. M.R.N. [1959] R.C.É. 91.)
A mon avis, la somme reçue par le défendeur de la fiducie H. R. MacMillan pour ses réalisations dans le domaine de l'agriculture correspond à un don, c.-à-d. un transfert de biens d'une personne à une autre à titre gratuit, sans aucune contrepartie. Une telle somme ne tombe pas dans le cadre de l'alinéa 56(1)n) de la Loi.
L'action est donc rejetée avec dépens.
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