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T-490-79
Homer Stevens, J. H. (Jack) Nichol et George Hewison (Requérants)
c.
La Commission sur les pratiques restrictives du commerce (Intimée)
Division de première instance, le juge Addy— Vancouver, les 5 et 6 février 1979.
Brefs de prérogative Prohibition Enquête menée sur l'industrie de la pêche en C.-B. par la Commission sur les pratiques restrictives du commerce en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions Demande visant à interdire à la Commission de procéder à l'enquête Demande visant en particulier à interdire à l'intimée de contraindre, par ordon- nance, les requérants à témoigner Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, art. 4(1), 6, 17(2), 18(2) et 20(2).
DEMANDE. AVOCATS:
Ian Donald pour les requérants. W. B. Scarth pour l'intimée.
PROCUREURS:
Rankin, Robertson, Giusti, Chamberlain & Donald, Vancouver, pour les requérants. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: Requêtes en vue de l'obtention d'un bref de prohibition interdisant à la Commis sion sur les pratiques restrictives du commerce d'examiner, d'enquêter, de décider, de diriger, d'ordonner ou de procéder de quelque manière que ce soit en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, et de ses modifications, au sujet d'une enquête officielle- ment intitulée «Enquête relative à la production, à l'achat, à la vente, à l'emmagasinage, au transport et à la fourniture de poissons et de produits con- nexes dans la province de la Colombie-Britanni- que», dans la mesure cette enquête concerne les requérants, et interdisant en particulier à la Com mission ou à ses membres de contraindre les requé- rants Homer Stevens, J. H. (Jack) Nichol ou
George Hewison à témoigner sous serment dans le cadre de cette enquête conformément à une ordon- nance du 5 janvier 1979 de l'intimée.
MOTIFS
La preuve, qui a été soumise au Directeur des enquêtes et recherches, conformément à l'article 7 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, par les auteurs d'allégations selon lesquelles les requérants ont enfreint la Loi et qui apparemment a mené celui-ci à demander la tenue d'une enquête par la Commission, est une preuve qui ressortit au Directeur et non à l'enquête. La Commission a certes le droit d'examiner cette preuve et d'ordon- ner sa production dans le cadre de son enquête, mais elle n'est pas tenue de le faire et la Cour n'a pas compétence pour ordonner cet examen. Tant qu'elle n'aura pas été examinée par la Commission dans le cadre de son enquête, cette preuve sert essentiellement et uniquement de fondement légal et obligatoire à une décision administrative du Directeur visant à mettre en marche le mécanisme nécessaire à une enquête. Il s'ensuit que le défaut par la Commission d'ordonner la production de cette preuve particulière ne peut pas être considéré comme un motif valable, à cette étape en tout cas, pour introduire le recours demandé. Dans l'éven- tualité du cas envisagé à l'article 18(2), le ou les intéressés pourraient être en droit d'exiger la pro duction de cette preuve avant que la Commission ne termine son enquête. Toutefois, je m'abstiens de trancher cette question étant donné que ce cas ne s'est pas encore présenté.
Quant à. la question de savoir si les requérants peuvent invoquer le principe nemo tenetur se ipsum accusare un principe bien établi en common law, pour ne pas témoigner à l'enquête, il est évident que ce principe ne s'applique qu'aux pour- suites dans lesquelles celui qui l'invoque est, en fait comme en droit, l'accusé.
Les requérants ne sont, en l'espèce, accusés d'aucune infraction criminelle. Certaines person- nes ont seulement allégué que, à leur connaissance, les requérants avaient commis des infractions et que la preuve qu'elles ont présentée au Directeur justifiait cette allégation. L'objet même de l'en- quête qui a suivi est de permettre à la Commission d'examiner toutes les preuves disponibles pour
déterminer s'il y a apparemment eu violation de la Loi, quelle était la nature de ces violations et quels sont ceux qui pouvaient être soupçonnés de les avoir commises, avant de présenter finalement ses conclusions au Ministre. Au cas le Ministre déciderait alors de porter des accusations contre eux, les requérants ne deviendront des accusés qu'à partir de cet instant et ils ne pourront plus être contraints de témoigner dans les poursuites qui s'ensuivront.
En outre, même lorsqu'une personne est formel- lement accusée d'un crime, on peut toujours la contraindre à témoigner dans toutes poursuites civiles et criminelles autres que celle qui servirait à déterminer sa culpabilité ou son innocence, lors même que ces autres poursuites naîtraient des mêmes événements.
Bref, les requérants ne peuvent pas demander à être dispensés de comparaître et de témoigner à l'enquête puisque cette enquête ne fait pas partie d'une instance ou d'une poursuite criminelle enga gée contre eux. C'est pour cette raison notamment que l'arrêt Batary c. Le procureur général de la Saskatchewan [1965] R.C.S. 465, n'est pas applicable.
Pour les mêmes raisons, l'article 2d) de la Déclaration canadienne des droits, que l'avocat des requérants a invoqué, ne leur est d'aucune utilité. On ne leur a pas refusé le secours d'un avocat et l'article 20(2), en plus de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, les pro- tège expressément contre leur propre témoignage. Voici un extrait pertinent de l'article 20(2): «nul témoignage oral ainsi exigé ne peut être utilisé ni n'est recevable contre cette personne dans toutes poursuites criminelles intentées par la suite contre elle, sauf dans une poursuite pour parjure en ren- dant un tel témoignage ou dans une poursuite intentée en vertu de l'article 122 ou 124 du Code criminel à l'égard d'un tel témoignage.» Il s'agit de la protection accordée par la loi aux requérants en l'espèce et garantie par l'article l b) de la Déclaration canadienne des droits.
Quant à l'article 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits, absolument rien ne prouve que les requérants ont été jamais privés du droit à une audition impartiale.
L'avocat des requérants a également invoqué l'article 4(1)b) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, selon lequel cette loi ne s'applique pas aux «contrats, accords ou arrangements que des pêcheurs, ou leurs associations, concluent,....» [Mis en italiques par mes soins.] Nul n'est dis- pensé de témoigner à une enquête menée en vertu de cette disposition: en revanche, la Commission est inhabile à ouvrir une enquête dans ces cas particuliers quelles que soient les personnes qui seraient appelées à témoigner, mais rien ne l'empê- che d'interroger, sur tout autre sujet, n'importe qui, même ceux qui sont visés par ces exclusions. De même, l'article 4(1)a) prévoit que la Loi ne s'applique ni aux «coalitions d'ouvriers ou d'em- ployés, formées en vue d'assurer raisonnablement leur protection professionnelle, ni à leurs activités à cette fin». [Mis en italiques par mes soins.] Rien ne prouve que cette exclusion s'applique aux requérants: ils ne sont ni ouvriers ni employés et, même dans l'affirmative, on pourrait toujours les contraindre à témoigner en dehors des matières visées à cet alinéa ou à l'alinéa b). Ils ne peuvent cependant être interrogés ni sur les coalitions d'ou- vriers ou d'employés ni sur leurs activités visées à l'alinéa 4(1)a), ni sur les questions visées à l'alinéa 4(1)b).
Enfin, l'article 17(2) prévoit que toute personne assignée est habile à agir comme témoin et peut être contrainte à rendre témoignage en vertu de la Loi, et la première partie du paragraphe 20(2) interdit expressément à quiconque d'invoquer l'exemption de témoigner au motif que son témoi- gnage pourrait «tendre à l'incriminer ou à l'exposer à quelque procédure ou pénalité».
Il s'ensuit que les requérants échouent au fond. Il reste en outre à trancher la question, plus tech nique mais également importante, de la compé- tence.
Bien qu'il y ait fondamentalement pour les requérants le risque d'avoir à se défendre dans un procès criminel et qu'on puisse considérer, sur ce plan général, que l'enquête pourrait leur porter préjudice on ne peut toutefois pas dire que leurs droits seraient d'une manière ou d'une autre défi- nis par ce que la Commission a constaté ou signalé à la suite de son enquête. En menant son enquête, la Commission, comme l'a franchement admis l'avocat des requérants, s'est acquittée d'une fonc-
tion purement administrative. En conséquence de l'enquête, un rapport est présenté au Ministre qui peut alors soit porter soit ne pas porter des accusa tions. La fonction ou le pouvoir de la Commission ne peut donc pas être caractérisé de «judiciaire» ou de «quasi judiciaire». La protection légale supplé- mentaire de l'article 18 qui accorde à toute per- sonne visée par une allégation faite au cours de l'enquête le droit de se faire assister par avocat et de produire des preuves ne change pas la nature fondamentale de cette enquête.
Un organisme parajudiciaire ne peut faire l'ob- jet d'une ordonnance ou d'un bref de prohibition que lorsqu'il exerce une fonction judiciaire ou quasi judiciaire. D'autres recours sont possibles, tels le mandamus, l'injonction ou le jugement déclaratoire, mais non la prohibition.
Les requérants auraient pu intenter une action en injonction et, en même temps, demander, par voie de requête, une injonction provisoire (voir «B» c. La Commission d'enquête relevant du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1975] C.F. 602).
Je conclus que la requête échoue à la fois quant au fond et quant à la nature du redressement demandé.
ORDONNANCE La requête est rejetée avec dépens.
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