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A-7-79
La Banque Provinciale du Canada (Requérante) c.
Syndicat National des Employés de Commerce et de Bureau du Comté Lapointe (CSN) (Intimé)
et
Le Conseil canadien des relations du travail (Tribunal)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 31 mai; Ottawa, le 28 juin 1979.
Examen judiciaire Relations du travail Ordonnance d'accréditation La décision du Conseil canadien des rela tions du travail portait qu'à la date de la demande, la majorité des employés voulait que l'intimé les représente Selon la requérante, cette décision devrait viser le jour même de l'or- donnance d'accréditation Le pouvoir de la Cour d'examiner les décisions du Conseil est limité aux affaires ayant trait à la compétence ainsi qu'à la justice naturelle Le pouvoir de la Cour d'accorder un redressement dépend de la question de savoir si l'erreur que le Conseil aurait commise est une erreur de droit ou si elle est le résultat d'un excès de compétence Requête rejetée Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 122(1), 126 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
R. Monette pour la requérante.
J. F. Munn pour l'intimé.
L. LeBel pour le Conseil canadien des rela
tions du travail.
PROCUREURS:
Ogilvy, Montgomery, Renault, Clarke, Kirk- patrick, Hannon & Howard, Montréal, pour la requérante.
Théorêt, Labbé et Associés, Québec, pour l'intimé.
Grondin, LeBel, Poudrier, Isabel, Morin & Gagnon, Québec, pour le Conseil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Cette demande présentée en vertu de l'article 28 vise l'annulation
d'une ordonnance rendue conformément à la Partie V du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, laquelle accréditait l'intimé à titre d'agent négociateur de l'unité de négociation des employés de la requérante qu'elle décrivait.
La demande d'accréditation a été présentée au Conseil canadien des relations du travail par l'in- timé en date du 3 mai 1978. L'ordonnance d'accré- ditation a été rendue le 29 décembre 1978.
Selon le principal motif invoqué contre l'ordon- nance d'accréditation, la décision du Conseil por- tait qu'à la date de la demande (et avant l'expira- tion du délai pour intervenir devant le Conseil), la majorité des employés voulait que l'intimé les représente, alors que tout octroi d'accréditation requiert, comme condition préalable, qu'une telle conclusion vise le jour même de l'ordonnance d'ac- créditation.' La contestation est fondée sur une erreur que le Conseil aurait commise en interpré- tant une modification apportée à l'article 126c) du Code canadien du travail.
L'avocat du Conseil met en doute le pouvoir de cette cour d'accorder à la requérante un redresse- ment fondé sur ce motif. Je suis d'avis que la Cour ne possède pas ce pouvoir, et je vais démontrer comment je suis arrivé à cette conclusion.
Selon la loi en vigueur antérieurement au ler juin 1978, une ordonnance du Conseil pouvait, en vertu de l'article 122(1) du Code canadien du travail, tel qu'il était alors rédigé, faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, dont voici le texte:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
' A ce sujet, la requérante se fonde sur la décision dans CKOY Limited c. La Guilde des Journalistes d'Ottawa [1977] 2 C.F. 412.
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Le 1°r juin 1978, l'article 122(1) a été remplacé par le nouvel article 122(1) que voici:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. 2
Cette modification apportée au Code canadien du travail a eu le double effet de priver cette cour de l'exercice de son pouvoir d'annuler une ordonnance ou une décision du Conseil pour le motif que celle-ci était fondée sur une erreur de droit, et de limiter son pouvoir d'examiner les ordonnances ou les décisions du Conseil aux affaires ayant trait à la compétence ainsi qu'à la justice naturelle. A mon avis, la modification s'applique à l'égard de toute décision ou ordonnance rendue par le Conseil après son entrée en vigueur.; Il s'agit donc de savoir si l'erreur que le Conseil aurait commise en interprétant l'article 126c) est une simple erreur de droit, ou si elle est le résultat d'un excès de compé- tence de sa part.
Je reconnais, à première vue, que l'article 126 paraît être une disposition traitant de la compé- tence. Actuellement, cette disposition se lit comme suit:
126. Lorsque le Conseil
a) a reçu d'un syndicat une demande d'accréditation à titre d'agent négociateur d'une unité,
b) a déterminé l'unité qui constitue une unité de négociation habile à négocier collectivement, et
c) est convaincu qu'à la date du dépôt de la demande, ou de toute autre date que le Conseil estime convenir, la majorité des employés de l'unité veut que le syndicat les représente à titre d'agent négociateur,
2 Voir l'article 43 du chapitre 27 des Statuts du Canada, 1977-78, qui est entré en vigueur le lei juin 1978 par proclama tion en date du 12 mai 1978.
3 A mon avis, les décisions concluant qu'une modification à la compétence d'appel s'applique seulement à un jugement rendu dans une action intentée après ladite modification, ne s'appli- quent pas. Ces décisions sont fondées, si je les comprends bien, sur le point de vue qu'il existe, conformément à la loi, un droit acquis à l'appel, et ce, à compter du jour l'action a été intentée. Je ne puis établir de parallèle en ce qui concerne une demande visant une ordonnance d'accréditation. (Les procédu- res de l'espèce ont été intentées en vertu d'une demande présentée selon l'article 28.)
il doit, sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, accréditer ce syndicat à titre d'agent négociateur de l'unité de négociation.
Cependant, lorsque la Division III de la Partie V du Code canadien du travail est lue dans son ensemble, je suis d'avis que l'article 124(1), qui permet expressément que les demandes soient pré- sentées au Conseil aux fins d'accréditation, confère implicitement à celui-ci la compétence pour exami ner et régler ces demandes, et que les autres dispositions, qui sont formulées en fonction de ce que le Conseil est tenu d'établir ou de faire, sont des dispositions qui, lorsqu'on les examine bien, posent les règles de droit que doit suivre le Conseil dans l'exercice de cette compétence. A mon avis, ces autres dispositions ne restreignent pas la com- pétence du Conseil de statuer sur ces demandes.
En conséquence, lorsqu'en l'espèce la question s'est posée de savoir si une modification à l'alinéa c) (prévoyant que la majorité soit constatée «à la date du dépôt de la demande ...» plutôt qu'à la date de l'ordonnance d'accréditation) s'appliquait à une ordonnance d'accréditation rendue après la modification, conformément à une demande pré- sentée avant la modification, il s'agissait là, à mon avis, d'une question de droit qui relève de l'article 28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale et non de l'article 21(1)a). 4
Voilà les motifs pour lesquels je conclus que cette cour n'a pas le pouvoir d'annuler l'ordon- nance d'accréditation en l'espèce pour le motif qu'elle est fondée sur une erreur que le Conseil aurait commise en interprétant l'effet de la modifi cation apportée à l'article 126c).
Les autres moyens invoqués contre l'ordonnance d'accréditation sont fondés sur le fait que le Con- seil n'a pas tenu compte
a) d'une lettre rédigée le 22 novembre 1978, par plusieurs membres de l'unité de négociation, adressée au Syndicat (dont copie a été expédiée
4 Même si des décisions portant que certaines erreurs de droit empêchent un tribunal d'exercer sa compétence s'appliquent pour déterminer ce qui relève de l'article 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, à mon avis une fausse interprétation de l'alinéa c) ne constituerait pas une erreur qui empêcherait le Conseil d'exercer sa compétence. Il s'agit simplement d'une erreur d'interprétation portant sur une disposition statutaire régissant l'exercice de la compétence du Conseil.
au Conseil), signalant que la majorité des mem- bres avait décidé de se retirer du Syndicat, et
b) de renseignements contenus dans une lettre en date du 29 novembre 1978, émanant de l'avocat de la requérante et informant le Conseil de certains changements de personnel dans l'unité de négociation.
Si ces moyens sont effectivement fondés sur de prétendus manquements aux exigences des princi- pes de justice naturelle, ils tombent dans le champ d'application de l'article 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, et la Cour doit les examiner. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de décider si ces moyens possèdent cette caractéristique.
A mon avis, une réponse simple à ces moyens, si j'ai bien compris les motifs invoqués par le Conseil, c'est que celui-ci fonde sa décision sur l'interpréta- tion qu'il donne à l'effet du nouvel alinéa c) de l'article 126, ainsi que sur la conclusion de fait qu'il a tirer (deux points qui ne peuvent être contestés par la présente demande introduite en vertu de l'article 28), et qu'il n'a pas tenu compte des renseignements en question parce qu'ils n'étaient pas pertinents à la décision qui devait être rendue. Par conséquent, il n'y a pas lieu de se demander si les motifs pour lesquels le Conseil n'aurait pas examiné ces renseignements même s'ils étaient pertinents, motifs qui d'ailleurs ne font pas partie du raisonnement sur lequel le Conseil a fondé sa décision, auraient pu être assimilés à une violation des principes de justice naturelle si ces renseignements avaient été pertinents.
Je suis d'avis que la demande présentée en vertu de l'article 28 doit être rejetée pour les motifs susmentionnés.
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LE JUGE LE DAIN: Je souscris aux présents motifs.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Pour les motifs prononcés par le juge en chef, je suis d'avis de rejeter la demande déposée en vertu de l'article 28.
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