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A-649-76
Dr H. Hoyle Campbell (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Ryan et Le Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 26 septembre 1978; Ottawa, le 3 mai 1979.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu L'appelant, qui est chirurgien, est le propriétaire de la Société hospitalière qui l'emploie Les honoraires perçus pour services rendus par l'appelant étaient endossés en faveur de la Société hospitalière mais les salaires que celle-ci payait à l'appelant étaient infé- rieurs à ces honoraires II échet d'examiner s'il y a lieu d'inclure dans le revenu de l'appelant la différence entre les honoraires perçus en paiement de ses services professionnels et son salaire ou si cette différence doit être considérée comme un revenu de la Société hospitalière qui l'emploie The Medical Act, S.R.O. 1960, c. 234, art. 5(2) The Private Hospitals Act, S.R.O. 1960, c. 305, art. 12.
L'appelant, qui est chirurgien, est propriétaire et employé de Campbell Hospitals Limited. Au cours des années d'imposition 1967, 1968 et 1969, l'appelant a déclaré un revenu constitué en partie du salaire que lui payait cette société hospitalière. Par avis de nouvelle cotisation, le Ministre a ajouté à son revenu, à titre d'honoraires professionnels, les sommes que la Société hospitalière avait déclarées comme faisant partie intégrante de son revenu et qui représentaient les honoraires demandés par celle-ci pour les services médicaux fournis en fait par l'appe- lant. L'appel est formé contre un jugement de la Division de première instance qui a débouté l'appelant sur une question de principe, quoiqu'il y ait eu rajustement en sa faveur. Le princi pal point litigieux en première instance (et en appel) est la question de savoir si le supplément figurant au premier avis de nouvelle cotisation du Ministre représente le revenu propre de l'appelant ou celui que la Société hospitalière tirait des services mécidaux rendus par l'appelant à titre d'employés.
Arrêt (le juge Ryan dissident): l'appel est accueilli.
Le juge Le Dain: La convention intervenue entre l'appelant et la Société hospitalière est licite. A l'opposé des affaires Kindree et Carruthers, il y a en l'espèce exploitation de bonne foi d'un hôpital autorisé sous le régime du The Private Hospi tals Act et doté d'une charte légale l'habilitant à engager des praticiens qualifiés pour la prestation de services médicaux. Quant aux fractions respectives du revenu provenant des soins donnés aux patients et des services chirurgicaux, les origines et les motifs de l'arrangement particulier entre l'appelant et la Société hospitalière indiquent que des arrangements financiers spéciaux étaient nécessaires pour que l'opération soit viable.
Le juge suppléant MacKay: C'est l'appelant, et non la Société hospitalière, qui pratiquait la chirurgie. Dans son entre- prise qui était l'exploitation d'un hôpital chirurgical privé, cette société ne faisait que ce que la loi dite The Private Hospitals Act et ses lettres patentes l'autorisaient à faire, à savoir employer des chirurgiens qualifiés pour pratiquer des opéra- tions chirurgicales sur les patients de l'hôpital. Les dispositions
de la loi The Private Hospitals Act qui autorisent les sociétés hospitalières à engager des chirurgiens ne sont pas en conflit avec la loi The Medical Act, laquelle ne prévoit aucune inter diction en la matière; quand bien même ce serait le cas, celles du The Private Hospitals Act l'emporteraient et les dispositions contraires du The Medical Act seraient sans effet. C'est un principe du droit des rapports commettant-préposé que la rémunération du travail accompli par le préposé dans le cadre de son emploi appartient à l'employeur.
Le juge Ryan dissident: Le rôle des médecins en l'espèce est différent de celui d'un médecin résident ou d'un chirurgien dans un hôpital ordinaire. Au cours de chacune des années en cause, plus de 80 p. 100 du revenu brut de la Société provenait des honoraires professionnels des médecins. Les contrats de travail avaient pour objet d'assurer à la Société un fonds de roulement suffisant pour réaliser ses objectifs, attendu que son contrat avec l'Hospital Services Commission lui permettait tout juste de couvrir ses frais. Les bénéfices de la Société provenaient des honoraires demandés pour les services professionnels fournis par les médecins. La Société cherchait à exercer illégalement la médecine, et le contrat intervenu entre l'appelant et la Société hospitalière était invalide du fait qu'il avait pour objet une activité illégale. Attendu que ce contrat ne créait pas un rapport commettant-préposé, l'appelant ne peut se fonder sur le contrat de travail pour soutenir que le revenu en cause était celui de la Société. Il n'y a lieu d'ajouter au revenu imposable de l'appelant que la fraction du revenu de la Société provenant des services professionnels de l'appelant et non des autres médecins travaillant pour l'Institut. Rien dans la preuve admi- nistrée n'autorise à dire que ces autres médecins étaient des préposés de l'appelant ni que la Société recevait les chèques qu'ils endossaient en sa faveur à titre de fiduciaire de l'appe- lant. La Cour n'est pas convaincue que les sommes attribuées à l'appelant devraient être réduites des dividendes qu'il avait reçus de la Société au cours des années d'imposition en cause. Rien dans la preuve administrée ne permet de dire que ces dividendes provenaient des bénéfices courants et non des bénéfi- ces retenus.
Arrêt approuvé: Carruthers Clinic Ltd. c. Herdman [1959] O.R. 770. Arrêt suivi: Kindree c. Le ministre du Revenu national [1965] 1 R.C.E. 305.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
P. S. A. Lamek, c.r. pour l'appelant. J. R. Power pour l'intimée.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN (dissident): Cette espèce est l'appel d'un jugement de la Division de première
instance, rendu le 8 juillet 1976, lequel accordait l'appel du demandeur (appelant en l'espèce) et renvoyait l'affaire au Ministre pour qu'il lance une nouvelle cotisation, compatible avec certains motifs supplémentaires de jugement, datés aussi du 8 juillet 1976, visant le demandeur pour les années d'imposition 1967, 1968 et 1969. Les motifs premiers du jugement du premier juge étaient du le' novembre 1974 [[1974] 2 C.F. 658]. Ils décidaient du principe en cause au détriment du demandeur en ce qui était un appel de sa part à la Division de première instance de l'impôt sur le revenu dont on l'aurait cotisé. Le principe en litige était de savoir si certaines des sommes dont on le cotisait faisaient partie de son revenu, comme la Couronne le faisait valoir, ou constituaient le revenu d'une compagnie qui, faisait valoir le demandeur, était son employeur. C'est ce qui explique pourquoi c'est le demandeur qui interjette appel en l'espèce alors que le jugement contesté paraît de prime abord rendu en sa faveur. Sur le fond il a été débouté devant la juridiction infé- rieure quoiqu'il y ait eu rajustement à son bénéfice du montant des sommes dont il avait d'abord été cotisé. On n'a pas statué sur les dépens, personne n'ayant eu entièrement gain de cause.
Le Dr Campbell est chirurgien esthétique auto- risé, au cours des années d'imposition en cause, à exercer, ce qu'il a fait, la médecine en Ontario. Antérieurement à sa pratique privée le Dr Camp- bell a exercé en chirurgie plastique, en premier lieu dans les Forces armées britanniques puis canadien- nes, et ensuite, comme salarié du Christie Street Hospital de Toronto, d'abord à plein temps, puis à temps partiel. Au début des années 1950, il décida de fonder son propre hôpital afin de mettre en pratique ses idées sur la réduction des soins posto- pératoires à l'hôpital même. En 1954, il constituait une compagnie, la Campbell Hospitals Limited, (ci-après la «Société hospitalière») dont il garda, pendant tout le temps qui nous intéresse ici, la propriété, en équité, des actions. Il en devint par ailleurs le préposé salarié.
Pour les années d'imposition 1967, 1968 et 1969, le Dr Campbell déclara comme revenu, entre autre chose, le traitement que lui versait la Société hospitalière. Usant d'un avis de cotisation, le Ministre ajouta à son revenu, à titre de revenu provenant d'honoraires professionnels, $28,768
pour 1967, $29,574 pour 1968 et $28,150 pour 1969. La Société hospitalière avait déclaré ces sommes comme partie intégrante de son revenu mais le Ministre les assimila au revenu du Dr Campbell. Il s'agit des honoraires que la Société hospitalière demandait pour les services profes- sionnels d'ordre médical fournis en fait par le Dr Campbell à titre, prétend l'appelant, de préposé de la Société au sein d'un Institut géré par celle-ci.
Le principal point en litige donc, tant en pre- mière instance que maintenant en appel, est de savoir si, comme le prétend le Dr Campbell, c'est la Société hospitalière qui a gagné le revenu décou- lant des services d'ordre médical fournis par lui mais à titre de préposé de celle-ci ou si, comme le prétend le Ministre, il s'agit bien d'un revenu du Dr Campbell. Un important argument est invoqué à l'appui de la thèse du Ministre; la fourniture d'un service d'ordre médical constituerait en fait un exercice de la médecine, exercice auquel ne peut licitement s'adonner, la loi ontarienne l'inter- dit, une compagnie. On a fait valoir qu'il en décou- lait qu'il fallait que ce soit le Dr Campbell qui exerça; c'était lui qui en fait exécutait la fonction médicale et lui, non la personne morale qui l'em- ployait, qui était autorisé à ce faire. Le distingué juge de première instance, si je comprends bien ses motifs, se rendit à cet argument et se fonda princi- palement sur lui pour débouter, sur le principe, le Dr Campbell de son appel. Le Ministre invoqua aussi certaines facturations de la Société hospita- lière, du Dr Campbell et de d'autres médecins au service de la Société pour justifier ses cotisations et le premier juge semble leur avoir accordé quelque importance dans son rejet de l'appel du contribua- ble.
Se posent aussi deux questions que je qualifie- rais de subsidiaires mais aussi d'importantes; je les traiterai en terminant. D'abord, si on présume que le Dr Campbell peut être imposé pour le revenu gagné par la fourniture des services médicaux, devrait-il l'être pour le revenu gagné aussi pour la fourniture de services médicaux par d'autres méde- cins au service eux aussi de l'Institut que la Société dirige? Je crois comprendre que le juge du premier degré de juridiction décida, dans ses motifs supplé- mentaires, que c'était le cas. Aussi compte tenu de ce que le Dr Campbell avait déjà été imposé pour
les dividendes qu'il avait reçus de la Société, pour les années fiscales en cause, son fardeau fiscal ne devait-il pas être réduit d'autant? On a fait valoir que refuser équivalait à une double imposition.
Pour bien comprendre le litige, il est nécessaire d'en énoncer les principaux faits.
Les idées du Dr Campbell, à la fin des années 1940 et au début des années 1950, sur la pratique des soins postopératoires, étaient pour le moins fort controversées. Si je comprends bien, il pensait qu'en chirurgie beaucoup de patients demeuraient à l'hôpital plus longtemps que nécessaire. On aurait pu réduire sensiblement le coût, par ailleurs croissant, des services de santé sans porter atteinte à la qualité des soins donnés aux patients en diminuant le nombre de jours passé par ceux-ci à l'hôpital après l'intervention et en leur substituant des soins donnés en clinique externe. Ces idées ne furent pas reçues à l'époque, aussi décida-t-il de les mettre lui-même en pratique; sur les conseils d'un avocat, il constitua, comme dit plus haut, la Société Campbell Hospitals Limited (la «Société hospitalière»).
Voici, d'après les lettres patentes, quelques-uns de ses objets:
[TRADUCTION] a) Créer, équiper, entretenir, exploiter et diri- ger des hôpitaux privés et autres institutions destinés à fournir des services médicaux et chirurgicaux aux personnes dont l'état nécessitera leur admission;
b) Engager, employer ou autrement s'assurer les services de médecins, chirurgiens, chercheurs, infirmières, technologistes qualifiés et autres personnes en vue de promouvoir et de réaliser les objets de la Société;
c) Créer, administrer et diriger un dispensaire;
En 1956, la Société hospitalière obtint du minis- tère de la Santé ontarien un agrément lui permet- tant d'exploiter un hôpital privé. A compter de ce jour, y compris pendant les années d'imposition en cause, elle a géré un hôpital chirurgical privé appelé l'«Institute of Traumatic, Plastic and Re storative Surgery (Institut de chirurgie traumati- que, plastique et réparatrice) (ci-après l'«Institut») à Toronto. Elle était titulaire d'agréments annuels à cette fin pendant les années d'imposition en cause dans le présent appel.
Ceux-ci l'autorisaient à exploiter un hôpital chi- rurgical (spécialité: chirurgie traumatique, plasti-
que et réparatrice) conformément au The Private Hospitals Act' et à ses règlements d'application. Les agréments toutefois restreignaient les pouvoirs du titulaire à celui d'exploiter un hôpital pour, au maximum, quatre patients adultes.
La Société hospitalière contracta une conven tion, datée du 4 janvier 1965, avec l'Ontario Hos pital Services Commission (Commission des servi ces hospitaliers de l'Ontario) (ci-après «la Commission»), par laquelle elle s'engageait à four- nir, par son Institut, les services hospitaliers cou- verts par le régime aux individus parties au Ontario Plan of Hospital Care Insurance (Régime d'assurance soins hospitaliers de l'Ontario) en con- trepartie des paiements et aux conditions, prévus par la convention, sans frais additionnels pour les assurés. La Société s'engageait à assurer à l'Insti- tut les soins et traitements hospitaliers, infirmiers et médicaux adéquats et, en particulier, à mainte- nir [TRADUCTION] «... le personnel que la Com mission peut déterminer aux fins d'assurer les services et traitements médicaux appropriés aux patients».
La facturation qu'opérait l'Institut était fonction du fait que le traitement fourni au patient était ou non couvert. L'Institut envoyait un compte com- plet, incluant à la fois les frais d'hospitalisation et ceux de chirurgie, au patient non couvert, par exemple dans le cas de soins d'ordre purement esthétique. Mais lorsque le patient était couvert par l'Ontario health insurance scheme (l'assu- rance-hospitalisation de l'Ontario) les frais d'hos- pitalisation étaient facturés à cet organisme au nom de l'Institut, alors que la portion des frais imputables à la chirurgie était facturée au nom du médecin, au service de la Société hospitalière, à l'Ontario Medical Services Insurance Plan (l'assu- rance-maladie de l'Ontario), qui tirait des chèques au nom des médecins en paiement du compte; le médecin transportait le chèque à la Société qui l'encaissait, les fonds étant déposés dans un compte à son nom. Des comptes séparés étaient envoyés dans le cas de soins chirurgicaux parce que, a dit le Dr Campbell, l'économie et la struc ture du plan gouvernemental d'assurance requé- raient une facturation séparée pour, d'une part,
' S.R.O. 1960, c. 305, modifié.
l'hospitalisation, et, d'autre part, les soins chirurgi- caux.
Voici comment dans son mémoire l'appelant décrit, une description que l'intimée a reconnue vraie, les facilités de l'Institut et les arrangements intervenus avec son personnel, et le succès de l'entreprise:
[TRADUCTION] L'Institut dispose de toutes les facilités néces- saires à un hôpital chirurgical conçu pour l'hospitalisation de patients et pour le traitement en clinique externe. Il possède deux salles d'opération avec tout l'équipement nécessaire, une salle de réanimation, des lits et des facilités de laboratoire. Il y a aussi des bureaux pour les médecins, des salles d'examen et
une salle de clinique. Le personnel comprend de 15 18 personnes en tout: des chirurgiens, infirmières, aide-infirmières et secrétaires; des comptables, un archiviste médical, des prépo- sés à l'entretien et des concierges. Les fonctionnaires du minis- tère de la Santé ontarien l'inspectent régulièrement et aucun rapport défavorable n'a jamais été présenté à son sujet. C'est dans toutes ses facettes un véritable hôpital.
A l'Institut, le Dr Campbell a pu mettre en pratique ses idées sur les soins à donner aux cas de chirurgie et sur la réduction des coûts de la santé. Ses idées se sont non seulement révélées réalisables mais sont maintenant reconnues par l'ensemble de la profession médicale et étendues à tout le réseau hospitalier.
L'appelant a aussi affirmé dans son mémoire, et l'intimée a reconnu la chose fondée, que l'Institut [TRADUCTION] «... apparaît sur la liste des hôpi- taux privés de l'Ontario Hospital Services Com mission (Commission des services hospitaliers de l'Ontario) et dans l'annuaire canadien des hôpi- taux. Son nom figure dans les annuaires téléphoni- ques et est affiché dans ses locaux, tant à l'exté- rieur qu'à l'intérieur.»
Comme je l'ai déjà dit, le Dr Campbell était au service de la Société hospitalière au cours des années d'imposition en cause. En vérité c'est en 1956 qu'il commença à travailler pour la Société, comme c'est d'ailleurs le cas pour le Dr Kilgour, lui aussi signataire d'un contrat de travail avec elle. Le contrat intervenu entre le Dr Campbell et la Société est daté du 31 mars 1956 et stipule qu'il s'oblige à:
[TRADUCTION] ... travailler au service de la Société à titre de docteur en médecine notamment en pratiquant la chirurgie plastique ou réparatrice et, se faisant, le Dr Campbell s'engage:
a) à observer et à se conformer à toutes les lois et coutumes de la profession médicale;
b) sous réserve des lois et coutumes mentionnées ci-dessus et des présentes stipulations, à exécuter et à respecter toutes les directives licites du Conseil d'administration de la Société;
c) à consigner fidèlement toutes ses visites professionnelles, à dresser une liste de tous les malades soignés et de toutes les
autres activités exercées par lui au nom de la Société et à rendre compte, et à verser, à la Société, toutes les sommes reçues par lui en contrepartie de services fournis par la Société;
d) à ne pas, sauf tel que stipulé à l'alinéa 2, exercer la médecine ni donner d'avis médical pour son propre compte.
Le Dr Campbell avait aussi convenu que [TRA- DUCTION] «... pendant la durée de son emploi en vertu des présentes, il exercera, sous réserves des stipulations de l'alinéa 2, la médecine pour le compte et au profit de la Société.»
Son traitement devait être de $25,000 par année pourvu toutefois qu'il ait droit [TRADUCTION] «à la rémunération supplémentaire, comme les bonis et les augmentations de traitement, que décide- raient éventuellement d'accorder les administra- teurs de la Société.»
Le contrat du Dr Kilgour, daté du 30 juin 1956, était semblable sauf que son traitement ne devait être que de $12,000 par année, sous réserve aussi d'une rémunération supplémentaire éventuelle sous forme de boni ou d'augmentation de traitement.
Le mémoire de l'appelant explique en termes concis les raisons du Dr Campbell de contracter avec la Société:
[TRADUCTION] Dès le début le Dr Campbell a reconnu la nécessité d'organiser les affaires de l'Institut de manière à constituer un fonds de roulement. Ce but ne pouvait être atteint uniquement par la fourniture des services hospitaliers de l'Insti- tut vu que le plan d'assurance du gouvernement provincial, responsable de l'établissement des tarifs quotidiens d'hospitali- sation, avait conçu ceux-ci de façon à ne couvrir que les frais uniquement. Il fut donc décidé que les médecins et les chirur- giens travaillant pour l'Institut seraient des salariés au service de la Société hospitalière qui, par le fait même se procurerait un revenu et ainsi, dans la mesure ce revenu excéderait le traitement des médecins salariés, générerait un fonds de roulement.
L'intimée n'a pas, bien entendu, accepté cette explication.
Je note que le Dr Campbell a aussi constitué une compagnie de gestion, l'Independent Management Services Limited. Il est propriétaire des deux tiers de ses actions, le Dr Kilgour étant propriétaire de l'autre tiers. C'est à cette compagnie qu'appartient l'équipement qu'utilise l'Institut et qu'elle loue à la Société hospitalière. Des [TRADUCTION] «services de gérance» lui sont aussi fournis. La compagnie
de gestion verse annuellement au Dr Campbell un traitement de $5,000 pour «service de gérance», dont la nature véritable est loin d'être claire. Le Dr Campbell a déclaré qu'à l'époque il créait la Société hospitalière, il voulait que le Dr Kilgour [TRADUCTION] «vienne avec lui» mais que celui-ci n'avait accepté que de contribuer à l'achat de l'équipement. Or son avocat lui avait conseillé d'assurer la sûreté du capital investi dans l'équipe- ment par la création d'une compagnie différente, se faisant le capital investi dans l'équipement ne serait pas impliqué dans ce qu'on pouvait considé- rer comme une entreprise risquée.
Je termine cette revue des faits en faisant remarquer, comme d'ailleurs l'a fait le premier juge la page 662], qu'en plus des docteurs Campbell et Kilgour, «D'autres chirurgiens ont été également engagés, de temps à autre, sur une base salariée à plein temps. Un autre médecin, le doc- teur E. Mitchell Tanz, a été associé à l'hôpital depuis 1965 mais sur une base différente de celle du demandeur et du docteur Kilgour.»
Après un examen minutieux de la preuve admi- nistrée et de la jurisprudence pertinente le distin- gué juge de première instance écrit [aux pages 669 et 670]:
Pour les motifs indiqués précédemment et compte tenu des faits particuliers de l'espèce, j'estime que la compagnie essayait d'exercer la médecine, ce qui lui est interdit en vertu de The Medical Act de l'Ontario. 2
2 Au cours des années d'imposition en cause en l'espèce, le The Medical Act de l'Ontario, S.R.O. 1960, c. 234, modifié, était en vigueur. Les articles de la Loi qui suivent sont particu- lièrement pertinents lorsqu'il s'agit de décider, comme l'a décidé le premier juge, qu'il serait illégal, pour une compagnie, d'exercer la médecine en Ontario:
[TRADUCTION] 19. ...
(2) Seuls ceux dont les noms sont inscrits dans le livre ou registre mentionné au paragraphe (1) sont présumés qualifiés pour exercer la médecine, la chirurgie ou l'art de la sage femme et autorisés à le faire, sauf comme prévu ci-après.
42. Tout inscrit selon la présente loi a droit, conformément à sa ou ses compétences, d'exercer en Ontario la médecine, la chirurgie ou l'art de la sage femme, ou d'agir à l'un de ces titres, selon le cas, et d'engager devant toute juridiction compétente une demande en paiement des honoraires raison- nables pour ses soins, consultations et visites professionnelles ainsi que du prix de tout médicament ou autre appareil médical ou chirurgical qu'il aurait fourni à ses patients.
Je conclus, par conséquent, que le Ministre était justifié d'ajouter au revenu net du demandeur les honoraires médicaux gagnés par ce dernier et précédemment ajoutés au revenu de la compagnie.
Je suis parvenu à cette conclusion, conscient du fait qu'en me prononçant dans ce sens je refuse au demandeur, parce qu'il exerce une profession libérale et que la Loi régissant sa profes sion interdit à une compagnie d'exercer la médecine, l'avantage fiscal dont bénéficient, grâce à la constitution en compagnie, la plupart des hommes d'affaires et membres de certaines autres professions.
Comme je vois la chose, si le premier juge a décidé l'espèce dans le sens il l'a fait c'est essentiellement parce qu'il était d'avis que la Société prétendait exercer la médecine durant les années d'imposition en cause et qu'en tant que compagnie le The Medical Act de l'Ontario 3 le lui interdisait. Il statua donc que c'était le Dr Camp- bell qui avait, dans les faits, fourni les soins médi- caux en cause et reçu les chèques offerts en paie- ment, qui avait véritablement gagné ce revenu. Si le produit des chèques se retrouvait dans la caisse de la Société ce n'était que parce que le Dr Camp- bell, en les endossant, les lui avait cédé. Du point de vue du premier juge, c'était céder son propre argent.
Incidemment, le premier juge, si je le comprends bien, a simplement voulu montrer, en disant que la Société essayait d'exercer la médecine, que ce qu'elle avait fait au cours de ces années, équivau- drait à exercer la médecine s'il lui était licitement possible de le faire.
51. Il est interdit d'exercer la médecine, la chirurgie ou l'art de la sage femme contre salaire, dans l'espoir de quelque rémunération ou à quelque autre fin lucrative sans être inscrit; celui qui, sans l'être conformément à la présente loi, à ses fins vénales exerce ou prétend exercer ces arts, ou se fait connaître comme apte à donner un avis éclairé sur ce qui en relève, commet une infraction et est passible sur déclaration sommaire de culpabilité de $50 $500 d'amende ou, en cas de récidive, de $200 $1,000 ou en cas d'infraction subsé- quente d'une amende de $1,000 et d'une peine maximum d'emprisonnement de six mois.
54. Celui qui cherche à recouvrer en justice le paiement d'un avis médical ou chirurgical, de sa présence à quelque intervention, de son exécution, ou de tout médicament qu'il a prescrit ou fourni, doit produire devant le tribunal un certifi- cat démontrant qu'au moment les services ont été fournis il était inscrit comme le prévoit la présente loi, ... .
3 S.R.O. 1960, c. 234 modifié.
En fait il me semble que rien n'empêche une personne morale d'exercer la médecine si ce n'est que la loi le lui interdit. Je partage l'opinion du juge McLennan dans Carruthers Clinic Limited c. Herdman °:
[TRADUCTION] Bien que l'entité artificielle que connaît le droit sous le vocable de corporation ne peut en raison de sa nature tenir un scalpel ni traiter une maladie, ni d'ailleurs réparer un pare-chocs ou lubrifier le moteur d'une automobile, elle peut agir, et de fait agit, par l'entremise de ses préposés, mandatai- res et dirigeants et par les actes émanant d'elle comme les résolutions et règlements qu'elle adopte.
Il jugea qu'en cette espèce la compagnie exerçait la médecine par l'entremise de médecins qualifiés à son service en vertu de contrats de travail.
Il peut, dans certains cas, être difficile de déci- der si une compagnie, et même une personne phy sique d'ailleurs, exerce la médecine. En général, et sans bien entendu tenter d'établir un critère exhaustif, une personne morale aurait pour activité l'exercice de la médecine si, à des fins de lucre, elle avait conclu des contrats de travail avec des méde- cins qualifiés pour que ces derniers fournissent des soins d'ordre médical au public.
Le juge McLennan jugea en outre dans l'affaire Carruthers Clinic que la compagnie en cause, en exerçant, agissait en infraction au The Medical Act de l'Ontario. Je partage son avis; le The Medical Act de l'Ontario (en tout cas dans la forme qu'il avait au cours des années d'imposition en cause en l'espèce) rendait illicite l'exercice de la médecine par une compagnie. D'ailleurs l'avocat du Dr Campbell, tant dans les pièces écrites qu'o- ralement, a reconnu qu'une compagnie ne pouvait exercer la médecine en Ontario.
L'appel du Dr Campbell est sans détour. Son avocat a fait valoir que c'est à tort que le premier juge a statué que la Société hospitalière cherchait à exercer la médecine. Il a déclaré qu'il échouerait dans son argumentation principale: que le revenu gagné n'était pas celui de la Société, s'il n'arrivait pas à nous persuader que c'était à tort que le premier juge avait statué comme il l'a fait.
Il prétendait que la Société ne faisait que faire ce que la loi lui permettait de faire; elle exploitait un hôpital privé et, dans le cours ordinaire de cette exploitation, fournissait des soins d'ordre médical
4 [1956] O.R. 770, la page 781.
par l'entremise de médecins qualifiés engagés en vertu de contrats de travail. Le revenu gagné était donc celui de la Société, non de ses préposés.
Il a fait valoir à bon droit que la Société hospita- lière était autorisée de par ses lettres patentes, délivrées en vertu du The Corporations Act de l'Ontario, S.R.O. 1960, c. 71, établir et à exploi ter un hôpital privé afin de fournir des traitements médicaux et chirurgicaux aux patients qui y étaient admis. Elle était aussi autorisée à engager des praticiens de la médecine et de la chirurgie. Conformément au The Private Hospitals Act de l'Ontario un agrément lui permettait d'exploiter son Institut de chirurgie traumatique, plastique et réparatrice, ce qu'elle faisait, l'agrément étant renouvelé chaque année. L'article 12 de la Loi accorde aux hôpitaux privés le pouvoir d'exercer l'entreprise que leur autorise d'exercer toute loi générale en vertu de laquelle ils sont constitués en compagnies sous réserve de se conformer au The Private Hospitals Act et à ses règlements d'appli- cation. Le The Private Hospitals Act dans l'article se trouvent les définitions, décrit un hôpital privé comme [TRADUCTION] «un établissement pouvant admettre, ou admettant, quatre patients ou plus pour traitements», «traitement» s'entendant de [TRADUCTION] «l'entretien, l'observation, la surveillance du patient et la fourniture de soins infirmiers et médicaux à celui-ci». Et l'article 6 de la Loi prévoit qu'un hôpital privé peut fournir des services chirurgicaux. Celui qui requiert un agré- ment, parce qu'il envisage d'offrir de tels services, doit décrire dans sa requête le genre de chirurgie qui sera opérée et les facilités et l'équipement que fournira l'hôpital.
L'appelant a aussi invoqué l'accord intervenu entre la Société et l'Ontario Hospital Services Commission. En vertu des termes mêmes de l'ac- cord, la Société doit fournir des services médicaux.
Les conventions intervenues entre le Dr Camp- bell et la Société et entre le Dr Kilgour et elle étaient, faisait-on valoir, précisément ce qu'elles prétendaient être. C'était des contrats de louage de services en vertu desquels les médecins s'enga- geaient à fournir les services d'ordre médical que la Société était autorisée à fournir. Il n'y avait,
a-t-on dit, rien dans le The Medical Act de l'Onta- rio qui rende illicite l'exécution de tels services par des médecins diplômés.
Le litige, ainsi présenté, est donc précis. Est-ce à tort que le premier juge a jugé que la Société hospitalière cherchait à exercer la médecine?
Le premier juge n'a pas mis en cause le fait que la Société hospitalière puisse fournir des services d'ordre médical dans le cours de son exploitation d'un hôpital privé. Il a statué que la Société avait fait beaucoup plus. Elle aurait non seulement fourni ces services hospitaliers mais aurait elle- même exercé la médecine par l'intermédiaire de ses mandataires ou préposés, les docteurs Camp- bell et Kilgour.
Je devrais sans doute dire clairement que je suis d'avis qu'une compagnie autorisée à exploiter un hôpital peut par contrat louer les services de méde- cins pour qu'ils prodiguent les soins médicaux corrélatifs à son entreprise. Il me semble ne faire aucun doute qu'il en est ainsi. Les tribunaux ont, par exemple, reconnu, dans des actions que des patients engageaient contre des hôpitaux, qu'il peut exister une responsabilité de l'hôpital com- mettant pour les actes des médecins, ses préposés en vertu d'un contrat de louage de services; l'arrêt Trustees of the Toronto General Hospital c. Mat- thews [1972] R.C.S. 435 en est un exemple. Les médecins résidents à plein temps, dont le travail consiste à fournir ce que l'on peut décrire comme les soins habituels d'hospitalisation et de clinique externe, ou les soins d'urgence, ou encore les anes- thésistes, sont un aspect reconnu de la vie de l'hôpital. En engageant ces médecins et en fournis- sant ces services, on ne peut dire de l'hôpital qu'il exerce la médecine par opposition à la fourniture du genre de services qui sont, nul n'en doute, partie intégrante des activités régulières de l'hôpital.
Le premier juge statua toutefois qu'en l'espèce la Société, par l'intermédiaire de ses préposés, allait au-delà de la fourniture de services hospita- liers et exerçait elle-même la médecine comme entreprise. Souvent il est difficile de tracer la ligne qui les sépare mais il y a un distinguo à faire entre exploiter un hôpital d'une part et exercer la méde- cine d'autre part. La question qui se pose est de
savoir si le premier juge est arrivé dans les circons- tances à la bonne conclusion.
Il ne peut y avoir aucun doute; les conventions intervenues entre la Société et le Dr Campbell et le Dr Kilgour sont des contrats de louage de services. D'ailleurs l'avocat du Dr Campbell, si je l'ai bien compris, a insisté pour dire que c'en était. Le Dr Campbell s'est engagé à servir la Société à titre de docteur en médecine particulièrement à exercer en chirurgie plastique et réparatrice et, au cours de cet engagement, à respecter toutes les directives licites du Conseil d'administration sous réserve du respect par lui des lois et coutumes de la profession médicale. Il a promis de tenir registre de toutes ses visites professionnelles, de tous les malades soignés et de toutes les autres activités exercées par lui au nom de la Société; aussi, de rendre compte et de verser à la Société toutes les sommes reçues par lui en contrepartie des services fournis [TRADUCTION] «par la Société». Il s'était réservé le droit de donner des avis médicaux et d'agir comme consultant ou chirurgien pour le ministère des Affaires des anciens combattants mais, cette réserve mise à part, il s'était engagé à ne pas exercer la médecine pour son propre compte. Il avait expressément accepté d'exercer la médecine [TRADUCTION] «pour le compte et au profit de la Société».
La Société s'engageait elle à fournir au Dr Campbell un bureau, des salles d'examen, un labo- ratoire, des instruments et d'autres fournitures médicales et chirurgicales nécessaires ou désirables [TRADUCTION] «pour le travail qu'exécutera le Dr Campbell au service de la Société». La convention reconnaissait la qualité de spécialiste en [TRADUC- TION] «chirurgie plastique et réparatrice» du Dr Campbell et il y était convenu qu'il pourrait se limiter à cette spécialité. La Société s'engageait à rembourser au Dr Campbell [TRADUCTION] «tous les frais véritables et nécessaires qu'il engagerait corrélativement aux affaires de la Société». Les modalités correspondantes du contrat du Dr Kil- gour sont très similaires quand elles ne sont pas identiques.
La plupart des conditions du contrat du Dr Tanz sont très semblables sinon identiques aux stipula tions des contrats des deux autres médecins. La différence la plus notable est dans la rémunération. Pour généraliser disons qu'on lui payait une somme égale aux honoraires qu'il gagnait au nom
de la Société moins le coût des services, semblables à ceux fournis aux autres médecins, qui lui étaient fournis: bureau, secrétaires, l'usage des salles d'examen, etc. Lui aussi avait été engagé pour servir la Société comme médecin, notamment en chirurgie plastique et réparatrice.
Il y avait, entre la compagnie et les médecins, dans l'affaire Carruthers Clinic, un lien de prépo- sition; il en est de même en l'espèce. La question est de savoir si l'existence de l'hôpital permet de distinguer l'espèce présente de l'affaire Carru- thers.
La Société exploitait un petit hôpital et fournis- sait des services médicaux par l'entremise de médecins, spécialistes en chirurgie plastique et réparatrice, engagés à plein temps en vertu de contrats de travail. Il me semble, à la lecture des contrats et après étude de l'ensemble de l'opéra- tion, que le rôle des médecins en l'espèce est différent de celui d'un médecin résident ou d'un chirurgien dans un hôpital ordinaire. Il existe dans le dossier des preuves, outre les contrats de travail, qui indiquent que la Société ne faisait pas qu'ex- ploiter un hôpital. Il y a des pièces, les états financiers de Campbell Hospitals Limited, qui révèlent les revenus bruts de la Société au cours des années fiscales terminées en 1967, 1968 et 1969. Au cours de l'année d'imposition 1967, le revenu brut de la Société provenant des honoraires professionnels payés comptant était de $260,272 et celui provenant de l'Institut de $41,677; en 1968 les nombres correspondant sont respectivement $261,400 et $47,434 et en 1969, $280,490 et $55,282. M. Fairley, comptable, dont la firme a préparé les états financiers, au cours de son témoi- gnage, a reconnu que les «honoraires profession- nels» en question correspondaient aux [TRADUC- TION] «honoraires de chirurgie reçus par l'hôpital». Il a dit aussi que les sommes indiquées, [TRADUC- TION] «dont l'Institut de chirurgie traumatique, plastique et réparatrice était débitrice» avaient été [TRADUCTION] «reçues par l'hôpital pour soins donnés à des patients». Ainsi, au cours de chacune de ces années, plus de 80 p. 100, et largement, du revenu brut de la Société provenait des honoraires professionnels des médecins. Le témoignage même du Dr Campbell montre que le but de la conclu sion des contrats de travail avait été d'assurer à la
Société un fonds de roulement suffisant pour réali- ser les objectifs de son plan, la diminution de la durée de l'hospitalisation. La Société ne pouvait qu'espérer ne pas encourir de pertes au chapitre des services hospitaliers fournis, employant ce terme pour décrire cette sorte de services visés par le contrat convenu avec l'Hospital Services Com mission, les profits de la Société de toute évidence provenaient des honoraires demandés pour les ser vices professionnels fournis par les médecins.
J'en ai donc conclu que le premier juge avait raison de conclure comme il l'a fait que la Société cherchait à exercer la médecine.
A ce stade, j'aimerais revenir au jugement du juge McLennan dans l'affaire Carruthers Clinic. En cette espèce, la compagnie, à titre de demande- resse, demandait une injonction pour empêcher un médecin, autrefois à son service, de ne pas honorer, ou de continuer à ne pas honorer, une obligation stipulée dans son contrat de louage de services, soit de ne pas exercer la médecine dans un certain secteur pendant un certain temps après l'arrivée du terme de son contrat. Le juge McLennan refusa l'injonction. Il statua que le contrat était invalide parce qu'il avait pour objet une activité illicite, l'exercice illicite de la médecine par la compagnie.
Je suis d'avis que le contrat du Dr Campbell était invalide pour la même raison et qu'en consé- quence il ne créait pas une relation de commettant à préposé entre lui et la Société hospitalière 5 . Et c'est ce lien que l'appelant a invoqué à l'appui de son argument selon lequel le revenu était celui de la Société. L'activité générait le revenu en cause, les services médicaux fournis par le Dr Campbell étaient cette activité 6 . Le lien de préposition, qui relie le revenu gagné et la Société et sur lequel s'appuie l'appelant n'existe pas en droit.
L'appelant a fait valoir deux autres arguments subsidiaires à celui soumis à titre principal. Ceux-ci, si je les ai bien compris, concernaient les présumées erreurs apparaissant dans les motifs supplémentaires de jugement du premier juge.
5 Voir Kindree c. M.R.N. [1965] 1 R.C.É. 305.
6 Voir Lagacé c. M.R.N. [1968] 2 R.C.É. 98, la page 109.
L'une avait trait à l'attribution au Dr Campbell de revenus gagnés par les autres médecins en travail- lant à l'Institut; l'autre, au prétendu défaut de porter au crédit du Dr Campbell les taxes payées par lui sur les dividendes reçus de la Société hospitalière.
Dans les motifs originaires de son jugement, le premier juge avait ordonné que, l'appel ayant été rejeté sur une question de principe, les cotisations soient renvoyées au Ministre pour qu'il les reconsi- dère et décide en dernier ressort de la question des sommes définitives à ajouter au revenu de l'appe- lant pour les années d'imposition en cause. Cette directive fut faite conformément à une transaction intervenue entre les avocats. Le premier juge avait alors déclaré que la question pourrait faire l'objet d'observations supplémentaires.
Observations supplémentaires que de fait les avocats des parties présentèrent le 7 juillet 1976. Le premier juge, dans ses motifs supplémentaires, du 8 juillet 1976, dit:
Sur le fondement des faits prouvés au procès, leur appliquant les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, après avoir entendu les avocats des deux parties et m'être convaincu que l'ordonnance que je vais rendre ne serait pas contraire aux principes énoncés par la Cour d'appel fédérale dans Galway c. M.R.N. ([1974] 1 C.F. 593 et 600) je suis arrivé à la conclu sion que les sommes suivantes devraient être ajoutées au revenu net du demandeur à titre de «revenu tiré d'honoraires professionnels»:
Pour l'année d'imposition 1967—$28,768 Pour l'année d'imposition 1968—$22,791 Pour l'année d'imposition 1969—$11,382
TOTAL $62,941
J'ordonne en conséquence d'accueillir l'appel et de renvoyer la nouvelle cotisation du demandeur, pour les années d'imposi- tion 1967, 1968 et 1969, au Ministre aux fins d'établissement d'une nouvelle cotisation en accord avec les présents motifs supplémentaires du jugement.
Une série de tables énonçant les diverses métho- des possibles d'évaluer le revenu du Dr Campbell auraient été produites devant le premier juge et les montants que celui-ci aurait jugé approprié d'ajou- ter à son revenu auraient été basés sur la table apparaissant à la page 380 du dossier d'appel. En haut de la table, on signale dans une note que la méthode à utiliser pour établir une nouvelle cotisa- tion pour le Dr Campbell doit se fonder sur certai- nes présomptions y énoncées. L'une d'elles, si je la comprends bien, était qu'on devrait ajouter au revenu du Dr Campbell le revenu net de la Société
provenant de la participation des docteurs Kilgour et Tanz. On a fait valoir que seulement cette partie du revenu de la Société attribuable au travail professionnel du Dr Campbell lui-même devrait lui être réclamée et que la partie attribuable aux autres médecins travaillant pour l'Institut ne le devrait pas. Je souscris à cet argument. Rien dans la preuve administrée n'autoriserait à déclarer que les autres médecins étaient préposés ou mandatai- res du Dr Campbell ou qu'ils devaient en quelque manière lui rendre compte des honoraires qu'ils avaient reçus. Je ne trouve non plus aucun fonde- ment justifiant de tenir que la Société recevait des chèques, transportés à son nom par les autres médecins, relatifs aux honoraires qu'ils avaient gagnés, en tant que fiduciaire du Dr Campbell. Qu'il ait été l'actionnaire principal ne saurait que difficilement justifier d'imposer à la Société une telle obligation en sa faveur. Comme il n'a pas été démontré que la Société ait été quelque couverture par laquelle le Dr Campbell aurait cherché à camoufler le lien juridique véritable qu'il aurait eu avec les autres médecins je ne vois aucune raison de lui attribuer les bénéfices découlant du revenu qu'ils ont gagné.
Le deuxième moyen subsidiaire était que les sommes attribuées au Dr Campbell aux fins de l'impôt sur le revenu auraient être réduites du montant des dividendes qu'il avait reçu de la Société au cours de ces années d'imposition, divi- dendes qu'il avait déclarés et sur lesquels il avait payé l'impôt. On a fait valoir qu'aucune déduction de ce genre n'avait été faite.
Si je comprends bien l'argument, imposer le Dr Campbell à la fois sur le profit total réalisé par la Société au cours des années d'imposition en cause et sur les dividendes qu'elle a déclarés et distribués au cours de chacune de ces années équivaudrait pour lui à une double imposition. L'intimée a répondu que la Société hospitalière avait retenu des avoirs antérieurement à 1967 pour un montant supérieur aux dividendes versés au Dr Campbell au cours des années 1967 1969 et que rien dans la preuve administrée permet de savoir si les divi- dendes ont été payés à même les revenus courants plutôt qu'à même ceux qui auraient été retenus. Il me semble qu'il appartenait à l'appelant de démontrer ce qu'il avançait à ce sujet. Il n'a pas réussi à le faire.
Toujours au sujet des dividendes, je note qu'on a aussi présumé, comme cela apparaît au haut de la table de la page 180 du dossier d'appel, que les dividendes en l'espèce versés comptant au Dr Campbell au cours des années 1967 à 1969 inclusi- vement étaient une distribution faite avant tout à même les bénéfices non distribués de la Société. La table, si je la comprends bien, montrerait que les dividendes versés au Dr Campbell l'auraient en fait été à même des bénéfices non distribués. Je ne vois rien dans le dossier qui indique que ce n'était pas le cas. Je ne suis donc pas convaincu qu'il y avait erreur à ne pas porter au crédit du Dr Campbell les impôts payés au sujet des dividendes reçus.
Je jugerais l'appel comme suit: j'accorderais l'appel et réformerais le jugement de première instance. J'accorderais l'appel interjeté au sujet des nouvelles cotisations pour les années d'imposi- tion 1967, 1968 et 1969 et renverrais le dossier au Ministre pour qu'il le reconsidère et cotise en prenant pour base que le Dr Campbell doit être cotisé à nouveau pour chaque année d'imposition en cause en prenant soin d'ajouter à son revenu les honoraires professionnels qu'il a lui-même gagnés par les services d'ordre médical qu'il a fournis à l'Institut au cours de chacune de ces années; les honoraires professionnels que les autres médecins ont gagnés par leur travail à l'Institut au cours de ces années ne devraient pas être ajoutés au revenu du Dr Campbell et celui-ci devrait avoir droit aux déductions applicables dans les circonstances.
Cette façon de statuer sur l'appel aurait, bien entendu, pour conséquence que le Dr Campbell n'aurait pas réussi à démontrer que le revenu provenant d'honoraires gagnés par lui à l'Institut au cours des années d'imposition en cause était le revenu de la Société, non le sien.
Vu ce résultat partagé je n'accorderais pas les dépens ni en l'instance présente ni en la précédente.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Mon collègue le juge Ryan a décrit en long et en large les faits en litige et les a
analysés avec soin. Je partage son avis quand il dit que, de la façon dont l'appel a été plaidé, le point principal en litige est de savoir si ce que stipule le contrat de travail intervenu entre l'appelant et la Société hospitalière va au-delà de ce qu'un hôpital doit être autorisé à faire et équivaut à un exercice prohibé de la médecine. Ce qui distingue cette espèce à mon humble avis de l'affaire Kindree c. M.R.N. [1965] 1 R.C.É. 305, précédent sur lequel le distingué juge de première instance paraît s'être fondé tout particulièrement, et aussi de l'affaire Carruthers [[1956] O.R. 770], c'est qu'il y a ici véritablement exploitation de bonne foi d'un hôpi- tal sous le régime et l'agrément du The Private Hospitals Act de l'Ontario, S.R.O. 1960, c. 305, en vertu d'une charte, approuvée conformément à cette loi, attribuant à la Société hospitalière le pouvoir d'engager des médecins praticiens qualifiés pour prodiguer des soins médicaux. Je partage l'avis de mon collègue MacKay; cela fait que la convention intervenue entre l'appelant et la Société hospitalière est licite. Je ne crois pas que les stipulations particulières du contrat, quand il dis pose que tous les services professionnels que four- nira l'appelant le seront à titre de préposé de la Société hospitalière et qu'il faudra lui rendre compte de tous les revenus qui en seront générés, portent atteinte à la licéité et à la validité du contrat. Quant aux portions respectives du revenu provenant des soins donnés aux patients et des services chirurgicaux, il est essentiel, je pense, d'avoir à l'esprit les origines et les raisons de l'arrangement particulier intervenu entre l'appe- lant et la Société hospitalière. Les antécédents du contrat montrent que l'appelant avait voulu un hôpital dans lequel il aurait pu mettre en pratique ses idées au sujet de la réduction des soins hospita- liers postopératoires et qu'un tel hôpital, à cause de la nature même de ces idées, exigerait des arrangements financiers spéciaux pour que l'opéra- tion soit viable. C'est cette considération qui con- duisit l'appelant à conclure avec la Société hospita- lière un contrat de travail par lequel il s'engageait à limiter ce qu'il gagnerait par la fourniture de ses services d'ordre médical, de façon à laisser à l'hô- pital un fonds de roulement suffisant. A mon avis il s'agissait d'un arrangement de bonne foi pratique et nécessaire pour réaliser l'objectif pro- fessionnel particulier de l'appelant et on devrait lui donner tout son effet, soit faire du revenu généré
par ses services professionnels celui de la Société
hospitalière. J'accorderais donc l'appel.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Comme les faits sont énoncés au long dans les motifs de l'opinion dissidente de mon collègue Ryan, il ne m'est pas nécessaire de les répéter.
Voici les deux principaux points litigieux de l'appel:
(1) [TRADUCTION] «La Société hospitalière exer- çait-elle ou tentait-elle d'exercer la médecine ou la chirurgie»?
(2) [TRADUCTION] «Les sommes dont on cotise l'appelant constituent-elles son revenu ou celui de la Société hospitalière»?
Quant à la question (1), je suis d'avis que la Société hospitalière n'exerçait ni ne cherchait à exercer la chirurgie. C'est le Dr Campbell non la Société qui exerçait en chirurgie. La Société, dans le cours de ses affaires, soit l'exploitation d'un hôpital chirurgical privé, ne faisait que s'adonner à ce que le The Private Hospitals Act' et ses lettres patentes, 8 délivrées conformément aux dispositions de l'article 5 de cette loi, l'autorisaient à faire, c'est-à-dire, engager des personnes qualifiées pour exercer la chirurgie sur les patients de l'hôpital.
' [TRADUCTION] 5.—(1) Aucun agrément ne sera accordé à moins qu'un inspecteur n'ait approuvé le bâtiment, sa situation par rapport au voisinage et les facilités et l'équipement qu'on se propose d'y installer comme adéquats pour les fins indiquées dans la requête et que la Commission n'estime que le requérant offre toutes les garanties morales et professionnelles néces- saires.
(2) Aucune requête sur le fondement du The Corporations Act pour constituer une compagnie ayant pour objet l'exploita- tion d'un hôpital privé ne saurait être examinée tant qu'elle n'a pas reçu l'approbation de la Commission.
8 Voici les objets de la Société tels qu'énoncés dans les lettres patentes:
[TRADUCTION] a) Créer, équiper, entretenir, exploiter et diriger des hôpitaux privés et autres institutions destinés à fournir des services médicaux et chirurgicaux aux personnes dont l'état nécessitera leur admission;
b) Engager, employer ou autrement s'assurer les services de médecins, chirurgiens, chercheurs, infirmières, technologistes qualifiés et autres personnes en vue de promouvoir et de réaliser les objets de la Société;
Le contrat de travail du Dr Campbell stipule qu'il lui sera versé un traitement pour ses services, à temps plein, à titre de chirurgien de la Société hospitalière et celle-ci aura droit à toutes les sommes payables pour les soins chirurgicaux qu'il prodiguera à l'hôpital.
Les autorités ontariennes de la Santé, pour leurs fins, ont exigé que les comptes pour les soins médicaux et chirurgicaux prodigués aux patients assurés par le régime soient présentés au nom du médecin qui les a prodigués et signés par lui. Les chèques en paiement des comptes présentés par le Dr Campbell étaient payables à son ordre puis endossés et versés au compte en banque de la Société hospitalière.
«Exercer en chirurgie: au sens du paragraphe 19(2) du The Medical Act, S.R.O. 1960, c. 234 constitue un acte réservé aux personnes qualifiées, au sens de cette loi, pour faire de la chirurgie. Je ne crois pas qu'on puisse dire d'une compagnie qu'elle exerce en chirurgie parce qu'elle rémunère un chirurgien pour qu'il fasse de la chirurgie et qu'ainsi elle ait droit aux honoraires qui lui sont payables pour son travail, pas plus qu'elle ne prodi- gue des soins infirmiers lorsqu'elle engage des infirmières ou qu'une compagnie commerciale qui a un avocat à son service contre rémunération ne pratique ou ne cherche à pratiquer le droit.
Aucune loi n'interdit à un hôpital, public ou privé, d'engager des médecins à plein temps contre rémunération. C'est une pratique qu'encourage le ministère de la Santé comme le montre un extrait d'une lettre du Commissioner of Hospitals (Com- missaire des hôpitaux) adressée aux procureurs de l'appelant: [TRADUCTION] «La Commission fait sienne le principe de l'emploi, à temps plein, ou presque, de médecins praticiens spécialistes dans le système hospitalier public comme dans le système privé afin de promouvoir l'efficacité et un meilleur contrôle de la qualité des services».
Même si l'on pouvait dire de la Société hospita- lière qu'elle exerce la chirurgie en infraction au paragraphe 19(2) du The Medical Act lorsqu'elle emploie le Dr Campbell aux conditions auxquelles elle l'emploie, il faudrait ajouter que le The Pri vate Hospitals Act, les lettres patentes de la Société (dont les objets ont été approuvés confor- mément au paragraphe 5(2) de cette loi) et la
convention intervenue entre elle et l'Ontario Hos pital Services Commission l'autorisaient et lui don- naient droit d'agir comme elle l'a fait.
Voici l'article 12 du The Private Hospitals Act:
[TRADUCTION] 12. Est attribué à tout hôpital privé le pou- voir de poursuivre les fins que lui autorise de poursuivre toute loi générale ou spéciale sur le fondement de laquelle il a été créé, établi ou constitué en compagnie, ou qui lui attribue ce pouvoir, mais en cas de conflit entre les dispositions de telle loi générale ou spéciale et celles de la présente loi ou de ses règlements d'application, ce sont celles de la présente loi et de ses règlements qui prévalent.
Bien que je sois d'avis que les dispositions du The Private Hospitals Act n'entrent pas en conflit avec celles du The Medical Act en ce sens que le The Private Hospitals Act autorise les sociétés hospitalières à engager des chirurgiens et en ce que ni le The Medical Act ni d'ailleurs aucune autre loi n'interdit d'en engager; s'il pouvait être statué qu'il y a conflit entre les dispositions des deux lois, celles du The Private Hospitals Act prévaudraient et on ne pourrait donner effet à aucune du The Medical Act en conflit avec elles.
Quant au deuxième point en litige, c'est un principe du droit des rapports commettant-préposé que les sommes payables relativement au travail de l'employé effectué dans l'exécution de ses fonctions appartiennent à l'employeur. Si le préposé vient à avoir cette somme en sa possession il doit en rendre compte à son commettant et la lui remettre. Le fait que le ministère de la Santé de l'Ontario, pour des fins qui lui sont propres, exige que les comptes des médecins et chirurgiens soient présentés au nom du médecin qui a exécuté la fonction n'abroge ni ne modifie les stipulations du contrat de travail du Dr Campbell selon lesquelles tous les biens générés par son travail en chirurgie appartiennent à la Société hospitalière et que si certaines sommes lui étaient versées à ce sujet, il devrait en rendre compte et les remettre à l'hôpital, ce qu'il a fait.
Pour ces motifs j'accorderais l'appel avec dépens en l'instance présente comme en celle qui précède.
Si l'appelant n'avait pas gain de cause en l'appel principal, je serais de l'avis qu'a exprimé dans ses motifs et conclusions mon collègue Ryan en ce qui a trait aux moyens subsidiaires d'appel.
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