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79-A-305
Canadian Broadcasting League (Requérante) c.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécom- munications canadiennes, Rogers Telecommunica tions Limited et Canadian Cablesystems Limited (Intimés)
[N o 2]
Cour d'appel, les juges Ryan et Le Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, les 20 et 22 mars; Ottawa, le 19 juin 1979.
Pratique Qualité Télécommunications Fin de non- recevoir• opposée, en vertu de l'art. 52a) de la Loi sur la Cour fédérale, à la demande d'autorisation d'appel contre une déci- sion du CRTC au motif que la requérante (CBL) n'a pas qualité pour interjeter appel CBL (une organisation béné- vole, sans but lucratif et d'intérêt public, qui s'intéresse depuis longtemps aux questions de radiodiffusion) était une inter- venante dans l'audition du CRTC Il échet d'examiner si CBL a un intérêt suffisant pour avoir droit d'appel par application de l'art. 26 de la Loi sur la radiodiffusion Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 52a) Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 26(1) Règles de procédure du CRTC, DORS/71-330 modifiées par DORS/77-533.
Fin de non-recevoir opposée par RTL, par application de l'article 52a) de la Loi sur la Cour fédérale, à une demande d'autorisation d'appel contre une décision du CRTC au motif que CBL, une organisation bénévole, sans but lucratif et d'in- térêt public, n'a pas qualité pour interjeter appel. La décision du CRTC contre laquelle CBL a formé appel conformément à l'article 26(1) de la Loi sur la radiodiffusion, approuvait le transfert à RTL du contrôle effectif des entreprises de radiodif- fusion contrôlées par CCL. CBL est intervenue dans l'audition du CRTC et a interjeté appel de sa décision aux motifs (1) que le CRTC n'avait pas compétence pour approuver le transfert,
(2) que le CRTC a commis envers CBL un déni de justice naturelle en rejetant sa demande de divulgation de certains renseignements financiers concernant les opérations de RTL, et
(3) que le CRTC a commis envers CBL un déni de justice naturelle en rejetant sa demande d'autorisation de contre-inter- roger. Il échet d'examiner si CBL a un intérêt suffisant pour avoir droit d'interjeter appel en vertu de l'article 26, en raison de ses objets sociaux, de son rôle bien établi de défenseur des intérêts des consommateurs en matière de radiodiffusion, de sa participation à l'audition du CRTC et de ses motifs d'appel.
Arrêt: la demande est rejetée. 11 est admis que le public a un intérêt dans la radiodiffusion et qu'il doit avoir accès au processus d'élaboration et de mise en oeuvre, par voie de réglementation, de la politique publique dans ce domaine. Le droit d'appel établi dans ce contexte légal particulier doit être considéré comme une extension de ce droit d'accès. Le rôle bien établi de CBL et la responsabilité qu'elle assume de défenseur de l'intérêt public dans le domaine de la radiodiffusion qui
confèrent un intérêt suffisant non seulement pour agir devant le CRTC mais également pour interjeter appel. Cette qualité est d'autant plus marquée qu'en l'espèce, les motifs d'appel invoqués par CBL touchent à la question de savoir si elle n'a pas été privée de droits de procédure essentiels à l'exercice de son droit légal d'intervention. La définition étroite de l'intérêt requis, telle qu'elle se dégage de certaines causes portant sur la qualité pour intenter une action en justice, ne s'applique pas dans ce contexte, à un droit d'appel qui découle d'un droit public d'intervention pour affirmer et protéger les intérêts de chacun en matière de radiodiffusion.
Arrêt suivi: In re le Conseil de la Radio-Télévision cana- dienne et in re la London Cable TV Limited [1976] 2 C.F. 621. Arrêt examiné: John Graham & Co. Ltd. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne [1976] 2 C.F. 82. Arrêt appliqué: The Nova Scotia Board of Censors c. McNeil [1976] 2 R.C.S. 265.
DEMANDE. AVOCATS:
A. J. Roman pour la requérante.
D. E. Osborn pour l'intimé Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
P. Genest, c.r. et G. W. Adams pour l'intimée Rogers Telecommunications Limited.
B. C. McDonald pour l'intimée Canadian Cablesystems Limited.
PROCUREURS:
Le Centre pour la promotion de l'intérêt public, Ottawa, pour la requérante.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télé- communications canadiennes, Ottawa, pour son propre compte.
Cassels, Brock, Toronto, pour l'intimée Rogers Telecommunications Limited.
Lang, Michener, Cranston, Farquharson & Wright, Toronto, pour l'intimée Canadian Cablesystems Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: La présente requête présen- tée en vertu de l'article 52a) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, tend à faire mettre fin à une demande d'autorisation d'in- terjeter appel contre une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications cana- diennes («CRTC»), au motif que celui qui sollicite ladite autorisation n'a pas qualité pour interjeter appel.
La Canadian Broadcasting League («CBL») a demandé, conformément à l'article 26(1) de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, l'auto- risation d'interjeter appel de la décision 79-9, en date du 8 janvier 1979, par laquelle le CRTC a approuvé le transfert à la Rogers Telecommunica tions Limited («RTL») du contrôle effectif des entreprises de radiodiffusion contrôlées par la Canadian Cablesystems Limited («CCL»). La CBL est intervenue dans les procédures devant le CRTC. C'est la RTL qui a déposé devant cette Cour la présente demande d'arrêt des procédures.
Cette dernière soutient que la CBL ne peut présenter une demande d'autorisation d'interjeter appel car elle n'a aucun intérêt, ni pécuniaire ni à titre de propriétaire, ni aucun autre intérêt supé- rieur à celui du public en général, auquel la déci- sion contestée pourrait porter atteinte.
La demande d'arrêt des procédures et la contes- tation de cette demande sont appuyées par des affidavits auxquels sont joints des documents qui visent à expliquer la nature des questions soumises au CRTC, l'intérêt et la participation de la CBL, et l'effet de la décision.
La CBL est une organisation bénévole, sans but lucratif, et d'intérêt public constituée à l'origine, en 1930, sous le nom de Canadian Radio League. Elle a été constituée en société en 1973, avec les objets suivants:
[TRADUCTION] 1. Exprimer le point de vue de l'auditeur et du téléspectateur sur la programmation de la radio et de la télévision.
2. Favoriser une politique nationale canadienne en matière de radiodiffusion, de télécommunications, de cinéma et d'art.
3. Favoriser un système de radiodiffusion composé d'éléments appartenant tant au secteur public qu'au secteur privé et constituant un système unique français et anglais, au sein duquel la société Radio-Canada serait reconnue comme le principal service de radiodiffusion nationale.
4. Veiller à ce que le système de radiodiffusion soit responsable devant le Parlement, et à ce qu'il soit régi par un conseil lui-même responsable devant le Parlement.
D'après le dossier, la CBL est intervenue à plusieurs reprises pour présenter des observations au cours de procédures devant le CRTC. Dans la présente espèce, la CBL a indiqué dans sa «décla- ration d'intervention», qu'elle se proposait de défendre les intérêts des abonnés des sociétés de télédistribution en cause. Elle s'est exprimée ainsi:
[TRADUCTION] 3. La CBL est intervenue et a participé active- ment à l'audience du 17 janvier 1978 pour déterminer si un transfert du contrôle effectif était intervenu. Même si les questions soulevées dans cette audience étaient quelque peu différentes, la préoccupation essentielle de la CBL dans la présente affaire porte, comme à l'audience de janvier, sur les intérêts des abonnés. La Canadian Cablesystems Limited (CCL), et la Rogers Telecommunications Limited (RTL) ne peuvent ni l'une ni l'autre sérieusement prétendre représenter plus que les intérêts de leurs actionnaires respectifs. Avec son passé d'intervention dans des affaires similaires, la CBL se voit comme l'un des représentants possibles des intérêts des abonnés des deux réseaux de télédistribution. La CBL ne cherche pas à représenter l'intérêt public à cette audience, mais elle soutient que l'intérêt public sera mieux servi si les intérêts tant des actionnaires que des abonnés sont convenablement représentés.
Un affidavit, déposé au nom de la CBL déclare, au sujet des relations entre la CBL et les abonnés,
[TRADUCTION] ... que la CBL a un grand nombre de ses membres dans l'agglomération torontoise, qu'une partie d'entre eux sont abonnés au câble, et que parmi ceux-ci figureraient des abonnés de sociétés contrôlées par Rogers Telecommunica tions Limited ou Canadian Cablesystems Limited;
La RTL admet qu'il se peut que certains des membres de la CBL soient des abonnés des titulai- res de licence sous contrôle de la CCL et de la RTL, mais soutient que la CBL n'a pas le même intérêt qu'un abonné et n'est pas habilitée à repré- senter des abonnés individuels.
On nous dit que la présentation au CRTC d'une demande d'approbation du transfert de contrôle à la RTL, est motivée par la condition ci-après figurant au verso des licences de radiodiffusion détenues par les filiales de la CCL:
La présente licence sera valable à la condition que le titre de propriété ou le contrôle de cette station ne soient pas effective- ment cédés sans qu'autorisation à cet effet n'ait été obtenue au préalable du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica- tions canadiennes.
Si le titulaire est constitué en compagnie privée, la licence sera valable à la condition que ni le titre de propriété ni le contrôle d'aucune action du capital social de la compagnie ne soient cédés soit directement, soit indirectement, sans qu'autorisation à cet effet n'ait été obtenue au préalable du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, et à la condition que le contrôle de la station autorisée ne soit cédé d'aucune façon sans qu'autorisation à cet effet n'ait été obtenue au préalable du Conseil de la radiodiffusion et des télécommu- nications canadiennes.
Si le titulaire est une compagnie autre qu'une compagnie constituée en compagnie privée, la licence sera valable à la condition que le contrôle réel de la station autorisée ne soit cédé d'aucune façon à une autre personne sans qu'autorisation à cet effet n'ait été obtenue au préalable du Conseil de la radiodiffu-
Sion et des télécommunications canadiennes.
L'article 19 de la Loi sur la radiodiffusion, oblige le CRTC à tenir dans certains cas une audition publique, et le paragraphe (3) du même article dit entre autres que «le Conseil peut tenir une audition publique au sujet de toute autre question pour laquelle le Conseil estime qu'une telle audition est souhaitable.» On sait que le CRTC se proposait d'agir en conformité de cette disposition dans la présente affaire, quoique j'aie cru comprendre que l'avocat de la CBL a soutenu qu'aux termes des autres dispositions de l'article 19, il s'agissait d'une affaire une audition publi- que était obligatoire.
Il a été donné avis de l'audition conformément à l'article 20 de la Loi. La CBL communiqua son intention d'intervenir, et, comme on l'a déjà men- tionné, déposa un «avis d'intervention». Tout cela conformément semble-t-il aux articles 13 et sui- vants des Règles de procédure du CRTC, DORS/71-330 modifiées par DORS/77-533. Les articles 13, 14 et 15 sont ainsi rédigés:
13. Toute personne, sauf le requérant, qu'intéresse une demande ou qui veut faire une plainte ou des représentations que le Conseil aura jugé être une intervention, peut déposer auprès du Conseil une intervention dans le but d'appuyer une demande, de s'y opposer ou de la modifier.
14. (1) Une intervention doit
a) faire état de l'intérêt de l'intervenant;
b) comporter un exposé clair et succinct des faits et des motifs pour lesquels l'intervenant appuie la demande, s'y oppose ou propose de la modifier;
c) être divisée en paragraphes numérotés consécutivement, chacun se rapportant, autant que possible, à un seul point essentiel;
d) porter le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de l'intervenant et, selon le cas, de son mandataire;
e) porter la signature de l'intervenant ou de son mandataire; J) si elle est signée par le mandataire de l'intervenant, être accompagnée d'une copie du document par lequel le manda- taire a été nommé, document qui doit être établi selon la formule présentée à l'annexe A;
g) comporter une liste de tous les documents qui peuvent servir à expliquer ou à appuyer l'intervention;
h) indiquer si l'intervenant veut comparaître ou non; et
i) être déposée auprès du Conseil avec copie des documents visés à l'alinéa g).
(2) L'intervenant doit signifier une copie conforme de son intervention au requérant intéressé et à toutes les autres person- nes que le Conseil peut désigner.
15. L'intervention doit être déposée et signifiée au moins 20 jours avant la date d'ouverture de l'audience indiquée dans l'avis publié selon le sous-alinéa 4(2)6)(i), sauf si l'avis contient une indication contraire ou si le Conseil en décide autrement.
«Intervenant» et «partie» sont définis comme suit à l'article 2 des Règles:
2. ...
«intervenant» désigne une personne qui dépose une intervention en vertu de l'article 15;
«partie», en rapport avec une audience déjà tenue ou à tenir par le Conseil ou en son nom, désigne le requérant et tout intervenant;...
Dans sa «déclaration d'intervention» la CBL a présenté deux demandes relatives à la procédure. Elle a demandé la divulgation de certains rensei- gnements financiers concernant les activités de la RTL et de ses filiales, et elle a demandé l'autorisa- tion de contre-interroger les dirigeants de la RTL et de la CCL, ainsi que certains des témoins experts. Les deux demandes ont été rejetées par le CRTC lors de la conférence du 7 septembre 1978.
La décision alors rendue contient les passages ci-après concernant les questions soulevées par la demande et la participation des «parties intéres- sées» à l'audition:
[TRADUCTION] La question essentielle sur laquelle porte l'au- dience pendante est, comme énoncée dans l'avis d'audience publique du 24 juillet 1978, un projet de transfert du contrôle effectif d'entreprises de radiodiffusion contrôlées par la CCS à la RTL. Dans cet avis, le Conseil a indiqué son intention:
«... d'étudier, à fond, de concert avec toutes les parties intéressées, les conséquences du projet pour le système de radiodiffusion canadienne et les communautés auxquelles les entreprises titulaires de permis concernées fournissent leurs services.»
Le Conseil souhaite par conséquent assurer une franche discus sion de tous les problèmes par les parties. Ces problèmes doivent toutefois être en rapport avec la question essentielle ci-dessus mentionnée.
Le Conseil estime que la question dont il est saisi est de savoir s'il est dans l'intérêt public que la RTL obtienne le contrôle effectif des entreprises de radiodiffusion contrôlées par la CCS, et non de déterminer s'il est opportun que le groupe exerçant actuellement le contrôle effectif conserve ce contrôle.
Dans la décision rendue lors de la conférence, le CRTC a énuméré la CBL parmi les intervenants ayant exprimé le désir de comparaître à l'audition de la demande. Il nous a été rapporté par l'avocat que la demande avait donné lieu à plus de 1,500 interventions écrites, mais que seulement un petit
nombre d'intervenants avaient exprimé le désir de participer à l'audience. D'après le dossier, la CBL était représentée à l'audience par un avocat qui a présenté des observations et a notamment renou- velé la demande d'autorisation de contre-interro- ger, laquelle s'est de nouveau heurtée à un refus. La CBL n'a cité aucun témoin et le seul élément dont elle a saisi le Conseil était sa «déclaration d'intervention».
Le 8 janvier 1979, le CRTC a rendu une déci- sion approuvant le transfert à la RTL du contrôle effectif des titulaires de licences et des entreprises de radiodiffusion contrôlés par la CCL. Aux fins de la demande d'arrêt des procédures, la nature générale des moyens exposés par la CBL dans sa demande d'autorisation d'interjeter appel de cette décision peuvent être résumés comme suit:
1. Le CRTC n'avait pas compétence pour approuver le transfert;
2. Le CRTC a commis envers la CBL un déni de justice naturelle en rejetant sa demande de divulgation de certains renseignements finan ciers concernant les opérations de la RTL;
3. Le CRTC a commis envers la CBL un déni de justice naturelle en rejetant sa demande d'au- torisation de contre-interroger.
L'article 26(1) de la Loi sur la radiodiffusion qui établit le droit d'appel applicable dans la pré- sente espèce, ne contient aucune définition de l'in- térêt requis pour interjeter appel. Cet article est ainsi conçu:
26. (I) Appel d'une décision ou d'une ordonnance du Con- seil peut être interjeté devant la Cour d'appel fédérale sur une question de droit ou sur une question de compétence, après que la permission en a été obtenue de cette Cour sur demande présentée dans le délai d'un mois à compter du prononcé de la décision ou de l'ordonnance dont on entend interjeter appel ou dans le délai plus long qu'accorde cette Cour, dans des circons- tances particulières.
La question de l'intérêt nécessaire pour interje- ter appel aux termes de l'article 26 a été examiné par la présente Cour dans l'affaire John Graham & Company Limited c. Le Conseil de la Radio- Télévision canadienne [1976] 2 C.F. 82. Cette affaire soulevait la question de l'intérêt nécessaire pour présenter une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et interjeter appel conformément à l'article 26 de la Loi sur la radio- diffusion contre une décision du CRTC approu-
vant un projet de transfert d'actions. La Cour a jugé qu'à titre d'intervenant dans la procédure devant le Conseil et d'actionnaire de la société dont les actions devaient être transférées, John Graham & Company Limited pouvait tant présen- ter une demande fondée sur l'article 28 qu'interje- ter appel. Les motifs du juge Urie, à l'avis de qui le juge Thurlow (fonction qu'il exerçait alors) et le juge Ryan ont tous deux souscrit, contient les passages ci-après sur la question de l'intérêt requis (pages 92 94):
Je souligne qu'une demande présentée en vertu de l'article 28 peut être faite «par le procureur général ou toute partie directe- ment affectée par la décision ou l'ordonnance ...», alors que l'article 26 ne mentionne pas qui peut interjeter appel d'une décision ou d'une ordonnance du Conseil.
Bien qu'aucun des requérants ne soit partie à l'action, en ce sens que la Loi sur la radiodiffusion ne les oblige pas à comparaître, à témoigner ni à déposer des plaidoyers comme s'il s'agissait d'une procédure judiciaire, le Conseil leur a permis d'intervenir, de déposer «une intervention» et d'exposer leurs prétentions à l'audience.
Le requérant, John Graham & Company Limited a déposé des pièces justificatives établissant qu'il représentait 17 pour cent des actionnaires minoritaires. Les autres requérants repré- sentent 12 pour cent de ces actionnaires. Selon moi, ces seuls faits démontrent qu'ils sont aussi directement concernés par l'issue de la demande de transfert d'une participation majori- taire dans la Bushnell que l'était la Standard, qui demande la ratification de ce transfert. Cette décision pourrait fort bien influer sur la valeur de leurs actions en termes de gains, de plus-value ou de moins-value et de participation aux affaires de la compagnie. Il s'agit donc d'un «intérêt prouvable», auquel on fait allusion, dans un autre contexte, dans l'arrêt Le procureur général du Manitoba c. L'Office national de l'énergie [1974] 2 C.F. 503 la page 518. Sa participation à l'audition, en plus de cet intérêt prouvable, en fait évidemment une «partie» à la demande en vertu de l'article 28. Il est douteux que ce raisonne- ment s'applique à John Graham à titre personnel et, dans une moindre mesure, à Ernest L. Bushnell, mais il n'est pas néces- saire d'établir leur qualité pour agir, puisque nous avons conclu que la compagnie avait le droit de présenter cette demande.
Pour les mêmes raisons, je conclus que John Graham & Company Limited peut parfaitement interjeter appel en vertu de l'article 26 de la Loi sur la radiodiffusion, bien que cet article ne précise pas qui peut le faire. Cette compagnie et les personnes qu'elle représente ont un grief réel à formuler parce que la décision peut nuire à leurs intérêts. Ce ne sont pas des «gêneurs» qui se mêlent de choses qui ne les regardent pas. Par conséquent, la compagnie a le droit d'interjeter appel. Voir Okanagan Helicopters Ltd. c. La Commission canadienne des transports [1975] C.F. 396 et Maurice c. London County Council [1964] 2 Q.B.D. 362.
L'avocat de la RTL s'est beaucoup appuyé sur ce passage. Celui-ci, selon lui, montre que cette Cour a, au moins implicitement, statué que pour pouvoir interjeter appel en vertu de l'article 26, il
ne suffit pas d'avoir été intervenant, c'est-à-dire partie, aux procédures devant le Conseil, mais qu'il importe également de démontrer que la décision vous cause un préjudice parce que vos intérêts sont ou risquent d'être lésés par cette décision.
On relèvera que dans l'affaire Graham, le juge Urie avait à trancher et une question d'intérêt requis pour présenter une demande en vertu de l'article 28, et une question d'intérêt requis pour interjeter appel en vertu de l'article 26. Dans le cas de la demande fondée sur l'article 28, la Cour devait déterminer si la requérante était une per- sonne «directement affectée» par la décision, puis- que cet article assujettit expressément à cette con dition tout requérant autre que le procureur général. En constatant que John Graham & Com pany Limited remplissait cette condition, il s'ensui- vait, à mon avis, qu'elle avait certainement intérêt pour interjeter appel en vertu de l'article 26. Le plus que je puisse conclure de ces motifs est que le fait d'être actionnaire fut jugé suffisant pour pou- voir interjeter appel. Je ne pense pas que l'on ait voulu définir les conditions essentielles ou minima- les autorisant à agir en vertu de l'article 26, ou déterminer quels autres intérêts sont susceptibles de permettre d'agir.
La question, à mon sens, consiste à savoir si la CBL, de par ses objets sociaux, son rôle bien établi de défenseur des intérêts des consommateurs en matière de radiodiffusion, sa participation aux pro- cédures devant le CRTC dans la présente affaire et ses moyens d'appel, a un intérêt suffisant pour avoir droit d'interjeter appel en vertu de l'article 26.
La radiodiffusion est une question qui intéresse tous les Canadiens. Si elle met en cause des inté- rêts pécuniaires, des droits de propriété et d'autres intérêts matériels, elle s'étend également à des intérêts non matériels concernant le bien-être de tous les Canadiens, qui sont tous affectés dans une certaine mesure par les services qu'elle dispense. L'importance qu'a la radiodiffusion pour le pays ressort de l'article 3b) de la Loi sur la radiodiffu- sion, dont le texte est le suivant:
3. 11 est, par les présentes, déclaré
b) que le système de la radiodiffusion canadienne devrait être possédé et contrôlé effectivement par des Canadiens de
façon à sauvegarder, enrichir et raffermir la structure cultu- relle, politique, sociale et économique du Canada;
L'intérêt individuel en matière de radiodiffusion est semblable à celui qui existe dans le domaine cinématographique, et que la Cour suprême, dans l'affaire McNeil' a jugé suffisant pour agir.
Dans l'affaire London Cable 2 , la présente Cour a jugé qu'en vertu de l'article 19 de la Loi sur la radiodiffusion, le public avait un «droit légal de représentation» et que celui-ci lui conférait le droit d'obtenir communication des informations sur la nature des questions nécessaires à son exercice. La nette conséquence de cette position est, à mon avis, que tout membre du public, en dehors d'un intérêt spécial pécuniaire ou concernant la propriété, peut se présenter aux audiences publiques du Conseil et y présenter des observations. C'est là, me semble- t-il, une reconnaissance de l'intérêt du public en matière de radiodiffusion et de l'importance de donner aux membres du public accès au processus par lequel la politique publique dans ce domaine est élaborée et mise en oeuvre par voie réglemen- taire. Dans un même ordre d'idées, j'estime que le droit d'appel établi dans ce contexte légal particu- lier doit être considéré comme une extension de ce droit d'accès, c'est-à-dire comme le moyen par lequel non seulement les droits individuels affectés par une décision sont protégés, mais aussi le droit d'intervention du public est pleinement assuré.
Les éléments dont nous disposons montrent que la CBL exerce depuis près de cinquante ans un rôle actif dans l'élaboration de la politique publi- que en matière de radiodiffusion. Sous son ancienne dénomination de Canadian Radio League, elle fut représentée par un avocat devant la Cour suprême du Canada et le Comité judi- ciaire du Conseil privé dans le Renvoi Radio'. Il ressort également du dossier que la CBL a joué un rôle actif comme intervenant lors des audiences du CRTC. Ses activités sont soutenues dans une cer- taine mesure par des fonds publics. A mon avis, ce rôle bien établi et cette responsabilité fermement
The Nova Scotia Board of Censors c. McNeil [1976] 2 R.C.S. 265.
2 In re le Conseil de la Radio-Télévision canadienne et in re la London Cable TV Limited [ 1976] 2 C. F. 621.
3 I re Regulation and Control of Radio Communication in Canada [1932] A.C. 304 affirmé [1931 ] R.C.S. 541.
endossée de défenseur de l'intérêt public dans le domaine de la radiodiffusion lui confèrent un inté- rêt suffisant non seulement pour agir devant le CRTC, mais également pour - interjeter appel. Ce droit d'agir est renforcé dans la présente espèce par le fait que les moyens d'appel sur lesquels se fonde la CBL soulèvent la question de savoir si elle a été privée de droits de procédure essentiels au plein exercice de son droit légal de représentation.
L'avocat de la RTL nous a invoqué de nombreu- ses décisions portant sur l'intérêt requis dans divers cas pour avoir droit d'agir. Je ne pense pas que la définition étroite de l'intérêt requis pour agir dans certaines de ces affaires s'applique à un droit d'appel qui, comme ici, découle d'un droit public d'intervention pour affirmer et protéger les intérêts de chacun en matière de radiodiffusion.
Par ces motifs, je rejette la demande tendant à faire mettre fin aux procédures, mais m'abstiens de statuer sur les dépens.
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LE JUGE RYAN: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris.
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