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T-350-78
Bernice McCarthy (Demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada (Défendeur)
Division de première instance, le juge suppléant Lieff—Toronto, le 23 février et le 28 juin 1979.
Fonction publique Concours La demanderesse a été inscrite sur la liste d'admissibilité puis radiée par la suite sans audition Il ressort du nombre de nominations faites avant et après la radiation que, n'eût été cette radiation, la demande- resse aurait été nommée Rejet du grief et rejet, pour cause d'incompétence, de l'appel devant la Commission de la Fonc- tion publique, Direction générale des appels La demande- resse conclut à un jugement portant: (1) qu'elle a été privée sans motifs légitimes de ses droits à une nomination, (2) que le défaut d'audition antérieure à sa radiation équivalait à un déni de justice naturelle, (3) qu'elle avait droit à une audition qui déterminerait la validité de sa radiation de la liste, (4) qu'elle avait droit aux dommages-intérêts, (5) subsidiaire- ment, qu'elle a le droit d'interjeter appel devant la Commis sion de la Fonction publique, Direction générale des appels Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 6(2),(3), 21.
En avril 1977, la demanderesse a été inscrite à la trentième place d'une liste d'admissibilité à la suite d'un concours pour un poste dans la Fonction publique, liste dont elle a été radiée en septembre 1977. Quinze personnes ont été nommées au poste visé avant la radiation de la demanderesse, et quinze autres après sa radiation. Le Ministère en cause a radié la demande- resse de la liste avec l'autorisation de la Commission de la Fonction publique, mais sans tenir une audition à cet effet. La Commission de la Fonction publique, Direction générale des appels, s'est déclarée incompétente pour connaître de l'appel formé par la demanderesse dont le grief, intenté conformément à la convention collective et à la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, a été rejeté au dernier palier. En l'espèce, la demanderesse conclut à un jugement portant qu'elle a été privée sans motifs légitimes de ses droits à une nomina tion, que le défaut d'audition équivalait à un déni de justice naturelle à son égard, qu'elle a droit à une audition tenue par la Commission de la Fonction publique afin de déterminer si sa radiation était valide, qu'elle a droit aux dommages-intérêts, et subsidiairement, qu'elle a le droit d'interjeter appel de la mesure prise par le Ministère devant la Commission de la Fonction publique, Direction générale des appels.
Arrêt: la demande est rejetée. Il est établi que la radiation de la «liste d'admissibilité» est un acte purement administratif. La Cour est compétente en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour rendre un jugement déclaratoire en l'espèce si la demanderesse est fondée en sa demande. Sauf erreur juridictionnelle, la Cour fédérale n'interviendra pas pour modi fier un code de procédure établi en vertu d'une loi du Parlement pour régler les questions qui y sont spécifiées. Cependant, la procédure de grief prévue par la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique n'était pas le seul recours ouvert à la demanderesse. Nul article de cette loi ne prévoit qu'un fonc-
tionnaire qui décide de formuler un grief n'est plus habilité à se pourvoir en justice. Pour priver un citoyen de ce droit, il faut des dispositions expresses et non équivoques. Il ressort des paragraphes 6(2) et 6(3) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique que l'intention du législateur est de ne requérir une audition que lorsque les nominations ont déjà été faites parmi les employés de la Fonction publique; et d'autre part que lorsque le législateur prévoit une audition dans un cas et non pas dans l'autre, il convient d'appliquer la règle d'inter- prétation expressio unius pour refuser, en l'espèce, une audition à la demanderesse. La demanderesse a essayé de se prévaloir de l'article 21 pour se plaindre du traitement qui lui a été réservé au titre de l'article 6(2); elle n'a pas essayé de contester la sélection des autres candidats. Or, l'article 6 prévoit ses propres voies de recours et, lorsque celles-ci s'avèrent infructueuses, l'article 21 ne peut être invoqué à titre de rechange. Les arguments d'équité en matière de procédure n'interviennent guère en l'espèce. La seule obligation d'équité d'un jury de sélection ou d'appréciation est d'évaluer honnêtement les méri- tes de chaque candidat en vue d'un poste. Vu que la demande- resse avait un dossier de présence médiocre et vu sa réaction à ce dossier, on ne peut dire honnêtement qu'elle n'a pas été jugée avec équité sur ses mérites, lesquels ont été jugés insuffisants. Par ailleurs, il s'agit en l'espèce d'une question de promotion et non d'un renvoi. Or, la décision d'accorder ou de refuser une promotion appartient à l'employeur qui est libre de donner ou non au candidat l'occasion de défendre sa cause.
Arrêts suivis: Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223; McCann c. La Reine [1976] 1 C.F. 570. Distinction faite avec l'arrêt: Clarke c. Le procureur général de l'Ontario [1966] 1 O.R. 534. Arrêt approuvé: Pearlberg c. Varty [1972] 1 W.L.R. 534. Arrêt examiné: Nicholson c. Haldi- mand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311. Arrêt appliqué: Blagdon c. La Commission de la Fonction publique, comité d'appel [1976] 1 C.F. 615.
ACTION. AVOCATS:
S. Grant pour la demanderesse. P. Evraire pour le défendeur.
PROCUREURS:
Cameron, Brewin & Scott, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT LIEFF: Dans la présente action, la demanderesse sollicite de la Cour un jugement déclaratoire portant:
[TRADUCTION] a) ... qu'elle a été privée sans cause raisonna- ble, de ses droits à une nomination au ministère du Revenu
national (Impôt);
b) ... qu'elle a été, par suite du défaut d'audition, privée de justice naturelle;
c) ... qu'elle a le droit à ce qu'une audition soit tenue ou un comité d'enquête établi par la Commission de la Fonction publique afin de déterminer si la radiation de son nom de la liste d'admissibilité révisée est valide;
d) ... qu'elle a droit à une indemnité pour les dommages généraux et spéciaux, directs et indirects qui découlent des mesures prises par le ministère du Revenu national et du déni de justice naturelle;
e) Subsidiairement ... qu'elle a le droit d'en appeler auprès de la Commission de la Fonction publique, Direction générale des appels, des mesures prises par le ministère du Revenu national (Impôt);
Au paragraphe 11 de sa déclaration, la deman- deresse écrit [TRADUCTION] «qu'on ne lui a jamais donné l'occasion de prendre connaissance des motifs de sa radiation de ladite liste d'admissibilité révisée ni de les contester et qu'aucune audition n'a été tenue pour lui permettre de s'inscrire en faux contre la validité des mesures prises contre elle et qu'elle a donc été traitée d'une façon arbi- traire, discriminatoire et injuste, qui constitue un déni de justice naturelle.»
Cette audition aurait-elle être tenue? Il s'agit là, en l'espèce, de la question essentielle.
Les faits ne font l'objet d'aucun litige et sont énoncés au complet dans les deux exposés conjoints du 20 avril 1978 et du 23 février 1979, qui sont ainsi rédigés:
Exposé du 20 avril 1978:
[TRADUCTION] 1. La demanderesse est un commis à l'emploi du ministère du Revenu national (Impôt) à Toronto (Ontario).
2. La demanderesse a postulé l'emploi de commis aux cotisa- tions, groupe occupationnel CR-4, numéro de concours 77 -TAX-TOR -CC-8, en mars 1977.
3. La demanderesse figurait sur la liste d'admissibilité en vigueur le 12 avril 1977, la trentième place.
4. D'avril à août 1977, les quinze premières personnes de ladite liste ont été nommées à un emploi de commis aux cotisations.
5. En septembre 1977, une lettre (appendice A) avisait la demanderesse que son nom était radié de la liste d'admissibilité.
6. Subséquemment, les quinze autres personnes dont les noms figuraient sur la liste ont été nommées à un emploi de commis aux cotisations.
7. Le ministère du Revenu national a radié le nom de la demanderesse de ladite liste après en avoir reçu l'autorisation de la Commission de la Fonction publique. La demande d'auto- risation et la réponse y afférente forment respectivement les appendices B et C.
8. Le ministère du Revenu national et la Commission de la Fonction publique n'ont tenu aucune audition ni établi un comité d'enquête.
9. La demanderesse a fait appel auprès de la Direction géné- rale des appels de la Commission de la Fonction publique qui, dans la décision ci-jointe formant l'appendice D, s'est déclarée incompétente pour tenir une audition.
10. La demanderesse, par le canal de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, a présenté un grief conformément aux dispositions de la convention collective et de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique; à cette date, le grief, après avoir été rejeté au premier et au deuxième paliers, est en suspens au troisième palier.
Exposé complémentaire du 23 février 1979:
[TRADUCTION] I. La demanderesse a présenté son grief au quatrième et dernier palier, qui l'a rejeté et l'affaire n'a pas été renvoyée en arbitrage; et
2. La demanderesse a quitté l'emploi de Sa Majesté la Reine, le 9 juin 1979.
L'exposé de la défense est en substance le suivant:
[TRADUCTION] Le défendeur nie spécifiquement avoir violé les principes de justice naturelle, comme le déclare le paragraphe 11 de la déclaration,
et
se fondant sur les articles 6(1), 6(2) et 6(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. 71 et les modifications y afférentes, déclare que la Commission de la Fonction publique a régulièrement autorisé la radiation du nom de la demanderesse de la liste d'admissibilité à laquelle se réfère le paragraphe 10 de la déclaration.
Le défendeur ... se fonde sur les articles 90(1) et 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35 et les modifications y afférentes et
... déclare que par décision écrite du 20 octobre 1977, un comité établi par la Commission de la Fonction publique au titre de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. 71 pour faire une enquête sur la mesure prise par le ministère du Revenu national (Impôt) s'est déclaré incompétent. Le défendeur plaide et invoque la doctrine de RES JUDICATA.
Le défendeur nie que la demanderesse ait subi les dommages dont elle fait état.
En l'espèce, les questions de droit sont com plexes et j'estime opportun de les commenter sous six rubriques.
1. L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale donne-t-il à la Division de première instance com- pétence pour rendre un jugement déclaratoire dans cette affaire?
Les articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, prévoient que lorsqu'un organisme, ou une personne, chargé de prendre une décision est soumis à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, la Cour d'appel fédé- rale est compétente pour toutes les procédures de révision et que, dans tous les autres cas, cette compétence est impartie à la Division de première instance. En l'espèce, la radiation du nom de la demanderesse de la «liste d'admissibilité» est un acte purement administratif, qui n'a pas besoin d'être fait sur une base judiciaire ou quasi judiciaire.
On peut invoquer à l'appui de cette conclusion, le jugement Blagdon c. La Commission de la Fonction publique, comité d'appel [1976] 1 C.F. 615 le juge Thurlow [tel était alors son titre], à la page 617, qualifie la décision prise par un jury de sélection de ne pas nommer le requérant à un poste comme n'étant ni judiciaire ni quasi judi- ciaire ni disciplinaire. J'estime la Division de pre- mière instance compétente pour rendre un juge- ment déclaratoire en l'espèce.
2. Cela dit, est-il pertinent que la Cour rende un jugement déclaratoire alors que la demanderesse n'est plus à l'emploi du ministère du Revenu national?
Le défendeur soutient que la Cour ne doit pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder un jugement déclaratoire parce que la demande- resse ayant cessé d'être à l'emploi de Revenu Canada, les points litigieux, dans la mesure ils lui portaient préjudice, sont devenus théoriques. La prétention du défendeur est basée en partie sur l'ouvrage de Smith, Judicial Review of Adminis trative Action, 3e édition, aux pages 449 452, le savant auteur écrit la page 449] que:
[TRADUCTION] Dans une action réclamant un jugement déclaratoire ... il faut prouver que la «question en litige entre les deux parties est réelle et non pas fictive ou théorique.»
La demanderesse prétend que la Cour peut accorder un redressement déclaratoire, bien qu'elle ait, quitté le ministère du Revenu national en juin 1978. J'accepte son argument sur ce point et me propose d'examiner la jurisprudence qui s'y rapporte.
Dans Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223, la question principale était la suivante: la Cour
est-elle compétente pour rendre un jugement déclaratoire sur une question de droit, lorsque celui-ci n'aura pas d'effet juridique, mais une simple utilité pratique? En l'occurrence, le juge Pratte a statué que la Cour est compétente pour rendre un jugement déclaratoire qui, bien que dénué d'effet juridique, pourrait avoir quelque uti- lité d'un point de vue pratique. Cette conclusion se fonde sur le jugement anglais Merricks c. Nott- Bower [1964] 1 All E.R. 717, où, à la page 721, lord Denning préconise une plus large compétence en matière de redressement déclaratoire. Il s'ex- prime dans les termes succints suivants:
[TRADUCTION] Lorsqu'une véritable question est en cause, c'est-à-dire une question qui ne soit pas purement théorique et au sujet de laquelle la décision de la Cour peut donner des directives utiles, elle peut, à sa discrétion, rendre un jugement déclaratoire.
On peut citer à l'appui de la position adoptée dans Landreville, le jugement McCann c. La Reine [1976] 1 C.F. 570. Dans cette affaire, les deman- deurs, détenus dans un pénitencier, ont réclamé un jugement déclaratoire portant que l'isolement cel- lulaire constitue une peine cruelle et inusitée. A la date du procès, les demandeurs ne se trouvaient plus dans l'unité d'isolement. L'une des questions soulevées était de savoir si un jugement déclara- toire devrait être rendu, compte tenu du fait que les demandeurs ne se trouvaient plus en isolement cellulaire. La Cour s'est prononcée en faveur du jugement déclaratoire. Le juge Heald a déclaré la Cour compétente pour rendre un jugement décla- ratoire lorsqu'il sert une fin pratique. Dans McCann, la Cour, par le jugement qu'elle a rendu, a pu donner des directives utiles aux autorités pénitentiaires.
A la page 18 de The Law of Declaratory Judg ments, Carswell: Toronto, 1978, Lazar Sarna déclare ce qui suit:
[TRADUCTION] Les tribunaux ont occasionnellement assumé la compétence de rendre des jugements déclaratoires dénués d'effet juridique, mais d'un effet pratique probable. Des juge- ments ont été rendus pour confirmer que le renvoi ou la rétrogradation d'un travailleur a été effectué à tort même s'il n'existait aucune possibilité de réintégration, ou qu'une décision administrative a été prise sans tenir compte des principes de justice naturelle, même si son annulation ne pouvait pas rétablir le statu quo antérieur. Même lorsque le requérant n'a pas un véritable intérêt économique ou patrimonial à obtenir le juge- ment, la sympathie judiciaire est la bienvenue, spécialement lorsqu'un redressement peut effectivement blanchir la réputa- tion du requérant ou bien fournir des directives correctrices aux fonctionnaires administratifs.
Dans le cas qui nous occupe, un jugement décla- ratoire (si la Cour juge opportun d'en rendre un) servirait à orienter la Commission de la Fonction publique dans la procédure à suivre lorsqu'elle radie des postulants d'une «liste d'admissibilité». En l'espèce, la pertinence d'un tel jugement dépend de l'examen des autres points litigieux. Qu'il suffise de dire que la Cour est compétente pour rendre un jugement déclaratoire en l'espèce si la cause de la demanderesse le justifie.
3. Les procédures au titre de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique prévoient-elles un redressement exclusif et complet pour la demanderesse?
Le défendeur affirme que tous les droits des fonctionnaires du gouvernement fédéral doivent découler soit de la Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique, S.R.C. 1970, c. P-32 ou de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que, S.R.C. 1970, c. P-35. Le défendeur cite comme autorité à l'appui de sa thèse le jugement rendu dans L'Institut professionnel du Service public du Canada c. Le Conseil du Trésor [1977] 1 C.F. 304. En l'occurrence, la Cour a jugé qu'elle ne pouvait pas intervenir et a refusé d'émettre un bref de mandamus pour donner suite à la décision d'un conseil d'arbitrage. Le juge Addy a déclaré que tous les droits des employés doivent découler d'une loi, en l'occurrence de la Loi sur les rela tions de travail dans la Fonction publique. Lors- qu'une loi accorde des droits spéciaux et prévoit un processus détaillé pour leur application, la Cour fédérale ne peut intervenir à aucun stade des pro- cédures. Il ajoute à la page 313 que «Ce serait aller directement à l'encontre de l'intention formelle du Parlement que d'examiner ces questions en appli cation de la Loi d'où découlent ces droits.»
Je déduis de cette déclaration que, sauf erreur juridictionnelle, la Cour fédérale n'interviendra pas pour modifier un code de procédure établi en vertu d'une loi du Parlement en vue de régler les questions qui y sont spécifiées. Le point de vue de la Cour sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale m'est aussi utile pour conclure en l'espèce. A la page 313, le juge Addy déclare:
L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne confère en aucune façon à cette cour un pouvoir dérogatoire qui lui permet d'intervenir à tout moment sans égard aux circonstances. C'est
tout simplement un texte de loi qui permet à cette cour créée par la loi, qui n'a d'autre juridiction ou d'autres pouvoirs que ceux que lui accorde la loi, d'exercer sa compétence dans le domaine du mandamus et dans d'autres domaines connexes pourvu qu'il soit par ailleurs opportun et permis de le faire.
Ce jugement ne délimite pas avec précision les secteurs la Cour peut intervenir et ceux elle doit s'en remettre aux dispositions prises par le Parlement. Néanmoins, il vient appuyer l'argu- ment du défendeur selon lequel les notions de common law, de justice naturelle et d'équité ne s'appliquent guère ou même pas du tout à l'affaire en l'espèce. Pour régler cette question de façon définitive, il faut attendre que l'on ait statué sur les points d'équité, ce qui sera fait plus loin.
4. Nonobstant le principe de l'exclusivité, si la demanderesse exerce son droit de grief, cela l'em- pêche-t-elle de chercher un autre recours?
Le défendeur prétend que la procédure de grief prévue par la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique est le seul recours dont la demanderesse dispose et il cite à l'appui Clarke c. Le procureur général de l'Ontario [ 1966] 1 O.R. 534. Dans cette affaire, le tribunal a déclaré que lorsqu'un fonctionnaire du gouvernement provin cial a la faculté de présenter un grief après son renvoi, la procédure de grief remédie à la faute dont le Sous-ministre est responsable pour ne pas avoir tenu l'audition requise par la loi.
Je n'accepte pas cette prétention. Dans Clarke, la Cour d'appel de l'Ontario a statué sur le renvoi d'un fonctionnaire au titre de la loi provinciale; en l'espèce, nous avons affaire à la législation fédé- rale. En outre, le jugement Clarke est basé sur le principe que les dispositions de la The Public Service Act, 1961-62, S.O. 1961-62, c. 121, et les Règlements y afférents ne dérogent en aucune façon à la prérogative de la Couronne de renvoyer ses employés à son gré, comme l'admet la The Interpretation Act, S.R.O. 1960, c. 191. En l'es- pèce, la Cour n'a pas été saisie de cet argument.
Dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, je ne trouve aucun article déclarant qu'un employé, qui décide de présenter un grief, n'a plus la capacité de déposer devant les
tribunaux une demande de redressement. Pour retirer ce droit à un citoyen, il faut des termes formels et non équivoques.
Je juge aussi utile d'examiner l'argument de l'avocat de la demanderesse selon lequel le grief de sa cliente peut avoir été refusé parce que sa radia tion de la «liste d'admissibilité» ne pouvait faire l'objet d'un grief aux termes de l'article 90 de la Loi précitée. Pour tomber sous le coup de cet article, il aurait fallu que le grief porte sur une «condition d'emploi». Or, prétend l'avocat de la demanderesse, [TRADUCTION] «comme il n'a pas été décidé que la radiation de la demanderesse de la liste d'admissibilité constitue une condition d'emploi, il se peut que la procédure de grief ne lui soit pas ouverte». Si cet argument présente quelque mérite, il ne fait que renforcer ma conclusion précédente, à savoir que la demanderesse ne doit pas se voir refuser le droit de se pourvoir devant cette cour simplement parce qu'elle a décidé d'exercer le droit de grief qui lui est imparti.
5. Les articles 6(3) et 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique donnent-ils à la deman- deresse droit à une audition?
L'article 6(2) de ladite loi permet à la Commis sion de la Fonction publique (sous réserve du paragraphe (3)) de révoquer une nomination ou d'ordonner qu'une nomination ne soit pas faite lorsqu'elle estime, entre autres, qu'une personne déjà nommée ou sur le point de l'être, ne possède pas les qualités nécessaires pour accomplir les devoirs liés au poste qu'elle occupe ou qu'elle occuperait.
Le paragraphe (3) de l'article 6 dispose que la Commission ne peut révoquer, conformément au paragraphe (2) de l'article 6, la nomination faite parmi les employés de la Fonction publique que sur la recommandation d'un comité établi par elle pour procéder à une enquête au cours de laquelle il est donné à l'employé l'occasion de se faire enten- dre. Ledit paragraphe ne mentionne pas les nomi nations qui sont sur le point d'être faites (c'est moi qui souligne).
Il ressort du libellé de l'article 6(3) qu'un employé de la Fonction publique, qui a déjà été nommé parmi les employés de cette dernière, a droit à une audition avant d'être renvoyé. Toute- fois, la demanderesse soutient qu'une personne sur
le point d'être nommée parmi les employés de la Fonction publique, doit aussi bénéficier de la pro tection de l'article 6(3). A ses yeux, le législateur ne peut pas avoir eu l'intention de garantir la tenue d'une audition pour les employés déjà nommés et l'intention contraire pour les employés sur le point d'être nommés, puisqu'il n'y a qu'une seule diffé- rence entre ces deux catégories de personnes, à savoir que les unes ont déjà commencé à remplir leurs fonctions, tandis que les autres attendent simplement leur nomination.
Quant à lui, le défendeur soutient, d'une part, qu'il ressort des paragraphes 6(2) et 6(3) que l'intention du législateur est de ne requérir une audition que lorsque les nominations ont déjà été faites parmi les employés de la Fonction publique; et, d'autre part, que lorsque le législateur prévoit une audition dans un cas et non pas dans l'autre, il convient d'appliquer la règle d'interprétation expressio unius pour refuser, en l'espèce, une audi tion à la demanderesse.
Le défendeur invoque le jugement Pearlberg c. Varty [1972] 1 W.L.R. 534 à l'appui de sa préten- tion. Cette affaire traite des auditions que les lois fiscales prévoient au titre de certains articles, mais qui n'en requéraient aucune au titre de l'article alors en cause. En effet, la Chambre des Lords a statué que lorsque le Parlement s'est préoccupé de la question de la procédure et a établi un code à cet égard, il n'y a aucune raison de prévoir d'autres mécanismes de protection en matière de procédure qui seraient offerts par les tribunaux. A la page 545, le vicomte Dilhorne fait les commentaires suivants:
[TRADUCTION] J'insiste seulement sur le point suivant: on ne doit pas commencer par présumer que les dispositions législati- ves mises au monde par le Parlement par la voie du long processus législatif sont injustes .... Le Parlement a jugé équitable que la personne lésée ait le droit d'être entendue lorsqu'elle en demande l'autorisation au titre de l'article 51 de la Finance Act 1960, et de présenter des doléances au tribunal au titre de l'article 28 de cette même loi. Le fait que l'article 6 de l'Income Tax Management Act, 1964 ne mentionne pas ce droit ne peut être, à mon avis, qu'intentionnel et si cette omission est intentionnelle, il faut présumer que le Parlement n'a pas jugé que l'équité exige de donner ce droit à la personne lésée. Si telle est l'intention du Parlement, il faut alors de sérieux arguments pour justifier l'adjonction à la loi de condi tions qui visent à satisfaire notre propre conception de l'équité.
J'accepte l'interprétation des articles 6(2) et 6(3) que le défendeur propose. Toutefois, avant de
régler cette phase de l'affaire, il me faut examiner le point de vue du juge en chef Laskin dans Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311, il refuse de donner une interprétation large à la règle expressio unius sur laquelle s'était fondé le juge Arnup de la Cour d'appel de l'Ontario. Ce dernier avait appliqué la règle en constatant que lorsque le législateur prévoit expressément, dans certains cas, un avis et une audition, il les exclut nécessairement dans d'autres. Pour sa part, le juge en chef a estimé que la Cour d'appel avait poussé la maxime trop loin et a fait sienne la déclaration du lord juge Lopes dans Colquhoun c. Brooks (1888) 21 Q.B.D. 52, la page 65, selon laquelle [TRADUCTION] «il convient de ne pas appliquer cette maxime lorsque son application, compte tenu du sujet auquel on doit l'appliquer, aboutirait à un illogisme ou à une injustice.»
Le règlement final du conflit entre Pearlberg et Nicholson variera suivant que l'on considère iné- quitable ou non de radier le nom de la demande- resse de la «liste d'admissibilité» sans lui donner l'occasion de se faire entendre. Je traiterai de ce point lorsque je conclurai.
L'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique prévoit que:
21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à cette fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non reçu, ou
b) sans concours, chaque personne dont les chances d'avan- cement, de l'avis de la Commission, sont ainsi amoindries,
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la nomination à un comité établi par la Commission pour faire une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révoquer, ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
En gros, l'article 21 envisage un processus par lequel un candidat non reçu peut attaquer la nomi nation d'un candidat reçu. L'«enquête», dont il parle, vise à déterminer si la sélection a été faite selon le mérite et de la manière prévue par la loi.
En l'espèce, la demanderesse a présenté un appel au titre de l'article 21, après avoir été avisée que son nom avait été radié de la «liste d'admissibilité». Le Comité d'appel s'est déclaré incompétent au motif que (1) la demanderesse aurait faire appel dès qu'elle a vu son mauvais rang sur la «liste d'admissibilité»; et (2) qu'elle n'avait plus aucun droit d'appel au titre de l'article 21 après la radia tion de son nom, puisque l'article 6(2) ne fait mention d'aucun droit d'appel.
Devant cette cour, l'avocat de la demanderesse prétend que, dès ladite radiation, sa cliente est devenue une candidate non reçue qui avait droit en tant que telle à un appel au titre de l'article 21. Pour sa part, le défendeur soutient, entre autres, que si la demanderesse était une candidate non reçue, elle ne pouvait faire appel qu'au motif que le candidat reçu n'avait pas été choisi selon le principe du mérite, comme la loi l'ordonne. Or, elle a fait appel au motif que sa radiation de la «liste d'admissibilité» n'était pas justifiée.
J'accepte l'argument du défendeur sur ce point. Dans Nanda c. Le comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique [1972] C.F. 277, aux pages 295 et 296, le juge en chef Jackett a proposé l'interprétation suivante de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique:
A mon avis, l'«enquête» envisagée à l'article 21 est, ordinaire- ment, une enquête sur la question de savoir si la «sélection» sur laquelle se fonde la nomination dont il est fait appel était une sélection «établie au mérite, ainsi que le détermine la Commis sion» et si elle a été faite par la Commission selon la procédure prévue à l'article 10. En outre, j'estime que l'«occasion de se faire entendre», à laquelle l'appelant et le sous-chef ont droit, est la possibilité de présenter au comité d'appel pendant l'en- quête tous faits qui portent sur ces questions ....
Il appert que Mme McCarthy a essayé de se servir de l'article 21 pour se plaindre du traitement qui lui a été appliqué au titre de l'article 6(2); elle n'a pas essayé de contester la sélection des autres candidats. Or, l'article 6 contient sa propre voie de redressement et lorsqu'elle s'avère infructueuse, l'article 21 ne peut pas être invoqué en remplacement.
6. Nonobstant les droits accordés par la loi, la demanderesse avait-elle un droit issu de la common law lui garantissant l'équité en matière de procédure, qui aurait été violé par la manière dont elle a été radiée de la «liste d'admissibilité»?
La demanderesse prétend que la Commission de la Fonction publique a l'obligation d'agir équita- blement. Une audition, ou au moins l'occasion de se faire entendre, doit donc être accordée à une personne dont le nom a été radié d'une «liste d'admissibilité», que cette décision soit qualifiée ou non de quasi judiciaire ou d'administrative. De son côté, le défendeur fait valoir que la notion d'équité n'accorde, en l'espèce, aucun recours à la deman- deresse. Bien que les deux parties adverses citent une jurisprudence abondante à l'appui de leurs prétentions, je me bornerai à commenter deux affaires.
L'affaire Blagdon c. La Commission de la Fonction publique, comité d'appel (supra), qu'au- cun des avocats ne cite, contribue beaucoup à promouvoir la cause du défendeur. Dans cette affaire, un jury de sélection établi par la Commis sion de la Fonction publique avait conclu que le dossier de sécurité du requérant n'était pas assez satisfaisant et s'était prononcé contre sa nomina tion à un poste de capitaine de navire. Le requé- rant en a appelé de cette décision auprès de la Cour d'appel fédérale, invoquant que le jury de sélection avait agi illégalement en examinant son dossier de sécurité sans lui permettre de présenter ses observations.
Le juge Thurlow [tel était alors son titre] a statué qu'il n'avait pas droit à une audition devant le jury. Le savant juge a qualifié le processus de sélection comme n'étant ni judiciaire, ni quasi judiciaire, ni disciplinaire, mais visant à apprécier les qualités des candidats à un poste et à les coter selon le système du mérite.
Le juge Pratte se livre à l'analyse suivante aux pages 622 et 623:
Un jury d'appréciation est l'intermédiaire par lequel la Com mission de la Fonction publique s'acquitte de sa fonction de sélection des candidats selon le système du mérite. Son rôle se limite à l'évaluation des différents candidats et donc à une tâche purement administrative. Bien sûr, l'appréciation du mérite doit se faire avec justice et honnêteté; cependant, elle n'est pas assujettie aux règles imposées aux organismes judi- ciaires ou quasi judiciaires, comme par exemple la règle audi
alteram partem. En résumé, en vertu de la seule règle générale qui régisse l'activité d'un jury de sélection, la sélection doit être fondée sur le mérite.
En appliquant l'arrêt Blagdon à l'affaire qui nous occupe, je suis de l'avis du défendeur lorsqu'il déclare que les arguments d'équité en matière de procédure n'interviennent guère en l'espèce. On peut prétendre que la Cour a porté son attention non pas sur la question d'équité en matière de procédure, mais plutôt sur la vieille distinction entre les tâches quasi judiciaires et les tâches administratives. Toutefois, la lecture de cet arrêt m'amène à conclure que la seule obligation impo sée par l'équité à un jury de sélection ou d'appré- ciation est d'évaluer honnêtement les mérites de chaque candidat à occuper un certain poste. Si l'on exige seulement de lui une première évaluation, j'estime difficile d'imposer une obligation plus stricte à la Commission de la Fonction publique lorsqu'elle permet de radier, motif à l'appui, un candidat d'une liste. Il faut admettre indubitable- ment qu'une telle mesure fait autant partie du processus de sélection basé sur le mérite que ne le faisait la mesure initiale de classement des candidats.
Vu que la demanderesse a un dossier de pré- sence médiocre et vu ses réactions lorsqu'il lui a été présenté, peut-on dire honnêtement, qu'elle n'a pas été jugée avec équité sur ses mérites et partant, injustement déclarée inapte à remplir le poste? En outre, le point litigieux porte en l'espèce sur une promotion et non pas sur un renvoi. Or, la décision d'accorder ou de refuser une promotion appartient à l'employeur qui est libre de donner ou non au candidat l'occasion de défendre sa cause.
L'observation que fait lord Pearson dans Pearl - berg c. Party (supra), à la page 547, est fort instructive à cet égard.
[TRADUCTION] Cependant, l'équité n'exige pas nécessairement toute une succession d'auditions, de plaidoiries et de réfuta- tions. Si l'on poussait trop loin les garanties de procédure, rien ne pourrait se faire simplement, rapidement et économique- ment. Il ne faut pas sacrifier trop hâtivement l'efficacité et l'économie administrative ou exécutive.
Je rejette donc l'action. Vu les circonstances particulières de l'espèce et puisque les deux parties ont gain de cause dans une certaine mesure, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.
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