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A-234-79
Syndicat des postiers du Canada (Requérant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 12 décembre; Ottawa, le 18 décembre 1979.
Examen judiciaire Relations du travail La sentence arbitrale prononcée par l'arbitre nommé par le ministre du Travail en vertu de la Loi sur le maintien des services postaux, faisait partie intégrante de la convention collective L'arbitre avait conclu que, vu l'art. 8 de la Loi sur le maintien des services postaux, il était tenu d'appliquer les indicateurs de la Loi anti-inflation Requête tendant à l'examen et à l'annu- lation de la partie de la sentence arbitrale relative à la rémunération Il échet d'examiner si l'arbitre avait le droit d'accorder des augmentations de rémunérations supérieures à celles qu'autorisaient les indicateurs Loi sur la Cour fédé- rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
R. Cleary pour le requérant. R. Cousineau pour l'intimée.
PROCUREURS:
Trudel, Nadeau, Létourneau, Lesage & Cleary, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Cette demande faite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, est dirigée à l'encon- tre d'une partie de la sentence arbitrale prononcée le 31 mars 1979 par un arbitre nommé par le ministre du Travail en vertu de la Loi sur le maintien des services postaux, S.C. 1978-79, c. 1.
La Loi sur le maintien des services postaux est entrée en vigueur le 19 octobre 1978. Elle mit fin à une grève des employés du service postal qui ne pouvaient s'entendre avec leur employeur sur les termes de la convention collective qui devait rem- placer celle qui avait pris fin le 30 juin 1977. En plus d'ordonner le retour au travail des employés en grève, cette Loi maintenait en vigueur jusqu'au
31 décembre 1979 la convention collective qui était expirée le 30 juin 1977 avec les..-changements, cependant, que les parties ,cônviendraient d'y apporter ou, à défaut d'entente entre elles sur ce point, que décréterait un arbitre devant être nommé par le ministre du Travail. C'est la sen tence arbitrale prononcée par cet arbitre qui fait l'objet de ce pourvoi.
Il faut d'abord préciser que le requérant n'atta- que pas toute la sentence arbitrale mais seulement la décision prise par l'arbitre relativement à la rémunération des employés pour la période allant du lei juillet 1977 au 31 décembre 1978, période pendant laquelle la Loi anti-inflation' était en vigueur.
Devant l'arbitre, le Syndicat requérant avait plaidé que des circonstances spéciales le justi- fiaient de réclamer, pour cette période, une aug mentation de rémunération supérieure à celle qu'autorisaient les «indicateurs» prescrits par le gouverneur en conseil en vertu de la Loi anti- inflation. L'arbitre rejeta cette argumentation affirmant que, étant donné l'article 8 de la Loi sur le maintien des services postaux, 2 il avait l'obliga- tion d'appliquer les «indicateurs» et n'avait pas le pouvoir d'y déroger. En décidant ainsi, l'arbitre aurait, suivant le requérant, commis une erreur de droit car, prétend-il, l'arbitre avait le droit et le pouvoir d'accorder des augmentations de rémuné- ration plus élevées que celles qu'autorisaient les indicateurs.
Les passages de la sentence arbitrale auxquels s'attaque le requérant sont les suivants:
ARTICLE 35
Cet article traite des salaires. Une partie de ces salaires se rapporte à la période courant du ler juillet 1977 au 31 décem- bre 1978 inclusivement pendant laquelle la Loi anti-inflation (23-24 Eliz. II, c. 75) était en vigueur. Le Syndicat soutient que
' S.C. 1974-75-76, c. 75. L'article 46(2) de cette Loi édictait: 46....
(2) La présente loi cesse d'avoir effet ... au plus tard, le 31 décembre 1978 ....
2 Le texte de cet article est le suivant:
8. La Loi anti-inflation et les indicateurs qu'elle fixe aux termes de son paragraphe 3(2) s'appliquent à la convention collective visée par la présente loi, telle que prolongée et modifiée conformément à la présente loi, comme si cette convention ainsi prolongée et modifiée était une convention collective conclue entre l'association d'employés et l'em- ployeur pour la partie de la période précisée à l'article 5 et qui se termine le 31 décembre 1978.
je ne suis pas lié par les indicateurs décrétés en vertu de cette loi, que je peux les dépasser et que seuls les officiers et organismes mentionnés à cette loi ont compétence pour l'inter- préter et l'appliquer. Il s'appuie sur certaines décisions rendues par la Cour Supérieure et la Cour d'Appel du Québec. Dans ces causes, il s'agissait d'arbitres agissant en vertu du Code du travail et le motif principal des décisions résidait dans l'absence de mandat de ces arbitres quant à l'application de la Loi concernant les mesures anti-inflationnistes (L.Q. 1975, c. 16).
A mon avis, ces décisions ne s'appliquent pas au médiateur- arbitre soussigné qui tient ses pouvoirs de la Loi sur le maintien des services postaux et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (S.R.C., 1970, c. P-35). L'article 8 de la première de ces deux lois stipule que «la Loi anti-inflation et les indicateurs qu'elle fixe aux termes de son paragraphe 3(2) s'appliquent à la convention collective visée par la présente loi, telle que prolongée et modifiée conformément à la présente loi ...» Le seul sens que je peux donner à cette disposition, c'est que, non seulement j'ai le mandat, mais j'ai l'obligation d'appli- quer les indicateurs aux modifications que j'apporte à la con vention. D'autre part, je n'ai pas le pouvoir de les dépasser, puisque la Loi anti-inflation ne confie ce pouvoir qu'aux offi- ciers et organismes qu'elle désigne.
A la clause 35.03, l'employeur me propose un supplément de rémunération devant être payé pour la période courant du ler juillet 1977 au 31 décembre 1978. II m'assure que ce supplé- ment est le maximum qui peut être accordé compte tenu des indicateurs et le Syndicat ne nie pas cette assertion. J'accorde donc cette propositon de l'employeur. ...
Quant à la clause 35.14 prévoyant l'indemnité de vie chère, le Syndicat demande principalement que la clause soit amendée rétroactivement de façon que les paiements faits en vertu de cette clause soient considérés comme des avances sur le supplé- ment de rémunération avec effet rétroactif. Je suis d'avis que cela ne peut se faire. Il s'agit d'obligations exécutées par l'employeur, de paiements définitivement faits et en changer l'imputation serait fausser le jeu des indicateurs fixés en vertu de la Loi anti-inflation. Ce serait faire indirectement ce que je n'ai pas le pouvoir de faire directement. La demande du Syndicat est donc rejetée.
Est-il vrai, comme l'a jugé l'arbitre, que l'article 8 de la Loi sur le maintien des services postaux lui imposait le devoir d'appliquer les indicateurs pres- crits de sorte qu'il n'avait pas pouvoir d'y déroger? C'est la question à laquelle il faut répondre.
Suivant cet article 8:
8. La Loi anti-inflation et les indicateurs qu'elle fixe aux termes de son paragraphe 3(2) s'appliquent à la convention collective visée par la présente loi, telle que prolongée et modifiée conformément à la présente loi, comme si cette con vention ainsi prolongée et modifiée était une convention collec tive conclue entre l'association d'employés et l'employeur pour la partie de la période précisée l'article 5 et qui se termine le 31 décembre 1978.
Ce texte suggère d'abord deux observations. La première, c'est qu'il n'impose expressément aucune obligation à l'arbitre; il ne prescrit, non plus, aucune limitation expresse de ses pouvoirs; tout ce qu'il édicte c'est que la Loi anti-inflation et les indicateurs s'appliquent à la convention collective telle que modifiée par l'arbitre comme s'il s'agis- sait d'une convention collective ordinaire. La seconde observation, c'est que la façon dont le texte est rédigé laisse entendre que la Loi anti- inflation et les indicateurs ne s'appliquent à la convention collective qu'après que celle-ci a été modifiée par l'arbitre, c'est-à-dire après que celui-ci a exercé ses pouvoirs. Ceci dit, il reste qu'il faut, pour préciser l'effet de l'article 8, avoir une idée au moins générale de la Loi anti-inflation.
Cette Loi accorde au gouverneur en conseil le pouvoir de prescrire des indicateurs pour la limita tion des prix et des salaires. Le soin de veiller à l'application de ces indicateurs est confié, d'une part, à la Commission de lutte contre l'inflation et au gouverneur en conseil et, d'autre part, au Direc- teur chargé de l'application de la Loi. Lorsqu'on est sur le point de contrevenir aux indicateurs ou lorsqu'on y a contrevenu, la Commission ou le gouverneur en conseil peut en informer le Direc- teur. Celui-ci est alors obligé de faire une enquête. S'il est satisfait, au terme de cette enquête, qu'il y aura ou qu'il y a eu contravention aux indicateurs, il peut ordonner à la personne concernée de n'y pas contrevenir et, dans le cas de contraventions pas sées, il peut prononcer les ordonnances remédiatri- ces qu'autorise la Loi. Les ordonnances du Direc- teur peuvent être rescindées ou modifiées par le gouverneur en conseil; elles sont aussi susceptibles d'appel devant le Tribunal d'appel en matière d'inflation.
Ce qu'il faut noter ici, c'est que les indicateurs prescrits par le gouverneur en conseil n'ont, en eux-mêmes, aucune force obligatoire. Une conven tion n'est pas illégale pour le seul motif qu'elle contrevient aux indicateurs; elle ne le devient que si le Directeur prononce une ordonnance à cet effet. Et pareille ordonnance ne peut être pronon- cée que si la Commission ou le gouverneur en conseil a jugé à propos d'en saisir le Directeur— rien ne les oblige à le faire—et si le Directeur, au terme de son enquête, juge lui-même à propos de
prononcer une ordonnance relativement à la viola tion qu'il a constatée ou qu'il appréhende.
On peut maintenant préciser l'effet de l'article 8 de la Loi sur le maintien des services postaux. Édicter, comme le fait cet article, que la Loi anti-inflation s'applique à la convention collective telle que modifiée par l'arbitre, c'est tout simple- ment dire que si la convention ainsi modifiée con- trevient aux indicateurs, la Commission ou le gou- verneur en conseil pourra en informer le Directeur qui pourra, après enquête, rendre une ordonnance à ce sujet. Il n'y a rien là, à mon avis, qui limite les pouvoirs de l'arbitre de modifier la convention.
Je suis donc d'opinion que l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que l'article 8 de la Loi sur le maintien des services postaux lui niait tout pouvoir d'accorder des augmentations de rémunération plus élevées que celles qu'autori- saient les indicateurs. A cause de cela, je casserais la décision. Ce n'est pas à dire, cependant, que l'arbitre doive ignorer les indicateurs. Il doit les prendre en considération. Cependant, s'il existe des circonstances qui, à son avis, le justifient de le faire, il peut accorder des augmentations de rému- nération plus élevées que celles que permettent les indicateurs.
Pour ces motifs, je casserais la décision du médiateur-arbitre relative à la rémunération paya ble pour la période allant du 1" juillet 1977 au 31 décembre 1978 et je lui renverrais l'affaire pour qu'il la décide en prenant pour acquis qu'il a le pouvoir, s'il le juge opportun, d'accorder des aug mentations de rémunération plus élevées que celles permises par les indicateurs.
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LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Pour les motifs énoncés par Monsieur le juge Pratte, je suis d'avis de résoudre le présent appel conformément aux conclusions de ce dernier.
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