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A-245-78
Quebec and Ontario Transportation Company Limited (Appelante) (Demanderesse)
c.
Le navire Incan St. Laurent et Incan Navigation Limitée (Intimés) (Défendeurs)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, les 8 et 11 mai 1979.
Compétence Droit maritime Contrats Contrat d'entreprise commune faisant partie de contrats portant sur l'exploitation d'un bac porte-trains pour le transport de papier-journal, dont le contrat portant construction du navire en cause L'appelante soutient qu'elle est propriétaire de la moitié du navire intimé et que la compagnie intimée ne lui a pas transféré la moitié des droits y afférents Rejet pour défaut de compétence de la requête concluant à l'inscription des droits de l'appelante, à la moitié des bénéfices, à la moitié du produit de la vente et à la reddition des comptes Il échet d'examiner si la Cour est compétente par application de l'art. 22(2)a),b) de la Loi sur la Cour fédérale Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 » Supp.), c. 10, art. 22(2)a),b).
Appel contre un jugement de la Division de première ins tance qui a rejeté l'action de l'appelante (demanderesse) pour défaut de compétence. Cette action est fondée sur un «contrat d'entreprise commune», l'un des trois contrats portant sur l'exploitation d'un bac porte-trains pour le transport de papier- journal de Baie -Comeau à destination des États-Unis. L'appe- lante soutient qu'aux termes du contrat d'entreprise commune, elle est propriétaire de la moitié du navire intimé et que la compagnie intimée ne lui a pas transféré la moitié des droits afférents au navire conformément à ce contrat. L'appelante (demanderesse) conclut à une ordonnance portant qu'elle a droit d'être inscrite comme propriétaire de la moitié du navire, qu'elle a droit à la moitié des bénéfices rapportés par celui-ci et à la moitié du produit de sa vente. L'appelante soutient que son recours est fondé sur le droit maritime canadien et que la Cour fédérale a compétence pour l'entendre par application de l'arti- cle 22(2)a),b) de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: l'appel est rejeté. La demande n'est pas fondée sur le droit maritime canadien attendu le lien inévitable qu'elle pré- sente avec les droits et obligations issus des «Articles d'accord». Les droits et obligations issus du contrat d'entreprise commune sont inséparables de ceux qui découlent des Articles d'accord portant construction de gares maritimes à Baie -Comeau et à Québec. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company, la Cour suprême a conclu qu'une action fondée sur la non-exécu- tion de l'obligation de construire la gare maritime à Baie - Comeau et concluant à l'annulation des trois contrats relatifs au système de bac porte-trains était régie par le Code civil du Québec et échappait à la compétence de la Cour fédérale. La même conclusion s'applique à une action fondée sur certains droits créés par le contrat d'entreprise commune mais inévita- blement liés à cette même obligation. Ces contrats doivent être considérés comme un tout et, à ce titre, ils ne relèvent pas du droit maritime canadien.
Arrêts suivis: Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054; McNamara Con struction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co. [1979] 2 R.C.S. 157; Le «Capricorn» c. Antares Shipping Corp. [1978] 2 C.F. 834.
APPEL. AVOCATS:
Graham Nesbitt pour l'appelante (demande-
resse).
M. S. Bistrisky pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
Courtois, Clarkson, Parsons & Tétrault, Montréal, pour l'appelante (demanderesse). Service du contentieux du Canadien Pacifi- que, Montréal, pour les intimés (défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés â l'audience par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit en l'espèce d'un appel formé à l'encontre d'un jugement de la Division de première instance [[1979] 1 C.F. 417] qui a rejeté l'action en cause pour défaut de com- pétence. Cette action est fondée sur les dispositions d'un «contrat d'entreprise commune», soit l'un des trois contrats relatifs à l'exploitation d'un bac porte-trains pour le transport de papier-journal de Baie -Comeau (Québec) à destination de divers points aux États-Unis, le tout de concert avec Canadien Pacifique. Ce projet d'exploitation a été étudié par les tribunaux dans les décisions Quebec North Shore Paper Company'. La présente cour convient que tous les faits nécessaires pour régler la question de la compétence ont été établis dans les trois contrats et dans la déclaration.
Il est allégué qu'en vertu des dispositions du contrat d'entreprise commune, l'appelante est pro- priétaire de la moitié du navire intimé Incan St. Laurent, et que l'intimée, Incan Navigation Limi- tée, l'autre partie audit contrat, au lieu, de remet- tre à l'appelante la moitié des droits afférents au navire, comme cela était prévu au contrat, a enre- gistré, le 15 avril 1975, son propre nom, toutes les 64 actions du navire intimé. L'appelante solli-
Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifi- que Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054; [1976] 1 C.F. 646 (C.A.F.); [1976] 1 C.F. 405 (C.F.D.P.I.).
cite «à titre de propriétaire de la moitié du navire défendeur» une ordonnance qui déclarerait: a) que le 15 avril 1975, elle avait droit d'être inscrite comme propriétaire de la moitié du navire intimé, b) qu'elle a droit à la moitié des bénéfices gagnés par le navire pendant que l'intimée était inscrite comme propriétaire, et c) qu'elle a droit à la moitié du prix de vente que cette dernière en a obtenu. Elle demande également de joindre à cette déclaration une ordonnance de rendre compte des- dits bénéfices et du prix de vente.
L'appelante fait valoir que ses demandes sont fondées sur le droit maritime canadien, et que la Cour fédérale a compétence pour les entendre en vertu de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, et, plus précisément, en vertu des alinéas 22(2)a) et 22(2)b) qui se lisent comme suit:
22. (2) ...
a) toute demande portant sur le titre, la possession ou la propriété d'un navire ou d'un droit de propriété partiel y afférent ou relative au produit de la vente d'un navire ou d'un droit de propriété partiel y afférent;
b) tout litige entre les copropriétaires d'un navire quant à la possession ou à l'affectation d'un navire ou aux recettes en provenant;
La Division de première instance a conclu qu'en vertu de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, elle n'était pas compétente pour connaître de la demande au motif que cette demande relative à la propriété ne pouvait, quant au fond, être distin- guée de celle qui a fait l'objet de la décision Capricorn e , demande que cette cour a jugé comme n'étant pas une demande portant sur la propriété au sens de l'article 22(2)a) de la Loi. La Division de première instance a jugé que la réclamation était fondée sur le refus d'exécuter l'obligation de transférer la propriété; elle s'est reportée, en parti- culier, à la clause 2.2 du contrat d'entreprise com mune, qui traite d'un accord intervenu le 6 novem- bre 1973 entre l'intimée et Burrard Dry Dock Company Limited en vue de la construction du bac porte-trains. Cette clause prévoit que:
[TRADUCTION] 2.2 Incan reconnaît, même si l'accord du 6 novembre 1973 conclu avec Burrard a été fait sous son nom, que ses droits et ses obligations découlant de cet accord et ses droits sur le bac porte-trains, elle les détient tant pour elle- même que pour Q&O; le bac porte-trains que Q&O et Incan sont propriétaires, à parts égales, et qu'elle s'engage à céder le
2 Le «Capricorn (alias l'«Alliance„) c. Antares Shipping Corporation [1978] 2 C.F. 834.
plus tôt possible à Q&O la moitié de ses droits et obligations. Jusqu'à la réalisation de cette cession, Inean continuera de faire les versements à Burrard, tel que l'accord du 6 novembre 1973 le prévoit, et elle facturera Q&O pour sa quote-part des sommes versées.
Afin que la Cour ait compétence pour connaître de l'espèce, il est nécessaire que les demandes de redressement de l'appelante soient fondées sur l'existence d'une législation fédérale applicable désignée à l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale comme le «droit maritime canadien» dans la mesure cette législation relève de la compé- tence législative fédérale en matière de navigation et de marine marchande. Cette exigence touchant la compétence découle des décisions de la Cour suprême du Canada, soit Quebec North Shore Paper Company, McNamara Construction 3 et Tropwood 4 . La Cour suprême, dans ce dernier arrêt, a déclaré que le droit d'amirauté a été introduit dans le droit canadien au sens de l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, [S.R.C. 1970, Appendice II], et le juge en chef du Canada, en rendant le jugement unanime de la Cour, a conclu qu'il fallait se poser deux questions relativement à une demande de redresse- ment qui prétend être fondée sur le droit maritime canadien: la première est de savoir si le type de réclamation relève du domaine du droit d'amirauté tel qu'introduit dans le droit canadien; la deuxième est de savoir si une telle réclamation relève de la compétence législative fédérale en matière de navi gation et de marine marchande.
Les demandes en cause sont fondées sur le con- trat d'entreprise commune, prévu en détails dans les «Articles d'accord» et considéré comme un aspect du projet global. En fait, le contrat d'entre- prise commune complète et met en vigueur les Articles d'accord. Cela ressort clairement non seu- lement des Articles d'accord lui-même mais aussi des diverses références auxdits articles dans le contrat d'entreprise commune et, en particulier, à la clause 6.1 de ce contrat qui prévoit que:
[TRADUCTION] 6.1 La présente convention est destinée à com- pléter les Articles d'accord et non à les remplacer en tout ou en partie; toutes les stipulations de ces derniers, y compris notam- ment celles portant sur l'entreprise commune, doivent recevoir tout leur effet.
3 McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
4 Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Company [1979] 2 R.C.S. 157.
Les clauses 1.02 et 1.03 des Articles d'accord qui traitent du bac porte-trains et des gares à être construits à Baie -Comeau et à Québec, revêtent une importance particulière pour ce qui est de la question en l'espèce. Elles se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 1.02 Les parties aux présentes conviennent que la mise en oeuvre du projet ci-dessus nécessitera, au début, la construction d'une gare maritime à Québec, ainsi que la cons truction d'une gare maritime à Baie -Comeau, et d'un local pour le transit des marchandises en général, de même que l'améliora- tion des installations d'entreposage. Le coût de ces installations est évalué comme suit:
Construction de la gare maritime à Baie -Comeau et du local pour le transit des marchandises en général ainsi que l'amélioration des installations
d'entreposage $3,500,000
Construction de la gare maritime à Québec $2,000,000
COOT TOTAL $5,500,000
1.03 Q&O, QNS et Incan Navigation conviennent, aux fins d'établir la répartition des charges découlant du contrat d'en- treprise commune, prévues aux clauses 9.01 et 9.02 des présen- tes, que les installations visées à la clause 1.02 des présentes seront réputées être grevées jusqu'à concurrence de 80 p. 100, et elles conviennent, en outre, que Q&O ou QNS construira la gare maritime de Baie -Comeau et le local pour le transit des marchandises en général et apportera les modifications néces- saires aux installations d'entreposage et en deviendra proprié- taire, et que Incan Navigation fera de même pour la gare maritime de Québec. Le dessein est que Q&O ou QNS, ou les deux à la fois, d'une part, et Incan Navigation, d'autre part, défrayent à parts égales les installations et le bac porte-trains; en conséquence, Incan Navigation accepte de défrayer une plus grande part du bac porte-trains que Q&O, de façon que cette égalité soit obtenue, et les charges afférentes à l'utilisation des installations de la gare maritime aux termes des clauses 9.01 et 9.02 ont été rendues conformes à cette participation.
La clause 3.02 des Articles d'accord prévoit, en outre, pour ce qui est du coût du bac porte-trains, ce qui suit:
[TRADUCTION] 3.02 Le prix de revient net et du bac porte- trains livré à Québec est évalué à $5,350,000. Q&O et Incan Navigation conviennent, aux fins d'établir la répartition des charges découlant du contrat d'entreprise commune prévues aux clauses 9.01 et 9.02 des présentes, que ledit bac sera grevé jusqu'à concurrence de 80 p. 100, et que Incan versera $685,- 000 et Q&O, $385,000, conformément aux dispositions de la clause 1.03 prévoyant une valeur nette de $1,070,000.
Que la demande en l'espèce relative à la pro- priété se distingue ou non, quant au fond, de la demande qui a fait l'objet de la décision Capri- corn, c'est une question qui importe peu; j'es- time qu'il ne s'agit pas d'une demande fondée sur
le droit maritime canadien. Vu le lien inévitable entre cette demande et les droits et obligations créés par les Articles d'accord. Les droits et obli gations créés par le contrat d'entreprise commune sont inséparables de ceux découlant des Articles d'accord et, en particulier, de l'obligation stipulée dans ces derniers de construire des gares maritimes à Baie -Comeau et à Québec. Cela ressort claire- ment des Articles d'accord concernant les apports respectifs des parties quant à la construction des gares et du bac porte-trains. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company, la Cour suprême du Canada a conclu qu'une action fondée sur l'omis- sion de s'acquitter de l'obligation de construire la gare maritime à Baie -Comeau et demandant l'an- nulation des trois contrats relatifs au projet de construction du bac porte-trains est régie par le Code civil du Québec et échappe par conséquent, à la compétence de la Cour fédérale. A mon avis, la même conclusion s'applique à une action fondée sur certains droits créés par le contrat d'entreprise commune mais inévitablement liés à cette même obligation. Ces contrats doivent être considérés comme un tout et, comme tel, ils ne sont pas des matières tombant dans le champ d'application du droit maritime canadien. En conséquence, je suis d'avis de rejeter l'appel.
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LE JUGE PRATTE y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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