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T-1867-79
Andrew Graydon Bruce et Sandra Gaye Meadley (Requérants)
c.
Herbert Reynett, en sa qualité de chef d'institu- tion du pénitencier de la Colombie-Britannique, Donald Yeomans, en sa qualité de commissaire à la discipline, et tout fonctionnaire du Service canadien des pénitenciers agissant sous les ordres du commissaire à la discipline en vertu de l'article 13(3) de la Loi sur les pénitenciers (Intimés)
Division de première instance, le juge Walsh— Vancouver, les 9, 10 et 26 avril 1979.
Brefs de prérogative Quo warranto Mandamus Injonction Un détenu placé à l'écart s'est vu refuser la permission de se marier Ce détenu pourrait également faire l'objet, contre son gré, d'un transfèrement dans une institution à l'extérieur de la province Demande de quo warranto pour déterminer si le chef d'institution était habilité à exercer la fonction ou la compétence dont se réclamait sa décision Demande de mandamus visant à obliger le chef d'institution à interpréter toute loi du Canada relative au mariage envisagé et ce, conformément à la Déclaration canadienne des droits Demande d'injonction interdisant au chef d'institution de s'in- gérer dans le mariage envisagé sauf dans la mesure de sa compétence Demande d'injonction interdisant au commis- saire à la discipline de procéder à l'éventuel transferement contre le gré du détenu Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18 Règlement sur le service des pénitenciers, DORS/62-90, art. 2.10, 2.27, 2.30(1),(2) Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 (S.R.C. 1970, Appendice III), art. 1, 2b),e).
Les requérants Meadley et Bruce (détenu placé à l'écart au pénitencier de la Colombie-Britannique) se fondent sur l'article 18 de la Loi -sur la Cour fédérale pour demander justice à la suite de la décision du chef d'institution qui leur refusait la permission de se marier. Ils demandent un bref de quo war- ranto pour déterminer si le chef d'institution du pénitencier était habilité à exercer la fonction ou la compétence dont se réclamait la décision par laquelle il refusait la permission de mariage. A titre subsidiaire, ils demandent un bref de manda- mus obligeant le chef d'institution à interpréter et à appliquer, conformément à la Déclaration canadienne des droits, toute loi du Canada lui conférant la compétence concernant le mariage envisagé et à agir équitablement dans l'exercice de cette com- pétence. Ils demandent également une injonction interdisant au chef d'institution d'intervenir dans le mariage envisagé sauf dans la mesure de sa compétence. Enfin, ils demandent une injonction interdisant au commissaire à la discipline ou aux fonctionnaires sous ses ordres d'exercer leur compétence, quelle qu'elle soit, pour transférer le requérant Bruce dans une insti tution à l'extérieur de la Colombie-Britannique, tant que n'au- ront pas été réglées toutes les questions relatives au mariage envisagé et tant qu'ils ne se seront pas acquittés de leur devoir
d'équité en révélant aux requérants les faits qui leur sont reprochés et en leur donnant la possibilité d'y répondre, en ce qui concerne le mariage tout comme le transfèrement envisagé.
Arrêt: la demande est rejetée. Le bref de quo warranto ne vise pas plus que le simple droit d'occupation d'une fonction ni ne s'étend aux situations la personne concernée excède les pouvoirs de sa fonction. Il n'est pas le moyen de droit à faire valoir en l'espèce même si le chef d'institution a excédé ses pouvoirs en refusant aux requérants la permission de se marier. Il y a lieu pour les requérants de faire valoir les moyens subsidiaires. L'ordre permanent en vertu duquel M. Reynett a refusé d'autoriser le mariage et son pouvoir de refus sont valides. Il ne faut pas conclure que la Déclaration canadienne des droits s'applique en l'espèce, car le droit de se marier n'est pas un des droits fondamentaux spécifiquement protégés par cette loi, même s'il s'agit d'un droit issu de la common law dont l'inapplicabilité n'est pas spécifiquement prévue par la Loi sur les pénitenciers et le Règlement d'application. Une personne purgeant une peine d'emprisonnement perd inévitablement beaucoup de droits et ne jouit que des droits autorisés par le Règlement. On ne peut en conclure que la Loi sur les péniten- ciers et le Règlement d'application violent la Déclaration cana- dienne des droits parce qu'il n'y est pas spécifiquement énoncé qu'ils sont applicables malgré cette dernière. Le chef d'institu- tion a simplement exercé sa discrétion administrative en refu- sant la permission de mariage même s'il a pu accorder cette permission à d'autres prisonniers en d'autres occasions. Le requérant ne saurait prétendre qu'on l'a privé du droit à l'égalité devant la loi. Le chef d'institution avait néanmoins l'obligation d'agir équitablement. La Cour n'a pas le pouvoir d'examiner une décision administrative au fond: elle doit se limiter à apprécier si la décision et la manière dont elle a été rendue sont équitables. Rien n'indique que le chef d'institution a agi de façon inéquitable. En conséquence, il ne sera délivré contre le chef d'institution ni mandamus ni injonction lui interdisant de faire obstacle au mariage envisagé. Il n'y a pas lieu à injonction sur une base quia timet pour empêcher un transfèrement qui peut ne jamais avoir lieu. Bien qu'une déci- sion en matière de transfèrement soit de nature administrative, elle doit néanmoins être équitable et tenir compte de tous les éléments. On ne peut alléguer qu'une décision n'a pas été rendue de façon équitable lorsqu'en fait, aucune décision n'a été prise et qu'il n'existe que des indices de ce qui pourrait arriver dans un avenir indéterminé.
REQUÊTE. AVOCATS:
John Conroy pour les requérants. W. B. Scarth pour les intimés.
PROCUREURS:
Abbotsford Community Legal Services, Abbotsford, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: En vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, les requérants font les demandes de redresse- ment suivantes:
1. Un bref de quo warranto pour déterminer si l'intimé Herbert Reynett, en sa qualité de direc- teur du pénitencier de la Colombie-Britannique, a le droit d'exercer la fonction ou la compétence réclamées dans sa décision du 23 mars 1979 inter- disant au requérant Andrew Graydon Bruce d'épouser la requérante Sandra Meadley.
2. Subsidiairement, un bref de mandamus obli- geant ledit intimé Herbert Reynett, en sa qualité de chef d'institution du pénitencier de la Colom- bie-Britannique, d'interpréter et d'appliquer toute loi du Canada lui conférant la compétence concer- nant le mariage envisagé entre le requérant Andrew Graydon Bruce et Sandra Meadley de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre directement ou indirectement l'un quel- conque des droits et des libertés fondamentales reconnus dans la Déclaration canadienne des droits, et l'obligeant, en sa qualité précitée, à agir équitablement dans l'exercice de sa compétence ainsi conférée, conformément au devoir de tout administrateur d'agir équitablement.
3. Une injonction interdisant à cet intimé, en sa qualité précitée, d'intervenir dans le mariage envi- sagé entre les requérants, sauf dans la mesure de sa compétence; et
4. Une injonction interdisant à l'intimé Donald Yeomans, en sa qualité de commissaire à la disci pline, ainsi qu'à tout autre fonctionnaire du Ser vice canadien des pénitenciers agissant sous ses ordres en vertu de l'article 13(3) de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, d'exercer quel- que compétence que ce soit en vertu de cet article, pour transférer le requérant Andrew Graydon Bruce à l'institution Millhaven, dans la province de l'Ontario, ou à toute autre institution en dehors de la province de la Colombie-Britannique tant que:
a) n'auront pas été réglées toutes les questions
relatives au mariage envisagé entre les requé- rants, et
b) qu'ils n'auront pas exécuté leur devoir géné- ral d'équité envers les requérants en leur révé- lant tous les motifs d'interdiction et en leur donnant l'occasion raisonnable d'y répondre, à la fois en ce qui concerne le mariage et le transfert envisagés.
La demande est accompagnée d'affidavits signés par Sandra Meadley et Andrew Graydon Bruce, auxquels sont annexés divers documents. Toute- fois, la demande est principalement fondée sur un mémoire daté du 23 mars 1979 et envoyé par Herbert Reynett, en sa qualité de directeur du pénitencier de la Colombie-Britannique, à Andrew Graydon Bruce pour lui faire part des motifs pour lesquels il avait interdit le mariage. Le mémoire se réfère à une conversation qu'il a eue avec Bruce neuf mois auparavant concernant le désir de ce dernier d'épouser Sandra Meadley. Le mémoire fait en outre mention d'une longue enquête qui a permis de recueillir certains documents parmi les- quels on trouve des documents ou rapports fournis par le père A. Roy, le révérend T. Speed, le procureur général de la Colombie-Britannique et le bureau de Vancouver de la Commission natio- nale des libérations conditionnelles, de même qu'un dossier complet et récent sur Bruce fourni par le fonctionnaire chargé du classement de celui-ci. Le directeur fait également mention de trois conversations qu'il a eues avec Mlle Meadley desquelles il a conclu qu'elle est entièrement dispo sée pour le mariage envisagé. Le directeur déclare qu'il lui incombe de décider d'une part où, en cas d'approbation, ce mariage peut être célébré et, d'autre part, si cette activité menace la sécurité de l'institution. Voici sa conclusion:
[TRADUCTION] Compte tenu des restrictions imposées à un individu incarcéré en vertu de l'article 2.30(1)a) du Règlement sur le service des pénitenciers, et particulièrement de celles ayant trait aux visites, je contreviendrais à mes propres ordres permanents en autorisant ce mariage.
Comme votre conduite dans le passé a justifié votre transfert à une unité spéciale de détention vous avez été tenu en isolation cellulaire depuis 1975, je ne peux qu'en conclure qu'une permission de mariage, alors qu'on vous interdit de vous joindre aux autres, porterait atteinte à la sécurité de l'institution.
Je crois que, dans les présentes circonstances, le mariage repré- sente un espoir illusoire de satisfaction personnelle. Je com- prends que vous avez des intentions sincères qui montrent un
progrès très net et qui témoignent d'une volonté ferme de changement. Toutefois, jusqu'à ce que vous prouviez une capa- cité à vous adapter au cadre habituel d'un pénitencier, je ne peux pas autoriser la célébration de ce mariage.
Quoique la lettre ne se reporte qu'au seul article 2.30(1)a) du Règlement, il vaut mieux reproduire ci-après l'article au complet puisque le paragraphe (2) a été invoqué par les requérants à l'appui de l'allégation qu'en l'espèce, l'interdiction de se join- dre aux autres n'a pas été imposée à Bruce à titre de peine à laquelle il avait été condamné. Voici le libellé de l'article en question:
2.30. (1) Si le chef de l'institution est convaincu que,
a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'institution, ou
b) dans le meilleur intérêt du détenu,
il est nécessaire ou opportun d'interdire au détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d'un détenu ainsi placé à l'écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recommandera au chef de l'institu- tion la levée ou le maintien de cette interdiction.
(2) Un détenu placé à l'écart n'est pas considéré comme frappé d'une peine à moins qu'il n'y ait été condamné, et il ne doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments, sauf ceux
a) dont il ne peut jouir qu'en se joignant aux autres détenus, ou
b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu le détenu est ainsi placé à l'écart et de l'obligation d'administrer ce lieu de façon efficace.
Il convient d'examiner les faits ayant conduit à la mise à l'écart du requérant Bruce, ainsi que les mesures prises en vue du mariage des requérants telles qu'elles ont été énoncées dans les affidavits et les documents y annexés. Andrew G. Bruce et Sandra G. Meadley, âgés respectivement de 30 et 23 ans, sont nés à North Vancouver. Bruce, con- damné pour meurtre le 19 juin 1970, a reçu une sentence d'emprisonnement à vie. D'après une lettre de la Commission des libérations condition- nelles, il sera admissible à la libération condition- nelle le 23 avril 1980. Il a déclaré, dans son affidavit, qu'à l'exception des deux premières semaines suivant immédiatement le prononcé de sa sentence, d'une période de trois mois au début de 1971, d'une période de deux mois à la fin de 1971 et d'une période de six mois allant du 18 décembre 1974 au 9 juin 1975, il a purgé sa peine en isolement cellulaire. Ainsi depuis le 9 juin 1975, il a toujours été, en vertu de l'article 2.30, en isole-
ment cellulaire au pénitencier de la Colombie-Bri- tannique, soit depuis une période continue de pres- que quatre ans. L'affidavit fait renvoi à la décision rendue par le juge Heald dans l'affaire McCann c. La Reine' le requérant Bruce était l'un des demandeurs qui cherchaient à obtenir une déclara- tion portant que l'isolement cellulaire constitue une peine cruelle et inusitée au sens de la Déclara- tion canadienne des droits. Toutefois, la Cour a statué que la décision d'imposer une peine d'isole- ment cellulaire en vertu de l'article 2.30(1)a) était de caractère purement administratif et que les demandeurs ne pouvaient obtenir la déclaration demandée puisque ni l'article la) ni l'article 2e) de la Déclaration canadienne des droits n'étaient applicables. Voici le libellé de l'article 1 et celui de l'article 2b) et e) de cette loi 2 :
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
c) la liberté de religion;
d) la liberté de parole;
e) la liberté de réunion et d'association, et J) la liberté de la presse.
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
b) infligeant des peines ou traitements cruels et inusités, ou comme en autorisant l'imposition;
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
Le 9 juin 1975, après six mois de détention commune avec les autres détenus, le requérant Bruce, qui était alors sous l'impression que les
' [1976] 1 C.F. 570.
2 S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
autorités le transféreraient de nouveau en isole- ment cellulaire, a été impliqué dans un incident de prise d'otages à la suite de quoi il a été accusé d'extorsion et, le 10 mars 1977, condamné à 14 ans d'emprisonnement. Dans son appel, qui n'a pas encore été entendu, interjeté contre cette sentence, il se propose d'agir comme son propre conseiller juridique. Le 21 février 1978, la suite d'un autre incident de prise d'otages survenu le 28 janvier 1978 il était de connivence avec quatre autres détenus, cinq chefs d'accusation différents ont été portés contre lui. Son procès à cet égard n'a pas encore eu lieu, quoique tous ses coïnculpés aient été jugés. aussi il se propose d'agir en son nom mais avec l'aide et les recommandations de son avocat dans la présente demande.
Le 7 juillet 1978, la suite de sa demande
d'examen psychiatrique, plusieurs psychiatres ont conduit avec lui des interviews et des examens; dans l'un de ces cas, l'examen a été fait en dehors du pénitencier, sous escorte sécuritaire. Il dit savoir que, pendant un certain temps, des fonction- naires du service pénitentiaire ont procédé à des examens de son cas pour déterminer s'il répondait aux critères exigés pour un transfert à une unité spéciale de détention. Dans son cas, il s'agirait d'un transfert à l'institution Millhaven dans la province de l'Ontario. D'après le mémoire de M. Reynett, il semble satisfaire à ces exigences. Aucune décision définitive n'a été prise relative- ment à ce transfert auquel il s'oppose énergique- ment pour le motif qu'en plus de M"e Meadley, toute sa famille et ses amis habitent en Colombie- Britannique. Il a aussi des appréhensions vis-à-vis l'attitude du personnel de sécurité de cette institu tion à son égard, à cause de sa réputation, sans compter que les autres détenus s'attendront à ce qu'il devienne leur chef et qu'il y organise d'autres manifestations du même genre. Il déclare n'avoir jamais été pleinement renseigné sur les motifs du refus d'autoriser son mariage avec Mile Meadley, car on ne lui a jamais fourni copie des rapports, des examens ou des autres enquêtes auxquels M. Reynett s'est référé dans son mémoire, et on ne lui a jamais donné l'occasion d'y répondre. Il désire un mariage chrétien et il est prêt à accepter à ce qu'il soit célébré à l'intérieur de l'institution, à New Westminster, et il se dit également prêt à se soumettre à toute mesure de sécurité raisonnable. Pour tout détenu mis à l'écart en vertu de l'article
2.30, la procédure de visite commence par un appel téléphonique du préposé aux visites et à la correspondance informant l'unité d'isolement cel- lulaire que le détenu peut y venir rencontrer son visiteur; le détenu est alors soumis à une fouille corporelle au cours de laquelle il doit se dévêtir complètement, lever ses bras et ses jambes, se recourber et écarter ses fesses; lorsque le détenu a remis ses vêtements, on lui met des chaînes à ses jambes, à ses mains et à sa taille, puis il est escorté à la salle de visite. Au retour, le détenu est de nouveau complètement fouillé. Les visites, à l'ex- ception de celles faites par les avocats et les psy- chiatres, sont faites par téléphone à travers une cloison, sans aucun contact direct entre le visiteur et le détenu; un seul détenu à la fois est admis à sortir de l'unité d'isolement cellulaire. Le requé- rant a reçu plusieurs visites d'avocats et de méde- cins sans que ne survienne aucun incident portant atteinte à la sécurité de l'institution. En 1972, son ancienne épouse et son fils Jason ont pu lui rendre visite en contact direct et il n'est survenu aucun incident. A de nombreuses occasions durant les six dernières années, on lui a permis de sortir du pénitencier pour des fins médicales ou judiciaires, y compris pour un séjour de plusieurs semaines au Royal Columbian Hospital en 1975, jusqu'à ce qu'il soit ensuite transféré au Vancouver General Hospital il est resté jusqu'en août 1975; il fit ensuite, en 1976, deux autres séjours dans cet hôpital pour y être opéré. Des visites à un médecin et à un spécialiste ont également été autorisées.
Pour la première fois en juin 1978, il a mis M. Reynett au courant de son désir d'épouser M"e Meadley. On lui a alors dit de discuter de ce projet avec son agent de classement David Davis, ce qu'il a fait. On lui a dit qu'il fallait obtenir le consente- ment du procureur général, faire effectuer une analyse de milieu sur M"' Meadley par le Service des libérations conditionnelles, soumettre le projet à l'aumônier ou au prêtre et, finalement, obtenir l'approbation de M. Reynett.
Après de très longs délais, Bruce a finalement été informé que l'on attendait les résultats de l'analyse de milieu menée par le Service des libéra- tions conditionnelles sur M"e Meadley. C'est seule- ment le 23 mars 1979 que M. Reynett l'a informé de sa décision de ne pas permettre la célébration
du mariage et lui a donné le mémoire susmen- tionné.
Dans son affidavit, M"e Meadley déclare que, pour rendre visite à Bruce, il lui fallait remplir une formule détaillée du Service canadien des péniten- ciers comportant une vérification sécuritaire par la Gendarmerie royale du Canada. De janvier à avril 1977, elle lui a rendu environ trois visites par mois. De mai à septembre 1977, elle lui a rendu des visites hebdomadaires, mais en septembre et octo- bre 1977, ils ont décidé en commun de mettre un terme à leur histoire et de cesser toute visite à cause des circonstances. Ils ont, cependant, conti- nué à s'écrire et, à partir de novembre 1977, elle a recommencé à lui rendre visite et ce, au rythme de deux fois par semaine, sauf pendant la période allant de la fin janvier à la fin avril 1978, la suite de la prise d'otages. En avril 1978, elle a remplir, pour des fins sécuritaires, une nouvelle formule pour obtenir le rétablissement de ses droits de visite. En mai 1978, étant tombés amou- reux l'un de l'autre, ils ont décidé de se marier. Puisque le procès de Bruce relatif à sa participa tion à la prise d'otages de janvier 1978 n'avait pas encore eu lieu, il devait obtenir pour son mariage le consentement du procureur général de la pro vince de la Colombie-Britannique, car ce mariage risquait de nuire à l'administration de la justice. Le 28 septembre 1978, le bureau du procureur général a informé l'avocat de M". Meadley que les accusations toujours pendantes portées contre Bruce constituaient le seul obstacle au mariage envisagé. Il a été décidé, en temps utile, que Mile Meadley ne serait pas citée comme témoin dans le procès intenté contre Bruce; c'est ainsi que le 22 décembre 1978, le bureau du procureur général s'est dit d'avis que le mariage envisagé ne consti- tuerait pas un obstacle et ne porterait pas atteinte à l'administration de la justice.
M"e Meadley relate ses différentes entrevues avec M. Reynett, au cours desquelles elle a essayé de sonder ce dernier au sujet des arrangements à prendre en matière de sécurité pour faciliter le mariage, mais il a refusé d'examiner ces questions. Elle a coopéré avec l'agent du Service national des libérations conditionnelles, mais il a refusé de lui donner une copie de l'analyse de milieu au motif que cette analyse était confidentielle. Il lui a toute- fois révélé que l'analyse était, dans une proportion
de 70 p. 100, favorable au mariage envisagé. Fina- lement, ce n'est qu'à la suite d'une lettre en date du 8 mars 1979, adressée par l'avocat de M"e Meadley à M. Reynett, que ce dernier a pris sa décision. Elle a confirmé qu'on ne lui a permis de prendre connaissance d'aucun des rapports ou analyses faits à son sujet et que M. Reynett l'avait assurée qu'il la tiendrait au courant de tout aspect négatif formulé dans ces rapports mais rien de négatif ne lui a encore été rapporté. Antérieure- ment à la décision d'interdire le mariage, son avocat lui a conseillé d'obtenir une licence de mariage, qu'elle a effectivement obtenue le 29 mars, et de retenir les services d'un ecclésiastique compétent et de deux témoins dignes de foi, comme l'exige le Marriage Act de la province de la Colombie-Britannique'. Elle a joint à son affidavit la licence de mariage, la lettre d'un pasteur de l'église Westminster Unitarian Church dans laquelle il se dit prêt à célébrer le mariage, ainsi que la lettre d'un conseiller familial et de son épouse l'assurant qu'ils acceptent d'être les deux témoins requis.
En ce qui concerne la possibilité du transfert de Bruce à l'institution de Millhaven en Ontario, elle a déclaré que ce transfert serait un obstacle grave à leur projet de mariage et qu'elle serait obligée de quitter son emploi, sa famille et ses amis en Colombie-Britannique pour le suivre, s'installer en Ontario et de nouveau y faire des démarches pour mettre à exécution leur projet de mariage.
En l'espèce, l'un des points litigieux consiste à déterminer si le quo warranto constitue une procé- dure pertinente. Les requérants allèguent que cette procédure vise en l'espèce plus que le simple droit d'occupation d'une fonction et s'étend aux situa tions la personne concernée a outrepassé les pouvoirs que lui confère sa fonction. Ils ne contes- tent ni la nomination de M. Reynett ni son droit de tenir la fonction qu'il occupe. Ils ont cité des précédents dont les plus pertinents sont les déci- sions Rex ex rel. Haines c. Hanniwell 4 et Regina ex rel. McPhee c. Sargent 5 . Dans la première de ces décisions, le juge McRuer, juge en chef de la Haute Cour, s'est exprimé en ces termes la page 47):
3 S.R.C.-B. 1960, c. 232.
4 [1948] O.R. 46.
5 (1967) 64 D.L.R. (2e) 153.
[TRADUCTION] Dans Reg. c. The Guardians of St. Martin's
in the Fields (1851), 17 Q.B. 149, la page 163, 117 E.R. 1238, le juge Erle a déduit de Darley c. La Reine ex rel. Kinahan (1846), 12 Cl. & F. 520, 8 E.R. 1513, trois critères d'application du quo warranto: «l'origine de la fonction, sa durée et les devoirs qu'elle comporte.»
Après avoir traité de l'origine et de la durée, lesquelles ne font l'objet d'aucun litige en l'espèce, il s'est ainsi prononcé [aux pages 47 et 48]:
[TRADUCTION] Il faut des devoirs de nature publique, c'est-à- dire des devoirs à l'égard du public qui relèvent de la compé- tence des tribunaux royaux et dont les droits sont protégés par le quo warranto.
Il appert que cette citation se réfère aux devoirs de la charge de façon générale. Dans cette espèce, il s'agissait de déterminer si un membre de la Niagara Falls Bridge Commission occupait une charge publique à l'endroit de laquelle une procé- dure en quo warranto pouvait être instituée. J'es- time que cette décision ne constitue pas un précé- dent à l'appui de la proposition voulant qu'en cas de fonction régulièrement occupée, il soit possible d'utiliser la procédure en quo warranto pour atta- quer toute décision prise en outrepassant ses pou- voirs par le titulaire de cette charge. Dans McPhee, le juge d'appel Tysoe s'est exprimé en ces termes la page 158):
[TRADUCTION] Dans ce jugement, j'ai dit plus haut qu'une procédure en quo warranto permet de vérifier le fondement du droit ou du pouvoir en vertu duquel une personne occupe une charge et de déterminer si elle a le droit légitime d'exercer les fonctions qu'elle prétend pouvoir exercer. Je suis d'avis que la nomination de la personne à cette charge et la validité de cette nomination constituent des objets pertinents sur lesquels doit avant tout porter cette procédure, car, si la nomination n'est pas valable, le titulaire de la charge n'aurait alors aucun droit ni aucun pouvoir en vertu duquel il pourrait occuper cette charge ou exercer les fonctions y afférentes. [C'est moi qui souligne.]
Le juge est arrivé à cette conclusion en se fondant, en partie, sur une ancienne source américaine, High's Extraordinary Legal Remedies (1874), il est dit la page 436):
[TRADUCTION] Elle ne régit pas non plus les fonctions officiel- les telles qu'exécutées par la personne qu'elle peut mettre en cause car elle ne vise pas cette dernière en tant que telle mais plutôt la personne qui occupe la charge ou qui exerce le pouvoir, et ce non dans le but de lui dicter ou de lui prescrire ses devoirs officiels, mais seulement pour déterminer si elle a le droit légitime d'exercer les fonctions qu'elle prétend pouvoir exercer. [C'est moi qui souligne.]
Plus loin, à la page 448, il est dit:
[TRADUCTION] Puisqu'une procédure en quo warranto, ou toute autre procédure de ce genre, n'est utilisée que pour vérifier le fondement du droit à occuper une charge ou exercer un pouvoir, il s'ensuit qu'elle ne constitue pas une mesure de redressement en cas de faute officielle et on ne peut l'utiliser pour vérifier la validité des actes officiels des cadres des compagnies ou du gouvernement. Ainsi, en cas d'abus de confiance commis par les administrateurs d'une association incorporée, on ne peut obtenir le redressement demandé que par la voie d'une procédure en equity et non par une procédure en quo warranto. Ainsi, lorsqu'un fonctionnaire menace d'exer- cer des pouvoirs qui ne lui ont pas été conférés par la loi ou, dans l'exercice des fonctions de sa charge, d'outrepasser sa compétence territoriale, l'injonction est une mesure plus perti- nente qu'une procédure en quo warranto. Ainsi, on ne peut pas recourir à cette procédure pour empêcher les autorités légale- ment constituées d'une ville de lever et de percevoir des taxes au-delà des limites de cette ville, en vertu d'une loi de la législature repoussant ces limites, et l'on ne peut déterminer la constitutionnalité de cette loi par une procédure en quo war- ranto. [C'est moi qui souligne.]
En rendant sa décision, le juge Tysoe s'est aussi référé, à la page 157, la déclaration suivante du juge Lush dans l'affaire Le Roi c. Speyer; Le Roi c. Cassel [1916] 1 K.B. 595, la page 628:
[TRADUCTION] Au moyen de cette procédure [quo warranto] et des brefs de mandamus et de prohibition, cette cour peut contrôler, et effectivement contrôle, toute personne tenant une charge publique ... et exécutant des fonctions publiques qu'el- les soient judiciaires ou autres; il s'agit des moyens par lesquels cette cour peut obliger ces personnes à remplir leurs devoirs suivant la loi au cas elles y feraient défaut, ou les empêcher d'agir si elles n'ont pas compétence à cet égard. [C'est moi qui souligne.]
En rendant sa décision dans McPhee, le juge d'ap- pel McFarlane (tel était alors son titre) s'est référé à une autre déclaration du juge Lush, à la page 627 du jugement précité, et dont voici le libellé:
[TRADUCTION] Certes il fut une époque l'on utilisait exclusivement le vieux bref de quo warranto pour éviter les empiétements sur les prérogatives royales. Mais les temps ont changé, et la nature ainsi que le domaine d'application du bref se sont élargis et, avant même que ne soit rendu l'arrêt Darley c. La Reine, une procédure semblable à celle du quo warranto avait remplacé l'ancien bref et était bien plus largement appli- quée. Cette procédure permet de demander à ceux qui préten- dent exercer d'importantes fonctions de caractère public d'en rendre compte s'ils n'ont pas été légalement autorisés à les exercer et ce, quelle que soit la personne qui a procédé à leur nomination. [C'est moi qui souligne.]
En réponse à cela, l'avocat des intimés s'est reporté au jugement Gosselin c. Drouin 6 rendu par la Cour du Banc de la Reine du Québec et le juge d'appel Owen s'est ainsi prononcé la page 210):
6 [1959] B.R. (Qué.) 201.
[TRADUCTION] La question de droit qui se pose ensuite consiste à déterminer si un bref de quo warranto est recevable seulement en cas d'usurpation de titre relativement à une charge ou également en cas d'abus d'autorité ou de pratiques illégales dans l'exercice des fonctions afférentes à cette charge.
Et plus loin, à la même page, il dit:
[TRADUCTION] Il existe des décisions judiciaires à l'appui du principe que le bref de quo warranto est recevable en cas d'abus d'autorité ou de pratiques illégales par un cadre compétent dans l'exercice de ses fonctions.
Dans le sens contraire, on peut citer une décision de cette cour, l'arrêt Bégin c. Bolduc ([1944] B.R. 725), qui renvoie à une décision antérieure de cette cour et soutient qu'un bref de quo warranto n'est pas recevable en cas de pratiques illégales ou d'abus d'autorité commis par un tel cadre dans l'exercice de ses fonctions ....
Aucune partie n'ayant cité de décision à la fois postérieure et contraire à celle de Bégin c. Bolduc, je suivrais donc ce dernier jugement et déciderais qu'un bref de quo warranto n'est pas recevable en l'espèce.
Il n'existe aucun doute quant au droit de M. Reynett d'occuper sa charge. Je me dois donc de conclure que le quo warranto n'est pas le moyen de droit pertinent à faire valoir en l'espèce même si M. Reynett a outrepassé ses pouvoirs en rejetant pour le moment la demande de mariage formulée par les requérants. En tout état de cause, il s'agit d'un moyen discrétionnaire et je suis convaincu que les requérants pourraient obtenir gain de cause par les moyens subsidiaires que sont le mandamus ou l'injonction, moyens auxquels ils ont aussi recours en l'espèce. Les intimés n'ont pas contesté le droit de recourir à ces moyens, mais ils ont soutenu que ceux-ci ne sont pas applicables en l'espèce et ne doivent pas être accordés.
Les requérants ont contesté, d'une part, la vali- dité de l'ordre permanent en vertu duquel M. Reynett a refusé d'autoriser le mariage et, d'autre part, la compétence de ce dernier à rendre cette décision. L'article 29(1) de la Loi sur les péniten- ciers, S.R.C. 1970, c. P-6, permet au gouverneur en conseil d'édicter des règlements «b) relatifs à la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus; et c) relatifs, de façon géné- rale, à la réalisation des objets de la présente loi et l'application de ses dispositions». L'article 29(3), qui prévoit que le commissaire peut établir des règles, est ainsi libellé:
29....
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut
établir des règles, connues sous le nom d'Instructions du com- missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
Dans le Règlement édicté par le décret C.P. 1962- 302, en date du 8 mars 1962 7 , les articles 1.13, 1.14, 1.15 et 1.16 distinguent entre les directives du commissaire, les instructions au personnel divi- sionnaire, les ordres permanents et les ordres de service courant. L'article 1.15 traite des ordres permanents. L'article 1.15(1) est ainsi libellé:
1.15. (1) Un chef d'institution peut, sous l'autorité du Com- missaire, établir des ordres permanents qui doivent comprendre tous les ordres propres à son institution.
I.l appert que, si M. Reynett avait édicté des ordres permanents relatifs au mariage des détenus incar- cérés dans le pénitencier de la Colombie-Britanni- que dont il est le chef d'institution (et l'on n'a produit au procès aucun ordre permanent de ce genre), l'on pourrait sérieusement contester son pouvoir d'édicter ces ordres car il n'est pas certain qu'il s'agirait alors d'ordres «propres à son institu tion». Toutefois, en tant que chef d'institution, il aurait sans doute le droit d'établir des ordres de ce genre. Voici le libellé de l'article 1.12(1) du Règle- ment, tel que modifié par le décret C.P. 1972-2327 en date du 21 septembre 1972 8 :
1.12. (1) Le chef d'institution est responsable de la direction de son personnel, de l'organisation, de la sûreté et de la sécurité de son institution, y compris la formation disciplinaire des détenus qui y sont incarcérés.
L'article 1.12(2) permet au chef d'institution de déléguer à ses subordonnés immédiats les affaires courantes ou peu importantes d'administration, mais il exige qu'il veille personnellement: «a) aux questions relatives à l'organisation et l'orientation d'ensemble et b) aux questions d'importance qui exigent son attention et sa décision particulières». M. Reynett a certes réservé une attention particu- lière à la décision relative au mariage en cause. Voici le libellé de l'article 2.30 du Règlement:
2.30. (1) Si le chef de l'institution est convaincu que,
a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans
l'institution, ou
7 DORS/62-90.
8 DORS/72-398.
b) dans le meilleur intérêt du détenu,
il est nécessaire ou opportun d'interdire au détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d'un détenu ainsi placé à l'écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recommandera au chef de l'institu- tion la levée ou le maintien de cette interdiction.
(2) Un détenu placé à l'écart n'est pas considéré comme frappé d'une peine à moins qu'il n'y ait été condamné, et il ne doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments, sauf ceux
a) dont il ne peut jouir qu'en se joignant aux autres détenus, ou
b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu le détenu est ainsi placé à l'écart et de l'obligation d'administrer ce lieu de façon efficace.
Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, le requé- rant Bruce a été tenu en isolement cellulaire pen dant presque quatre ans à cause de son implication dans des incidents de prise d'otages. A cet égard, son avocat a insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une peine car le requérant n'a jamais été formel- lement condamné à l'isolement cellulaire. La Cour n'a pas, en l'espèce, à se pencher sur la longueur ou l'opportunité de cet isolement malgré sa durée prolongée. Évidemment, M. Reynett est d'avis que la continuation de cet isolement est nécessaire «pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'institution» et qu'on peut refuser au requé- rant, même s'il n'est frappé d'aucune peine, le privilège et l'agrément du mariage (s'il s'agit d'un des privilèges et des agréments auxquels un prisonnier peut avoir droit) parce «qu'ils ne peu- vent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu le détenu est ainsi placé à l'écart et de l'obligation d'administrer ce lieu de façon efficace». A l'affidavit de Bruce ont été joints beaucoup de rapports et d'avis de psy- chiatres recommandant son transfert au «Centre de psychiatrie à sécurité maximale de Matsqui» où, selon ces experts, un traitement pourrait lui être extrêmement avantageux. D'ailleurs, le requé- rant a lui-même sollicité ce transfert qui a, cepen- dant, été retardé jusqu'à l'issue de son procès relatif à la prise d'otages survenue en janvier 1978. Cette intention se dégage d'une lettre datée du 17 octobre 1978, adressée à Sandra Meadley par le solliciteur général, l'honorable Jean Jacques Blais.
Bien que le refus de M. Reynett soit le fruit d'une décision administrative, l'on a soulevé la
question de savoir s'il a satisfait à son obligation d'agir équitablement en refusant d'autoriser le mariage dans les présentes circonstances. Voici en quels termes il a rédigé le dernier paragraphe de sa lettre de refus:
[TRADUCTION] Je crois que, dans les présentes circonstances, le mariage représente un espoir illusoire de satisfaction person- nelle. Je comprends que vous avez des intentions sincères qui montrent un progrès très net et qui témoignent d'une volonté ferme de changement. Toutefois, jusqu'à ce que vous prouviez une capacité à vous adapter au cadre habituel d'un pénitencier, je ne peux pas autoriser la célébration de ce mariage.
Bien entendu, l'avocat des requérants a demandé comment Bruce peut prouver sa capacité à s'adapter au cadre d'un pénitencier lorsqu'il est en isolation cellulaire.
On a fait état des articles du Règlement relatifs à l'importance de la réhabilitation dans le système pénitentiaire, en particulier des dispositions de l'article 2.10(1) et (2) dont voici le libellé:
2.10. (1) II doit être établi dans chaque institution un pro gramme convenable d'activité pour les détenus, conçu, dans la mesure cela est pratique, pour rendre les détenus, lors de leur libération, aptes à assumer leurs responsabilités de citoyen et à se conformer aux prescriptions de la loi.
(2) Pour donner effet au paragraphe (1), le Commissaire doit, dans la mesure cela est pratique, assurer à chaque détenu susceptible d'en bénéficier, une formation académique professionnelle, un travail productif et instructif, une activité religieuse, des loisirs et lui procurer une orientation psychiatri- que, psychologique et sociale.
Toutefois, l'article 2.27 du Règlement dispose que:
2.27. Le chef de l'institution doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la bonne garde des détenus confiés à ses soins.
Compte tenu du fait que Bruce a été mêlé à des incidents de prise d'otages, ces dispositions sont particulièrement importantes.
Les lois de la Colombie-Britannique ne posent aucun empêchement au mariage. On a maintenant décidé de ne pas citer Mue Meadley comme témoin dans le procès du requérant; ce dernier a obtenu une licence de mariage (bien que celle-ci soit postérieure au refus de M. Reynett); un pasteur a accepté de célébrer le mariage; et un conseiller familial et son épouse, qui connaissent Mue Sandra Meadley depuis plusieurs années et qui ont analysé la situation avec elle, ont accepté de servir de témoins. Bien entendu, tous ces arrangements ne lient en rien M. Reynett s'il a le pouvoir de refuser la permission demandée, en vertu du Règlement
sur le service des pénitenciers.
L'avocat des requérants a invoqué une règle fondamentale en matière d'interprétation, à savoir qu'il ne faut pas interpréter une loi de manière à dénier un droit à moins de dispositions expresses de la loi dans ce sens. Il invoque cette règle pour étayer son allégation selon laquelle d'une part, l'incarcération dans un pénitencier n'entraîne pas la perte du droit fondamental au mariage et, d'au- tre part, le chef d'institution n'a aucun pouvoir discrétionnaire pour interdire un mariage à l'égard duquel il n'existe aucun empêchement légal, à moins que la bonne garde des détenus ou le main- tien du bon ordre et de la discipline dans l'institu- tion ne soient mis en cause. A l'appui de cette allégation, l'avocat a cité l'arrêt Spooner Oils Limited c. The Turner Valley Gas Conservation Board 9 il est dit:
[TRADUCTION] Il ne faut pas interpréter un texte législatif comme portant atteinte à des droits acquis ou à «une position acquise» (Main c. Stark ((1890) 15 App. Cas 384, à la page 388)) sauf lorsque le libellé du texte exige cette interprétation. Coke a défini cette règle comme une «loi du Parlement» (2 Inst. 292), voulant dire, sans doute, qu'il s'agit d'une règle fondée sur la pratique coutumière du Parlement; cela sous-entend que, lorsque le Parlement veut délibérément porter atteinte à de tels droits ou à une telle position, cette intention est toujours déclarée de façon expresse, sauf lorsque cette intention se dégage de façon manifeste des dispositions du texte législatif.
Sous ce rapport, l'avocat a fait l'analogie suivante, à savoir que les dispositions de l'article 14(4)e) de la Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (l er Supp.), c. 14, rendent inhabile à voter toute per- sonne détenue dans un établissement pénitentiaire et y purgeant une peine pour avoir commis quelque infraction.
L'incarcération entraîne inévitablement la perte d'un grand nombre de privilèges et d'agréments, mais la question qui se pose est de savoir si un détenu perd tous ses privilèges et agréments, sauf ceux que lui laissent spécifiquement la Loi sur les pénitenciers et le Règlement y afférent, ou si, au contraire un détenu conserve tous ses privilèges et agréments sauf ceux dont il est expressément privé en vertu de cette loi et de ce règlement, ainsi que le soutiennent les requérants. A cet égard, on s'est reporté à l'affaire Regina c. Le directeur du camp
9 [1933] R.C.S. 629, la page 638.
de correction de Beaver Creek, Ex parte MacCaud 10 , il a été ainsi disposé la page 377):
[TRADUCTION] Ce serait une banalité de répéter qu'un détenu dans une institution continue à jouir de tous les droits civils d'une personne, sauf ceux dont il ne peut plus se prévaloir par suite de l'exécution de cette sentence.
Et plus loin, il est dit:
[TRADUCTION] Notons au départ que la sentence prononcée contre un accusé déclaré coupable entraîne l'extinction, pen dant la période licite d'emprisonnement, de tous ses droits à la liberté et à la possession des biens dans l'enceinte de l'institu- tion il purge sa sentence, sauf dans la mesure où, le cas échéant, il s'agit de droits expressément préservés par la Loi sur les pénitenciers.
A la page 380 on peut lire:
[TRADUCTION] C'est seulement lorsque son action ne porte pas atteinte aux droits du détenu en tant que personne ou aux droits légitimes du détenu en tant que tel, que le chef d'institution ne peut avoir à répondre devant la Cour de l'opportunité de ses méthodes et de la légitimité de sa décision.
Il n'en résulte pas, cependant, que M. Reynett était obligé d'agir de façon judiciaire, comme cela appert d'une décision rendue par la Cour suprême dans Martineau et Butters c. Le Comité de disci pline des détenus de l'Institution de Matsqui" le juge Pigeon, qui a rendu la décision de la majorité, s'est ainsi prononcé la page 133):
Au risque de me répéter, cela ne signifie pas que chaque fois qu'une décision porte atteinte aux droits d'un requérant, il existe un devoir d'agir de façon judiciaire.
Les requérants invoquent également l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits (précité), suivant lequel toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant cette Déclaration, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quel- conque des droits ou des libertés reconnus et déclarés dans cette Déclaration. Aucune disposi tion de la Loi sur les pénitenciers ne prévoit son application nonobstant la Déclaration canadienne des droits, mais il ne faut pas en conclure que cette Déclaration est applicable en l'espèce car le droit de se marier n'est pas un des droits fon- damentaux spécifiquement protégés par cette loi, même s'il s'agit d'un droit issu de la common law dont l'inapplicabilité n'est pas expressément prévue par la Loi sur les pénitenciers et le Règle-
10 [1969] 1 C.C.C. 371.
11 [1978] 1 R.C.S. 118.
ment y afférent. Évidemment, une personne pur- geant une peine d'emprisonnement perd inévitable- ment beaucoup de droits, tels que celui de la liberté et de la propriété, et ne jouit que des droits autorisés par le Règlement. Toutefois, on ne peut déduire du fait qu'il en soit ainsi que la Loi sur les pénitenciers et le Règlement y afférent violent la Déclaration canadienne des droits parce qu'il n'y est pas spécifiquement énoncé que la Loi et le Règlement seront applicables nonobstant la Décla- ration. Le requérant Bruce allègue une violation des dispositions de l'article 1 b), en ce qu'il a été privé du droit à l'égalité devant la loi. Ainsi que l'a fait ressortir le juge Ritchie dans l'arrêt de la Cour suprême Le Procureur général du Canada c. Lavell 12 :
Nulle part dans la Déclaration des droits trouvons-nous des termes prévoyant que les lois du Canada doivent s'interpréter sans discrimination à moins que cette discrimination ne com- porte un déni de l'un des droits et libertés garantis ....
Dans La Reine c. Burnshine 13 , le juge Martland, parlant au nom de la majorité de la Cour, s'est reporté, en l'approuvant, à une autre déclaration du juge Ritchie dans l'arrêt Lavell (précité) il dit la page 1365):
Selon moi, le sens à donner au libellé de la Déclaration des droits est celui qu'il avait au Canada à l'époque de l'adoption de la Déclaration, et il s'ensuit que l'expression «égalité devant la loi» doit s'interpréter à la lumière de la loi en vigueur au Canada à ce moment-là.
Lorsqu'on considère le sens qu'il faut attacher aux mots «égalité devant la loi» figurant à l'al. b) de l'art. 1 de la Déclaration, je crois important de signaler qu'à mon sens ces termes ne sont pas efficaces pour invoquer le concept égalitaire illustré par le 14' Amendement de la Constitution des États- Unis tel qu'interprété par les tribunaux de ce pays-là. (Voir Smythe c. La Reine ([1971] R.C.S. 680), Juge en chef Fau- teux, pp. 683 et 686). Je crois plutôt que, compte tenu des termes employés dans le second alinéa du préambule de la Déclaration des droits, l'expression «égalité devant la loi» se trouvant à l'art. 1 doit se lire dans son contexte, comme une partie du «règne du droit» auquel les termes de cet alinéa accordent une autorité prépondérante.
Dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Canard 14 , le juge Beetz s'est ainsi prononcé:
L'égalité devant la loi sans discrimination en raison de la race, de l'origine nationale, de la couleur, de la religion ou du sexe ne signifie pas simplement l'égalité avec toutes les autres personnes de la catégorie visée par une loi particulière: une telle signification rendrait possible toutes les formes de discrimina-
12 [1974] R.C.S. 1349, à la page 1364.
13 [1975] 1 R.C.S. 693, à la page 704.
14 [1976] 1 R.C.S. 170, à la page 205.
tion interdite dans la mesure les autres personnes de la catégorie visée seraient aussi victimes de la même forme de discrimination.
Dans l'application de ces principes aux circons- tances de l'espèce, il appert que, si la Loi sur les pénitenciers ou le Règlement y afférent conte- naient des dispositions spécifiques concernant le mariage des prisonniers, et si ces dispositions n'étaient pas respectées ou étaient appliquées de façon injuste dans le cas de Bruce, celui-ci pourrait alors soutenir qu'on lui a nié «l'égalité devant la loi». Théoriquement, il pourrait même invoquer une discrimination certaine si, même en l'absence de règlements semblables, les demandes de permis sion de mariage faites par d'autres prisonniers avaient toujours été accordées alors qu'il a été le seul à essuyer un refus. Mais tel n'est évidemment pas le cas en l'espèce. En effet, M. Reynett a simplement exercé sa discrétion administrative en refusant cette permission à Bruce, même s'il a accordé des permissions de ce genre à d'autres prisonniers à d'autres occasions.
L'avocat des requérants s'est reporté à la déci- sion américaine Vawter Jr. c. Reed rendue par la Cour de district des États-Unis, district oriental de l'état de la Caroline du nord, division de Raleigh, portant le 77-363 -CRT et datée du 24 février 1978. Il en a d'ailleurs fourni une photocopie. Dans son examen d'une partie de la jurisprudence américaine relative au droit au mariage, le juge s'est ainsi prononcé:
[TRADUCTION] Le droit au mariage est un droit fondamental protégé par la Constitution des États-Unis. Sauf en cas d'inté- rêt impérieux de l'État, d'atteinte à la sécurité de l'institution ou de convenance administrative, ce qui n'a pas été établi en l'espèce, ce droit reste suprême, et le règlement du Department of Correction répond alors plus au critère de constitutionnalité.
Ainsi qu'il a déjà été mentionné, la Déclaration canadienne des droits diffère suffisamment de la Constitution américaine pour rendre la jurispru dence américaine inapplicable à l'interprétation de cette Déclaration.
Les requérants invoquent également l'article 2e) de la Déclaration canadienne des droits qui inter- dit l'interprétation d'une loi canadienne de manière à «[priver] une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations». Il est allégué qu'en décidant
de ne pas montrer à la requérante Sandra Meadley les rapports d'évaluation la concernant, on l'a privée du droit à une audition impartiale de sa cause. Il s'agit toutefois d'une décision purement administrative qui n'avait pas à être prise sur une base judiciaire ou quasi judiciaire. Cela n'exclut pas que M. Reynett avait l'obligation d'agir équi- tablement. Cette question a été tranchée au fond dans un arrêt récent de la Cour suprême: il s'agit de l'affaire Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311, dans laquelle le juge en chef Laskin s'est ainsi prononcé à la page 324:
J'accepte donc aux fins des présentes et comme un principe de common law ce que le juge Megarry a déclaré dans Bates v. Lord Hailsham ([1972] 1 W.L.R. 1373), la p. 1378: [TRA- DUCTION] «dans le domaine de ce qu'on appelle le quasi-judi- ciaire, on applique les règles de justice naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l'obligation générale d'agir équitablement».
Et plus loin, à la même page, il dit:
L'apparition d'une notion d'équité, moins exigeante que la protection procédurale de la justice naturelle traditionnelle, est commentée dans de Smith, Judicial Review of Administrative Action, précité, à la p. 208.
L'intimé se reporte toutefois à une citation qui apparaît à la page 327 du même jugement, citation empruntée à lord Denning dans le jugement Sel- varajan c. Race Relations Board [1976] 1 All E.R. 12, dans lequel, après un examen de la juris prudence britannique récente, il s'est ainsi pro- noncé la page 19):
[TRADUCTION] Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fonda- mentale est que dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audi tion. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seule- ment. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.
La Cour d'appel de l'Ontario s'y est aussi référée dans l'affaire Re Downing et Graydon (1979) 21
O.R. 292 dans laquelle le juge Blair s'est ainsi prononcé à la page 307:
[TRADUCTION] Les affaires Guay c. Lafleur (précitée) et L'Alliance des Professeurs (précitée) mettent en lumière la conception traditionnelle suivant laquelle les principes de jus tice naturelle régissent l'exercice du pouvoir judiciaire mais non celui du pouvoir administratif. Cette distinction est quelque peu obscurcie par l'émergence de la doctrine de «l'équité» applicable à l'exercice du pouvoir administratif: voir l'arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Com'rs of Police [[1979] 1 R.C.S. 311]. Cette louable restriction ainsi imposée à l'arbitraire des décisions administratives ne porte, cependant, d'aucune façon atteinte aux exigences spécifiques et bien éta- blies de la justice naturelle régissant l'exercice du pouvoir judiciaire.
On s'est également reporté à l'arrêt Nicholson dans l'affaire Inuit Tapirisat of Canada c. Son Excellence le très honorable Jules Léger [1979] 1 C.F. 710, et dans lequel le juge Le Dain, se référant à l'arrêt Nicholson, s'est ainsi prononcé la page 716):
Compte tenu de cet arrêt, je crois, en toute déférence, qu'il ne suffit pas, pour trancher la question d'une obligation procé- durale d'agir équitablement, de conclure que la fonction ou le pouvoir en cause n'est ni judiciaire ni quasi judiciaire. L'avocat des intimés soutient que la déclaration ne présente pas la question d'une obligation d'agir équitablement comme étant quelque chose de distinct de la justice naturelle. A mon avis, la relation conceptuelle précise entre une obligation procédurale d'agir équitablement et les règles de justice naturelle n'est pas suffisamment nette pour pouvoir radier une déclaration en se fondant sur les distinctions techniques qui existent entre ces deux concepts. J'estime que la demande allègue suffisamment le défaut d'une «audition équitable» pour permettre aux appe- lantes d'invoquer, comme fondement de leur action, l'obligation d'agir équitablement. Je ne pense pas que les allusions à la justice naturelle puissent, en l'espèce, empêcher l'obligation d'agir équitablement d'être invoquée.
Compte tenu de cette jurisprudence dans les circonstances de l'espèce, rien n'établit que l'in- timé Reynett n'a pas agi équitablement. Le temps consacré à l'examen de la demande de permission de mariage prouve que la décision n'a pas été rendue sans réflexion suffisante. De nombreux documents et rapports ont été soumis et l'intimé a discuté de la question à plusieurs reprises avec la requérante Sandra Meadley. Le quatrième para- graphe de sa lettre montre qu'il a jugé nécessaire de prendre en considération deux facteurs, à savoir que le pénitencier n'est pas une place publique et que la célébration envisagée pourrait mettre en péril la sécurité de l'institution. (On a admis, à cet égard, que les permissions pour visite sans sépara- tion ou les visites avec séparation ne dépendent pas
de l'état civil. En effet, une fois marié, le requérant serait dans la même situation qu'un autre détenu déjà marié au moment de son incarcération. On se fonde sur la conduite du prisonnier, et non sur son état civil, pour déterminer le type de visites qu'il peut recevoir.)
C'est sur les actes passés de Bruce qui ont motivé son transfert dans une unité spéciale de détention, et sur le fait qu'il a été tenu en isolation cellulaire depuis 1975, que s'est basé M. Reynett pour conclure qu'une permission de mariage accor- dée au requérant pendant son isolement pourrait porter atteinte à la sécurité de l'institution et qu'en conséquence, ce mariage représentait, dans les cir- constances, un espoir illusoire de satisfaction per- sonnelle. Il a reconnu que les intentions du requé- rant montrent un progrès très net et témoignent d'une volonté ferme de changement. Mais il ne peut autoriser le mariage envisagé, à moins que le requérant ne prouve sa capacité à s'adapter au cadre habituel d'un pénitencier. En d'autres termes, sans fermer la porte définitivement au mariage envisagé, M. Reynett exige, avant de donner son autorisation, que le requérant améliore son attitude. On pourrait alléguer, ainsi que l'a fait le requérant, qu'il est difficile pour Bruce de démontrer un changement d'attitude tant et aussi longtemps qu'il sera en isolement cellulaire et qu'il n'aura pas été réintégré dans une ambiance plus normale, mais la Cour n'a pas à connaître de cette question en l'espèce, pas plus que de la question touchant au fait que Bruce pourrait être gardé en isolement cellulaire tant que les chefs d'accusation portés contre lui n'auront pas été tranchés et qu'il n'aura pas été transféré au Regional Psychiatric Centre à Abbotsford. Cette cour n'a pas le pouvoir d'examiner une décision administrative au fond: elle doit se limiter à décider si la décision et la façon dont elle a été rendue sont équitables. La preuve produite appuie cette conclusion. En consé- quence, il ne sera délivré contre M. Reynett ni mandamus ni injonction l'empêchant de refuser d'autoriser le mariage envisagé. M. Reynett avait le droit et le pouvoir de prendre cette décision administrative et la Cour ne peut pas y substituer son avis.
Il reste à décider s'il faut émettre une injonction interdisant à l'intimé Donald Yeomans en sa qua- lité de commissaire à la discipline, ainsi qu'à tout
autre fonctionnaire du Service canadien des péni- tenciers agissant sous ses ordres, de transférer le requérant Bruce à l'institution de Millhaven dans la province de l'Ontario, avant que ne soient réglées toutes les questions relatives au mariage envisagé.
Il appert qu'avant de décider du transfert d'un prisonnier, il faut examiner sa situation familiale et son état de santé. En l'espèce, quelques affida vits signés par des médecins nous révèlent que le requérant pourrait subir une dépression psychique profonde et que toute perspective de réhabilitation pourrait être compromise si le mariage envisagé n'était pas uniquement retardé jusqu'à une amélio- ration de sa conduite et s'il était transféré en un lieu très éloigné de sa famille et de sa fiancée, ce qui évidemment porterait sérieusement atteinte à sa volonté d'entreprendre un traitement de réhabi- litation au Regional Psychiatric Centre à Abbots- ford. En outre, la requérante Sandra Meadley a déclaré qu'elle devrait alors renoncer à son emploi actuel pour le suivre à Millhaven afin d'être à ses côtés, ce qui lui occasionnerait sans doute bien des difficultés. Bien qu'une décision en matière de transfert soit également de nature administrative, elle doit néanmoins être équitable et tenir compte de tous les éléments. Le juge Collier a conclu en ce sens dans l'affaire Magrath c. La Reine [1978] 2 C.F. 232, il dit la page 255):
Je ne dis pas qu'un détenu ne peut jamais être en droit de contester, pour manque d'équité, une décision de transfert prise à son égard. Certaines circonstances pourraient faire naître un tel droit.
On a conclu en ce sens même avant que ne soit rendue la décision dans l'affaire Nicholson.
La question est peut-être académique en l'espèce puisque aucune décision n'a été prise concernant le transfert. On comprend, cependant, que les requé- rants soient inquiets compte tenu du libellé quel- que peu bizarre de l'avant-dernier paragraphe de la lettre de M. Reynett il est dit [TRADUCTION] «Comme votre conduite dans le passé a justifié votre transfert à une unité spéciale de détention» et du passage suivant tiré d'une lettre, datée du 5 septembre 1978, que M. Yeomans a fait parvenir en réponse à M. Bryan Williams qui lui avait écrit en tant qu'avocat de Bruce et d'autres personnes: [TRADUCTION] «Vous avez raison de croire que M.
Bruce sera vraisemblablement transférer au Feder al Adjustment Centre à l'institution de Millhaven, en Ontario, aussitôt que les accusations portées contre lui auront été tranchées par les tribunaux.»
A part le fait que la décision relative au trans- fert soit une question administrative et que la Cour ne doive pas substituer son point de vue à celui du commissaire à la discipline ou de ses représentants dûment autorisés, il appert qu'on ne peut délivrer aucune injonction sur une base quia timet dans le but d'empêcher un transfert éventuel qui peut ne jamais avoir lieu. Évidemment la décision relative au transfert ne sera pas prise avant que les tribu- naux de la Colombie-Britannique ne statuent de façon définitive sur les diverses accusations portées contre Bruce. Ainsi, les circonstances d'après les- quelles la décision sera prise pourront bien avoir changé. Par exemple, comme nous l'avons déjà mentionné, il est possible que Bruce soit transféré au Regional Psychiatric Centre à Abbotsford pour fins de traitement, plutôt qu'à Millhaven pour fins d'incarcération. On ne peut alléguer qu'une déci- sion n'a pas été rendue de façon équitable lors- qu'en fait aucune décision n'a encore été prise et qu'il n'existe simplement que des indices de ce qui pourrait arriver dans un avenir indéterminé. En conséquence, la demande en vue de la délivrance d'une injonction doit aussi être rejetée. Comme il s'agit d'une demande inhabituelle soulevant une sérieuse question de droit qui n'a jamais encore été examinée, la demande est rejetée sans frais.
ORDONNANCE
La demande des requérants est rejetée sans frais.
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