Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1565-78
In re la Loi sur la citoyenneté et in re David A. Beniston (Appelant)
Division de première instance, le juge suppléant Dubinsky—Toronto, le 20 septembre; Halifax, le
1 »r novembre 1978.
Citoyenneté Demande de citoyenneté rejetée par un juge de la citoyenneté le 30 décembre 1977 et ce, en vertu de l'ancienne Loi Appelant reconnu coupable de possession de stupéfiants en vertu de la Loi sur les stupéfiants avant la présentation de sa demande, soit le 12 septembre 1975, et accusé de trafic de stupéfiants le 24 août 1975 et condamné sous ce chef le 22 avril 1977 Les condamnations prononcées contre l'appelant l'empêchaient-elles d'obtenir la citoyenneté? Procédures poursuivies en vertu de la nouvelle Loi sur la citoyenneté Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19, art. 10(1)d) et 13(5) Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108, art. 20(2) et 35(1) Loi sur les stupé- fiants, S.R.C. 1970, c. N-1, art. 3 et 4(2).
Il s'agit en l'espèce de l'appel d'une décision rendue par un juge de la citoyenneté le 30 décembre 1977, décision rejetant la demande de l'appelant parce qu'il avait démontré ne pas avoir le sens des responsabilités et qu'il n'était pas de bonnes vie et mœurs. Cette demande avait été présentée le 12 septembre 1975. L'appelant avait été reconnu coupable, le 25 novembre 1974, de possession de stupéfiants en vertu de l'article 3 de la Loi sur les stupéfiants et le 24 août 1975 une accusation de trafic de stupéfiants était portée contre lui, en vertu de l'article 4(2) de ladite loi, dont il fut reconnu coupable le 22 avril 1977. La question importante en l'espèce est de savoir premièrement si l'appelant a été reconnu coupable d'une infraction au cours des trois années qui ont précédé la date de sa demande, et deuxièmement s'il a été reconnu coupable d'une infraction depuis cette dernière date et «celle la citoyenneté lui serait accordée». L'appel est entendu en vertu de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108.
Arrêt: l'appel est accueilli. L'alinéa 20(2)b) de la Loi correc tive de 1978, S.C. 1977-78, c. 22, signifie que la citoyenneté sera accordée au requérant, sauf s'il a été reconnu coupable d'une infraction après avoir fait sa demande de citoyenneté. La date décisive pour ce qui est de l'appel de l'appelant est celle à laquelle le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande à cause de ses condamnations consécutives en vertu de la Loi sur les stupéfiants. Il existe un précédent selon lequel la première infraction n'en était pas une en fait. Toutefois, en ce qui a trait à la seconde infraction, le juge de la citoyenneté n'aurait pas en tenir compte étant donné que la Loi corrective de 1978 n'était pas encore entrée en vigueur. A part ces deux condam- nations, le juge de la citoyenneté ne disposait d'aucun élément sur lequel elle pouvait se fonder pour conclure que le requérant n'était pas «de bonne vie et mceurs» au sens de l'article 10(1)d) de l'ancienne Loi, ou encore qu'il ne possédait pas «une connais- sance des responsabilités et privilèges de la citoyenneté cana- dienne» au sens de l'article 10(1)f) de cette loi.
Arrêt appliqué: R. c. Eaton (1973) 11 C.C.C. (2 » ) 80. APPEL.
AVOCATS:
David A. Beniston pour lui-même.
Frederick W. Chenoweth, amicus curiae. PROCUREURS:
Frederick W. Chenoweth, Toronto, amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT DUBINSKY: Le présent appel d'une décision d'un juge de la citoyenneté en
date du 30 décembre 1977, est venu à audience devant moi à Toronto (Ontario) le 20 septembre 1978.
Les motifs du rejet de la demande présentée par
l'appelant sont exposés en détail dans les observa tions que le savant juge de la citoyenneté, Geral- dine Copps a jointes au dossier. Elle a déclaré en partie ce qui suit:
[TRADUCTION] M. David Allan Beniston a comparu devant moi le 25 août 1977. Il avait déjà comparu devant un juge de la citoyenneté le 5 janvier 1976, mais celui-ci avait différé sa décision parce que l'accusation de possession de stupéfiants en date du 24 août 1975, n'avait pas encore été entendue.
Après plusieurs remises dont quelques-unes émanaient de l'avocat de M. Beniston, il a été reconnu coupable et condamné le 22 avril 1977.
Lorsque j'ai demandé à M. Beniston la raison de toutes ces remises, il m'a répondu que l'avocat de «l'aide juridique» qui occupait pour lui n'avait pas toute la compétence requise. Auparavant, en réponse à ma question relative à ses antécé- dents de travail il avait déclaré qu'il exerçait régulièrement depuis huit ans un travail de surveillance. Je lui ai donc demandé pourquoi il faisait appel à l'aide juridique et il m'a dit qu'il ne disposait pas d'argent liquide. Lorsque je lui ai posé la question s'il avait remboursé l'aide juridique après avoir touché des espèces, il n'a pas répondu.
M. Beniston avait déjà été condamné au paiement d'une amende de $100 ou à défaut, à 30 jours de prison par suite d'une accusation de trafic de stupéfiants.
Il importe aussi de noter que M. Beniston a déposé sa demande le 12 septembre 1976, et selon sa déposition sous serment portant sa signature, il a déclaré seulement l'amende à laquelle il avait été condamné en mars 1974 pour possession de stupéfiants.
M. Beniston a commis la première infraction, relativement à l'accusation de trafic de stupéfiants, à l'âge de 24 ans, et la deuxième, alors qu'il avait 25 ans.
Selon moi, M. Beniston n'est pas le genre de personne que je recommanderais en vue d'obtenir la citoyenneté, car il a vrai-
ment démontré qu'il n'avait pas le sens des responsabilités. Il est donc écarté aux termes des alinéas 10(1)d) et f) de l'an- cienne Loi sur l'immigration.
M. Beniston a interjeté appel auprès de cette cour conformément à l'article 13(5) de la Loi sur la citoyenneté. L'avis d'appel a été reçu et déposé le 12 avril 1978.
Il ne faut pas oublier que le juge de la citoyen- neté a été saisi de la demande de l'appelant en vertu des dispositions de l'ancienne Loi, à savoir la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19.
L'article 10(1)d) qui était en vigueur à l'époque se lit comme suit:
10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un certi- ficat de citoyenneté à toute personne qui n'est pas un citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la satisfaction du tribunal
d) qu'elle est de bonne vie et moeurs et n'est pas sous le coup d'une ordonnance d'expulsion;
La nouvelle Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974- 75-76, c. 108, a été proclamée en vigueur le 15 février 1977. L'avis" d'appel a été déposé en l'es- pèce environ quatorze mois après cette date.
L'article 35 (1) de la Loi figurant à .la Partie IX sous la rubrique «Dispositions transitoires et abro- gatives» se lit comme suit:
35. (1) Une procédure intentée en vertu de l'ancienne loi et non terminée à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi peut se poursuivre à titre de procédure intentée soit en vertu de l'ancienne loi et de ses règlements, soit en vertu de la présente loi et de ses règlements sur décisions du Ministre laissée à sa discrétion, mais toute procédure poursuivie en vertu de l'an- cienne loi et des règlements y afférents ne peut pas se poursui- vre pendant plus d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.
Après avoir discuté la question avec Me Frede- rick W. Chenoweth, l'amicus curiae qui a été pour moi d'un grand secours en l'espèce et dans d'autres appels il a comparu, et après avoir lu attentive- ment le dossier en cause, je suis convaincu que l'appel interjeté auprès de cette cour a été intro- duit en vertu de la nouvelle ou de la présente loi.
Il importe de noter que l'article 5 de la nouvelle Loi qui correspond à l'article 10 de l'ancienne Loi—les deux articles énonçant les conditions exi- gées d'un requérant en vue d'obtenir la citoyenne-
té—ne fait aucune mention de l'exigence «de bonne vie et moeurs» qui figurait à l'article 10(1)d) de l'ancienne Loi. Il existe évidemment l'article 20(2) qui a été modifié par la Loi corrective de 1978, S.C. 1977-78, c. 22, dont voici le libellé:
20. ...
(2) Nonobstant toute disposition de la présente loi, sous réserve cependant de la Loi sur le casier judiciaire, nul ne peut recevoir la citoyenneté en vertu de l'article 5 ou du paragraphe 10(1) ni se faire déférer le serment de citoyenneté si
a) au cours des trois années précédant la date de sa demande, ou
b) entre la date de sa demande et celle la citoyenneté lui serait accordée ou le serment de citoyenneté déféré
il a été déclaré coupable d'une infraction aux paragraphes 28(1) ou (2) ou d'un acte criminel prévu par une loi du Parlement.
L'amicus curiae partageait ma conviction selon laquelle l'article 28 (1) et (2) ne s'appliquait pas à M. Beniston. La question importante en l'espèce est de savoir premièrement si l'appelant a été reconnu coupable d'une infraction au cours des trois années qui ont précédé la date de sa deman- de—le 12 septembre 1975—et deuxièmement s'il a été reconnu coupable d'une infraction depuis cette dernière date et «celle la citoyenneté lui serait accordée».
J'ai vérifié d'abord ce que révélait son dossier avant la date susmentionnée de sa demande. A la lecture du dossier, j'ai pu constater qu'il avait été reconnu coupable à Toronto (Ontario) le 25 novembre 1974, de possession de stupéfiants et condamné à une amende de $100 ou à défaut à 30 jours de prison.
L'article 3 de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1, porte notamment ce qui suit:
3. (1) Sauf ainsi que l'autorisent la présente loi ou les règlements, nul ne peut avoir un stupéfiant en sa possession.
(2) Quiconque enfreint le paragraphe (1) est coupable d'une infraction et passible,
a) sur déclaration sommaire de culpabilité ...
b) sur déclaration de culpabilité sur acte d'accusation ...
Il semblerait à première vue qu'avant le 12 septembre 1975, date du dépôt de sa demande de citoyenneté, l'appelant avait déjà été reconnu cou- pable d'une infraction. En soi, cela aurait suffi pour mettre un terme à son appel.
Toutefois, dans R. c. Eaton (1973) 11 C.C.C. (2 e ) 80, on a jugé ce qui suit:
[TRADUCTION] L'insertion du mot «indictable» dans la ver sion anglaise de l'art. 3(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1, qui prévoit que «Quiconque enfreint le paragra- phe (1) est coupable d'une infraction ...», mais qui poursuit en disposant que l'infraction est punissable soit sur déclaration sommaire de culpabilité soit sur acte d'accusation, constitue une erreur typographique dont les tribunaux ne devraient pas tenir compte.
Le juge Gould de la Cour suprême de la Colom- bie-Britannique a déclaré ce qui suit à la page 83:
[TRADUCTION] Il est évident que l'insertion du mot «indict- able» au paragraphe (2), tel qu'il figure dans les Statuts revisés de 1970, constitue une erreur typographique, et ce mot ne devrait pas s'y trouver.
La Cour possède toute la compétence requise pour corriger un texte de loi s'est glissée une erreur évidente, et si on négligeait de la faire disparaître et qu'elle soit interprétée comme étant l'intention véritable de la loi, on ferait échouer les fins de la justice: voir la décision rendue par le juge Riley, dans Sale et al. c. Wills (1971) 22 D.L.R. (3e) 566, [1972] 1 W.W.R. 138, en particulier les pages 572 576.
Je conclus donc que la version anglaise de l'art. 3(2) de la Loi sur les stupéfiants peut et devrait être interprétée comme si le mot «indictable» ne s'y trouvait pas.
Je suis d'avis, compte tenu de l'arrêt susmen- tionné, que l'appelarlL en l'espèce, M. Beniston, n'avait pas été reconnu coupable d'une infraction avant la présentation de sa demande de citoyen- neté le 12 septembre 1975. Son dossier ne révèle aucune autre infraction antérieure à cette date.
Cependant, le dossier de l'appelant révèle bien que le 24 août 1975, il avait été accusé en vertu de l'article 4(2) de la Loi sur les stupéfiants susmen- tionnée. L'article 4 de cette loi est ainsi rédigée:
4. (1) Nul ne peut faire le trafic d'un stupéfiant ou d'une substance quelconque qu'il prétend être ou estime être un stupéfiant.
(2) Nul ne peut avoir en sa possession un stupéfiant pour en faire le trafic.
(3) Quiconque enfreint le paragraphe (1) ou (2) est coupa- ble d'un acte criminel et encourt l'emprisonnement à perpétuité.
Le jugement dans cette cause, pour une raison inexplicable, n'a pas été prononcé avant le 22 avril 1977—soit quelque 20 mois après l'infraction et près de 25 mois après la présentation de sa demande de citoyenneté. M. Beniston, par suite de cette infraction, a été condamné à 90 jours de prison et soumis à une ordonnance de probation d'un an.
Il semblerait encore une fois que l'appel n'est plus recevable. Toutefois, après un examen plus approfondi, je suis arrivé à la conclusion qu'il n'en était pas ainsi. Voici mon raisonnement.
Citons à nouveau l'article 20(2)b) dans sa forme modifiée par. la Loi corrective de 1978, (supra):
20.(2)...
b) entre la date de sa demande et celle la citoyenneté lui serait accordée ....
A mon avis le mot important dans cette phrase est «otherwise». * L'article signifie que la citoyen- neté sera accordée au requérant, sauf s'il a été reconnu coupable d'une infraction après avoir fait sa demande de citoyenneté.
Sous réserve d'opinion contraire, je conclus que la date du 30 décembre 1977 est décisive en l'es- pèce pour ce qui est de l'appel de l'appelant car à cette date le savant juge de la citoyenneté a rejeté sa demande. Pour quelle raison a-t-elle rejeté sa demande? Les motifs que j'ai déjà cités en partie étaient fondés sur ses condamnations consécutives à deux infractions aux termes de la Loi sur les stupéfiants. Cependant, comme je l'ai souligné auparavant, il existe un précédent selon lequel la première infraction n'en était pas une en fait. Toutefois, en ce qui a trait à la seconde, le juge Copps n'aurait pas en tenir compte étant donné que le 30 décembre 1977, la Loi corrective de 1978 n'était pas encore entrée en vigueur. Elle l'est devenue par sanction royale, le 12 avril 1978.
Le 30 décembre 1977, étant donné le libellé de l'article 20(2) de la Loi à ce moment-là, elle ne pouvait tenir compte que des infractions commises au cours des trois années précédant la date de la demande du requérant, à savoir le 12 septembre 1975. Comme je l'ai déjà dit, la seule infraction dont il a été reconnu coupable datait du 22 avril 1977—quelque 18 mois après la date de sa demande. A part ces deux condamnations, le savant juge de la citoyenneté ne disposait d'aucun élément sur lequel elle pouvait se fonder pour conclure que le requérant n'était pas «de bonne vie et mozurs» au sens de l'article 10(1)d) de l'an- cienne Loi, ou encore qu'il ne possédait pas «une connaissance suffisante des responsabilités et privi- lèges de la citoyenneté canadienne» au sens de l'article 10(1)f) de ladite loi.
*Ce mot n'a pas été traduit dans la version française.
Je puis dire que même si la nouvelle Loi ne comporte pas l'exigence «de bonne vie et moeurs», l'appelant a néanmoins été interrogé devant moi sur sa conduite depuis les deux dernières années jusqu'à récemment. Je suit tout à fait convaincu qu'il a eu une bonne conduite et qu'il mérite de devenir un citoyen canadien.
Compte tenu des motifs susmentionnés, je con- clus que l'appelant a droit de réussir dans son appel. En conséquence, j'ai annoncé à la fin de l'audience que l'appel serait accueilli. Je confirme donc la décision verbale déjà rendue.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.