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T-1417-75
Main Fisheries Ltd., Northland Fisheries Ltd., Northern Lakes Fisheries Co. Ltd. et Sam Badner, exerçant son activité sous la dénomination sociale de Mid-Central Fish Company (Demandeurs)
c.
La Reine (Défenderesse)
T-1731-75
Keystone Fisheries Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
T-1419-75
Canadian Fish Producers Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
T-358-75
Manitoba Fisheries Limited, Harry Gordon Marder et Sophia Marder (Demanderesses)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant Smith—Winnipeg, le 27 avril et le 27 juin 1979.
Pratique Communication de documents Production de documents Requête fondée sur la Règle 464 en vue d'une ordonnance enjoignant à une firme de comptables agréés (qui n'était pas partie à l'action) de produire tous les documents en leur possession et relatifs au projet de fusion de diverses entreprises du secteur de la transformation du poisson Ces documents revêtaient une grande importance dans la détermi- nation de la juste valeur marchande des compagnies en cause à la date de la promulgation de la loi qui les a obligées à cesser leurs activités Un individu qui avait assumé une partie des frais a refusé à la firme de comptables la permission de produire ces documents tant qu'il n'aurait pas été remboursé C'est ce refus qui a donné lieu à la requête en l'espèce Règle 464 des Règles de la Cour fédérale.
A la suite de l'arrêt Manitoba Fisheries de la Cour suprême du Canada, plusieurs compagnies de pêche, qui avaient cesser leurs activités à l'entrée en vigueur, le ler mai 1969, de la loi en la matière, ont fait l'objet de jugements leur donnant droit à une réparation équivalant à leur juste valeur marchande à cette date. Ces jugements prévoyaient que si les parties n'arrivaient pas à un règlement à l'amiable, elles pourraient demander à la Cour de déterminer le montant de la réparation. Les demandeurs se fondent sur la Règle 464 pour conclure à
une ordonnance enjoignant à une firme de comptables agréés et à l'un de ses membres, qui n'étaient pas parties à l'action, de produire aux fins de consultation par les représentants des demandeurs, tous les documents en leur possession et relatifs à un projet de fusion en 1964 de diverses compagnies du secteur de la transformation du poisson au Manitoba. Les dossiers et documents de travail établis par la firme à laquelle a succédé la firme de comptables en cause, particulièrement en ce qui concerne les projections d'avenir de plusieurs compagnies, seraient de la plus haute importance pour ce qui est d'établir la juste valeur marchande de ces compagnies en tant qu'entrepri- ses en activité au lei mai 1969. Un individu qui avait assumé une partie des frais de l'étude a refusé à la firme de comptables agréés la permission de produire les documents tant qu'il n'aurait pas été remboursé du montant payé pour la compila tion et la préparation des documents. C'est ce refus qui a donné lieu aux requêtes en l'espèce.
Arrêt: les requêtes sont accueillies. Les avis de requête décrivent les documents assez clairement pour qu'on les identi- fie et l'objet réel de ces requêtes paraît légitime. L'information contenue dans les dossiers de la firme de comptables est importante pour la formulation d'une opinion ferme et sans réserve sur le quantum. Rien ne permet de conclure que les ordonnances visées par ces requêtes doivent être refusées au motif qu'un individu s'oppose à la communication des docu ments aux requérants à moins que ceux-ci ne lui paient une somme importante. La Règle 464 ne prive personne de la propriété ou de la possession d'un document et ne prévoit le paiement d'aucune somme d'argent pour la production de documents. Elle vise seulement à rendre disponibles, en cas de litige, des documents qui constituent une information afférente à un ou plusieurs points contestés. Par ailleurs, la Règle 464 ne prévoit pas que les documents ne peuvent être réclamés que pour servir au procès, mais qu'il doit s'agir de documents dont on serait en droit d'exiger la production à un procès. Les montants que la Couronne aura à payer aux requérants et à ceux qui sont dans la même situation sont encore en litige et seront déterminés par la Cour si les parties ne parviennent pas à un règlement amiable.
Distinction faite avec les arrêts: The Central News Co. c. The Eastern News Telegraph Co. (1884) 53 L.J.Q.B. 236; Elder c. Carter (1890) 25 Q.B.D. 194; Doig c. Hemphill [1942] O.W.N. 391; Trustee of the Property of Lang Shirt Co. Ltd. c. London Life Insurance Co. (1926-27) 31 O.W.N.285.
REQUÊTE. AVOCATS:
J. S. Lamont, c.r. pour la demanderesse Main Fisheries Ltd. et al.
D. C. H. McCaffrey, c.r. et Ken M. Arenson pour les demanderesses Manitoba Fisheries Limited, Canadian Fish Producers Ltd. et Keystone Fisheries Ltd.
A. Maclnnes pour Samuel Werier.
R. McNicol pour Coopers & Lybrand et Christopher H. Flintoft.
C. Williamson pour la défenderesse la Reine.
PROCUREURS:
Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winnipeg, pour la demanderesse Main Fisheries Ltd. et al.
McCaffrey, Akman, Carr, Starr & Prober, Winnipeg, pour les demanderesses Canadian Fish Producers Ltd. et Keystone Fisheries Ltd.
Arenson, Miles & Allen, Winnipeg, pour la demanderesse Manitoba Fisheries Limited et al.
Thompson, Dorfman, Sweatman, Winnipeg, pour Samuel Werier.
Fillmore & Riley, Winnipeg, pour Coopers & Lybrand.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse la Reine.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Il s'agit à l'origine d'une requête de la demanderesse Northland Fish eries Ltd. réclamant en vertu de la Règle 464 une ordonnance enjoignant à la firme de comptables agréés Coopers & Lybrand et à l'un de ses mem- bres, Christopher Henry Flintoft, de produire aux fins d'examen par les représentants des deman- deurs, tous les documents en leur possession rela- tifs au projet de fusion de plusieurs compagnies du secteur de la transformation du poisson au Mani- toba, qui avaient été préparés, en 1964, à la demande de la firme Pitblado, Hoskin & Company pour le compte de Samuel Werier et de Northland Fisheries Ltd., par la firme McDonald, Currie & Company à qui a succédé la firme Coopers & Lybrand. Cette ordonnance autoriserait en outre la préparation de copies certifiées desdits documents selon les besoins des demandeurs.
Outre Northland Fisheries Ltd., trois autres compagnies, Keystone Fisheries Ltd., Canadian Fish Producers Ltd. et Manitoba Fisheries Lim ited, ont déposé des requêtes analogues.
Puisque, à l'exception d'un seul point qui ne s'applique qu'à Northland, toutes les requêtes sont les mêmes, j'ai décidé de les entendre ensemble.
Toutes les parties, de même que Samuel Werier, Coopers & Lybrand et Christopher H. Flintoft, ont été représentées par un avocat.
Les documents préparés en 1964 par McDonald, Currie & Company comprennent des études sur les opérations commerciales effectuées au cours des années antérieures par chaque compagnie que Werier et Northland se proposaient de fusionner, ainsi que des projections afférentes à l'état de leurs affaires pour une période s'étendant au-delà de 1969. La firme n'a fait aucun rapport détaillé à Werier et à Northland. Au cours de l'élaboration du projet de fusion, le Manitoba Development Fund a été pressenti pour le financement de la fusion et, parmi la documentation qui lui a été fournie se trouvaient les projections élaborées par McDonald, Currie & Company. Ces projections sont à la disposition de Northland et des autres compagnies de pêche qui sont parties à la présente actio ou qui ont un intérêt dans le règlement de celle-ci.
Par la suite, ce projet de fusion a été abandonné.
La note de frais de Pitblado, Hoskin & Com pany et de McDonald, Currie & Company s'est élevée à $17,500; Werier en a payé $10,500 et Northland, $7,000.
En 1969, le Parlement a adopté la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce, S.R.C. 1970, c. F-13, qui dispose que le poisson pêché dans diverses provinces, dont le Manitoba, ne peut être vendu qu'à l'Office de commercialisation du poisson d'eau douce, qu'elle crée. Comme les com- pagnies de pêche privées n'ont pu trouver personne de qui acheter le poisson, elles ont cesser leurs affaires à partir du 1 mai 1969, date d'entrée en vigueur de la Loi.
Au moins huit compagnies ont engagé des actions contre la Couronne, réclamant une indem- nité pour la perte de leurs entreprises. L'action de la Manitoba Fisheries Limited a été intentée à titre de cause-précédent. Elle s'est terminée devant la Cour suprême du Canada [[1979] 1 R.C.S. 101] qui, le 3 octobre 1978, a infirmé les juge- ments des tribunaux d'instance inférieure et statué que la compagnie avait droit à un jugement pour la juste valeur marchande, au 1" mai 1969, de son entreprise considérée comme une entreprise en activité, plus les intérêts.
A la suite de l'arrêt rendu par la Cour suprême dans Manitoba Fisheries Limited, cette cour a octroyé aux autres compagnies lésées des juge- ments analogues.
Aucun de ces jugements n'a fixé une valeur monétaire à l'entreprise exploitée par chacune de ces compagnies. Ils ont laissé aux parties le soin de fixer à l'amiable le montant à payer et, en cas d'échec, de présenter à cette cour une demande à cet effet.
L'avocat de Northland, auquel ceux des autres compagnies se sont ralliés, prétend que les dossiers afférents aux travaux effectués en 1964 par McDonald, Currie & Company, et plus particuliè- rement ceux afférents aux projections à terme élaborées par cette firme pour les affaires de plu- sieurs de ces compagnies, sont de toute première importance pour établir la juste valeur marchande, au lef mai 1969, de leurs entreprises en tant qu'en- treprises en activité.
L'avocat de Northland et son président, Peter Lazarenko, ont demandé à la firme Coopers & Lybrand de leur permettre de consulter ces dos siers qui sont au nombre de neuf ou dix. M. Flintoft, au service de ladite firme et qui était membre de McDonald, Currie & Company il a effectué, en 1964, la plupart des travaux demandés par Werier et Northland, a informé Lazarenko et son avocat que les règles de l'Institut des compta- bles agréés ne l'autorisaient à mettre les docu ments à leur disposition que si Werier y consentait. Or, Werier n'y a pas consenti, prétendant que les travaux effectués en 1964 par Pitblado, Hoskin & Company et par McDonald, Currie & Company lui avaient coûté environ $20,000 et qu'il escomp- tait être remboursé du montant qu'il a payé à ces deux firmes pour réunir et préparer l'information. Le 25 avril 1979, il a confirmé son refus dans un affidavit. C'est ce refus qui a donné lieu aux présentes requêtes.
Les requêtes sont présentées au titre de la Règle 464 de la Cour fédérale, dont voici le paragraphe pertinent:
Règle 464. (I) Lorsqu'un document est en la possession d'une personne qui n'est pas partie à l'action et lorsqu'on pourrait la contraindre à produire ce document à une instruction, la Cour pourra, à la demande d'une partie, après avis à cette personne et aux autres parties à l'action, prescrire la production et
l'examen du document, et elle peut donner des instructions pour la préparation d'une copie certifiée qui peut être utilisée à toutes fins à la place de l'original.
Les circonstances entourant ces requêtes sont conformes aux conditions requises par la Règle 464 pour que la Cour puisse rendre ce genre d'ordonnance. La firme Coopers & Lybrand, qui détient les documents en question, n'est pas partie aux actions susmentionnées introduites par les compagnies. A vrai dire, rien ne prouve non plus que Werier a un quelconque intérêt dans ces actions ou dans leur règlement. Si la Cour l'estime à propos, elle pourra ordonner la production de ces documents à l'audience par subpoena duces tecum. Bien entendu, une ordonnance prescrivant leur production ne les rend pas pour autant admissibles en preuve.
Outre les dispositions de la Règle 464, la juris prudence a établi depuis longtemps certaines autres règles, par exemple la règle importante voulant qu'une ordonnance prescrivant la produc tion et l'examen de documents en possession d'une personne qui n'est pas partie à l'action ne doive pas être rendue lorsque la requête a pour objet réel d'obtenir de cette personne la divulgation de cer- tains documents. Il ne s'agit pas de voir s'il y a anguille sous roche; cette requête ne doit avoir pour but que d'assurer la production de documents pertinents et afférents à la cause, dont le requérant entend se servir comme preuve. Ils doivent donc être décrits assez clairement pour qu'on puisse les identifier, mais non pas, semble-t-il, avec une pré- cision qui les distingue de tous les autres docu ments de même nature.
En l'espèce, la nature des documents ne laisse aucun doute, même si les requérants ignorent un grand nombre des détails qu'ils contiennent. Il s'agit des documents de travail élaborés en 1964 par la firme McDonald, Currie & Company lors- qu'elle a procédé à l'étude des affaires des compa- gnies dont la fusion était envisagée. Ladite firme a d'abord examiné les livres et les dossiers de cha- cune d'elles se rapportant à l'année 1964 et à plusieurs années antérieures à celle-ci; elle a fait ensuite des projections quant à l'état de leurs affaires pour la période s'étendant jusqu'à 1969 et même au-delà. De toute évidence, ces travaux
avaient pour objet de déterminer la valeur qui serait attribuée à chaque compagnie dans la fusion projetée.
A mon sens, tous les avis de requête décrivent les documents assez clairement pour qu'on les identifie et l'objet réel de ces requêtes me paraît légitime. Les requérants ont accès aux projections établies par McDonald, Currie & Company, mais les documents de travail et le matériel de base sur lequel ces projections reposent, ne seront pas mis à leur disposition à moins que la Cour n'accueille ces requêtes. Sans ce matériel de base, ils ne peuvent découvrir les nombreux faits que McDonald, Currie & Company a constatés et qui ont influé sur ses conclusions, et il leur est impossible de connaître les hypothèses que cette firme a établies lorsqu'elle a étudié les projections quant à l'avenir respectif des compagnies. Les requérants, qui con- naissent la nature et l'objet des travaux effectués par ces comptables, affirment que lesdits docu ments traitent de ces questions et qu'avec les faits détaillés qu'ils contiennent, la Cour et eux-mêmes pourront déterminer avec plus de certitude la vali- dité de ces projections. La période couverte par les travaux de McDonald, Currie & Company est précisément celle pour laquelle les renseignements obtenus sont les plus valables au regard de la détermination de la valeur, au 1" mai 1969, de chaque compagnie en tant qu'entreprises en acti- vité. Les avocats soutiennent qu'il n'existe pas d'autres sources on peut obtenir l'information.
Walter Dubowec, comptable agréé et associé de la firme Touche, Ross & Company, a été pendant longtemps un employé de la plupart des compa- gnies de pêche qui ont cesser leurs activités à la suite de l'entrée en vigueur de la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce. Depuis l'arrêt rendu par la Cour suprême, le 3 octobre 1978, qui a établi la responsabilité de la Couronne envers ces compagnies, il a eu pour tâche de préparer l'évaluation de l'entreprise de chacune d'elles. Le 20 mars 1979, il a, dans le cadre de la
présente requête, signé un affidavit dont voici un extrait:
[TRADUCTION] 4. Je suis d'avis que ces renseignements finan ciers (les documents que l'on demande à la firme Coopers & Lybrand et à M. Flintoft de produire) seront extrêmement utiles à moi-même et à la firme Touche, Ross & Company pour préparer l'évaluation des demanderesses, parce qu'ils contien- nent de l'information et des projections détaillées à leur sujet, qui ne peuvent être obtenus d'autres sources ....
Le 6 avril 1979, l'avocat de Samuel Werier l'a
contre-interrogé sur cet affidavit. Il lui a posé des questions sur les renseignements financiers recueil- lis par McDonald, Currie & Company et présentés au Manitoba Development Fund lorsque cet orga- nisme a été pressenti, en 1964, pour contribuer au financement de la fusion projetée des compagnies
de pêche:
[TRADUCTION] 59. Q. Avez-vous obtenu ces renseignements financiers?
R. J'ai déjà dit que je les ai, mais je n'ai pas la documenta tion de base préparée par la firme comptable qui indique la méthodologie et les renseignements utilisés pour élabo- rer les projections, dont personne d'autre que les compta- bles ne dispose. Ils sont les seuls à l'avoir.
60. Q. Avez-vous les conclusions? R. Oui.
61. Q. Avez-vous les projections? R. Oui.
62. Q. Vous n'avez pas les documents de travail ni le maté riel de base?
R. C'est exact. Et la firme comptable, lorsqu'elle a préparé les projections, a établi certaines hypothèses et utilisé certains renseignements que j'aimerais connaître pour voir sur quoi elle a basé ses conclusions.
Plus tôt, en réponse à la question 38, il a dit:
[TRADUCTION] R. J'ai certains documents qui résument les conclusions finales de McDonald Currie. J'ai besoin maintenant que la firme me fournisse les renseignements de base qui m'indiqueront sur quoi elle s'est fondée pour prendre les décisions qui l'ont amenée à ces conclusions.
Voici sa réponse à la question 39:
[TRADUCTION] R. Non. Je dois savoir comment ils en sont venus à leurs conclusions, c'est pourquoi il me faut les renseignements de base.
Il a admis qu'avec l'information obtenue de ses clients et d'autres sources, il est en mesure de présenter à la Cour et à ses clients une opinion sur la valeur marchande des compagnies, même sans avoir accès aux dossiers de Coopers & Lybrand (McDonald, Currie & Company), mais que l'in- formation que ceux-ci contiennent, si elle lui est communiquée, risque de modifier cette opinion. Si cette information ne lui est pas communiquée, il lui faudra alors apporter une réserve à son opinion en déclarant qu'il n'a pas pu obtenir ladite infor mation, dont il connaissait l'existence, mais qui se trouvait entre les mains d'une autre partie.
De toute évidence, M. Dubowec est convaincu que l'information contenue dans les dossiers Coo-
pers & Lybrand est de nature à lui permettre d'en arriver, quant au quantum, à une opinion ferme ne comportant aucune réserve. A mon avis, il ressort de la preuve que cette conviction est justifiée.
L'avocat de M. Werier soutient que puisque son client a versé une somme importante pour les travaux effectués en 1964 par Pitblado, Hoskin & Company et par McDonald, Currie & Company, les documents préparés au cours de ces travaux ne devraient donc pas être communiqués à d'autres personnes pour qu'elles les utilisent dans des procé- dures judiciaires. Il revendique sur eux un droit de propriété. A cet égard, il se trouve exactement dans la même position que Northland Fisheries Ltd. qui a payé 40 p. 100 du coût des travaux effectués pour lui et pour cette compagnie.
Bien entendu, le fait est que les documents appartiennent à la firme Coopers & Lybrand, en tant que successeur de McDonald, Currie & Com pany. Puisqu'ils ont été préparés au cours de tra- vaux effectués pour le compte de Werier et de Northland et payés par ces derniers, on s'atten- drait normalement à ce que l'un ou l'autre ou les deux puissent avoir accès à l'information qu'ils contiennent. La règle de l'Institut des comptables agréés semble avoir été conçue principalement sinon essentiellement pour empêcher une firme comptable qui a rendu des services professionnels à deux associés ou plus ou à deux coentrepreneurs ou plus d'avoir à prendre position lorsque des conflits surgissent entre les parties, et à favoriser l'une d'elles de préférence à l'autre ou aux autres. Un tel comportement constituerait un manquement à l'éthique professionnelle.
La Règle 464 de la Cour fédérale ne prive personne de la propriété ou de la possession d'un document. Elle vise simplement à rendre disponi- bles, en cas de litige, des documents qui contien- nent une information afférente à un ou à plusieurs des points contestés. En l'espèce, si la Cour en ordonne la production, les documents resteront entre les mains de Coopers & Lybrand ou ils leur seront retournés après qu'il en aura été fait des copies certifiées. De même, la position de Werier à l'égard des documents restera inchangée. Rien ne permet de penser que Werier a un quelconque intérêt dans l'une desdites actions ou que la pro duction et l'utilisation des documents lui cause- raient un préjudice. Je ne suis pas d'accord avec
son avocat lorsqu'il prétend que le fait d'ordonner la production de ces documents serait préjudiciable aux intérêts de son client.
La Règle ne prévoit, à bon escient selon moi, le paiement d'aucune somme d'argent pour la pro duction de documents. Une des raisons à cela, et elle me paraît décisive, est qu'une disposition qui obligerait en fait une partie à acheter le droit de voir et d'utiliser en preuve des documents que détient un tiers à l'action, ouvrirait la voie à ce qui risquerait de devenir presque une forme légale de chantage.
Je ne vois rien qui puisse m'amener à conclure que les ordonnances réclamées dans ces requêtes doivent être refusées pour le seul motif que M. Werier s'oppose à la communication des docu ments aux requérants, à moins que ceux-ci ne paient une somme importante.
La défenderesse a adopté une position neutre à l'égard de ces requêtes et n'a présenté aucune argumentation. La firme Coopers & Lybrand et Christopher Henry Flintoft ont simplement déclaré qu'ils se conforment aux règles de l'Institut des comptables agréés et qu'ils se soumettront à l'ordonnance de la Cour. Leur avocat fait cepen- dant valoir que la Règle 464 ne s'applique pas en l'occurrence parce que les documents ne sont pas réclamés pour être produits à une audience, mais pour faciliter l'évaluation que l'on recherche dans la présente affaire. Je ne suis pas d'accord. La Règle ne déclare pas que les documents réclamés doivent être produits à une audience, mais simple- ment que la requête doit viser des documents dont la production à une audience pourrait être pres- crite. En outre, les montants que la Couronne est censée payer aux requérants et à ceux qui sont dans la même situation, sont encore en litige. Leur fixation reviendra devant la Cour, si les parties ne parviennent pas à un règlement amiable et il y aura alors un ou plusieurs procès sur le point litigieux du quantum.
En résumé, mes conclusions sont les suivantes:
1. Les documents, dont les présentes requêtes réclament la production aux fins d'examen, sont en la possession de la firme de comptables agréés Coopers & Lybrand, dont Christopher Henry Flin- toft est membre.
2. Les travaux au cours desquels furent préparés les documents ont été effectués en 1964 par la firme McDonald, Currie & Company, à qui Coo pers & Lybrand a succédé.
3. Les travaux ont été effectués pour le compte de Samuel Werier et de Northland Fisheries Ltd. et payés par eux.
4. Tous ces travaux ont été exécutés exclusivement en vue d'établir la valeur marchande en tant qu'en- treprises en activité, de plusieurs compagnies de pêche, que Werier et Northland projetaient de fusionner. On peut donc présumer que les docu ments se rapportent à cet objectif.
5. Par suite de l'adoption de la Loi sur la com mercialisation du poisson d'eau douce de 1969, les requérants et plusieurs autres compagnies de pêche ont cesser leurs affaires, le 1" mai 1969.
6. Le 3 octobre 1978, dans une instance judiciaire introduite à titre de cause-précédent par Manitoba Fisheries Limited, la Cour suprême a rendu un arrêt portant que la défenderesse était tenue de verser à ladite compagnie, à titre d'indemnité, un montant équivalant à sa valeur marchande au 1" mai 1969, en tant qu'entreprises en activité. Subsé- quemment, d'autres compagnies qui ont cesser leurs affaires pour les mêmes raisons, et notam- ment les autres requérants en l'espèce, ont obtenu des jugements analogues. Aucun de ces jugements n'a fixé le montant de l'indemnité à verser.
7. Depuis l'arrêt en date du 3 octobre 1978, les requérants se sont efforcés de recueillir des élé- ments de preuve en vue d'établir la valeur mar- chande, au 1" mai 1969, de leurs compagnies respectives en tant qu'entreprises en activité.
8. La firme McDonald, Currie & Company n'a fait aucun rapport officiel à Werier ou à North- land des travaux qu'elle a effectués en 1964 pour leur compte. Elle a cependant formulé des conclu sions finales et préparé des projections sur les affaires des compagnies pour les années postérieu- res à 1969. Les conclusions finales et les projec tions ont été communiquées aux requérants.
9. Mais les requérants n'ont pas eu accès aux documents de travail et de base établis par Mc- Donald, Currie & Company au cours de ses tra- vaux. Ce sont ces documents que les requérants veulent maintenant examiner.
10. L'information contenue dans les documents de travail et se rapportant à la période pertinente, aiderait considérablement les compagnies à établir leur valeur marchande à la date considérée, en tant qu'entreprises en activité. Ces documents doivent sûrement indiquer les mesures que la firme Mc- Donald, Currie & Company a prises et les métho- des qu'elle a adoptées pour exécuter le projet, ainsi que les faits et les motifs sur lesquels elle a fondé ses conclusions et les hypothèses qu'elle a élaborées en préparant ses projections. Toute information sur l'une de ces questions ne peut qu'aider à confirmer l'exactitude ou l'inexactitude de ces con clusions et projections.
11. Sans aucun doute, ces documents sont perti- nents. Ils se rapportent directement à la question de la détermination de l'indemnité que chaque compagnie a le droit de recevoir. Ces documents se trouvent dans dix dossiers bien précis. On connaît leur nature mais pas le détail des faits et des chiffres qu'ils contiennent.
Compte tenu de ce qui précède, j'estime, comme je l'ai déjà dit, que l'objet réel de ces requêtes me paraît légitime. Les requérants ne cherchent pas à obtenir quelque révélation de la part d'un tiers. Certains faits qu'ils ignorent peuvent se révéler incidemment, mais ces requêtes n'ont pas pour objet la divulgation de faits mais plutôt l'accès aux documents en vue de s'en servir pour parvenir à déterminer la valeur marchande desdites compa- gnies et, partant, l'indemnité à verser à chacune d'elles. A mon sens, les parties devront avoir ces documents sous les yeux lorsqu'elles tenteront de parvenir à un accord sur la valeur marchande et le quantum de l'indemnité; d'ailleurs, la Cour aussi pourrait avoir à consulter ces documents car, en cas d'échec, c'est à elle qu'il appartiendra en défi- nitive de prendre une décision.
L'avocat de Werier a invoqué plusieurs juge- ments à l'appui de sa prétention selon laquelle il ne faut pas accorder les ordonnances réclamées. Il cite tout d'abord l'arrêt britannique The Central News Company c. The Eastern News Telegraph Company (1884) 53 L.J.Q.B. 236. En l'occur- rence, les défendeurs avaient présenté une requête en vertu de la Règle 7 de l'Ordonnance britanni- que XXXVII (qui ressemble à notre Règle 464 de la Cour fédérale) pour réclamer une ordon- nance enjoignant à une compagnie télégraphique,
qui n'était pas partie à l'action, de déposer entre les mains du juge et des défendeurs, les bandes de toutes les nouvelles qu'elle avait transmises à ses abonnés les 9, 12 et 13 septembre 1882, ainsi que tous les livres et, documents indiquant les messages reçus ces jours-là de la part des demandeurs et les heures de réception et de transmission de ces mes sages. Le juge en chef, lord Coleridge, a exprimé l'avis que le pouvoir que la Règle 7 confère à la Cour de rendre une ordonnance prescrivant à une personne, qui n'est pas partie à l'action, de pro- duire ses documents personnels et confidentiels doit être exercé avec la plus grande circonspection et qu'il ne convient pas d'accorder une telle ordon- nance au motif qu'elle pourrait convenir à l'une des parties ou entraîner des économies. A propos de la demande dont il était saisi, il a déclaré la page 238]:
[TRADUCTION] C'est une simple tentative de la part des défen- deurs d'obtenir, par le processus judiciaire, la production de documents personnels qui contiennent possiblement des rensei- gnements qui leur seraient utiles. J'estime qu'il faut d'abord établir une très forte preuve de la nécessité d'exercer ce pou- voir; or, aucune preuve semblable n'a été établie en l'espèce.
Cette cause se distingue de la présente action. L'ordonnance qui y était réclamée avait une toute autre envergure: elle visait les bandes de toutes les nouvelles que la compagnie télégraphique avait transmises à ses abonnés pendant les trois jours considérés. Selon moi, on ne peut pas dire qu'en l'espèce, au moins en ce qui concerne Northland Fisheries Ltd., les documents réclamés sont des documents personnels et confidentiels de Coopers & Lybrand. Finalement, comme je l'ai déjà nette- ment indiqué, j'estime qu'il a été établi ici une très forte preuve de la nécessité d'accorder l'ordon- nance.
Le second jugement invoqué, Elder c. Carter (1890) 25 Q.B.D. 194, est une autre cause britan- nique dans laquelle il était encore question de la Règle 7. Le lord juge Lindley y a déclaré la page 199):
[TRADUCTION] ... on ne peut pas dire que la règle a pour objet de donner à une partie un nouveau droit, c'est-à-dire celui d'obtenir de personnes qui ne sont pas parties à l'action la divulgation de certains documents .... Elle vise plutôt à apla- nir les difficultés qui se présentent lorsqu'on prescrit la produc tion de documents à divers stades des procédures, avant comme après l'audience, soit à l'audition des requêtes, des pétitions, des assignations, des interrogatoires de témoins, etc. ...
Il ressort clairement des règles de droit qu'il ne faut pas accorder une ordonnance de ce genre lorsqu'elle a pour seul objet de contraindre une personne, qui n'est pas partie à l'action, à divul- guer certains documents. Soulignons également que notre Règle 464 a un sens un peu plus large en regard de la dernière partie de l'extrait précité du jugement du lord juge Lindley. Elle dit que la Cour «pourra ... prescrire la production et l'exa- men du document, et elle peut donner des instruc tions pour la préparation d'une copie certifiée qui peut être utilisée à toutes fins à la place de l'origi- nal.» Elle ne traite pas que de production devant la Cour ou à l'audition de requêtes, pétitions, assi gnations et interrogatoires de témoins. A mon avis, le mot «examen», au sens elle l'entend, signifie: examen par la partie qui obtient l'ordonnance ou examen par son mandataire ou par son représen- tant.
La troisième affaire citée est celle de Trustee of the Property of Lang Shirt Co. Ltd. c. London Life Insurance Co. (1926-27) 31 O.W.N. 285. Cette affaire, débattue devant les tribunaux de l'Ontario, porte sur la Règle 350 qui était alors en vigueur dans cette province. Soulignons que cette règle est pratiquement analogue à notre Règle 464. A la page 286 du recueil, le Master (Garrow) déclare ce qui suit:
[TRADUCTION] La Règle ne s'applique pas du tout à la communication, mais à la production et à l'inspection aux fins de l'audition, y compris au dépôt de copies certifiées, de documents dont on a démontré qu'ils sont en la possession d'un tiers à l'action et dont la production peut être ordonnée à l'audience. Avant de pouvoir décerner une ordonnance en vertu de cette règle, il faut avoir établi qu'un tiers à l'action a en sa possession certains documents spécifiques que la Cour admet- trait en toute probabilité à l'audience comme élément de preuve se rapportant à certains des points litigieux que soulève l'action.
Je n'ai aucune critique à formuler à l'endroit de cet exposé de l'état du droit qu'a fait le Master, mais je ne suis pas d'accord avec l'interprétation que l'avocat de Werier en donne parce que, con- trairement à lui, je considère que les présentes requêtes satisfont aux conditions requises pour le prononcé d'une ordonnance. Les documents, dont on réclame la production et l'examen, sont décrits avec assez de précision pour être identifiés. Il s'agit des documents de travail (contenus dans des dos siers précis) que la firme McDonald, Currie & Company a élaborés lorsqu'elle a procédé à l'éva- luation de la valeur marchande, en tant qu'entre-
prises en activité, de plusieurs compagnies de pêche que Werier et Northland Fisheries Ltd. projetaient de fusionner. A ce titre, ces documents se rapportent directement aux conclusions finales et aux projections élaborées par ladite firme. Ils se rapportent nettement au point litigieux que consti- tue la détermination de la valeur marchande, au lei mai 1969, des compagnies requérantes en tant qu'entreprises en activité. La production de ces documents à l'audience pourrait être prescrite si une instruction afférente au règlement de ce point litigieux s'avérait nécessaire. Mais avant que cette question ne se pose, les requérants et toutes les parties qui ont obtenu des jugements analogues à l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Manitoba Fisheries Limited, doivent négocier avec les représentants de Sa Majesté en vue de parvenir à un accord sur la valeur marchande de chaque compagnie et, partant, sur le quantum de l'indem- nité. Or, pour ce faire, on a besoin de ces docu ments de travail; c'est pourquoi il me faut rendre l'ordonnance maintenant.
L'avocat de Werier cite en quatrième lieu l'af- faire Doig c. Hemphill [1942] O.W.N. 391, une autre cause il était question de la Règle 350 alors en vigueur en Ontario. Après avoir analysé les faits, le Master F. H. Barlow, K.C., a conclu en ces termes:
[TRADUCTION] Il est clair que cette demande a pour but d'obtenir communication de pièces de Parrish & Heimbecker Limited qui est un tiers à l'action. Ceci est contraire à l'inter- prétation exacte de la Règle 350.
Les faits dans cette affaire-là diffèrent sensible- ment de ceux en l'espèce. A mon sens, le raisonne- ment que l'on y trouve et la décision qui y fut prise ne peuvent servir à repousser les requêtes dont je suis saisi.
La dernière affaire citée est celle de Jameson c. Margetson (1975) 11 O.R. (2e) 175. Il s'agit d'un jugement d'une cour de comté de l'Ontario rendu en vertu de la Règle 349 (auparavant 350). La requête sollicitait la production et l'examen d'un très grand nombre de documents et de dossiers que détenait le Régime d'assurance-maladie de l'Onta- rio (OHIP). Selon le juge, il avait été établi que la recherche et la production de tous les documents coûteraient à OHIP $6,179. Il a dit la page 176]: [TRADUCTION] «En général, il est préférable de régler ces questions avant l'audience»; toute-
fois, il a décidé que ce n'était pas un cas il fallait rendre une ordonnance. Il s'est référé à deux questions restées sans réponse: (1) le demandeur pouvait-il trouver l'information dans ses dossiers? (2) l'utilité de cette information justifiait-elle le coût? Le fait que ces questions soient restées sans réponse a nettement influé sur sa décision.
D'autres avocats ont renvoyé la Cour à la juris prudence suivante:
1. Abel c. Stone (1968) 63 W.W.R. 420.
2. In re Smith. Williams c. Frere [1891] 1 Ch. 323.
3. Bowlen c. La Reine [1977] 1 C. F. 589.
4. Bowlen c. La Reine [1978] 1 C.F. 798.
5. Bevan c. Webb [1901] 1 Ch. 724.
6. In re Burnand [1904] C.A. 68.
J'ai lu tous ces jugements, ainsi que plusieurs autres auxquels ils se réfèrent. Ils me confirment dans mon opinion sur les requêtes dont je suis saisi.
J'accorde l'ordonnance réclamée dans ces requê- tes. Vu que la défenderesse n'est nullement respon- sable du fait que ces requêtes soient devenues nécessaires et comme elle est demeurée neutre à leur égard, il n'y aura aucune adjudication de dépens contre elle. Le refus de M. Werier de consentir à la production des documents est, de toute évidence, la seule cause du dépôt de ces requêtes. Toutefois, puisqu'il n'a pas été mis en cause en l'espèce et qu'il n'est pas intervenu, rien dans les Règles ne m'autorise à ordonner le recou- vrement de dépens contre lui.
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