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T-1084-77
Coutinho, Caro & Co. (Canada) Ltd. (Demande- resse)
c.
Les propriétaires du navire Ermua, les affréteurs du navire Ermua, Naviera Vizcaina S.A., Inter - cast S.A., Cast Europe N.V., Cast North America Limited, Cast Transportation Limited, Cast Ship ping Limited, Richmond Shipping Limited (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 20 mars; Ottawa, le 29 mars 1979.
Droit maritime Contrats Un cachet apposé sur le connaissement indiquait que les palanquées n'étaient pas véri- fiées quant à leur contenu, mais étaient réputées contenir les pièces indiquées, avec les dimensions et les poids indiqués Une palanquée entière ainsi que des pièces provenant de trois autres palanquées ont été perdues Les défendeurs invoquent la limite de responsabilité prévue par la Convention de Bruxelles de 1924 Il s'agit de savoir si l'expéditeur a accepté le risque de pièces manquantes à la livraison des palanquées (colis ou unités) Il s'agit de savoir si la limite s'applique à chaque palanquée ou si chaque pièce constitue elle-même un colis ou unité Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, c. C-15, annexe, art. III, par. 3.
Le litige porte sur la perte d'une partie d'une cargaison de coins d'acier, expédiés en palanquées composées chacune de plusieurs pièces, à bord du navire Ermua. Le connaissement indiquait le nombre de palanquées et de pièces ainsi que leur poids, mais portait cette inscription cachetée: «Palanquées non vérifiées quant à leur contenu, mais réputées contenir le nombre de pièces indiqué des dimensions et poids indiqués.» Une palan- quée entière n'a pas été livrée, de même que douze pièces provenant de trois autres palanquées, à raison de quatre pièces par palanquée. Les défendeurs font valoir que la cargaison a été convenablement chargée, arrimée et surveillée et qu'à l'excep- tion d'une palanquée, elle a été livrée dans le même état apparent qu'au chargement. Par conséquent, ils déclinent toute responsabilité$!Les défendeurs invoquent aussi la Convention de Bruxelles de 1924 portant limite de responsabilité par colis, et entendent appliquer cette limite à la palanquée perdue. Deux points de droit se font jour: il s'agit de savoir en premier lieu si, en acceptant la clause du connaissement, l'expéditeur a accepté le risque de pièces manquantes à la livraison et, en second lieu, si la limite de $500 s'applique à chaque palanquée ou si chaque pièce constitue en soi un «colis ou unité».
Arrêt: l'action est accueillie. Bien que la perte puisse être attribuable à l'expéditeur, il semble plutôt que le transporteur ne peut se soustraire à toute responsabilité en estampillant sur le connaissement la mention «réputées contenir le nombre de pièces indiqué». L'admission que la cargaison a été reçue en «bon état et bonne condition apparents» constitue une preuve prima facie contre le transporteur mais cette preuve peut être
réfutée, vu la clause spéciale, par la preuve que les palanquées en question ne contenaient pas le nombre de pièces qu'elles étaient censées contenir, mais la charge de cette preuve incombe au défendeur. Par conséquent, en plus de la réclama- tion pour la palanquée manquante, une réclamation peut être déposée pour les douze pièces manquantes des autres palan- quées. Quoique la preuve démontre que la façon ordinaire d'expédier de l'acier, tel que celui qui nous concerne, est de l'attacher en palanquée, il appert qu'une palanquée dont les pièces sont attachées ensemble pour l'expédition constitue un colis, peu importe qu'il s'agisse de la façon ordinaire de les emballer pour l'expédition. Les pièces d'acier ne constituent plus des unités lorsqu'elles sont ainsi attachées ensemble en palanquée.
ACTION. AVOCATS:
Marc de Man pour la demanderesse. Robert Cypihot pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour la demanderesse.
Brisset, Bishop, Davidson & Davis, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La présente action concerne la perte d'une partie d'une cargaison de coins d'acier, expédiés en direction de Montréal à bord du navire Ermua dont les défendeurs étaient les propriétaires, opérateurs, gérants et affréteurs le 8 novembre 1974 sous le connaissement sans réser- ves 1304 fait à Anvers (Belgique). La cargaison était composée de 10 palanquées de 14 pièces chacune, mesurant 4" x 4" x 3 /s" x 40 pieds de longueur et de 9 palanquées de 12 pièces chacune, mesurant 4" x 4" x '/z" x 40 pieds de longueur. Une palanquée entière de 12 pièces de coins de '/z" n'a pas été livrée et 12 autres pièces de coins de'/" manquaient également, soit quatre pièces prove- nant de chacune de trois palanquées. La valeur totale de la réclamation, basée sur le poids, s'élève à $2,880.78, plus les intérêts que les parties sont maintenant d'accord pour fixer au taux de 8 p. 100, compter de la date d'arrivée du navire au port de Montréal.
Les défendeurs invoquent et plaident la loi belge qui met en vigueur la Convention de Bruxelles de 1924 traitant de la limite relative à chaque colis.
Les parties conviennent que cette loi est la même que la Loi sur le transport des marchandises par eau' qui met en vigueur au Canada la convention susmentionnée. La loi canadienne a pour effet de limiter le transporteur à un montant de $500 «par colis ou unité» à moins que la nature et la valeur des marchandises n'aient été déclarées par le char- geur avant leur embarquement et que cette décla- ration ait été insérée au connaissement (paragra- phe 5 de l'article IV). Le connaissement décrivait le nombre de palanquées et de pièces, donnait aussi leur poids et portait un timbre surimposé se lisant [TRADUCTION] «Palanquées non vérifiées quant à leur contenu, mais réputées contenir le nombre de pièces indiqué des dimensions et poids indiqués.»
Les défendeurs font en outre valoir que la car- gaison a été correctement chargée, arrimée et sur- veillée et qu'à l'arrivée du navire à Montréal, celle-ci, à l'exception d'une palanquée, a été déchargée et livrée dans les mêmes état et condi- tionnement apparents qu'à sa réception à bord. Les défendeurs ont offert en paiement de la cargaison de la palanquée manquante la somme de $500 plus $275 en intérêts et frais. Les défendeurs disent également n'être responsables d'aucun dommage ou perte qui a pu survenir entre le moment la marchandise a été débarquée et celui le destina- taire en a pris livraison, puisque d'une part la cargaison, à l'exception d'une palanquée, a été déchargée dans les mêmes état et conditionnement apparents qu'à sa réception à bord et que d'autre part la demanderesse n'a pas, dans un délai raison- nable, pris livraison de la cargaison et notifié les défendeurs du fait qu'une partie de celle-ci était manquante. La prescription d'un an applicable à cette action selon les conclusions écrites des défen- deurs n'a pas été soulevée au cours de l'instruction, ceux-ci ayant convenu, à la suite de discussions entre les parties avant le début de l'instruction, de ne plus prétendre que l'action est prescrite.
Deux points de droit sont soulevés, l'un quant au lien entre l'expéditeur et le transporteur, l'autre quant à savoir si la limite $500 s'applique à chaque palanquée ou si chaque pièce constitue elle-même un «colis ou unité».
La preuve a établi que la demanderesse avait acheté la cargaison de sa compagnie-mère dont le
' S.R.C. 1970, c. C-15.
siège social est à Hambourg (Allemagne), puis l'avait revendue à Mutual Steel Corporation, du Québec, au prix de $23.15 le cent livres plus une augmentation de 50¢ la tonne facturée à titre de primage justifié comme résultant d'une entente avec les débardeurs. Le fait d'avoir calculé le montant de la réclamation en se fondant sur le poids n'est pas contesté et la preuve a démontré que le prix de $23.15 était le prix courant et la valeur au marché à l'époque. Le fret avait été payé d'avance à Anvers et ne fait pas partie de la réclamation. Les reçus de-quai lorsque le consigna- taire Schenker de Montréal, mandataire de la demanderesse, a reçu la cargaison les 9 et 10 décembre indiquent que les 10 palanquées de 14 pièces chacune ont bien été reçues, quoiqu'il y ait une note mentionnant que les courroies d'une palanquée étaient rompues, mais que huit seule- ment des neuf palanquées de 12 pièces chacune ont été reçues et que trois d'entre elles ne contenaient que huit pièces chacune.
La preuve révèle en outre que les coins d'acier sont habituellement livrés attachés ensemble en palanquées, puisqu'en raison de leur longueur (40 pieds en l'espèce), ils ne sont pas suffisamment rigides pour éviter de plier et d'être endommagés s'ils ne sont pas ainsi attachés. C'est l'expéditeur qui se charge de cette tâche. Une pareille palan- quée pèse entre 2' et 3 tonnes aussi il n'est certes pas facile de voler cette marchandise.
Task Terminals Limited, une filiale des différen- tes compagnies Cast défenderesses, indique dans son Relevé des marchandises débarquées en trop ou en moins ou avariées que le déchargement a été terminé le 25 novembre 1975, et qu'il manquait une palanquée à la cargaison. On n'y trouve aucune mention des pièces manquantes aux autres palanquées, car elles n'ont pas été dénombrées individuellement. François Lagarrege, un préposé au trafic dans le port de Montréal pour Cast à l'époque, est entré lui-même dans les cales et les a examinées après le déchargement et a déclaré qu'il ne restait rien à bord. Si des pièces individuelles s'étaient détachées d'une palanquée et s'étaient trouvées dans la cale, elles auraient été remar- quées.
Ronald Pilon, gérant d'assurances pour Cast, a témoigné avoir vu, sur des connaissements dans l'industrie de l'acier, des clauses semblables por-
tant que la palanquée n'avait pas été vérifiée quant à son contenu, mais qu'elle était réputée contenir un nombre donné de pièces. Selon ce témoin, il s'agit d'une pratique courante dans ce domaine vu les cargaisons importantes expédiées sous forme de palanquées qui rendent difficile pour le trans- porteur de compter les pièces. Obliger les transpor- teurs à ce faire résulterait en des coûts de fret trop élevés.
Les paragraphes 3 et 4 de l'article III des Règles sur les connaissements se lisent comme suit:
3. Après avoir reçu et pris en charge les marchandises, le transporteur ou le capitaine ou agent du transporteur devra, sur demande du chargeur, délivrer au chargeur un connaissement portant, entre autres choses:
a) les marques principales nécessaires à l'identification des marchandises telles qu'elles sont fournies par écrit par le chargeur avant que le chargement de ces marchandises ne commence pourvu que ces marques soient imprimées ou apposées clairement de toute autre façon sur les marchandi- ses non emballées ou sur les caisses ou emballages dans lesquelles les marchandises sont contenues, de telle sorte qu'elles devraient normalement rester lisibles jusqu'à la fin du voyage;
b) ou le nombre de colis, ou de pièces, ou la quantité ou le poids, suivant les cas, tels qu'ils sont fournis par écrit par le chargeur;
c) l'état et le conditionnement apparents des marchandises.
Cependant aucun transporteur, capitaine ou agent du trans- porteur, ne sera tenu de déclarer ou de mentionner, dans le connaissement des marques, un nombre, une quantité ou un poids, dont il a une raison sérieuse de soupçonner qu'ils ne représentent pas exactement les marchandises actuellement reçues par lui, ou qu'il n'a pas eu des moyens raisonnables de vérifier.
4. Un tel connaissement vaudra présomption, sauf preuve contraire, de la réception par le transporteur des marchandises telles qu'elles y sont décrites conformément au paragraphe 3a),b) et c).
En l'espèce, le connaissement se conformait amplement à l'exigence minimum du paragraphe 3b), en ce qu'il indiquait non seulement le nombre de palanquées et de pièces dans chacune d'elles, mais aussi le poids, sous réserve seulement de la clause estampillée (précitée) portant que les palan- quées n'avaient pas été vérifiées quant à leur con- tenu mais étaient réputées contenir le nombre de pièces indiqué des dimensions et poids indiqués.
Les conséquences de l'insertion de clauses res- trictives dans des connaissements sont générale- ment indésirables et cette pratique a été critiquée dans de nombreuses décisions. Toutefois, il n'était question dans la plupart de ces décisions que de
poids et généralement en ce qui avait trait à une cargaison en vrac dont il était impossible de déter- miner la quantité à moins de la peser, contraire- ment au présent cas il ne serait pas difficile, mais simplement trop long, de dénombrer les pièces d'acier liées en palanquée, ce qui résulterait, comme les défendeurs le soulignent, en des taux de fret plus élevés. Il s'agit de savoir si, en acceptant cette clause dans le connaissement, le transporteur a assumé les risques que les palanquées ne contien- nent à la livraison moins de pièces que le nombre indiqué. La demanderesse cite l'arrêt «Patagonier» (Owners) c. Spear & Thorpe 2 il est dit, à la page 61:
[TRADUCTION] A mon avis, l'art. 9 de la Loi canadienne sur les transports de marchandises par eau impose- aux navires l'obligation d'émettre, à la demande du chargeur, un connaisse- ment conforme aux termes de cet article—qui (dans le cas de blé en vrac) énonce la quantité ou le poids. Une clause portant une mention telle que «réputé être» ou «poids inconnu» est à mon avis entièrement incompatible avec les termes de cet article. On a soutenu que si le chargeur demandait un connais- sement contenant pareille clause en le présentant au navire pour signature, on se soustrairait ainsi aux dispositions de l'art. 9. Selon mon interprétation de cet article, quand un chargeur a demandé un connaissement, le navire doit en émettre un qui soit conforme à l'article et des clauses telles que «réputé être» et «poids inconnu» sont nulles. A mon avis, que le connaissement ait été signé constitue en soi une preuve suffisante qu'on l'a «demandé.»
On a conclu dans cette affaire que les connaisse- ments constituaient une preuve prima fade de la quantité de blé expédiée et puisque aucune preuve n'avait été apportée par les propriétaires du navire pour réfuter cette preuve prima facie, la Cour a été obligée de statuer que la quantité indiquée avait été expédiée. On s'est également reporté à la décision américaine Spanish American Skin Com pany c. M/S Ferngulf, Etc., and A/S Glittre 3 , dans laquelle le connaissement qui énonçait la quantité de peaux de mouton d'un poids total indiqué por- tait également l'estampille [TRADUCTION] «Le vapeur décline toute responsabilité quant au poids, la quantité ou la condition du contenu». Traitant de la clause de la Convention de Bruxelles incorpo- rée à la Carriage of Goods by Sea Act des É.-U. dont le libellé est identique à celui de l'article III 3b) (précité), la Cour a examiné l'argument selon lequel puisqu'il est exigé que le connaissement
2 (1933) 47 LI.L. Rep. 59.
3 1957 A.M.C. 611.
énonce soit le nombre et/ou le poids, un connaisse- ment qui précise ces données pourrait être modifié par une réserve apportée à l'une d'elles (en l'occur- rence au poids), et ne constituer alors une preuve prima facie qu'à l'égard de l'autre donnée (en l'occurrence le nombre). Après avoir souligné que le fait de permettre qu'une pareille réserve puisse être apportée aurait pour effet certain de diminuer l'utilité des connaissements pour le financement du commerce, et que la Loi vise l'uniformité en pré-
voyant une méthode qui permet au transporteur de décliner toute responsabilité lorsque l'expéditeur a donné de faux renseignements, en ne les énonçant pas dans le connaissement, la Cour a conclu que le transporteur devait utiliser cette méthode plutôt que d'avoir recours à une réserve générale. L'arrêt conclut que la mention tant du nombre de ballots que du poids dans le connaissement constituait une preuve prima facie de la réception par le transpor- teur du nombre et du poids de peaux mentionnés, sans égard à l'énoncé estampillé sur le connaisse- ment.
L'arrêt américain George F. Pettinos, Inc. c.
American Export Lines, Inc. 4 a aussi été cité. Il y a été statué ce qui suit (aux pages 1257 et 1258):
[TRADUCTION] Les connaissements émis par le transporteur contiennent les poids et la description des marchandises ainsi que le nombre de colis et leur description dans une colonne sous la rubrique générale «Détails déclarés par l'expéditeur». L'inti- mée prétend qu'il ne s'agit pas d'une déclaration du poids qui constitue une preuve prima facie de celui-ci. Je suis d'avis cependant que c'en est une.
La Carriage of Goods by Sea Act prévoit qu'un transporteur doit émettre à l'expéditeur un connaissement énonçant entre autres choses le poids ou la quantité de la marchandise reçue et que, s'il a des motifs raisonnables de croire incorrect, le poids déclaré par l'expéditeur, il peut émettre un connaissement n'énonçant pas le poids. La Loi prescrit de plus que le poids indiqué au connaissement constitue une preuve prima facie de la réception de ce poids et que si l'information fournie par les expéditeurs est inexacte, l'expéditeur devra indemniser le trans- porteur de la perte. Un des objets de la Carriage of Goods by Sea Act est de permettre au consignataire de se fier aux énoncés du connaissement. Les dispositions mentionnées don- nent amplement l'occasion au transporteur de se protéger contre toute obligation de livrer une cargaison plus importante que celle qu'il a reçue. Ayant accepté la marchandise, le transporteur ne peut se soustraire aux présomptions découlant du connaissement en inscrivant simplement le poids et la quan- tité sous la rubrique «Détails déclarés par l'expéditeur.»
4 1946 A.M.C. 1252.
Il était question aussi de l'énoncé du poids d'une cargaison de sacs de toile contenant du graphite. La demanderesse a aussi cité trois causes françai- ses: l'affaire Benledi, Cour d'appel d'Aix, 1958 D.M.F. 277, et l'affaire Cantenac, Cour d'appel de Paris, 1964 D.M.F. 16, et l'affaire Banfora, Cour de Cassation, 1964 D.M.F. 206, qui toutes ont refusé de donner effet à des clauses dans des connaissements indiquant [TRADUCTION] «poids et condition inconnus» ou à d'autres clauses restricti- ves semblables. On a statué que pareilles clauses n'empêchaient pas le transporteur, dans le doute, de compter ou de peser les caisses pour vérifier l'exactitude des renseignements déclarés par l'expéditeur.
Les défendeurs pour leur part s'appuient, entre autres, sur l'affaire Pendle and Rivet, Limited c. Ellerman Lines, Limited, (1927-28) 33 Commer cial Cases 70, qui traite de la perte du contenu d'une caisse de textiles expédiée sous un connaisse- ment indiquant la quantité et le poids mais estam- pillé [TRADUCTION] «Poids inconnu». Traitant de l'argument de l'avocat de la défenderesse selon lequel le connaissement devait être considéré dans son ensemble, le juge Mackinnon a déclaré ceci (aux pages 76 et 77):
[TRADUCTION] M. Dickinson, d'un autre côté, dit que ce n'est regarder que partie du connaissement, et que l'on doit considérer en outre les mots «Poids inconnu» ajoutés au corps du connaissement; de plus il est d'avis que bien qu'en se conformant à l'obligation d'énoncer le poids prévue à la Règle 3, il se peut qu'il n'aurait pu s'appuyer sur la mention «Poids inconnu» si le nombre de caisses n'avait pas aussi été indiqué, car il aurait alors été illégal d'ajouter cette mention vu l'obliga- tion d'indiquer le poids; mais il ajoute «si je me suis conformé à l'obligation prévue à la Règle 3 en indiquant le nombre de caisses, ajouter la mention du poids n'est qu'une option volon- taire; il m'est alors possible d'apporter une réserve à cette mention en inscrivant `Poids inconnu'. Rien ne m'interdit d'ajouter la mention `poids inconnu' puisqu'elle qualifie et réfute toute mention de poids». Il s'agit d'une distinction très subtile. Globalement, je suis porté à penser que M. Dickinson a sans doute raison à cet égard et que bien qu'il ait inscrit dans le connaissement le poids des deux caisses avec la réserve «poids inconnu», après qu'il n'y eut déclaré dans ce connaissement les avoir reçues, cela ne l'assujettit pas pour autant à la Règle 4 qui veut que la mention du poids constitue contre lui une preuve prima facie.
Plus loin, à la page 77, il déclare ce qui suit:
[TRADUCTION] ... mais l'officier est pour constater la réception des marchandises, et il a l'autorité pour le faire; et s'il choisit de constater la réception de caisses d'un certain poids, je suis d'avis que cela lie certainement les défendeurs dans la
mesure cela constitue contre eux une preuve prima facie très claire qu'ils ont embarqué à bord du navire des caisses de ce poids.
Dans l'ouvrage intitulé Scrutton on Charter Parties and Bills of Lading, 18e édition, affirme ceci la page 426):
[TRADUCTION] «Soit le nombre, etc.» Il s'agit d'une obliga tion alternative. Aussi dans l'hypothèse un transporteur émet un connaissement indiquant et le nombre de pièces et le poids, il lui est possible d'apporter des réserves quant au poids, en employant par exemple le terme «poids inconnu». Un pareil connaissement constitue alors une preuve prima facie du nombre de pièces, mais non du poids.
Sous ce rapport, il s'appuie sur l'arrêt Pendle and Rivet et sur l'arrêt Le procureur général de Ceylon c. Scindia Steam Navigation Co. Ltd. India [1962] A.C. 60, la page 74.
Les défendeurs s'appuient aussi sur l'arrêt amé- ricain Tokio Marine & Fire Insurance Company Ltd. c. Retla Steamship Company 5 portant qu'une réserve qui définit l'expression [TRADUCTION] «bon état et bonne condition» telle qu'appliquée à une cargaison de produits en acier n'est pas con- traire à la COGSA.
La rouille et l'humidité avaient été notées à l'embarquement et le connaissement était estam- pillé:
[TRADUCTION] L'EXPRESSION «BON ÉTAT ET BONNE CONDI TION APPARENTS», UTILISÉE DANS CE CONNAISSEMENT RELA- TIVEMENT A DES PRODUITS DE FER, D'ACIER OU DE MÉTAL, NE SIGNIFIE PAS QUE LES MARCHANDISES, A LA RÉCEPTION, ÉTAIENT VISIBLEMENT LIBRES DE ROUILLE OU D'HUMIDITÉ. SI L'EXPÉDITEUR LE DEMANDE, UN NOUVEAU CONNAISSE- MENT SERA ÉMIS SANS LA DÉFINITION CI-DESSUS MAIS POR- TANT LES MENTIONS QUANT A LA ROUILLE OU L'HUMIDITÉ INSCRITES AUX REÇUS DES OFFICIERS OU DES POINTEURS.
L'expéditeur n'a pas demandé un nouveau con- naissement et le transporteur n'a pas été empêché de faire la preuve d'un dommage antérieur au transport. On s'est d'ailleurs reporté dans cette affaire-là à la décision du Conseil privé dans Canada and Dominion Sugar Company, Ltd. c. Canadian National (West Indies) Steamships, Ltd. [1947] A.C. 46. Voici en quels termes le juge s'y est reporté la page 95):
[TRADUCTION] La seule cause citée par l'une ou l'autre des parties traitant d'une situation comparable est la décision anglaise dans Canada and Dominion Sugar Company Ltd. c. Canadian National Steamships Ltd., sup. Dans cette affaire, la demanderesse avait acheté du sucre en se fiant à un connaisse-
' [ 1970] 2 Lloyd's Rep. 91.
ment. Il s'est avéré que le sucre avait été endommagé avant l'expédition. Le reçu du navire, signé par le pointeur-chef à titre de mandataire tant de l'expéditeur que du transporteur, portait la mention «plusieurs sacs tachés, déchirés et recousus». Cette mention n'apparaissait pas sur le connaissement qui énonçait, à la première ligne, que les marchandises avaient été «reçues en bon état et bonne condition apparents». Une clause estampillée dans la marge énonçait que le connaissement était «signé sur la foi de l'engagement à produire un reçu sans réserve du navire». Le Conseil privé, confirmant la décision de la Cour suprême du Canada, statua que le connaissement ne pouvait fonder l'irrecevabilité du reçu du navire.
Ayant statué que le connaissement aurait été «sans réserves» s'il n'y avait été inscrit que la phrase «Reçu en bon état et bonne condition apparents», la Cour conclut que la mention estampillée constituait une réserve au connaissement, rendant
clair et évident à la face même du document, et faisant raisonnablement comprendre à tout homme d'affaires que l'énoncé dans le connaissement relatif à l'état et à la condi tion apparents ne pouvait être considéré comme étant sans réserves si le reçu du navire contenait quant à lui une ou plusieurs réserves....
Ces faits diffèrent cependant entièrement de ceux de la présente affaire, rien n'indique que le défendeur ait constaté l'absence d'aucune pièce avant d'émettre le connaissement.
Dans la plupart des arrêts cités, le litige portait sur la condition ou le poids de la cargaison tandis que dans la présente affaire, nous traitons d'une réclamation afférente à la disparition de douze pièces d'acier longues et lourdes provenant de trois palanquées. Vu leurs poids et dimension, il est hautement improbable qu'elles aient été volées et rien n'indique qu'elles aient été perdues en mer. Il est fort possible que, bien qu'il n'y ait aucune preuve à cet effet, les trois palanquées en question ne contenaient, lorsqu'elles ont été attachées, que 8 pièces chacune plutôt que 12. Si les pièces avaient été enlevées avant le chargement du navire, adve- nant qu'il ait été possible de le faire sans couper les courroies, celles-ci auraient sans doute été substan- tiellement relâchées et cela aurait été remarqué à l'examen, comme l'a été la courroie rompue d'une palanquée à laquelle il ne manquait cependant aucune pièce et qui a été mentionnée dans le récépissé du Conseil des ports nationaux. Le trans- porteur aurait alors pu invoquer la clause finale de l'article III 3 (précité) et refuser d'énoncer dans le connaissement le nombre de pièces dans la palan- quée. Ainsi, bien qu'en l'espèce la perte desdites pièces puisse fort bien être attribuable à l'expédi- teur, il me semble plutôt que le transporteur ne peut se soustraire à toute responsabilité simple-
ment en estampillant sur le connaissement la men
tion [TRADUCTION] «réputées contenir le nombre de pièces indiqué». L'admission que la cargaison a été reçue en «bon état et bonne condition appa- rents», constitue une preuve prima fade contre le transporteur, mais cette preuve peut être repous- sée, vu la clause spéciale, en démontrant que les palanquées en question ne contenaient pas le nombre de pièces qu'elles étaient déclarées conte- nir. Le fardeau de cette preuve incombe au défen- deur. Par conséquent, je conclus qu'en plus de la réclamation pour la palanquée manquante, une réclamation peut être déposée pour les 12 pièces manquantes des trois autres palanquées.
La question de l'applicabilité aux palanquées en question du critère de la limite par colis présente moins de difficulté. Plusieurs décisions ont traité de ce sujet, mais l'arrêt sans doute le plus pertinent est Primary Industries Corporation c. Barber Lines A/S and Skilos A/S Tropic (The «Fern -
land„) 6 , un arrêt américain il est question d'une cargaison de 25 ballots, chacun contenant 22 lin- gots d'étain attachés ensemble. A la page 462, l'on se réfère à la définition de paquet dans le Black's Law Dictionary (4e éd., 1951) que voici:
[TRADUCTION] Colis: Un ballot destiné à être transporté ou manipulé commercialement; un objet de forme quelconque destiné à devenir, en tant que tel, un article de marchandise ou à être livré de main à main. Chaque terme désigne un objet d'une forme propre à être transportée, manipulée ou vendue de main à main .... Dans le monde du commerce, cela est généralement compris comme signifiant un colis expédié par voie de mer.
La citation continue:
[TRADUCTION] Que chaque ballot ait été formé en attachant les 22 lingots d'étain au moyen de deux bandes métalliques et que les 22 lingots d'étain n'aient pas été entièrement recouverts ou enveloppés, cela ne change rien au fait que le ballot consti- tue un colis.
A la même page, l'on se reporte aux motifs pro- noncés par le juge Moore dans Aluminios Pozuelo Ltd. c. S.S. Navigator (1968 A.M.C. 2532):
[TRADUCTION] La signification du mot «colis» qu'a dégagée la jurisprudence peut ... être comprise comme se rapportant à une catégorie de marchandises, quelle que soit leur taille, leur forme ou leur poids, qui ont été emballées dans le but d'être transportées et d'en faciliter la manutention, mais dont l'embal- lage ne les masque ou ne les enveloppe pas nécessairement complètement.
La Cour déclare ensuite [aux pages 462 et 4631:
6 [1971] 1 Lloyd's Rep. 461.
[TRADUCTION] Si l'on applique ce critère aux présents faits, il semble qu'il y ait 25 «colis», et non 550, c.-à-d. que chaque ballot de 22 lingots d'étain constitue un seul «colis» en vertu de la COGSA.
Sous ce rapport, un autre arrêt américain, Nichi- men Company, Inc. c. M. V. Farland and AIS Vigra c. Seabord, Shipping Co., Ltd. 7 , statua qu'un rouleau de câble d'acier attaché au moyen de courroies était un colis, peu importe s'il avait été emballé ou non.
Dans un autre arrêt américain, Standard Elec- trica, S. A. c. Hamburg Sudamerikanische Dampfschiffahrts-Gesellschaft, and Columbus Lines, Inc. 8 , on a statué qu'une cargaison de six cartons contenant chacun 40 syntonisateurs de télévision attachés à une seule palette constituaient un colis. Il est dit à la page 885 que:
[TRADUCTION] ... c'est l'expéditeur et non le transporteur qui a choisi de monter les cartons sur une palette, apparemment pour des raisons de plus de commodité et de sécurité dans la manutention. Pour les fins du connaissement, c'est le nombre d'unités distinctes reçues de l'expéditeur qui est considéré.
La demanderesse a soutenu qu'il fallait être prudent vis-à-vis l'emploi de la jurisprudence amé- ricaine puisque les termes correspondants de la loi américaine sont [TRADUCTION] «dans le cas de marchandises qui ne sont pas expédiées en colis, par unité ordinaire de fret», tandis que les termes dans ce pays sont simplement «par colis ou unité». Toutefois, compte tenu des faits en l'espèce, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de faire de distinc tion. Quoique la preuve démontre que la façon ordinaire d'expédier de l'acier, tel que celui qui nous concerne, est de l'attacher en palanquée, il me semble clair qu'une pareille palanquée dont les pièces sont attachées ensemble pour l'expédition constitue un colis et ce, peu importe qu'il s'agisse de la façon ordinaire de les emballer pour l'expédition. Les pièces d'acier individuelles ne constituent plus des unités lorsqu'elles sont ainsi attachées ensemble en une palanquée.
La réclamation totale de la demanderesse est de $2,880.78 pour la palanquée entière de 12 pièces non livrée et pour les 12 pièces individuelles prove- nant dés 3 autres palanquées.
Une palanquée de 12 pièces de la taille de celles manquantes vaut $1,440.78. Les 4 pièces man
7 1972 A.M.C. 1573. s 1967 A.M.C. 881.
quantes à une palanquée de 12 en valent le 1/3 soit $480.13. Ayant conclu qu'une palanquée entière constitue un colis et que la réclamation y afférente est limitée à $500, nous sommes dans l'étrange situation la demanderesse a droit à $500 seulement pour la palanquée non livrée mais à $1,440.78 pour les 12 pièces manquantes des 3 autres palanquées. Si plus de 4 pièces avaient manqué d'une palanquée, la question se serait posée quant à savoir si la réclamation pour ces pièces manquantes devrait être limitée à $500, soit le maximum permis pour une palanquée entière considérée comme un colis. Mais puisque cette question ne se pose pas en l'espèce, je la laisse sans réponse.
Jugement est donc rendu en faveur de la deman- deresse pour $1,940.39, plus intérêts au taux de 8 p. 100 depuis l'arrivée du navire à Montréal le 19 novembre 1974 et les frais.
Les défendeurs ont consigné la somme de $500, plus $275 pour les intérêts et frais pour la palan- quée manquante. Une ordonnance sera rendue ordonnant le paiement par la Cour de cette somme avec tout intérêt couru en règlement partiel du jugement.
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