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T-194-75
David Benjamin Edward Greenway, exécuteur de la succession d'Anthony Frederick Mancuso (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, les 20, 21, 22 juin et le 10 juillet 1979.
Fonction publique Prestations de pension de retraite La veuve a vécu séparée du contributeur pendant de longues années jusqu'à sa mort Il appartenait au Conseil du Trésor de conclure si la veuve n'était pas censée être l'épouse survi- vante selon les critères prévus par la Loi La preuve admi- nistrée ne comprenait que des faits de notoriété publique, sans que l'avocat de la succession fat invité à présenter des observa tions L'affaire n'a pas été renvoyée au Conseil du Trésor parce que de l'avis du fonctionnaire saisi du dossier, la preuve administrée ne permettait pas de conclure que la veuve était censée décédée avant le défunt Les prestations ont été versées à la veuve il échet d'examiner s'il y a eu obligation et si la conduite de l'enquête constituait une violation de cette obligation il échet d'examiner si les prestations devraient être versées à la succession Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-36, art. 13(5).
Le demandeur sollicite une ordonnance portant que toutes les prestations de décès et de pension de retraite doivent être versées à la succession du défunt et non à sa veuve, dont il avait été séparé pendant de longues années. Le contributeur avait fait verser à son dossier un mémoire demandant que toutes les prestations dérivant de ses années de service dans la Fonction publique soient versées à sa succession et réparties conformé- ment à son testament, document dans lequel il avait consigné la longueur de la séparation et le fait qu'il n'avait versé à son épouse ni indemnité ni pension alimentaire. La Loi sur la pension de la Fonction publique prévoit une allocation à la veuve; elle prévoit également le cas le Conseil du Trésor peut, eu égard aux circonstances, considérer la veuve comme décédée avant le contributeur, si elle a vécu séparée de lui dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à la pension alimentaire. La veuve a présenté sa réclamation au service qui administrait les prestations, mais l'avocat de la succession n'a pas été invité à présenter des observations. Un fonctionnaire a décidé que la preuve rapportée ne permettrait pas au Conseil du Trésor de conclure que la veuve avait droit à la pension alimentaire. L'affaire n'a pas été renvoyée au Conseil du Trésor. Tout en sachant qu'il y avait entre les réclamants un conflit qui pourrait donner lieu à une action en justice, le même fonctionnaire a ordonné le versement des prestations à la veuve. Le demandeur soutient qu'il y a eu obligation et violation de cette obligation, à savoir qu'il n'y a eu aucune enquête convena- ble et que l'enquête n'a pas été menée équitablement. Le demandeur demande le versement à la succession des presta- tions qui revenaient au contributeur.
Arrêt: le demandeur a droit aux dommages-intérêts. Quand une décision doit être prise en application d'une loi, elle doit parfois l'être sur une base judiciaire ou quasi judiciaire, même
si l'affaire a un caractère administratif. Parmi les décisions de ce genre, soulignons l'importance de celles qui créent ou modi- fient des responsabilités ou des droits civils comme le droit à une pension. Un pouvoir discrétionnaire, tel celui que l'article 13(5) confère au Conseil du Trésor, ne doit être exercé que par le titulaire expressément désigné. Le fonctionnaire n'était nulle- ment autorisé à décider si la veuve avait vécu séparée de son mari dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à une pension alimentaire et, par voie de conséquence, à décider si elle devait être réputée décédée avant lui. Cette décision appartenait au Conseil du Trésor. Le fonctionnaire n'était autorisé qu'à recueillir l'information nécessaire et à soumettre l'affaire à la décision ministérielle; par ailleurs, l'enquête administrative qui relevait de sa compétence n'était pas con- forme à l'obligation générale d'impartialité. La Cour ne peut rendre une ordonnance portant paiement au demandeur de toutes les prestations de décès et de pension de retraite, car cela équivaudrait à prendre une décision qui appartient au Conseil du Trésor, lors même que celui-ci ne peut plus la prendre du fait de l'initiative du fonctionnaire dont il s'agit. Il ne s'agit pas d'un cas s'applique le principe voulant que si le mécanisme établi par un acte définissant les droits des parties cesse de fonctionner, la Cour ait le privilège d'y remédier. Le deman- deur avait le droit de faire trancher la question de l'applicabi- lité de l'article 13(5) de la Loi par le Conseil du Trésor ou par un de ses fonctionnaires habilités à cet effet. Le demandeur s'est vu dénier ce droit, ce qui donne lieu à dommages-intérêts.
Arrêts examinés: Ahmad c. La Commission de la Fonction publique [1974] 2 C.F. 644; Woollett c. Minister of Agriculture and Fisheries [1955] 1 Q.B. 103; Mantha c. La ville de Montréal [1939] R.C.S. 458. Arrêts analysés: Point of Ayr Collieries, Ltd. c. Lloyd-George [1943] 2 All E.R. 546; Selvarajan c. Race Relations Board [1976] 1 All E.R. 12. Arrêt appliqué: Zamulinski c. La Reine [1956-1960] R.C.E. 175.
ACTION. AVOCATS:
David Hughes pour le demandeur. Leslie S. Holland pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Watson, Alexandor, Hughes & Fontana, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La présente cause tire son origine du remariage, en octobre 1953, du défunt Anthony Frederick Mancuso qui pendant de nombreuses années avant son décès survenu le 8 janvier 1974, a été fonctionnaire de Sa Majesté et, en tant que tel, contributeur aux termes de la Loi
sur la pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-36.
Dans le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde dit qu'une femme se remarie parce qu'elle a détesté son premier mari et un homme, parce qu'il a adoré sa première femme.
M. Mancuso a eu deux enfants de son premier mariage: un fils, Robert et une fille, Theresa Ann. Cette union a été heureuse. Au décès de leur père, en raison de leur âge, ils n'étaient pas admissibles aux prestations prévues par la Loi.
La remarque d'Oscar Wilde ne s'applique pas pleinement aux mobiles de la veuve de M. Man- cuso, Frances, car, pour elle, ce mariage a été le premier et le seul. Sa soeur a témoigné qu'elle n'a eu de soupirants ni avant ni après Tony (c'est-à- dire M. Mancuso).
Il y a un vieux proverbe français il est dit que les mariages se font en paradis. Il est repris dans Proverbs, de John Heywood, publié en 1590. Si c'est le cas, j'avoue ne pas comprendre pourquoi tous les mariages ne sont pas plus heureux.
En l'occurrence, ce mariage ne semble vraiment pas l'avoir été puisque les conjoints n'ont vécu ensemble que pendant une brève période de 18 mois.
Ils se sont mariés en octobre 1953. En octobre 1954, un fils leur est né, Kenneth Anthony, et en avril 1955, l'épouse, Frances, a quitté le domicile conjugal en emmenant avec elle son enfant et n'est jamais revenue.
Elle dit qu'elle a tenté une réconciliation, mais que son mari l'a repoussée. D'autre part, M. Man- cuso est dépeint comme un homme gentil et affec- tueux qui était prêt à reprendre son épouse s'il avait été convaincu qu'elle désirait sincèrement réintégrer le domicile conjugal.
La maison familiale se trouve sur une grande artère qui conduit à la ville d'Ottawa, dont elle est distante de six à neuf milles.
Il a été établi qu'avant et après la naissance de son fils Kenneth, l'épouse Frances, après avoir
expédié les corvées domestiques telles que la pré- paration des repas, s'enfermait dans sa chambre et que ses rapports avec sa belle-fille étaient tendus.
Plus tard, c'est au rythme de trois ou quatre fois par semaine qu'elle sortait de la maison par la fenêtre de sa chambre avec son enfant dans les bras et faisait de l'auto-stop sur la route pour se rendre en ville chez sa soeur mariée.
A mon sens, il s'agit du comportement d'une personne extrêmement troublée, mais je n'en con- nais pas les raisons. De son côté, elle attribue la séparation [TRADUCTION] «principalement à la cruauté de mon mari». On a dit qu'il y avait des querelles constantes entre les époux causées, sem- ble-t-il, par les efforts du mari visant à faire renoncer son épouse à son droit de propriété dans la maison familiale ou dans un autre bien, droit qu'elle était décidée à défendre jusqu'à la mort. La belle-soeur a aussi insinué que M. Mancuso a essayé de contraindre son épouse à se soumettre, mais en vain.
On a aussi prétendu que l'épouse n'était pas prête à assumer son rôle matrimonial. En me livrant à un calcul mathématique à partir d'autres faits, j'estime qu'elle devait avoir 39 ans au moment de son mariage. Il est prouvé qu'elle n'a eu aucun prétendant avant son mariage en 1953 et aucun après sa séparation en 1955; elle n'était donc peut-être pas prête à accepter la vie conjugale et le fait d'avoir eu un enfant à un âge mûr a certainement être assez pénible et modifier soudainement son mode de vie autrefois empreint de liberté. On a enfin insinué que la rupture était due aux interventions de la belle-mère du mari, qui empêchaient les conjoints de régler leurs affaires eux-mêmes.
Selon moi, il n'est pas indispensable d'établir qui est responsable en définitive de l'échec de ce mariage, qui ne pouvait pas se dissoudre par un divorce a vinculo, en raison des croyances religieu- ses des conjoints. Il y aurait certes beaucoup à dire des deux côtés.
Comme je l'ai déjà mentionné, l'épouse a quitté le domicile conjugal en 1955 et n'y est jamais retournée. Elle n'a jamais non plus cherché à
obtenir une pension alimentaire de son mari. Celui-ci a volontairement versé $20 par mois pour l'entretien de son fils Kenneth jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de 16 ans, c'est-à-dire jusqu'en octo- bre 1971. A l'exception de cette contribution, qu'à mon avis son épouse a trouver mesquine, cel- le-ci a pourvu entièrement à ses besoins et à ceux de son fils. Or, j'estime qu'elle s'en est fort bien tirée. Cette année, elle a pris sa retraite. Pendant sa dernière année de service dans la Fonction publique, elle touchait un salaire de $16,000 et sa pension est basée sur un salaire de $11,000, qui représente la moyenne de ses six meilleures années.
Il se peut fort bien qu'elle ait été capable de gagner plus d'argent que son mari. Je suis con- vaincu qu'il s'agit d'une femme d'affaires avisée, très au courant de ses intérêts financiers et fort attentive à les protéger.
De toute évidence, après l'échec de son mariage, M. Mancuso n'a éprouvé aucun remord. Il semble qu'il était prêt à accepter que son épouse réintègre le domicile conjugal et à pourvoir ensuite à ses besoins. Mais au fur et à mesure que le temps passait, il dut se rendre à l'évidence qu'il en serait différemment.
Dans son testament en date du 18 avril 1957, M. Mancuso a laissé tous ses biens meubles et immeu- bles à son fils Robert et à sa fille Theresa Ann (les deux enfants du premier lit) en parts égales, et a exclu totalement de sa succession son épouse, Frances, et leur fils, Kenneth. Manifestement, le testateur a jugé n'avoir ni obligation morale envers cette dernière, et je présume qu'il a jugé n'avoir aucune obligation légale envers elle soit parce qu'il a consulté un avocat pour rédiger son testament, soit parce que cette rédaction a pris place exacte- ment deux ans après que son épouse l'eut quitté.
Il est incontestable que les prestations de décès et de pension de retraite dérivant de la Loi sur la pension de la Fonction publique, qui ont augmenté en même temps que les années de service de M. Mancuso, constituaient une partie importante des avoirs à transmettre à son décès.
Ce pourquoi, le 22 octobre 1970, soit environ seize ans après la rupture de son mariage, il a rédigé un document avec le concours de M. A. A. Keyes, fonctionnaire de l'Office national du film à
Ottawa, M. Mancuso était employé, et qui connaissait bien ces questions.
M. Mancuso a adressé ce document à la Direc tion du personnel de l'Office national du film à Montréal, pour qu'il soit versé à son dossier et qu'il reçoive la meilleure attention lorsque l'occasion se présentera. En voici l'essentiel:
[TRADUCTION] Veuillez avoir l'obligeance de verser ce mémoire à mon dossier.
Mon testament ordonne de diviser ma succession entre mes deux enfants, en parts égales. Ce document a pour objet de consigner par écrit que toutes les prestations et produits, de quelque nature qu'ils soient, dérivant de mes années de service dans la Fonction publique, et notamment toutes les prestations de décès et de pension de retraite, doivent être versés à ma succession et répartis conformément à mon testament.
Je suis marié, mais je n'ai pas vécu avec mon épouse depuis seize ans et je ne lui ai versé ni pension alimentaire ni indemnité.
Mon testament est déposé chez Me Allen Moore, c.r., 77, rue Metcalfe, Ottawa.
L'objet et la portée de ce document sont clairs.
M. Mancuso déclare qu'il est marié, mais qu'il est séparé de son épouse depuis seize ans et qu'il ne lui a payé ni pension alimentaire ni indemnité. Cette précision est des plus claires. Il n'a pas versé de pension alimentaire parce qu'il n'était pas obligé de le faire et il n'a pu en être ainsi que si elle a vécu séparée de lui dans des circonstances qui l'ont privée de tout droit à une pension alimen- taire. Si tel fut effectivement le cas, la Loi sur la pension de la Fonction publique prévoit alors cer- taines procédures autorisant, advenant le décès de M. Mancuso, que les prestations de décès et de pension de retraite soient versées à sa succession et distribuées conformément à son testament.
Ce document a été placé dans son dossier afin de garantir qu'à la date inexorable de son décès, les procédures requises pour atteindre les résultats cherchés commenceraient immédiatement.
Mais les précautions prises par M. Mancuso se sont avérées vaines. Après son décès, les événe- ments ont déjoué ses intentions.
Il n'a pas compté avec les instincts financiers autoprotecteurs de son épouse.
Lorsque son mari a été hospitalisé pour une grave opération, elle ne lui a rendu aucune visite et ne lui a envoyé aucun message. Elle ne s'en est pas souciée. Ils étaient comme des étrangers.
M. Mancuso est décédé le 8 janvier 1974. Son fils Robert a jugé normal d'en informer immédia- tement sa belle-mère et lui a téléphoné le jour même. Elle n'a pas assisté aux obsèques ni envoyé de fleurs. Elle s'est comportée comme une étrangère.
Toutefois, elle a immédiatement pris certaines mesures. En effet, le 10 janvier 1974, avec une hâte que l'on pourrait qualifier d'indécente et avant même que son mari ait été enterré, elle a écrit une lettre au directeur du personnel de l'Of- fice national du film pour l'aviser que, depuis octobre 1953, elle était l'épouse du défunt Anthony F. Mancuso et bien qu'ils aient été sépa- rés de fait depuis de nombreuses années, il n'y avait jamais eu de séparation légale. Elle a ajouté que cette séparation de fait était «principalement» due à la cruauté de son mari et qu'elle avait subvenu elle-même à ses besoins. Elle lui fait part en terminant qu'elle avait confié toute cette affaire à son avocat et qu'elle demandait que les paie- ments soient retenus jusqu'à ce que l'on ait statué sur son droit aux prestations de décès et de pension de retraite.
La veuve, étant elle-même fonctionnaire, devait être au courant des prestations qui sont dues à un fonctionnaire et à sa veuve au titre de la Loi sur la pension de la Fonction publique et n'ignorait pas qu'en vertu de cette Loi, ce sont la veuve et les enfants (tels que définis) d'un contributeur qui ont droit aux prestations, sauf dans les cas exception- nels la veuve a vécu séparée de son mari dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à une ordonnance de pension alimentaire selon la législation de la province résidait ordinairement le contributeur.
Lors de la séparation en 1955, Mme Mancuso n'a ni demandé ni obtenu une ordonnance de pension alimentaire. Cette abstention ne signifie pas néces- sairement qu'elle n'aurait pas pu en obtenir une si elle avait engagé une action à cet effet. Elle ne l'a pas fait et n'a donc pas obtenu l'ordonnance de pension alimentaire qui aurait établi de manière probante son droit à cet égard.
Cela explique sans doute sa hâte à déposer son caveat et à retenir les services d'un avocat pour présenter en justice sa réclamation. En outre, puis- qu'elle a demandé que les paiements soient retenus (pour qu'ils ne soient pas versés à quelqu'un d'au- tre) jusqu'à ce que la question soit «judiciairement réglée», il n'est pas déraisonnable de penser qu'elle a su que son mari l'avait exclu de son testament et aussi, en toute vraisemblance, de ses prestations de décès et de pension de retraite.
La scène est donc dressée pour la confrontation des réclamants aux prestations de décès et de pension de retraite: d'une part, la veuve; d'autre part, l'exécuteur testamentaire qui cherche à exé- cuter les volontés du testateur que celui-ci a expri- mées dans son testament et le document qu'il a déposé auprès de son employeur, à savoir que lesdites prestations soient versées à sa succession.
C'est à la succession d'un contributeur décédé que les prestations sont versées lorsqu'il est jugé que la veuve n'y a pas droit.
En l'espèce, des prestations ont été payées pour le fils de la réclamante, Kenneth. Ces paiements ne font l'objet d'aucun litige.
En vertu de l'article 4(1) de la Loi, tout employé de la Fonction publique, avec certaines exceptions expressément prévues, est requis de contribuer au compte de pension de retraite, par retenue sur son traitement ou d'une autre façon.
L'article 11(4)a) prévoit le versement d'une allocation à la veuve au décès d'un contributeur qui compte moins de cinq années de service ouvrant droit à pension, tandis que l'alinéa b) prévoit une allocation pour chaque enfant.
Les paragraphes (2) et (3) de l'article 12 pré- voient eux aussi une allocation à la veuve et aux enfants d'un contributeur qui compte au moins cinq années de service ouvrant droit à pension.
Il ne fait aucun doute qu'aux termes de la Loi, c'est la veuve d'un contributeur qui a droit aux prestations de décès et de pension de retraite et que ces prestations sont incessibles.
Une concubine peut être réputée une veuve si elle établit à la satisfaction du Conseil du Trésor qu'elle remplit les conditions de l'article 13(4) de la Loi.
L'article 13(5) prévoit une exception au droit de la veuve aux prestations. En voici le libellé:
13....
(5) Quand, au décès d'un contributeur, il apparaît au conseil du Trésor que la veuve du contributeur avait, pendant un certain nombre d'années précédant immédiatement son décès, vécu séparée de lui dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à une ordonnance de pension alimentaire selon la législation de la province résidait ordinairement le contribu- teur, et quand le conseil du Trésor l'ordonne, en tenant compte des circonstances de l'espèce, y compris le bien-être des enfants en cause, cette veuve est, aux fins de la présente Partie, réputée décédée avant le contributeur.
Dans ce texte, on retrouve un procédé que le Parlement adopte fréquemment. Il consiste à con- férer à un organisme public le pouvoir, conçu en termes subjectifs, de déterminer si un certain état de choses existe comme condition préalable au pouvoir qu'il lui confère de régler une question de façon définitive.
Aux termes de l'article 13(5), le Conseil du Trésor doit prendre deux décisions: il doit d'abord examiner si la veuve du contributeur a bien, pen dant un certain nombre d'années, vécu séparée de son mari dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à une pension alimentaire. Dans la négative, la veuve touche les prestations. Par contre, s'il estime que c'est bien le cas, il lui faut alors prendre une seconde décision. Il peut ordonner, en tenant compte des circonstances de l'espèce, y compris le bien-être des enfants en cause, que cette veuve soit réputée décédée avant le contributeur. En fait, elle est réputée ne pas être la veuve parce qu'une veuve est une épouse qui a survécu à son mari.
Quand le Parlement confère à un organisme public le droit subjectif de déterminer l'existence d'une question de droit ou de fait comme condition préalable à l'exercice de son pouvoir de règlement final, il ne s'ensuit pas que son opinion sur l'exis- tence de cette question de droit ou de fait soit décisive.
Aux termes de l'article 13(5), la décision à prendre quant à savoir si la veuve d'un contribu- teur a vécu ou non séparée de lui dans des circons-
tances qui l'auraient privée de son droit à une pension alimentaire selon la législation de la pro vince résidait le contributeur, n'est pas acces- soire aux mesures à prendre: elle en est l'essence même.
Un pouvoir discrétionnaire, comme le double pouvoir que l'article 13(5) confère au Conseil du Trésor, ne doit être, en règle générale, exercé que par le titulaire expressément désigné. C'est un principe bien connu que lorsqu'un pouvoir est confié à une personne, dans des circonstances indi- quant que l'on fait confiance à son jugement, elle doit l'exercer personnellement à moins qu'elle ne soit autorisée à le déléguer.
Il y a d'autres considérations à peser lorsqu'un fonctionnaire exerce un pouvoir qu'une loi confère à un ministre ou à un ministère.
Les mêmes principes généraux, formulés au cours des ans par la jurisprudence, s'appliquent au Conseil du Trésor.
Le Conseil du Trésor a été créé par la Partie I de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10. Aux termes de l'article 3, il est l'un des comités du Conseil privé de la Reine et a à sa tête un président nommé par commission sous le grand sceau. Il comprend le président, le ministre des Finances et quatre autres membres du Conseil privé, ainsi que des substituts.
Le président du Conseil du Trésor est donc l'équivalent d'un ministre.
Le gouverneur en conseil nomme aussi un fonc- tionnaire appelé secrétaire du Conseil du Trésor, qui a le rang d'un sous-chef de ministère et en possède tous les pouvoirs. Ce fonctionnaire est donc l'équivalent d'un sous-ministre.
La Loi énonce les responsabilités et les pouvoirs du Conseil du Trésor, qui ont trait fondamentale- ment à la politique administrative générale suivie dans la Fonction publique du Canada, notamment la gestion financière, etc. La Loi sur la pension de la Fonction publique lui confère également cer- tains pouvoirs particuliers.
Les nombreux autres fonctionnaires et employés nécessaires au bon fonctionnement du Conseil du Trésor sont nommés de la manière autorisée.
Le Conseil du Trésor est donc un comité de ministres présidé par un ministre. C'est sa prin- cipale différence avec un ministère proprement dit.
Dans Ahmad c. La Commission de la Fonction publique [1974] 2 C.F. 644, la question suivante s'est posée: pouvait-on recommander le renvoi d'un fonctionnaire en vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique parce que «de l'avis du sous-chef», il était «incompétent», alors que le sous-chef n'avait pas personnellement déclaré que l'employé était incompétent.
L'article 6(5) de cette dernière Loi prévoit qu'un sous-chef peut autoriser une ou plusieurs personnes placées sous son autorité «à exercer l'un des pou- voirs, fonctions ou devoirs» que lui confère la pré- sente loi. Le sous-chef avait, par écrit, autorisé le directeur du personnel à exercer les pouvoirs que l'article 31 lui confère. Cet écrit à été critiqué parce qu'il autorisait le directeur à exercer des «pouvoirs» qui n'appartenaient qu'au sous-chef.
Le juge en chef Jackett, en prononçant le juge- ment unanime de la Cour d'appel, s'est exprimé en ces termes la page 650):
A mon avis, quoique cet acte eût pu être mieux rédigé, il confère au directeur le pouvoir approprié pour formuler un avis sur l'incompétence du requérant, préalable à une recommanda- tion prévue à l'article 31.
Voilà qui règle cette objection de façon concluante.
Si je me rappelle bien les faits, la recommanda- tion adressée à la Commission de la Fonction publique au titre de l'article 31 de la Loi était signée du sous-chef, mais le requérant a objecté qu'elle avait été faite «après» qu'on lui eût notifié cette intention et non pas «avant», comme le pré- voit l'article 31. La Cour a statué à cet égard que l'article 31 avait été observé dans ses dispositions essentielles.
Toutefois, le point essentiel, tel que véhiculé par la présente affaire, est le suivant: bien que la Loi confère au sous-chef un pouvoir discrétionnaire de caractère subjectif («de l'avis du sous-chef») qui doit normalement être exercé par lui, elle contient également une disposition qui l'autorise à déléguer cette responsabilité à un autre.
Dans la plupart des lois modernes, mais pas dans toutes, on trouve ce pouvoir exprès de délégation.
Dans l'affaire Ahmad (précitée), le juge en chef Jackett poursuit son raisonnement en ces termes (aux pages 650 et 651):
En tout cas, toute question d'autorisation légale spéciale mise à part, je pense que cet avis n'avait pas à faire l'objet de l'attention personnelle du sous-chef et pouvait émaner des fonctionnaires habilités du Ministère sur la base des principes appliqués dans des affaires telles que Carltona, Ltd. c. Comrs. of Works ([1943] 2 All E.R. 560).
Puis il cite les observations suivantes de lord Greene, Maître des rôles, telles que consignées à la
page 563 du recueil:
[TRADUCTION] Dans le régime d'administration publique de ce pays, les fonctions qui sont conférées aux ministres bon droit du point de vue constitutionnel puisque les ministres sont constitutionnellement responsables) sont si variées qu'aucun ministre ne pourrait jamais personnellement les remplir. Pour prendre l'exemple du cas présent, chaque ministère a sans aucun doute soumis des milliers de réquisitions dans ce pays. On ne peut pas supposer que ce règlement impliquait que, dans chaque cas, le Ministre en personne devait s'occuper de l'af- faire. Les tâches imposées aux ministres et les pouvoirs qui leur sont conférés sont normalement exercés sous leur autorité par les fonctionnaires responsables du Ministère. S'il en était autre- ment, tout l'appareil de l'État serait paralysé. Constitutionnel- lement, la décision d'un tel fonctionnaire représente naturelle- ment la décision du Ministre. Le Ministre est responsable. C'est lui qui doit répondre devant le Parlement de tout ce que ses fonctionnaires ont fait sous son autorité et si, pour une affaire importante, il a choisi un fonctionnaire subalterne dont on ne peut s'attendre qu'il exécute le travail avec compétence, le Ministre devra en répondre devant le Parlement. Tout le sys- tème d'organisation et d'administration ministérielles s'appuie sur l'idée qu'étant responsables devant le Parlement, les minis- tres feront en sorte que les tâches importantes soient confiées à des fonctionnaires expérimentés. S'ils ne le font pas, c'est au Parlement qu'on devra se plaindre de leurs agissements.
Dans l'affaire Carltona, «l'autorité compétente» était les Commissioners of Works, organisme qui ne se réunit jamais. Aux termes de la Loi, ses pouvoirs et ses fonctions sont exercés par le First Commissioner of Works, qui détient aussi le porte- feuille de Works and Planning. Il a donc une double charge: celle de ministre et celle de First Commissioner; l'autorité compétente en ce qui a trait aux Commissioners of Works était donc le ministre de Works and Planning, dans ses fonc- tions de First Commissioner. La personne qui, en l'occurrence, a agi au nom du First Commissioner, fut l'Assistant Secretary. Il s'agit d'un très haut fonctionnaire; le Ministre lui avait confié le soin de
régler cette affaire et il y a concentré toute son attention de manière à agir correctement et en conformité des règlements.
Après avoir cité, dans l'affaire Ahmad, cet extrait de l'affaire Carltona, le juge en chef Jackett poursuit en ces termes la page 651):
Il serait tout à fait impossible au sous-chef d'un ministère important dans un gouvernement moderne de s'occuper person- nellement de toutes les questions de ce genre, quelles qu'impor- tantes qu'elles puissent être pour les personnes concernées. C'est la raison d'être de l'organisation ministérielle et, à mon avis, il en découle nécessairement, en l'absence d'indication contraire expresse ou implicite, que les pouvoirs des ministres et des sous-ministres, dans la mesure ils revêtent un caractère administratif, sont exercés en leur nom par les instances de leur ministère.
Le banc de la Cour d'appel qui a jugé l'affaire Carltona était composé de lord Greene, Maître des rôles, et des lords juges Goddard et du Parcq. Une semaine plus tôt, ces mêmes juges avaient été saisis, par voie d'appel interlocutoire, de l'affaire Point of Ayr Collieries, Ltd. c. Lloyd-George [1943] 2 All E.R. 546. Lord Greene y a exprimé la page 548] l'avis que:
[TRADUCTION] ... dans un cas de cette importance, la signa ture du Ministre parait sans doute plus appropriée que celle d'un membre de son personnel, même de rang supérieur.
Il a ajouté:
[TRADUCTION] L'avantage évident que revêt la signature du Ministre pour des questions d'une aussi haute importance, c'est de réduire à néant toute insinuation qu'il n'a pas accordé une attention personnelle au cas considéré.
Lord Greene explique clairement qu'il ne s'agit que d'un avis et que la Cour n'avait pas l'inten- tion d'ériger en règle que, dans tous les cas y compris dans ceux visés par le règlement en cause, la signature du Ministre est indispensable pour qu'il y ait validité. Il a pris le plus grand soin de limiter au contexte la portée de ses commentaires.
L'affaire Woollett c. Minister of Agriculture and Fisheries [1955] 1 Q.B. 103 porte sur la composition d'un tribunal de terre agricole. Selon la loi applicable, [TRADUCTION] «pour chaque renvoi dont est saisi le tribunal, le Ministre doit inviter à siéger» deux membres de ce tribunal. En l'occurrence, c'est un fonctionnaire du Ministre, également secrétaire du tribunal, qui, après avoir consulté une liste de noms sélectionnés, a invité à
siéger les deux membres. La question suivante s'est donc posée: cette personne a-t-elle agi en tant que secrétaire du tribunal ou en tant que fonctionnaire
du Ministre?
Lord Denning a jugé que l'absence de toute autorisation expresse ou déclarée de procéder à une nomination au nom du Ministre entache cette nomination de nullité. (Le fait que le Ministre ait, par la suite, corrigé cette situation conformément à une disposition de la Loi n'enlève rien à l'affir- mation qu'il doit y avoir une «autorisation expresse
ou déclarée» pour agir au nom du Ministre.) Il dit la page 121):
[TRADUCTION] L'absence d'un écrit n'est sans doute qu'un vice de forme, mais l'absence d'une autorisation expresse ou décla- rée de procéder à une nomination au nom du Ministre est plus qu'un vice de forme; c'est un défaut irrévocable à moins qu'il ne puisse être corrigé en vertu des autres dispositions de la Loi.
Et, à la page 120:
[TRADUCTION] Je sais fort bien que la Loi n'exige aucune formalité et que le Ministre peut agir par l'entremise de n'importe quel fonctionnaire de son Ministère, du moins aussi longtemps que celui-ci utilise les mots magiques: «Le Ministre m'ordonne» de le faire (voir: Carltona Ld. c. Commissioners of Works et Metropolitan Borough and Town Clerk of Lewisham c. Roberts). Mais, en l'espèce, même ces mots n'ont pas été utilisés. La procédure est donc, par ce fait même, pour le moins irrégulière. Il y a un avantage certain à ce qu'un fonctionnaire, dûment autorisé, utilise les mots: «Le Ministre m'ordonne», car il se remémore ainsi l'importance de sa tâche et prend cons cience que s'il commet une erreur, il engagera le Ministre. Ces termes peuvent revêtir aussi une signification légale. Suppo- sons, par exemple, qu'en l'espèce, M. Comins ait écrit une lettre de nomination il déclare agir au nom du Ministre; alors, même s'il n'a pas, en fait, l'autorisation d'écrire la lettre, le Ministre pourrait ratifier son acte. En vérité, le certificat statutaire équivaut à une ratification, car le Ministre ne pour- rait pas le délivrer si le tribunal n'avait pas été valablement nommé. Mais la ratification n'est admissible en droit que si le mandataire déclare agir au nom du mandant: voir les observa tions afférentes à Armory c. Delamirie et à Keighley Maxsted & Co. c. Durant. Donc, en l'espèce, M. Comins n'ayant pas déclaré agir au nom du Ministre, aucune ratification n'a été possible.
Pour sa part, le lord juge Jenkins a fait la remarque suivante la page 124]:
[TRADUCTION] Il est surprenant que l'on ne puisse produire aucun document conférant à Smithies ou à Comins, l'autorisa- tion du Ministre de désigner les membres du tribunal qu'ils ont effectivement désignés.
En tenant compte de ces considérations, j'estime utile d'examiner le traitement que les employés du
ministère des Approvisionnements et Services ont réservé à l'affaire qui nous occupe.
Il convient de rappeler ici qu'en vertu de la Loi sur l'administration financière, le Conseil du Trésor est autorisé à exercer les pouvoirs que lui confère la Loi sur la pension de la Fonction publique.
Par décret du conseil, C.P. 1969-655, en date du 31 mars 1969, le ministre des Approvisionnements et Services a été autorisé [TRADUCTION] «à four- nir tous les services administratifs utiles en matière de régimes et de pensions de retraite des employés», notamment ceux qui dérivent de la Loi sur la pension de la Fonction publique. Ce sont les services administratifs qui doivent être ainsi four- nis. Il semble s'ensuivre que les tâches restantes incombant au Conseil du Trésor ne seraient pas de nature administrative.
On trouve au ministère des Approvisionnements et Services une Division des pensions de retraite qui a à sa tête un directeur, ainsi qu'une Section du traitement des pensions de retraite dirigée par un chef. Cette section est divisée en sous-sections, qui sont dirigées chacune par un chef de sous-section.
On y trouve également une Section de services consultatifs, qui comprend des agents du personnel des services consultatifs groupés sous la direction d'un chef.
Ces noms sont révélateurs des fonctions.
Lorsque, après le décès de M. Mancuso survenu le 8 janvier 1974, sa veuve a, le 10 janvier 1974, notifié sa version de sa situation familiale et fait valoir son droit aux prestations de pension de retraite, elle a déclenché le processus administratif.
Le 15 janvier 1974, la Direction du personnel de l'Office national du film a écrit à la Division des pensions de retraite.
Le 4 février 1974, un chef de sous-section a écrit à l'Office national du film une lettre très détaillée lui indiquant les documents dont la sous-section avait besoin pour traiter la réclamation (pièce P-12).
La lettre soulignait en outre que la Loi prévoit expressément, au décès d'un contributeur, le verse- ment des prestations à la veuve, sauf dans les
circonstances prévues par l'article 13(5). Dans sa lettre du 10 janvier 1974, la veuve a déclaré qu'elle vivait séparée de son mari depuis de nombreuses années.
L'Office national du film a donc demandé à la veuve légale de lui fournir les neuf documents énumérés qui, de toute évidence, étaient indispen sables pour traiter la réclamation.
Les deux qui, en l'espèce, ont une incidence particulière sont le deuxième, qui se lit ainsi:
[TRADUCTION] Deux déclarations sous serment émanant de personnes désintéressées d'un certain rang social, qui connais- sent les faits ayant conduit à la déclaration sous serment de la veuve et indiquant son comportement moral depuis la séparation.
et le neuvième, c'est-à-dire le testament du contributeur.
J'ai toutes les raisons de croire que l'Office national du film a envoyé au Ministère le docu ment du 22 octobre 1970 rédigé par M. Mancuso ordonnant que [TRADUCTION] «toutes les presta- tions et produits ... dérivant de mes années de service dans la Fonction publique, et notamment toutes les prestations de décès et de pension de retraite, doivent être versés à ma succession et répartis conformément à mon testament,» et ce, bien que marié mais vivant séparé de son épouse depuis seize ans.
Si l'Office ne l'a pas fait, l'avocat de la succes sion a envoyé, par lettre en date du 30 juillet 1974, une copie de l'homologation des lettres d'adminis- tration en date du 4 avril 1974, laquelle il a joint le certificat de décès et les instructions du contri- buteur datées du 22 octobre 1970, ainsi qu'un affidavit de A. A. Keyes, qui est, en fait, un affidavit d'exécution de ces- instructions.
La lettre du 4 février 1974 adressée à l'Office national du film, demandant les documents néces- saires au traitement de la réclamation, fait aussi mention d'une autre réclamation émanant d'une concubine veuve et des documents requis pour appuyer sa réclamation. Toutefois, celle-ci fut par la suite abandonnée.
Le 14 août 1974, un chef de sous-section du Ministère a écrit à l'avocat de la succession, peut- être en réponse à une lettre que ce dernier lui avait
adressée le 30 juillet 1974, pour l'aviser [TRADUC- TION] «que jusqu'ici aucune allocation à la veuve n'avait été fixée», mais sans l'inviter à présenter des observations.
Le 13 septembre 1974, l'avocat de la succession a récrit au Ministère en se référant à nouveau à la distribution des prestations de décès et de pension de retraite, selon les modalités prévues par le contributeur défunt, et à l'affidavit d'exécution afférent au document constatant ces modalités, signé par M. Keyes. Il a joint à sa lettre une autre copie de ces documents.
Le 8 octobre 1974, le chef de la sous-section a écrit à l'avocat pour l'informer que les prestations au titre de la Loi sur la pension de la Fonction publique seraient versées à M me Frances Mancuso, en sa qualité de veuve légale d'Anthony Mancuso.
Le 10 octobre 1974, l'avocat a répondu qu'il avait pris des dispositions pour que l'affaire soit portée devant une cour de justice et a demandé de surseoir au paiement des prestations jusqu'à la décision judiciaire.
Le 18 octobre 1974, M. R. Hagglund, des Servi ces consultatifs, a répondu à cette dernière lettre de l'avocat, lui indiquant qu'il refusait de surseoir au paiement des prestations à Mme Frances Man- cuso, comme il le demandait. Il s'est référé à l'article 13(5) de la Loi et a écrit: [TRADUCTION] «après enquête, il a été décidé qu'aucune directive ne serait donnée selon laquelle Mme Mancuso devrait être réputée décédée avant son mari» et que toutes les prestations de décès et de pension de retraite lui seraient versées immédiatement.
Dans une lettre datée du 24 octobre 1974, l'avo- cat a répondu qu'il connaissait fort bien l'article 13(5), qu'il s'était inspiré de son libellé et de ses incidences pour rédiger sa lettre du 10 octobre 1974 et qu'il avait demandé de surseoir aux paie- ments parce que l'affaire allait être portée en justice. Il indiquait également qu'une déclaration serait déposée sous peu.
Ladite déclaration a été déposée le 24 janvier 1975 et signifiée au sous-procureur général du Canada, le 27 janvier 1975.
Un exposé de défense a été déposé le 21 février 1975.
Dans l'intervalle, le 3 janvier 1975, le Ministère a informé l'avocat qu'à la suite de sa lettre du 24 octobre 1974, les paiements à Mme Mancuso avaient été différés pendant environ deux mois, mais que vu le silence de ce dernier depuis lors, ces paiements seraient immédiatement faits à Mme Mancuso. Une demande visant à faire établir un chèque d'un montant de $7,500 payable à Mme Frances A. Mancuso a été présentée le 27 janvier 1975, date du dépôt de la déclaration au greffe. Le chèque a ensuite été remis à Mme Mancuso qui l'a encaissé.
Toutefois, une note de service non datée (pièce P-9) signée par M. Hagglund des Services consul- tatifs, et adressée à M"e L. Gendron, donne les indications suivantes:
[TRADUCTION] Au vu de la preuve versée au dossier, je suis convaincu que la présentation de ce cas au Conseil du Trésor pour examen en vertu de l'article 13(5) ne se justifie pas. Veuillez donner suite à l'autorisation de verser lesdites presta- tions à Mme Mancuso. L'avocat de la succession de M. Man- cuso doit aussi être avisé de cette décision.
Cette note de service doit avoir été écrite avant le 8 octobre 1974 parce qu'elle a inspiré la lettre que M. N. Austin, chef de sous-section, a écrite à l'avocat de la succession pour l'informer que des prestations seraient versées à Mme Frances Man- cuso en sa qualité de veuve légale d'Anthony Mancuso.
M. Hagglund a été cité comme témoin. Il a déclaré que la Section du traitement des pensions de retraite lui a renvoyé cette affaire pour avis. Il a alors invité cette dernière à compléter la preuve par voie d'affidavits corroborant les allégations de la veuve.
Ces affidavits ont été produits en preuve.
La lettre du 4 février 1974 (pièce P-12) écrite à l'Office national du film pour réclamer certains documents est fort claire. Elle demandait deux déclarations sous serment émanant de personnes désintéressées et occupant un certain rang social, qui connaissaient les faits ayant conduit à la sépa- ration ou l'ayant entourée. Je ne sais pas si cette preuve a été fournie au Ministère. Tout ce que j'ai devant moi, c'est la preuve par voie d'affidavit que la veuve a mené une vie exemplaire après s'être séparée de son mari en 1955. Je n'ai été saisi d'aucune preuve provenant de deux déclarations sous serment relatives aux faits ayant conduit à la
séparation ou l'ayant entourée. Par conséquent, je me dois de présumer que ces déclarations n'ont jamais été fournies au Ministère, autrement elles auraient été produites devant cette Cour car la production de pièces est abondante.
Je ne pense pas non plus que la veuve ait fait une déclaration sous serment; tout au moins, aucune n'a été produite. Le seul document produit est sa lettre du 10 janvier 1974, par laquelle elle réclame, suite au décès de son mari, le versement des prestations de décès et de pension de retraite. Elle y reconnaît leur longue séparation qu'elle attribue [TRADUCTION] «principalement à la cruauté de mon mari.»
De toute évidence, M. Hagglund n'a demandé à l'avocat de la succession ni observation ni témoi- gnage à l'appui de ce que l'on pourrait appeler la cause du mari.
A mon avis, la preuve recueillie était incomplète.
Elle n'en a pas moins satisfait M. Hagglund puisqu'il a dit dans son mémoire qu'au vu de la preuve versée au dossier, il était convaincu qu'elle n'était pas de nature à inciter le Conseil du Trésor à déclarer la veuve comme ayant été privée de tout droit à une pension alimentaire.
M. Hagglund a déclaré dans sa déposition n'avoir pris aucune décision, ce qui est jouer sur les mots. Il ressort nettement de sa note de service qu'il était convaincu que la cause ne devait pas être renvoyée au Conseil du Trésor pour décision. La décision, c'est lui qui l'a prise; et, en la prenant, il a décidé à la place du Conseil du Trésor qu'il n'y avait rien à trancher au titre de l'article 13(5) de la Loi. En prenant cette décision initiale à la place du Conseil du Trésor, au lieu de lui renvoyer l'affaire, il l'a effectivement empêché de décider si la veuve devait être ou non réputée décédée avant son mari.
Il a décidé que les prestations devaient être versées à Mme Mancuso et il a enjoint au chef de la sous-section d'informer l'avocat de la succession de «cette décision», c'est-à-dire de la décision prise par M. Hagglund.
Il ressort des principes que j'ai exposés qu'en général, une décision doit être prise par la per- sonne ou l'organisme investi du pouvoir de la prendre; qu'en l'absence d'une autorisation expresse ou tacite de déléguer cette responsabilité, il doit y avoir une autorisation expresse ou décla- rée d'agir au nom de ladite personne ou dudit organisme, sans quoi il y a un défaut irrévocable; qu'il existe normalement un document qui confère à un fonctionnaire l'autorisation d'agir au nom du Ministre. Vu les propos tenus en réprimande par lord Denning selon lesquels un ministre peut agir par l'entremise de l'un de ses fonctionnaires [TRA- DUCTION] «du moins aussi longtemps que celui-ci utilise les mots magiques: `Le Ministre m'ordonne' de le faire», j'aurais souhaité que M. Hagglund indique dans sa déposition sur quelle autorisation il s'était fondé pour agir comme il l'a fait.
L'audience a été ajournée un après-midi pour reprendre le matin suivant avec la déposition de M. Hagglund. J'ai donc insisté pour que celui-ci soit alors prêt à nous indiquer sur quelle autorisa- tion il prétend s'être fondé pour agir au nom du Conseil du Trésor.
C'est ce qu'il a fait le matin suivant. Il a produit en preuve une note de service en date du 30 août 1966; adressée par H. D. Clark à C. E. Caron. M. Clark est un fonctionnaire du Conseil du Trésor bien informé en matière de pensions. M. Caron, à qui la note de service est adressée en réponse à sa demande de renseignements, était autrefois un fonctionnaire d'un ministère chargé d'appliquer la Loi sur la pension de la Fonction publique, qui a par la suite continué à exercer ses fonctions au sein du ministère des Approvisionnements et Services lors de sa création en vertu de la Loi de 1969 sur l'organisation du gouvernement, S.C. 1968-69, c. 28, et lorsque, par décret du conseil en date du 31 mars 1969, la fourniture de tous les services admi- nistratifs relatifs à la Loi sur la pension de la Fonction publique a été confiée au ministre des Approvisionnements et Services.
Bien que cette note de service soit antérieure à la création dudit Ministère, je l'accepte à titre d'exposé donné par le Conseil du Trésor par la voie de sa hiérarchie administrative, de la filière que les affaires de ce genre doivent suivre au sein du Conseil pour être filtrées jusqu'à son Secrétaire et ensuite, vraisemblablement par l'intermédiaire de
ce dernier, pour être versées à l'ordre du jour d'une réunion du Conseil, accompagnées d'un résumé et des recommandations du Secrétaire concernant leur règlement par le Conseil.
Cette note a été déposée en tant que document autorisant à agir au nom du Conseil du Trésor et, comme je l'ai déjà dit, je l'accepte comme tel. Aucun autre document n'a été produit.
La note de service est intitulée [TRADUCTION] «Cas régis par les articles 12(4) et 12(5) de la Loi sur la pension de la Fonction publique». Quand cette note de service a été écrite le 30 août 1966, les articles 13(4) et 13(5) de la présente Loi étaient les articles 12(4) et 12(5) de la précédente Loi. Leur libellé est identique; seule leur numéro- tation diffère.
Je reproduis intégralement le texte de cette note de service car c'est sur les instructions qu'elle contient que M. Hagglund s'est fondé pour agir.
[TRADUCTION] En réponse à votre note de service du 9 août 1966, j'aimerais faire les commentaires suivants.
Je suis d'accord qu'il n'est pas nécessaire de soumettre à la décision ministérielle les cas suivants:
(1) les cas de séparation il n'y a pas de concubine et l'épouse n'a pas vécu manifestement dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à une ordonnance de pension alimentaire;
(2) les cas de séparation l'épouse manifestement n'a pas vécu dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à une ordonnance de pension alimentaire et une concubine présente une réclamation en vertu de l'article 12(4), mais ne satisfait pas aux conditions qu'il requiert.
Étant donné la possibilité d'appel au Conseil du Trésor, il semble que toute décision de rejeter une réclamation qui, à première vue, remplit les conditions des articles 12(4) ou 12(5) doive être prise par M. Bryce au nom du Ministre, plutôt que par votre Direction. En d'autres termes, tous les cas auxquels les articles 12(4) ou 12(5) peuvent fort bien s'appliquer, doivent faire l'objet d'une décision ministérielle, au moins jusqu'à ce que nous ayons acquis une certaine expérience au niveau de l'application des dispositions en matière d'appel.
Il s'ensuit donc que certains cas pour lesquels votre Direction prenait auparavant des décisions sans les renvoyer au Conseil du Trésor, doivent maintenant être soumis à cette Division aux fins de présentation à M. Bryce. Un bon exemple à cet égard est l'affaire Harrison (P.F. 364.665) les revendications tant de la veuve légale que de la concubine semblent être bien fondées. Peu importe la décision qui sera prise, même si elle ne prévoit l'application ni de l'article 12(4) ni de l'article 12(5), il est facile de prédire que la personne dont la réclamation sera rejetée, interjettera appel.
De toute évidence, la directive énoncée dans cette note de service dispose que lorsqu'une récla- mation s'inscrit dans les conditions de l'article 13(5), la Direction n'est pas autorisée à trancher mais doit plutôt renvoyer l'affaire au Secrétaire du Conseil du Trésor en vue d'une décision ministé- rielle.
Les circonstances de l'espèce s'inscrivent dans le cadre de l'article 13(5). Il n'y a aucun doute quant à l'existence d'un conflit entre des réclamants rivaux, qui risque de dégénérer en une action en justice.
Bien qu'il sût cela, M. Hagglund n'en a pas moins rejeté la réclamation du demandeur et adjugé les prestations à la veuve et ce, de sa propre initiative, sans en référer au Conseil du Trésor. Cet acte constitue, à mon sens, un manquement à ses obligations.
En dépit des circonstances le Ministre peut agir par l'entremise de l'un de ses fonctionnaires, il existe certaines décisions statutaires, de caractère administratif, qui ont été jugées comme devant être prises, sur une base judiciaire ou quasi judi- ciaire, par la personne investie du pouvoir de les prendre. A cet égard, la législation afférente à la planification des villes et des villages au Royaume- Uni après la seconde guerre mondiale, fournit une jurisprudence abondante. Fondamentalement, elle prévoyait que le plan du nouvel aménagement devait émaner du Ministre ou des autorités locales. Au moment de projeter un tel aménagement, la Loi requérait la tenue d'une enquête locale publi- que et la rédaction d'un rapport par le fonction- naire qui en était chargé.
Dans Franklin c. Minister of Town and Country Planning [1948] A.C. 87, lord Thankerton dit que puisque les fonctions du Ministre relatives à l'amé- nagement de nouvelles villes sont administratives et fondées sur une politique établie, on ne peut pas l'accuser de partialité, bien qu'il soit l'auteur du plan et enclin peut-être à rejeter les objections soulevées à l'égard de ce dernier. L'enquête locale a pour objet d'informer le Ministre et non pas d'examiner les points litigieux qui surgissent entre lui et ceux qui présentent des objections à son plan. Lord Thankerton dit, à la page 103, que la seule question importante c'est de savoir si le Ministre
s'est bien acquitté de son devoir [TRADUCTION] «d'examiner sérieusement les objections et le rap port, comme la Loi l'ordonne.»
Lord Thankerton admet qu'il incombe au Minis- tre d'examiner personnellement le rapport. Par conséquent, il s'ensuit que le transfert de cette responsabilité à un fonctionnaire inférieur invalide l'acte. La décision finale et l'examen approfondi du rapport font partie des attributions du Ministre.
Ainsi, bien qu'il n'existe aucune règle générale disposant que les ministres ou les sous-ministres, dans l'exercice de leurs fonctions administratives ou judiciaires, doivent se consacrer aux cas qui leur sont soumis, il a toutefois été jugé que certai- nes questions sont si importantes qu'ils doivent les régler personnellement.
L'auteur de la note de service du 30 août 1966 (pièce P-13), sur laquelle M. Hagglund s'est fondé pour agir, reconnaît ce principe. En vertu du décret du conseil C.P. 1969-655, le ministère des Approvisionnements et Services est chargé de four- nir «tous les services administratifs» utiles que requiert la Loi sur la pension de la Fonction publique. La note ne dispense pas le personnel du Ministère de l'obligation de recueillir l'information et la documentation nécessaire au traitement de la réclamation, mais elle ordonne que lorsque cela a été fait et qu'il est manifeste que l'article 13(5) pourrait être appliqué, la question doit alors être soumise à la décision du Ministre. La note fait allusion à la possibilité d'établir une certaine pro- cédure d'appel mais, en réponse à une question que j'ai posée, on m'a informé que cette possibilité ne s'était jamais matérialisée. La note de service demeure donc valable sans référence aux possibili- tés d'appel.
Quand une décision doit être prise en applica tion d'une loi, elle doit parfois l'être sur une base judiciaire ou quasi judiciaire, même si l'affaire a un caractère administratif. Parmi les décisions de ce genre, soulignons l'importance de celles qui créent ou modifient des responsabilités ou des droits civils comme le droit à une pension.
Dans Mantha c. La ville de Montréal [ 1939] R.C.S. 458, un pompier avait sollicité par lettre,
aux termes d'un règlement municipal, une pension de retraite, pour cause d'incapacité résultant d'une maladie. Les médecins municipaux l'ont examiné et l'ont jugé capable de s'acquitter de ses fonctions. En vertu de l'article 11 du règlement, [TRADUC- TION] «le pouvoir de décider, dans chaque cas, si un employé municipal est admissible à la pension de retraite, est délégué au Comité exécutif». La demande du pompier a été rejetée et sa lettre considérée comme une lettre de démission. Pen dant des mois, on ne l'a pas informé du rejet de sa demande de pension ni du contenu du rapport médical favorable à son maintien en fonctions.
Aux pages 466 et 467, le juge en chef Duff déclare:
[TRADUCTION] Il est clair, comme je l'ai déjà fait remar- quer, que tout le monde a compris qu'il sollicitait une pension de retraite en vertu du règlement, au motif d'incapacité pour cause de maladie. Les fonctionnaires de la Corporation auraient réaliser, s'ils avaient accordé à l'affaire la moindre attention, qu'ils avaient l'obligation de l'informer sur-le-champ du rejet de sa demande de pension de retraite. En traitant celle-ci comme une simple démission et en le gardant dans l'ignorance du rapport des médecins et de la décision du Comité exécutif, ils l'ont trompé délibérément ou ont fait preuve d'une inattention grossière dans l'exercice de leurs fonctions.
Une chose est claire: puisque l'appelant n'a pas été informé du rapport des médecins, il n'a pas eu l'occasion d'y répondre avant que le Comité exécutif prenne sa décision.
Il est évident que, dans ces circonstances, il n'y a pas eu le genre d'enquête que prévoit l'article 11. Les obligations d'un organisme administratif chargé d'une enquête, dont les résul- tats sont susceptibles de porter atteinte aux droits civils des parties, ont été énoncées à maintes reprises. Il suffit de se référer aux commentaires de lord Loreburn dans Board of Education c. Rice ([1911] A.C. 179, à la page 182):
Point n'est besoin d'ajouter [que] ... le Board doit agir de bonne foi et entendre les deux parties d'une façon qui soit juste.... Il peut obtenir des renseignements de la manière qu'il juge la meilleure, en donnant toujours aux parties engagées dans la controverse une possibilité suffisante de corriger ou de contredire toute déclaration pertinente portant préjudice à leur cause.
Le genre d'enquête envisagée était judiciaire ou quasi judiciaire.
Le jugement rendu dans Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40 a, en fait, supprimé la distinction entre ceux qui accomplissent des actes ministériels et ceux qui accomplissent des actes judiciaires, et proclamé que l'obligation d'agir équitablement s'applique aux uns comme aux autres.
Dans Wiseman c. Borneman [1971] A.C. 297, lord Guest s'est exprimé en ces termes à la page 310:
[TRADUCTION] Il ressort clairement de la jurisprudence que lorsqu'un tribunal a été établi par une loi en vue de trancher en dernier ressort des questions qui influent sur les droits et les obligations des parties, les tribunaux supposeront, si la loi garde le silence sur ce point, qu'elle exige sous le couvert d'une règle implicite l'application des principes de justice naturelle. Cette supposition sera fondée sur l'impossibilité de présumer que le Parlement retire aux parties leurs droits sans leur donner l'occasion de se faire entendre. En d'autres termes, on ne peut pas présumer que le Parlement agisse de façon inéquitable.
Dans Selvarajan c. Race Relations Board [1976] 1 All E.R. 12, on trouve un récent exposé des obligations qu'un organisme administratif, sans fonctions judiciaires, doit remplir pour agir équitablement. Voici en quels termes lord Denning s'est exprimé à la page 19:
[TRADUCTION] Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion. Notamment la Commission des jeux, qui doit faire enquête pour déterminer si le requérant peut exploiter un club de paris (voir R. c. Gaming Board for Great Britain, ex parte Benaim, [1970] 2 All E.R. 528), et, aux termes de la Companies Act, des inspecteurs qui doivent enquê- ter sur une compagnie et faire un rapport (voir Re Pergamon Press Ltd., [1970] 3 All E.R. 535), et le tribunal nommé en vertu de l'art. 463 de l'Income and Corporation Taxes Act 1970, qui doit décider s'il y a en apparence une cause à poursuivre (voir Wiseman c. Borneman, [1971] A.C. 297). Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en- raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seulement. De plus, il n'est pas néces- saire qu'il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.
Pour les raisons que je viens d'exposer, j'estime que M. Hagglund n'était nullement autorisé à décider si Mm° Mancuso a vécu séparée de son mari dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à une pension alimentaire et, par voie
de conséquence, à décider si elle doit être réputée décédée avant lui.
Dans les circonstances de l'espèce, M. Hagglund et le personnel qu'il dirige ou qui lui fait rapport n'étaient autorisés qu'à recueillir l'information nécessaire et à renvoyer ensuite l'affaire au Secré- taire du Conseil du Trésor pour décision ministérielle.
Comme on l'a vu, M. Hagglund a agi différem- ment. Il a préféré régler l'affaire lui-même sans y être autorisé et, en ne renvoyant pas l'affaire au Conseil du Trésor comme il était astreint à le faire, il a privé le demandeur de son droit à ce que l'affaire soit réglée par le Conseil du Trésor. Pour reprendre les termes de lord Denning dans l'affaire Woollett, sa directive est ainsi entachée d'un défaut irrévocable et elle ne peut être ratifiée d'aucune façon.
En outre, l'enquête que M. Hagglund a menée dans le secteur administratif qui lui est imparti, ne fut pas, à mon avis, conforme à l'obligation géné- rale d'impartialité.
Il savait que la veuve du contributeur avait présenté une réclamation en vue de toucher les prestations de décès et de pension de retraite de son mari, dont elle vivait séparée parce que la conduite de ce dernier l'y avait contrainte. Cela ressort clairement de la lettre de cette dernière, datée du 10 janvier 1974. S'il a accordé à l'affaire autant d'attention qu'il avait le devoir de le faire, il s'est sans doute aperçu que le contributeur adop- tait une position diamétralement opposée en ce qu'il soutenait que son épouse avait fui le domicile conjugal et choisi de vivre séparée de lui, malgré son consentement à la réintégrer dans ses droits conjugaux, raison pour laquelle elle n'avait pas droit à une pension alimentaire. Pour se rendre à l'évidence, il lui suffisait de lire le testament du contributeur en date du 18 avril 1957, il lègue tous ses biens à ses deux enfants du premier lit, et le document du 22 octobre 1970 déposé auprès de son employeur, il ordonne que les prestations de décès et de pension de retraite soient versées à sa succession parce que c'est elles doivent l'être lorsque la veuve a vécu séparée du mari sans avoir droit à une pension alimentaire, ce que le contribu- teur considérait être le cas.
On ne peut pas interpréter ces instructions comme une tentative du contributeur de céder une dette de la Couronne, ce qui est interdit, mais plutôt comme un exposé des motifs pour lesquels elle doit légalement être payée à sa succession. C'est ce qu'il veut dire lorsqu'il écrit que pendant seize ans son épouse a vécu séparée de lui et qu'il ne lui a payé aucune pension alimentaire parce qu'il n'y était obligé ni moralement ni légalement.
M. Hagglund savait que la veuve avait retenu les services d'un avocat pour présenter sa réclama- tion. Il savait aussi que la succession du contribu- teur avait engagé un avocat pour homologuer la succession et que celui-ci avait présenté une récla- mation afférente aux prestations, même s'il ne l'a fait en termes précis que le 10 octobre 1974.
M. Hagglund a parfaitement se rendre compte qu'il y avait un conflit entre les réclamants.
Le chef de la sous-section a réuni avec diligence des documents à l'appui de la réclamation de la veuve. M. Hagglund lui a ordonné d'en obtenir d'autres à cette fin. Mais, à aucun moment, ni lui ni le chef de la sous-section n'a invité l'avocat de la succession à présenter de l'information, une preuve ou des observations à l'appui du point de vue et de la réclamation du contributeur défunt.
En bref, M. Hagglund, qui était au courant du conflit ou qui aurait l'être, n'a réclamé des observations et des preuves que d'une seule partie au conflit et a complètement ignoré l'autre.
Il s'agit d'une attitude contraire à l'obligation élémentaire d'équité. Les deux parties ont le droit d'être entendues.
L'avocat de la succession n'a pas été empêché de présenter des observations, mais il n'y a pas été invité non plus. Il avait le droit de connaître les reproches adressés à son client et d'avoir l'occasion d'y répondre. Il n'en a pas été informé et n'a donc pas eu l'occasion de répondre aux allégations con- traires aux intérêts de son client.
Mais l'avocat de la succession n'est pas entière- ment exempt de responsabilité. Il aurait insister pour faire valoir le point de vue de son client malgré l'attitude négative des fonctionnaires du Ministère, mais le fait capital reste que M. Hagg- lund a agi inéquitablement et arbitrairement
envers le demandeur. Certes, il est plus rapide, plus facile et plus simple de régler un conflit si une seule partie à ce conflit est entendue, mais un fonctionnaire ne doit pas sacrifier l'obligation d'agir équitablement parce qu'il estime qu'une éco- nomie de temps et d'efforts ajoute à l'efficacité administrative.
La demande de redressement faite en l'espèce est contenue aux paragraphes 9 et 10 de la décla- ration du 24 janvier 1975:
[TRADUCTION] 9. Par conséquent, le demandeur sollicite que les prestations de décès et de pension de retraite revenant au défunt Anthony Frederick Mancuso soient versées à la succes sion, conformément à son testament et aux désirs qu'il a exprimés dans son mémoire du 22 octobre 1970.
10. Le demandeur réclame donc ce qui suit:
a) une ordonnance portant que les fonds provenant des prestations de décès et de pension de retraite soient versés à la succession d'Anthony Frederick Mancuso;
b) ses dépens afférents à la présente action;
c) tout autre redressement que cette Cour jugera à propos.
A l'audience, avec le consentement de l'avocat de la défenderesse, le demandeur a sollicité une modification de son exposé de cause, en précisant que celle-ci [TRADUCTION] «inclurait les deman- des de redressement suivantes», c'est-à-dire trois paragraphes numérotés de 1 à 3, les paragraphes 1 et 3 comportant des alinéas.
Contrairement à la déclaration faite lors de l'introduction de la requête, cette modification ne comporte aucune demande de redressement, mais plutôt les allégations de fait.
Elle allègue qu'il y avait une obligation et qu'elle n'a pas été observée. Les détails de cette inobservation sont fondamentalement:
[TRADUCTION] (1) qu'il n'y a eu aucune enquête convenable, et (2) que l'enquête n'a pas été menée équitablement pour les motifs exposés en détail dans les alinéas (1)a), b) et c) et dans les sous-alinéas (3)b)(i), (ii), (iii), (iv) et (y).
L'alinéa 3a) (qui se lit en partie comme suit: [TRADUCTION] «aucun fonctionnaire du Conseil du Trésor n'a procédé à une enquête» et [TRADUC- TION] «Cette inaction des fonctionnaires du Con- seil du Trésor équivaut à une inobservation fautive de leurs obligations légales, qui engage la respon- sabilité de la défenderesse») peut être considéré comme l'allégation que ni le Conseil du Trésor ni l'un de ses fonctionnaires habilités à agir en son nom n'a pris une décision relative à la présente affaire.
Le redressement sollicité par le demandeur reste celui énoncé aux paragraphes 9 et 10 de l'exposé de la demande du 24 janvier 1975, qui n'ont pas été modifiés.
Pour les motifs que j'ai indiqués, je conclus que M. Hagglund n'était pas autorisé à décider si les circonstances prévues par l'article 13(5) de la Loi sur la pension de la Fonction publique tournaient à l'avantage du contributeur ou de son épouse et, par voie de conséquence, qu'aucune décision n'a donc été prise ni par le Conseil du Trésor ni par l'un de ses fonctionnaires habilités à agir en son nom. En outre, pour les motifs exprimés précédem- ment, je conclus que M. Hagglund n'a pas agi équitablement dans l'enquête qu'il a menée ou ordonnée.
La demande de redressement sollicite de la Cour une ordonnance portant le paiement de toutes les prestations de décès et de pension de retraite au demandeur, c'est-à-dire à la succession de M. Mancuso.
Je ne pense pas pouvoir rendre une pareille ordonnance, car elle équivaudrait pour moi à pren- dre une décision qui appartient en fait au Conseil du Trésor et que les initiatives de M. Hagglund l'ont empêché de prendre.
Je ne pense pas non plus qu'il s'agisse d'un cas peut s'appliquer le principe que lord Shaw énonce dans Cameron c. Cuddy [1914] A.C. 651, à la page 656. Ce principe que la Cour suprême a appliqué dans Mantha c. La ville de Montréal (précité) est le suivant: lorsque cesse de fonction- ner le mécanisme établi par un acte définissant les droits des parties, la Cour a le privilège de remé- dier à ce défaut.
Dans Mantha, le litige opposait le réclamant et la ville. Ici, il oppose la succession du demandeur et sa veuve. Dans Mantha, les parties en litige étaient les mêmes que les parties à l'action. En l'espèce, les réclamants rivaux au droit à la pen sion ne sont pas les parties à l'action.
En outre, les modifications apportées à la décla- ration excipent d'une différente cause d'action, à savoir une obligation légale envers le demandeur, dont l'inobservation a pour conséquence d'entraî- ner la responsabilité de la défenderesse. Bien que l'on n'en ait fait aucune mention, cette responsabi-
lité donne lieu de toute évidence à des dommages- intérêts.
Tout cela serait inclus dans la clause «fourre- tout» de l'alinéa 10c) de la demande de redressement.
Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, le demandeur a le droit de faire trancher la question de l'applicabilité de l'article 13(5) de la Loi par le Conseil du Trésor ou par l'un des fonctionnaires de ce dernier habilités à agir en son nom. Or, la question ne l'a pas été. Le demandeur s'est donc vu dénier ce droit.
Le déni de ce droit donne lieu à une action en dommages-intérêts. C'est cette action que la modi fication apportée à la déclaration, bien que rédigée de façon inepte, a voulu introduire.
Dans Zamulinski c. La Reine [1956-1960] R.C.É. 175, une affaire introduite par pétition de droit, le requérant, un employé des postes ayant fait l'objet d'un renvoi, avait demandé entre autres dans sa demande de redressement, des dommages- intérêts pour ne pas s'être vu ménager l'occasion, avant son congédiement, de présenter sa version de l'affaire à un fonctionnaire supérieur du ministère des Postes nommé par le sous-chef en vertu de l'article 118 des Règlements sur le Service civil.
Le président Thorson déclare aux pages 697 et 698:
[TRADUCTION] A mon avis, le requérant a une réclamation qui dérive d'un règlement émis par le gouverneur en conseil, soit une réclamation déposée en vertu de l'art. 118 des Règle- ments sur le Service civil. En vertu de cet article, il a le droit de se voir offrir l'occasion, avant son congédiement, de présenter sa version de l'affaire à un fonctionnaire supérieur du Ministère nommé par le sous-chef. J'estime que ce droit ne lui a pas été effectivement donné. C'est un principe fondamental que la violation d'un droit donne lieu à une cause d'action: voir Ashby c. White et al. (1703), 2 Ld. Raym. 938, 92 E.R. 126. En l'espèce, il y a donc eu déni d'un droit légalement dévolu au requérant: par conséquent, celui-ci a droit à des dommages- intérêts.
De même, en l'espèce, le demandeur s'est vu dénier un droit qui est légalement le sien. Il a donc droit à des dommages-intérêts.
Toutefois, il m'est difficile d'en fixer le quan tum. Il est admis que le montant des prestations de décès et de pension de retraite qui aurait été versé à la succession du contributeur, dont l'exécuteur est le demandeur dans cette cause, si ce montant n'avait pas été versé à la veuve par suite des
instructions de M. Hagglund, s'élève à $10,164. Si j'étais certain que le Conseil du Trésor aurait jugé que la veuve a vécu séparée du contributeur dans des circonstances qui l'auraient privée de tout droit à une ordonnance de pension alimentaire selon les lois de la province de l'Ontario et aurait ordonné que la veuve soit réputée décédée avant le contri- buteur, alors je dirais que le montant des domma- ges-intérêts s'élève à $10,164.
Mais je ne suis pas certain que le Conseil du Trésor aurait décidé en ce sens. Même s'il en avait décidé autrement après en avoir eu l'occasion, le demandeur aurait droit à des dommages-intérêts pour s'être vu dénier son droit légal, mais ne se chiffrant pas nécessairement au plein montant.
Le fait qu'il soit difficile de fixer le montant des dommages-intérêts n'est pas une raison pour s'en abstenir. Il ne saurait être question de dommages- intérêts symboliques. Le préjudice subi par le demandeur est réel, même s'il est difficile à éva- luer en termes monétaires.
Le maximum possible pour le dommage subi par le demandeur est $10,164, mais ce montant doit être réduit proportionnellement aux possibilités qui existent de voir le Conseil du Trésor prendre des décisions défavorables au demandeur. Celui-ci a une cause défendable à présenter au Conseil du Trésor, mais il n'est pas certain qu'elle prévaudra. Le demandeur avait le droit de présenter cette cause, mais il en a été empêché parce que M. Hagglund s'est prévalu d'un pouvoir dont il n'était pas investi. Ce faisant, M. Hagglund a agi de bonne foi et sans malice dans l'exercice d'un droit qu'il croyait avoir. Des dommages-intérêts punitifs seraient donc hors de propos, mais il a néanmoins agi avec iniquité, même s'il n'a pas nécessairement fait preuve d'un mépris complet des droits du demandeur. Il y a un motif suffisant pour se montrer généreux dans la fixation des dommages- intérêts.
Compte tenu de ces circonstances et en particu- lier des impondérables afférents à la décision du Conseil du Trésor, j'estime équitable de fixer les dommages-intérêts du demandeur à $7,500, mon- tant que je lui alloue.
Un jugement sera donc rendu en conséquence en faveur du demandeur avec dépens taxables.
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