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A-60-78
Les Nations Unies et l'Organisation pour l'ali- mentation et l'agriculture des Nations Unies (Demanderesses) (Appelantes)
c.
Atlantic Seaways Corporation et Unimarine S.A. (Défenderesses) (Intimées)
Cour d'appel, les juges Ryan et Le Dain, et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 27 septembre 1978; Ottawa, le 26 mars 1979.
Compétence Droit maritime La clause d'attribution de compétence du connaissement stipulait l'applicabilité exclusive du droit canadien et le règlement des litiges au Canada par la Cour fédérale du Canada Toutes les parties sont domici- liées à l'extérieur du Canada et le contrat aurait été conclu aux É.-U. en vue du transport au départ d'un port américain à destination d'un port étranger Il s'agit de savoir si la compétence in personam de la Cour fédérale en matière de créances sur une cargaison s'étend à une cause d'action née à l'extérieur du Canada Dans l'affirmative, il s'agit de savoir si la demande en l'espèce est régie par le droit maritime canadien au sens de l'art. 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22.
Il s'agit d'un appel du jugement de la Division de première instance qui a rejeté, pour cause d'incompétence, une action en dommages-intérêts à la suite d'un transport maritime de mar- chandises d'un port des États-Unis à un port de la République du Yémen. Toutes les parties sont domiciliées à l'extérieur du Canada et le contrat de transport aurait été conclu aux États- Unis. La clause 2 du connaissement stipulait cependant que le contrat dont faisait foi ce connaissement était régi par la loi canadienne et que les litiges seraient portés devant la Cour fédérale du Canada, à l'exclusion de toute autre juridiction. L'appel porte sur deux questions: (1) la compétence in perso- nam de la Cour fédérale en matière de créances sur une cargaison s'étend-elle à une cause d'action née à l'extérieur du Canada? et (2) dans l'affirmative, la clause d'attribution de compétence du connaissement fait-elle de la demande une action fondée sur le droit maritime canadien ou sur toute autre loi canadienne relative à la navigation et à la marine mar- chande au sens de l'article 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: L'appel est accueilli. La compétence ration materiae de la Cour pour connaître d'une action in personam en matière d'avaries de cargaison s'étend aux causes d'action nées à l'exté- rieur du Canada. Les termes de la Loi sur la Cour fédérale qui confèrent la compétence in personam en matière de créances sur une cargaison ne comportent aucune réserve, expresse ou tacite, qui serait fonction du lieu est née la cause d'action. Il est significatif qu'il en est tout autre de la compétence in personam en matière d'abordage. Une fois qu'il est établi qu'une demande relève de l'un des cas de compétence visés à l'article 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale, il faut présumer qu'elle est reconnue en droit maritime canadien et que ce droit lui est applicable et ce, conformément à la règle établie par les
arrêts Quebec North Shore Paper et McNamara Construction. Voilà la seule conception valide de la compétence de la Cour fédérale en matière d'amirauté. Si l'on assujettit la compétence à des règles qui s'appliquent par le jeu du conflit des lois, cela risque de créer des dichotomies juridictionnelles imprévisibles et hasardeuses.
Arrêts considérés: Santa Maria Shipowning and Trading Co. S.A. c. Hawker Industries Ltd. [1976] 2 C.F. 325; Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; Trop - wood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co. (1979) 26 N.R. 313. Arrêt mentionné: Associated Metals & Minerals Corp. c. L'�+Evie [1978] 2 C.F. 710.
APPEL. AVOCATS:
Nigel H. Frawley pour les demanderesses (appelantes).
John T. Morin et L. Price pour la défende- resse (intimée) Atlantic Seaways Corpora tion.
Arthur J. Stone, c.r. pour la défenderesse (intimée) Unimarine S.A.
PROCUREURS:
McMillan, Binch, Toronto, pour les demande- resses (appelantes).
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour la défenderesse (intimée) Atlantic Seaways Corporation.
McTaggart, Potts, Stone & Herridge, Toronto, pour la défenderesse (intimée) Uni- marine S.A.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit ici de l'appel d'un jugement de la Division de première instance [[1978] 2 C.F. 510] rejetant une action en dom- mages-intérêts fondée sur un transport maritime de marchandises depuis un port des États-Unis à destination d'un port en la République du Yémen parce que la Cour n'aurait pas été compétente pour en connaître. Le jugement a été rendu sur une demande intentée en vertu de la Règle 474, conformément à une ordonnance autorisant de produire une comparution conditionnelle pour exciper de l'incompétence de la Cour.
Les pièces dont la Cour a connaissance et dont on doit présumer qu'elles établissent les faits à
prendre en compte pour décider de la question de compétence consistent en la déclaration, en un affidavit produit à l'appui des demandes d'une ordonnance de signification ex juris et en un con- naissement, pièce jointe à l'affidavit.
Il s'agit d'une action personnelle que les appe- lantes ont engagée à titre de propriétaires d'une cargaison de blé expédiée en leur nom à bord du navire Valiant de la Nouvelle-Orléans en Loui- siane à destination d'Hodeïda en la République du Yémen contre les intimées Atlantic Seaways Cor poration et Unimarine S.A. respectivement pro- priétaire et affréteur du navire. Toutes les parties sont domiciliées à l'extérieur du Canada. Les Nations Unies ont leur siège en la ville de New York et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations Unies a le sien à Rome. Atlantic Seaways Corporation est une société libé- rienne qui a son siège social à Monrovia, au Libé- ria et Unimarine S.A. est une société panaméenne qui, pour fins de signification, a élu domicile à Panama. Le Valiant est immatriculé au Libéria.
Le contrat de transport aurait été conclu aux États-Unis entre la Commodity Credit Corpora tion, l'agence du gouvernement des États-Unis qui a fait don du blé aux appelantes, et l'intimée Unimarine S.A., contrat que constate un connais- sement délivré par le commandant du navire à la Nouvelle-Orléans. Le Programme alimentaire mondial, une organisation que les appelantes ont créée, et qui a son siège à Rome, aurait expédié le blé à titre de mandataire des appelantes et serait, en cette capacité, cessionnaire des droits de la Commodity Credit Corporation découlant du con- trat de transport.
La déclaration dit qu'à son arrivée à Hodeïda, le blé aurait été [TRADUCTION] «infesté d'insectes et sur le point de germer» et qu'en conséquence une grande quantité en a été rejetée par les autorités yéminites. Les appelantes réclament le prix du remplacement de la cargaison avariée. Elles pré- tendent qu'il y a inexécution du contrat de trans port et reprochent aux intimées et à leurs préposés des fautes précises.
Deux clauses du connaissement portent sur la question de la compétence. Ce sont les clauses 1 et 2 que voici:
[TRADUCTION] 1. Clause Paramount. Le contrat que constate le présent connaissement produira ses effets sous réserve des Règles de la Haye de la Convention internationale de Bruxelles du 25 août 1924 relative à l'unification de certaines règles concernant les connaissements, telles qu'édictées par l'état expéditeur. Si aucune législation de ce genre n'est en vigueur dans cet état, le Carriage of Goods by Sea Act de 1924 du Royaume-Uni s'appliquera. Dans le cas de marchandises char gées dans un port canadien, c'est la Loi du transport des marchandises par eau, 1936 qui s'appliquera. Lorsqu'il est délivré pour le transport international de marchandises par mer au départ ou à destination de ports des États-Unis d'Amérique, le présent connaissement prendra son effet sous réserve des dispositions du Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis approuvé le 16 avril 1936. Toutefois, si cette loi ne s'applique pas et que le transporteur soit tenu responsable par la loi ou autrement de la cargaison, cette responsabilité sera régie et limitée par les paragraphes 3(5), (6) et (7), 4(2), (5) et (6) sauf l'alinéa 4(2)q), et l'article 7 de la COGSA, qui sont incorporés à la présente clause. Le transporteur continue de bénéficier des exonérations, immunités et limitations de responsabilité accor- dées par les articles 4281 et 4287 modifiés des statuts révisés des E.-U., et des dispositions législatives créant ou autorisant des exonérations ou limitations de la responsabilité du transpor- teur, lesquelles sont incorporées à la présente clause.
Si l'une des dispositions, exonérations et conditions de ce connaissement est incompatible avec toute législation incorpo- rée par la présente clause, cette disposition, exonération et condition est nulle dans cette mesure mais pas davantage.
2. Loi applicable et compétence. Le contrat dont fait foi le présent connaissement est régi par la loi canadienne, et les litiges seront réglés par la Cour fédérale du Canada à l'exclu- sion de tout autre tribunal.
La cargaison arriva au port d'Hodeïda vers le 18 avril 1976. La déclaration fut produite le 7 avril 1977. Le 9 mai 1977 la Division de première instance, par ordonnance, autorisa les appelantes à signifier notification de la déclaration aux intimées à l'extérieur de sa juridiction. La signification ayant été faite, les intimées demandèrent l'autori- sation de produire une comparution conditionnelle [TRADUCTION] «en vue d'exciper de l'incompé- tence de la Cour». Par ordonnance de la Division de première instance, en date du 5 décembre 1977, cette autorisation fut accordée pourvu que les inti- mées déposent une requête excipant de l'incompé- tence au plus tard le 19 décembre 1977. Confor- mément à cette autorisation, les intimées produisirent des comparutions conditionnelles et demandèrent [TRADUCTION] «une ordonnance sur
le fondement de la Règle 474 radiant la déclara- tion et rejetant l'action avec dépens parce que la Cour n'a pas compétence pour connaître de la demande en l'espèce.»
Après un débat en règle, comportant aussi bien une procédure orale qu'écrite, la Division de pre- mière instance, le 26 janvier 1978, accorda la demande et rejeta l'action au motif qu'il ne s'agis- sait pas d'une demande faite en vertu «du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada». Il s'agissait d'une référence à ce que prévoit, pour fonder la compétence, l'article 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale que voici:
22. (1) La Division de première instance a compétence con- currente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
La Division de première instance jugea que le contrat de transport n'avait aucun lien avec le Canada, qu'il était régi par le Carriage of Goods by Sea Act, 1936', des Etats-Unis et qu'en l'ab- sence de tout lien avec le Canada, la clause 2 du connaissement, précitée, ne pouvait faire que la demande ait été faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada.
Si je comprends bien les motifs du jugement et les arguments qu'on nous a fait valoir, l'appel porte essentiellement sur deux questions: première- ment, la compétence personnelle de la Cour fédé- rale en matière de créances sur une cargaison s'étend-elle à une demande dont la cause est née à l'extérieur du Canada? Et, deuxièmement, si par hypothèse c'est le cas, la demande en l'espèce, compte tenu des stipulations des clauses 1 et 2 du connaissement, en est-elle une qui est faite sur le fondement ou en vertu du droit maritime canadien ou de quelque autre loi canadienne relative à la navigation et à la marine marchande au sens de l'article 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale? Subsidiairement, les appelantes font valoir que la question de la compétence ne devrait pas être décidée en cet état de la cause car la Cour n'a pas devant elle suffisamment de faits pour la trancher. Le bien-fondé de cette proposition ne peut bien sûr être évalué qu'après avoir considéré les implica-
46 U.S. Code, articles 1300 à 1315.
tions des deux questions et l'importance, pour en décider, des faits dont la Cour n'a pas présente- ment connaissance.
Les dispositions précises attributives de compé- tence que les appelantes invoquent sont les alinéas e),h) et i) du paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale que voici:
22....
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
e) toute demande pour l'avarie ou la perte d'un navire, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, l'avarie ou la perte de la cargaison ou de l'équipe- ment d'un navire ou de tout bien à bord d'un navire ou en train d'y être chargé ou d'en être déchargé;
h) toute demande pour la perte ou l'avarie de marchandises transportées à bord d'un navire, et notamment, sans restrein- dre la portée générale de ce qui précède, la perte ou l'avarie des bagages ou effets personnels des passagers;
i) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
Les intimées font valoir qu'il faut interpréter ces dispositions attributives de compétence de façon à exclure les demandes dont la cause serait née hors du Canada. On a référé au cours du débat à l'histoire de la compétence de la juridiction d'ami- rauté en matière de contrats maritimes étrangers et en particulier on a prétendu que cette compé- tence s'étendait autrefois aux contrats conclus outremer mais que plus tard elle fut restreinte aux contrats faits en haute mer. On a mentionné les Rôles d'Oléron 2 , la législation de Richard II 3 , et
2 On a mentionné deux passages des Rôles d'Oléron, tels qu'on les trouve dans le The Black Book of the Admiralty, édité par Sir Travers Twist. Voici le premier, volume I, page 69: [TRADUCTION] «Item tout contrat conclu entre un commer- çant et un autre commerçant, ou entre un commerçant et un navigateur outremer, ou en deçà du relais de haute mer, sera jugé devant l'amiral et nulle part ailleurs de par l'ordonnance dudit roi Edward et de ses seigneurs.—N° E. 38, Dr Zouch, fol. 101. Articles of Agreement, 18 fév. 1632. Littleton L. 3, c. 7, sect. 440.» Voici le second, volume II, à la page 327: [TRADUC- TION] «Si un contrat est passé entre le peuple d'Oléron et celui d'un autre pays et qu'ensuite il y ait litige, l'audition de celui-ci se fera dans le pays il a été passé car il y sera plus facile d'en entendre les témoins.»
3 Richard II, 1389, chapitre 6 [TRADUCTION] («... les ami- raux et leurs mandataires ne s'émisseront plus dorénavant dans ce qui se passe dans le royaume mais s'occuperont uniquement
l'attitude des juridictions de common law 4 . L'ar- gument au sujet des contrats de transport étranger
cependant s'appuyait principalement, si j'ai bien compris, sur la portée limitée de la compétence, en matière de créances sur la cargaison conférée à la Cour d'Amirauté d'Angleterre par l'article 6 de la Loi de 1861 sur l'Amirauté, 24 Vict., c. 10, que
voici:
[TRADUCTION] 6. La Haute Cour d'Amirauté aura compé- tence pour connaître de toute demande du propriétaire, consi- gnataire ou cessionnaire de toute marchandise transportée, suivant connaissement, à destination d'un port quelconque d'Angleterre ou du pays de Galles, dans quelque navire que ce soit, pour tout dommage causé aux marchandises, en tout ou en partie, par la faute, l'incurie ou l'inexécution de quelque obliga tion, délictuelle ou contractuelle, de la part du propriétaire, du commandant du navire ou de l'équipage, à moins qu'il ne soit démontré à la Cour, et qu'elle n'en soit convaincue, qu'au moment la procédure a été engagée un des propriétaires, ou copropriétaires, du navire était domicilié en Angleterre ou au pays de Galles:.. .
La Loi de 1861 attribua à la Haute Cour d'Amirauté compétence matérielle et personnelle en matière de demande fondée sur les avaries à une cargaison transportée vers un port d'Angle-
de ce qui se fait sur mer...») et Richard II, 1391, chapitre 3 [TRADUCTION] («... de toutes les sortes de contrats, plaintes et chicanes, et de toutes les autres affaires ayant pris naissance dans le ressort des comtés, sur terre ou sur l'eau, et aussi des épaves sur la mer, la Cour de l'amiral n'en saurait avoir connaissance en quelque manière ...Y)
4 Les Rôles d'Oléron, de même que l'effet des lois de Richard II et l'attitude des juridictions de common law en ce qui concerne la compétence de la juridiction d'amirauté en matière de contrats maritimes étrangers ont été étudiés par le juge Story dans son jugement désormais classique: De Lovio c. Boit, 2 Gall. 398, 7 Fed. Cas. 418. II statua que la Cour d'Amirauté d'Angleterre avait compétence avant l'adoption des lois de Richard II en matière de contrats maritimes étrangers qu'ils aient été conclus et qu'il ait été entendu qu'ils seraient exécutés, que ces lois ne cherchaient pas à supprimer cette compétence en matière de contrats maritimes étrangers conclus sur terre, en dépit du fait que les juridictions de common law aient prétendu le contraire, et qu'il n'y avait aucune raison de recevoir aux États-Unis les restrictions que les juridictions de common law avaient apporté à la compétence de la Cour d'Amirauté. Il conclus en disant: [TRADUCTION] «Somme toute, je suis prêt à affirmer, sans la moindre hésitation, que la délégation aux juridictions des États-Unis de la compétence de connaître de «toutes les affaires civiles d'amirauté et de compé- tence maritime» s'étend à tous les contrats, délits, quasi-délits et avaries maritimes. Cette dernière branche est de par nécessité limitée au territoire; la première s'étend à tous les contrats, (peu importe ils ont été faits ou signés et quelle que soit la forme de leurs stipulations,) qui se rapportent à la navigation, au commerce ou aux affaires de mer.»
terre ou du pays de Galles. Elle ouvrait un recours il n'y en avait aucun auparavant: The «Iron- sides» 167 E.R. 205; The «St. Cloud» 167 E.R. 269. Mais elle fixait aussi les limites de la compé- tence d'amirauté exercée par la Cour de l'Échi- quier du Canada en matière de créances sur la cargaison fondée sur l'Acte de l'Amirauté, 1891, S.C. 1891, c. 29, qui avait été adopté conformé- ment à l'Acte des Cours coloniales d'Amirauté, 1890, 53-54 Vict., c. 27 (loi imp.). La Cour de l'Échiquier respecta cette limite dans The Harris Abattoir Co. Ltd. c. Le S.S. «Aledo» [1923] R.C.É. 217 elle statua qu'elle n'avait pas com- pétence pour connaître d'une demande fondée sur l'avarie d'une cargaison expédiée du Canada vers l'étranger. De par la Loi d'amirauté, 1934, S.C. 1934, c. 31, la compétence attribuée à la Cour de l'Échiquier en matière de créances sur la cargaison n'est pas limitée aux cargaisons destinées à un port canadien. L'alinéa a) du paragraphe 18(3) de la Loi sur l'Amirauté, S.R.C. 1952, c. 1, attribue compétence dans les termes suivants:
18....
(3) Par dérogation à toute disposition de la présente loi ou de l'Act mentionné au paragraphe (2), la Cour a juridiction pour entendre et décider
a) Les réclamations
(i) découlant d'une convention relative à l'utilisation ou à l'affrètement d'un navire,
(ii) relatives au transport de marchandises dans un navire, ou
(iii) en dommage relativement à des marchandises trans- portées dans un navire;
Le paragraphe 18(4) disposait:
18....
(4) Nulle action in rem, à l'égard d'une réclamation men- tionnée à l'alinéa a) du paragraphe (3), n'est du ressort de la Cour, à moins qu'il ne soit démontré à cette dernière que, au moment les procédures ont été intentées, aucun propriétaire ou copropriétaire du navire n'était domicilié au Canada.
L'article 22(1)a)(xii) du Supreme Court of Judicature (Consolidation) Act, 1925, 15-16 Geo. V, c. 49, avait attribué compétence à la Cour anglaise en matière de créances sur une cargaison comme suit:
[TRADUCTION] 22.—(1) La Haute Cour possède, en matière d'amirauté, la juridiction suivante (nommée dans la présente loi, «juridiction d'amirauté»), savoir:—
a) juridiction pour entendre et décider l'une quelconque des contestations ou réclamations suivantes:—
(xii) Toute demande—
(1) née d'un contrat d'exploitation ou d'affrètement d'un navire; ou
(2) relative à un transport de marchandises par bateau; ou
(3) en responsabilité délictuelle relative à un transport de marchandises par bateau;
à moins qu'il ne soit démontré qu'à l'époque fut engagée la procédure, un propriétaire ou copropriétaire quelconque du navire était domicilié en Angleterre:
Ces dispositions montrent clairement que la limitation que prévoyait l'article 6 de la Loi de 1861 sur l'Amirauté n'a pas été reproduite dans la Loi anglaise de 1925 ni dans la Loi canadienne de 1934. La compétence en matière de créances rela tives à une cargaison que ces lois ont attribuée aux juridictions d'amirauté anglaises et canadiennes respectivement était à première vue illimitée au moins quant au lieu de naissance de la cause de la demande.
La Loi d'amirauté, 1934 a imposé certaines restrictions à l'exercice de la compétence person- nelle relativement à des créances sur une cargai- son. Le paragraphe 19(2) prévoyait que: «Sous réserve des paragraphes (3) et (4) de l'article 18 et du paragraphe (1) de l'article 20, la juridiction d'amirauté de la Cour de l'Échiquier peut être exercée, soit dans des actions in rem, soit dans des actions in personam.» Ce sont les alinéas e) et j) du paragraphe 20(1) qui importent, les voici:
20. (1) Une instance peut être instituée dans un greffe quelconque, quand
e) L'instance est in personam et fondée sur une violation ou une prétendue violation, dans les limites du district ou de la division de ce greffe, d'un contrat, quel que soit le lieu de sa passation, qui relève de la juridiction de la Cour et qui, d'après les termes dudit contrat, aurait être exécuté dans les limites de ce district ou de cette division; ou
J) L'instance est in personam et a pour objet un dommage relativement à des marchandises transportées sur un navire à l'intérieur d'un port dans les limites du district ou de la division de ce greffe.
On pourrait aussi faire observer que la Règle 20 d'application de la Loi de 1934, qui concerne les significations à l'extérieur de la juridiction, reflète ces limitations aux alinéas b) et e) que voici:
[TRADUCTION] 20. La Cour pourra autoriser la signification hors du ressort d'un bref d'assignation, d'un avis de comparu- tion ou d'un avis à tierce partie quand:
b) une action est fondée sur la violation, dans les limites du district ou de la division est intentée l'action, des disposi tions d'un contrat, quel que soit son lieu de passation, du moment que, d'après les termes dudit contrat, il devait être exécuté dans les limites du district ou de la division;
e) l'action intentée est fondée sur la responsabilité délictuelle relativement à des marchandises à bord d'un navire dans un port situé dans les limites du district ou dans la division du greffe est intentée l'action.
Les termes de la Loi sur la Cour fédérale qui attribuent compétence personnelle en matière de créances sur une cargaison ne comportent aucune réserve, tacite ou expresse, qui serait fonction du lieu de naissance de la cause de la demande. Outre le libellé des alinéas e),h) et i) du paragraphe 22(2), précités, lequel ne comporte aucune réserve, on pourrait se référer au paragraphe 22(3)c) que voici:
22....
(3) Pour plus de certitude il est déclaré que la compétence conférée à la Cour par le présent article s'étend
c) à toutes les demandes, que les faits y donnant lieu se soient produits en haute mer ou dans les limites des eaux territoriales, intérieures ou autres du Canada ou ailleurs et que ces eaux soient naturellement ou aient été rendues navigables, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, dans le cas de sauvetage, aux demandes relatives aux cargaisons ou épaves trouvées sur les rives de ces eaux; .... [C'est moi qui souligne.]
Le paragraphe 43(1) dispose que «Sous réserve du paragraphe (4) du présent article, la compé- tence conférée à la Cour par l'article 22 peut dans tous les cas être exercée en matière personnelle.» Le paragraphe (4) impose comme suit certaines conditions, voire limitations, à la compétence per- sonnelle dans les affaires d'abordage:
43....
(4) Nulle action personnelle ne peut être intentée au Canada pour une collision entre des navires à moins
a) que le défendeur ne soit une personne qui a une résidence ou un bureau d'affaires au Canada;
b) que la cause d'action n'ait pris naissance dans les eaux territoriales, intérieures ou autres du Canada; ou
c) que les parties n'aient convenu que la Cour aura compétence.
Il est significatif, je pense, qu'aucune limitation n'ait été apportée à sa compétence personnelle en matière de créances sur une cargaison. C'est un motif de ne pas en présumer une. L'avis du juge en
chef Jackett dans Santa Maria Shipowning and Trading Company S.A. c. Hawker Industries Limited [1976] 2 C.F. 325, semble confirmer ce point de vue. Dans cette affaire, une action person- nelle, fondée sur un contrat de réparation d'un navire, avait été engagée. On s'est interrogé sur l'étendue de la compétence qu'attribuait l'article 22(2)n) de la Loi sur la Cour fédérale au sujet de «toute demande née d'un contrat relatif à la cons truction, à la réparation ou à l'équipement d'un navire» car, comme l'a dit le juge en chef dans ses motifs, on faisait valoir que «toute la cause con- tractuelle d'action ainsi invoquée se situe géogra- phiquement hors du Canada et que, par consé- quent, cette cause d'action ne relève pas de la compétence d'un tribunal canadien». Le juge en chef a statué que les termes de la déclaration, pouvait autoriser la preuve de la naissance au Canada d'une cause de la demande mais il a répondu comme suit à l'argument sur les limites de la compétence de la Cour en matière d'amirauté:
Vu l'absence de jurisprudence directement reliée à la ques tion, je ne suis pas convaincu que les litiges relatifs à la compétence d'amirauté soient soumis à des limitations géogra- phiques implicites. Dans une affaire d'amirauté (et, autant que je sache, dans toute autre affaire présentée devant n'importe quel tribunal), quand il n'existe pas de limitation expresse, il n'y a pas de raison de conclure à l'existence d'autre limitation géographique implicite de la compétence de la Cour que celle relative à la nécessité de remettre une assignation à un défen- deur à l'intérieur du ressort géographique de la Cour, sauf si une autorité compétente donne la permission de délivrer une assignation ex juris. [A la p. 335.]
Cette opinion sur la compétence de la Cour en matière d'amirauté paraît conforme à celle attri- buée à la Cour d'Amirauté anglaise par l'Admin- istration of Justice Act de 1956 dont l'article 1(4)b) dispose que les dispositions de son article 1, qui attribuent compétence en fonction des diffé- rentes catégories de demandes s'appliquent [TRA- DUCTION] «à toutes les demandes, peu importe le lieu elles naissent ...». (L'article 4 de la Loi impose certaines limitations territoriales aux actions personnelles dans les affaires d'abordage à peu près comme le fait le paragraphe 43(4) de la Loi sur la Cour fédérale.) Il est aussi intéressant de noter les dires de lord Wilberforce dans The «Atlantic Star» [1974] A.C. 436, la page 469, sur l'opinion qu'a la Cour d'Amirauté anglaise de sa compétence:
[TRADUCTION] ... la Cour d'Amirauté dans notre pays a une très longue histoire et une réputation internationale bien éta-
blie. Des justiciables de tous les coins du monde y ont recours en des matières n'ayant aucun lien intrinsèque avec l'Angle- terre. La proportion (les avocats nous ont fourni les chiffres qu'ils ont trouvés) de litiges étrangers dont elle connaît est substantielle. For d'élection souvent choisi par les contractants, elle a l'habitude d'appliquer la loi étrangère, et est apte à entendre le témoignage d'experts jouissant eux-mêmes d'une grande réputation.
Pour ces motifs je suis d'avis que la compétence de la Cour, ratione materiae, dans une action personnelle, en matière de demande pour cause d'avaries à une cargaison, s'étend à celle dont la cause est née à l'extérieur du Canada. Que la Cour doive se présumer compétente dans une affaire qui exige l'autorisation de signifier ex juris c'est là, naturellement, une autre question. C'est un pou- voir discrétionnaire à exercer en prenant en compte la théorie du forum conveniens: affaire Antares Shipping Corporation c. Le «Capricorn» [1977] 2 R.C.S. 422. En l'espèce la Division de première instance a autorisé à signifier hors de la juridiction et ce n'est pas l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, en soi, que contestent les intimées dans leur demande, mais bien la compétence ratione materiae de la Cour.
Voyons maintenant si la demande peut être fondée sur le droit maritime canadien ou sur quel- que autre loi du Canada concernant la navigation et le commerce maritime. Dans Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054 et dans McNamara Construction (Western) Limited c. La, Reine [1977] 2 R.C.S. 654, la Cour suprême du Canada, se fondant suer l'expression «[P]administration des lois du Canada» de l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, a jugé que pour que la Cour fédérale soit compétente dans une espèce, il doit y avoir en existence et applica ble, un droit fédéral: loi, règlement ou common law, sur lequel la demande puisse se fonder. Il ne suffit pas que l'objet de l'action relève de la com- pétence législative du Parlement. Ni dans l'une ni dans l'autre affaire ne s'appliquait ni n'existait de droit fédéral, jugea-t-on, de sorte que la Cour n'eut pas à considérer la relation qu'il doit y avoir entre le droit fédéral actuel et la cause d'une demande dans une espèce pour satisfaire et à l'article 101 et aux termes d'une attribution particulière de com- pétence. Mais dans l'arrêt McNamara Construc tion, le juge en chef Laskin a employé des termes
qui suggèrent qu'une demande doit être «fondée» sur le droit fédéral en vigueur.
Cela fait maintenant plusieurs affaires la présente cour statue que le droit maritime cana- dien au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, que l'article 42 déclare maintenir en vigueur, constitue du droit fédéral en vigueur au sens des arrêts de la Cour suprême Quebec North Shore Paper Company et McNamara Construc tion. Voir par exemple Associated Metals & Minerals Corporation c. L'«Evie [1978] 2 C.E. 710 dans lequel le juge en chef Jackett a dit à la page 716: «il y a au Canada un ensemble de droit de l'amirauté dont nous ne sommes pas sûrs des limites exactes mais ledit droit englobe évi- demment un droit positif régissant les contrats de transport des marchandises par mer».
En l'espèce présente c'est le droit maritime canadien qui doit constituer le droit fédéral appli cable dont l'existence est nécessaire pour donner compétence; on ne prétend pas qu'il existe au Canada d'autres normes de droit portant sur la navigation et le commerce maritime qui soient applicables. La question litigieuse telle que l'ont présentée les motifs du jugement de la Division de première instance et le débat en appel, est de savoir si, vu les termes de la clause 1 du connaisse- ment, on peut dire que la demande est fondée sur le droit maritime canadien. En vertu de la clause, lorsque le transport s'effectue depuis un port amé- ricain et concerne le commerce vers l'étranger, le connaissement doit avoir effet sous réserve des dispositions du Carriage of Goods by Sea Act, 1936, des États-Unis. On fait valoir que d'après cette stipulation les droits et obligations des parties sont fixés par le droit américain, plutôt que par le droit canadien.
D'autre part, les appelantes ont accordé beau- coup d'importance à la clause 2 il y a élection du droit applicable, aussi bien que du for à saisir en cas de litige, comme indiquant que le droit maritime canadien s'applique en l'espèce. Le débat en appel a porté principalement sur la validité et l'effet de la clause 2 par rapport à la clause 1. Cela soulève des problèmes d'interprétation et de droit international privé. Les prétentions respectives des parties peuvent se résumer brièvement. Les inti- mées font valoir que la clause 2 devrait être décla- rée inopérante, voire nulle et non avenue, car elle
contredit la clause 1 ou vient en conflit avec elle. Elles invoquent le principe mentionné dans Forbes c. Git [1922] 1 A.C. 256, la page 259: [TRADUC- TION] «Si dans un acte une clause met à néant une obligation créée par une clause antérieure, la der- nière clause doit être rejetée comme contradictoire et la première doit prévaloir.» On s'est aussi appuyé sur l'arrêt Ocean Steamship Company, Limited c. Queensland State Wheat Board [1941]
1 K.B. 402 fut jugée nulle et non avenue la stipulation d'un connaissement qui faisait du droit anglais le droit applicable au contrat car c'était contrevenir à une disposition du Sea-Carriage of Goods Act, 1924, [No 22, 1924] de l'Australie, incorporée au contrat, qui faisait du droit austra- lien le droit applicable en cas d'expédition depuis un port australien. Les intimées font aussi valoir que la clause 2 ne devrait pas recevoir effet, et elles citent l'arrêt de la Cour d'appel des États- Unis, deuxième circuit: Indussa Corporation c. Steamship «Ranborg» 1967 A.M.C. 589, car une juridiction américaine la jugerait nulle et non avenue parce que contraire au Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis dans la mesure elle cherche à retirer aux juridictions américaines leur compétence. Les appelantes font valoir, somme toute, qu'il n'y a pas nécessairement conflit entre les stipulations de la clause 1 et celles de la clause
2 et qu'on peut leur donner effet à toutes deux si on tient que la première incorpore les dispositions du Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis au contrat de transport conformément au principe reconnu dans des affaires comme G.E. Dobell & Co. c. The Steamship Rossmore Company, Limi ted [1895] 2 Q.B. 408, ou dans l'affaire Ocean Steamship elle-même, et que la clause 2 pourrait avoir effet sous réserve des conditions du contrat, y compris celles-ci.
La décision du Conseil privé dans Vita Food Products, Incorporated c. Unus Shipping Com pany, Limited [1939] A.C. 277 semble avoir une grande importance vu les questions soulevées. Le connaissement dans cette affaire, qui visait une expédition depuis un port de Terre-Neuve à desti nation des États-Unis ne comportait pas de clause paramount incorporant au contrat les Règles de la Haye, telles que reprises par le Carriage of Goods by Sea Act, 1932, de Terre-Neuve [1932, c. 18] mais contenait une clause prévoyant que le contrat serait régi par le droit anglais. Il fallait décider si
le défaut de se conformer à une exigence de cette loi terre-neuvienne, soit qu'il y ait une clause paramount, rendait le connaissement illégal. Le Conseil privé a jugé que non. Au sujet de la liberté des parties de choisir la loi applicable au contrat qui leur convient, lord Wright, qui rédigea l'avis, a dit la page 290]: [TRADUCTION] «Mais lorsque s'applique la règle anglaise qui veut qu'on recher- che l'intention des parties et lorsque celles-ci ont expressément choisi la loi applicable à leur contrat, il est difficile de voir quelles restrictions on pour- rait y apporter pourvu que l'intention ainsi expri- mée l'ait été de bonne foi, qu'elle soit licite et qu'il n'y ait aucune raison de l'ignorer pour des motifs d'ordre public.» Quant à savoir si les parties sont libres de choisir comme droit applicable un droit n'ayant aucun lien avec le contrat, il a dit claire- ment la page 29O]: [TRADUCTION] «Un lien avec le droit anglais n'est pas en principe essen- tiel.» Cette décision a fait l'objet de critiques de la part d'auteurs éminents de droit international privé mais il semble qu'elle traduise encore l'opi- nion dominante. Certains diront que dans des cir- constances de ce genre le choix des parties est un facteur à considérer mais non déterminant. La principale restriction à la liberté d'élection du droit applicable au contrat, et le sens à donner aux mots «bonne foi» et «licite» employés par lord Wright, ce serait qu'on ne doit pas choisir comme droit appli cable celui qui nous permet de contourner une obligation décrétée par la loi avec laquelle le con- trat a le plus de liens réels. Voir Dicey and Morris, The Conflict of Laws, 9e éd., 1973, pages 729 à 732; Cheshire, Private International Law, 9e éd., 1974, pages 205 à 208; Castel, Canadian Conflict of Laws, 1977, vol. 2, pages 535 à 537. Quant à savoir avec quel système de droit le contrat a le plus de liens réels, c'est essentiellement une question de fait et dans la mesure il s'agit d'un système de droit étranger, la question est aussi de savoir quelles dispositions obligatoires de ce droit portent atteinte à la validité du contrat ou à l'une de ses stipulations. Il vaut mieux que ces questions ne soient résolues qu'à la lumière de toutes les circonstances pertinentes prouvées entourant la conclusion et l'exécution du contrat. Dans cette mesure je pense qu'il serait prématuré de tenter de résoudre ces questions en cet état de la cause, en s'appuyant sur la déclaration seule. La question de la mesure de l'application du droit canadien est par ailleurs compliquée par le fait que les appelan-
tes prétendent cumuler leurs recours délictuel et contractuel. Quant à savoir si en l'espèce, le propriétaire et l'affréteur sont actionnés, il peut y avoir cumul ou si les défenderesses auraient droit au bénéfice des exceptions du contrat, ou si enfin, il serait nécessaire d'appliquer la loi étrangère en quelque mesure pour établir la responsabilité, ce sont aussi des questions qu'il vaut mieux ne résoudre qu'après l'instruction sur le fond.
De toute façon je suis d'avis que la réponse à la question de savoir si la demande est fondée ou non sur le droit maritime canadien ne peut être fonc- tion de la mesure dans laquelle la loi étrangère s'applique. D'après moi, une fois qu'il a été statué qu'une demande particulière relève de l'une des catégories de compétence spécifiées à l'article 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale, il faut présumer qu'elle est reconnue par le droit mari time canadien et que ce droit lui est applicable, en autant que le requièrent les arrêts Quebec North Shore Paper et McNamara Construction. Il n'y a pas d'autre approche de la compétence de la Cour en matière d'amirauté qui puisse fonctionner. Que cette compétence soit fonction de la loi applicable de par l'opération du droit international privé crée- rait des dichotomies de compétence imprévisibles et hasardeuses. Serait exclue de la compétence de la Cour, par exemple, une affaire comme l'arrêt Drew Brown Limited c. L'«Orient Trader„ [1974] R.C.S. 1286, la Cour appliqua, comme loi du contrat, le droit américain, alors qu'il s'agissait d'une demande relevant de la compétence d'ami- rauté de la Cour de l'Échiquier. Je ne puis croire qu'on ait voulu que le principe affirmé dans les arrêts Quebec North Shore Paper et McNamara Construction puisse avoir de telles conséquences. Lorsqu'il faut connaître la loi étrangère pour éta- blir les droits et obligations des parties, celle-ci doit être prouvée comme un fait ordinaire; le droit national ne lui donne effet que s'il le choisit et aussi, pour des raisons d'ordre public. Voir Dyna- mit Actien-Gesellschaft (Vormals Alfred Nobel and Company) c. Rio Tinto Company, Limited [1918] A.C. 292, lord Parker of Waddington, à la page 302; Cheshire's Private International Law, 9e éd., 1974, pages 148 et 149. On ne peut déterminer à l'avance dans quelle mesure la loi nationale et la loi étrangère s'appliqueront à une espèce. A moins qu'il ne soit prouvé que la loi étrangère diffère de la loi du for, on la présume identique. Il serait
irréaliste que la compétence soit fonction de la mesure dans laquelle la loi étrangère pourrait s'ap- pliquer au fond du litige. Pour ces motifs je tiens que cette demande est fondée sur le droit maritime canadien et il s'ensuit que la Cour est compétente pour en connaître.
Ces motifs rédigés, la Cour suprême du Canada prononça un arrêt le 6 mars 1979 dans Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Company (1979) 26 N.R. 313, dont j'estime qu'il faut prendre connais- sance vu les conséquences qu'il pourrait avoir sur l'appel. Cette affaire comportait un déclinatoire de la compétence de la Cour fédérale de connaître de certaines demandes fondées sur des avaries à une cargaison transportée depuis un port français jus- qu'à Montréal en vertu de connaissements stipu- lant application des Règles de la Haye telles qu'a- doptées par le pays expéditeur. La Cour suprême a statué que la demande entrait dans la compétence de la Cour fédérale. Dans ces motifs, le juge en chef Laskin, qui rendit l'arrêt de la Cour, jugea que l'article 4 de l'Acte de l'Amirauté, 1891, (supra), opérait réception au Canada de l'ensem- ble du droit de l'amirauté, lequel permettait de connaître des demandes pour avaries à une cargai- son; il s'ensuivait que ces demandes se trouvaient reconnues par le droit maritime canadien au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Il statua en outre que lorsque l'article 22 de la Loi attribue compétence à la Cour fédérale pour con- naître d'une demande particulière, celle-ci peut décider, en s'appuyant sur les règles du droit inter national privé, que la loi étrangère s'applique dans une certaine mesure. Après examen minutieux de cet arrêt je suis d'avis, respectueusement, qu'il ne saurait m'obliger à en arriver, quant au litige en cet appel, à une conclusion différente de celle pour laquelle j'ai donné les précédents motifs.
C'est pourquoi j'accorderais l'appel, réformerais le jugement de première instance et rejetterais la requête avec dépens en cette instance comme en celle qui précède.
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LE JUGE RYAN: J'y souscris.
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LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'y souscris aussi.
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